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Retrouvez « L'interview de 9h20 par Léa Salamé » L'interview de 9h20 avec Léa Salamé sur France Inter et sur : https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/l-interview-de-9h20

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Transcription
00:00Et Léa, ce matin, vous recevez un écrivain.
00:02Bonjour Philippe Besson.
00:03Bonjour Léa Salamé.
00:04Merci d'être avec nous ce matin.
00:05Si vous étiez un âge, un homme politique de la Ve République, un pays et une émotion,
00:11vous seriez qui ? Vous seriez quoi ? Un âge d'abord ?
00:13Sans doute 17 ou 18 ans, c'est-à-dire l'âge des possibles où rien n'est grave ou ne
00:19nous semble grave, rien ne nous paraît important, tout semble ouvert.
00:22Et puis à 17 ou 18 ans, j'étais très amoureux, donc c'est l'âge du premier
00:26amour, du grand amour, ça m'est resté, je l'avais raconté dans un livre qui s'appelle
00:29Arrête tes mensonges.
00:30Mais en même temps, c'est aussi l'âge où j'ai compris que ça n'allait pas durer,
00:37que j'étais heureux et que peut-être je ne serai plus jamais autant.
00:40Et c'est vrai ? Vous ne l'avez plus jamais été autant que vos 17 ans ?
00:45Oui, sans doute.
00:46Je pense qu'effectivement, si je suis un romancier de la mélancolie ou de la nostalgie,
00:50ça tient à ça aussi.
00:51C'est-à-dire que j'ai l'impression que quelque chose s'est perdu, l'innocence,
00:54l'insouciance et que ça s'est irrémédiablement perdu, qu'après, voilà, c'est devenu la
00:58vie sérieuse, la vie grave.
01:00Duras dit ça au début de Laman, elle dit tout de suite « dans ma vie, il a été trop
01:03tard ». Et il y a quelque chose de cet ordre-là, du trop tard, qui s'est joué là et qui
01:07fait l'écrivain que je suis devenu, sans doute.
01:09Un homme politique de la cinquième ?
01:10François Mitterrand.
01:11François Mitterrand.
01:12Je me souviens de la joie, d'abord, dans notre famille, le 10 mai 1981, parce que moi
01:17je viens d'une famille de gauche et donc je me souviens de mon père, qui était triomphant,
01:22instituteur, absolument, hussard noir de la République.
01:26Dans un petit village de 160 habitants, c'est la ronde Charente où vous avez grandi ?
01:29Oui, absolument.
01:30Et il était heureux ce jour-là ?
01:31Très, très très heureux.
01:32Et donc voilà, et puis toute la fête qu'il y avait, et puis c'est le sentiment aussi
01:36de revanche, parce que la droite est au pouvoir depuis tellement longtemps, et puis cet espoir
01:40qui s'est levé, la vie qui allait changer, bon, très bien.
01:43La vie a changé d'ailleurs, d'une certaine manière, mais en tout cas, oui, j'ai ce souvenir-là.
01:47Et puis c'était surtout, après d'abord il était Charentais, comme nous, François
01:51Et puis, il y avait l'idée aussi qu'il était déjà à la dimension de l'histoire, curieusement.
01:57Ce n'était pas un homme politique comme les autres, il y avait cette idée de l'autorité.
02:00Et puis j'aimais aussi après cet homme qui était un homme de culture, un homme de lettres,
02:05un homme de livres, et puis un homme de la lenteur.
02:07On a perdu ça aussi, c'est-à-dire qu'on nous disait qu'il allait marcher sur les quais
02:10de Seine alors qu'il était président de la République, et je me dis qu'on est tellement
02:13dans une époque d'urgence.
02:14Oui, il n'y avait pas les réseaux sociaux en même temps.
02:16Voilà, bien sûr.
02:17Mais cette lenteur-là nous manque.
02:18Oui, c'est ce que vous aimez.
02:19Si vous étiez un pays ?
02:21Sans aucun doute, c'est mon pays, je l'aime, je me sens profondément français.
02:25Et une émotion ?
02:26J'aimerais être toute, parce que moi j'écris sur ça, donc j'aimerais être l'élan, l'emportement,
02:31l'éblouissement, j'aimerais être aussi mes inquiétudes ou la peur ou la honte.
02:36Alors si je dois en retenir qu'une, je dirais peut-être la pudeur.
02:39D'accord.
02:40C'est une émotion, vous pensez, la pudeur ?
02:42Oui, je pense qu'en tout cas il y a cette idée que c'est l'idée d'exprimer des sentiments
02:48et d'être retenu de le faire.
02:49En temps de paix, les fils ensevelissent leurs pères.
02:52En temps de guerre, les pères ensevelissent leurs fils.
02:56Vous citez Hérodote en exergue de votre nouveau livre, Philippe Besson, « En temps de guerre,
03:00ce sont les pères qui ensevelissent leurs fils.
03:02Nous sommes en temps de guerre. »
03:03Oui, nous sommes en temps de guerre, parce que le harcèlement scolaire, parce que c'est
03:06l'objet de ce roman, est une guerre qui est menée aujourd'hui.
03:11D'abord parce qu'elle est massive, elle concerne des centaines de milliers d'enfants, d'adolescents.
03:19Il faut avoir en tête qu'aujourd'hui le harcèlement scolaire c'est au moins un élève
03:22en moyenne par classe en France, à l'école, au collège, au lycée.
03:25Les associations parlent de 800 000 à 1 million d'enfants harcelés en France.
03:30Vous doublez ou triplez pour connaître le nombre de harcèleurs.
03:32Et c'est surtout une guerre qui fait des blessés et des morts sur le champ de bataille.
03:37Vous parlez de « Mon fils », c'est le très beau titre de ce nouveau livre, c'est le
03:41millésime 2025 de Philippe Besson, mais je dois vous dire que quand on l'a lu, celui-là,
03:46on ne l'oublie vraiment pas, c'est un roman poignant, déchirant, qui raconte la détresse,
03:51la souffrance et l'impuissance d'un père qui n'a pas pu empêcher le suicide de son
03:55fils, Hugo, 14 ans, victime de harcèlement scolaire, de harcèlement homophobe au collège.
03:59Vous dites que c'est le portrait d'un père qui se trompe.
04:01Oui, d'un père qui ne se rend pas compte au départ.
04:05Il aime son fils, ça ne fait aucun doute.
04:07Mais en même temps, quand les premiers signes ou les signaux faibles du harcèlement scolaire
04:12se produisent, quand sa femme vient lui dire « Je crois qu'il se passe quelque chose
04:17avec Hugo », il a tendance à minimiser.
04:19Il dit « Bon, d'abord, les gamins qui se chamaillent dans la cour de récréation, c'est
04:22de tout temps et ce n'est pas très grave ». Et puis, il voit bien que son fils est
04:26un peu hypersensible, donc il se dit « ça va l'endurcir, ça va le faire grandir ».
04:29Et donc, il a tendance à minimiser, pas faire attention.
04:32Et puis après, il va comprendre l'ampleur des dégâts et du désastre.
04:35Et là, il va partir au combat.
04:36Il va partir au combat, même s'il va partir au combat trop tard.
04:40C'est l'histoire d'une culpabilité, d'un père qui arrive trop tard, qui comprend
04:43les choses trop tard, d'une éducation à côté.
04:46Pourquoi vous avez voulu choisir d'écrire du point de vue du père ?
04:50Parce que dans ces cas-là, c'est celui qu'on entend le moins.
04:54On entend la mère, on entend parfois les frères et sœurs, mais le père…
04:58On ne l'entend jamais.
04:59C'est parce qu'on ne l'entend jamais que j'ai voulu prendre sa voix, précisément.
05:01C'est-à-dire que dans ces affaires de harcèlement, on pense d'abord évidemment aux enfants
05:04et les victimes.
05:06On pense évidemment aux mères parce qu'on les voit, parce que souvent dans les marches
05:09blanches, ce sont elles qui prennent la parole.
05:11Et c'est tout à fait compréhensible, légitime.
05:12Et puis les pères se tiennent un pas en arrière.
05:15Et on se dit mais en même temps, ils ont le même chagrin, ils ont la même détresse,
05:18ils ont la même colère, ils ont la même culpabilité, ils ont le même besoin de continuer
05:22à vivre.
05:23Et donc je me suis dit qu'il faut écouter, il faut comprendre ces pères-là.
05:25Alors je suis allé à leur rencontre, j'ai essayé de voir comment ils étaient, et je
05:28les ai trouvés magnifiques et maladroits, je les ai trouvés engagés dans ce combat
05:34mais perdus.
05:35Et je me suis dit, cette voix-là, je peux essayer moi de la trouver.
05:37Parce que j'essaie toujours d'être du côté des oubliés de l'histoire.
05:40J'avais fait il y a deux ans un livre qui s'appelle « Ceci n'est pas un fait divers »
05:43autour des violences faites aux femmes du féminicide.
05:45Et j'avais pris la voix du fils.
05:46Parce qu'on ne pense pas aux enfants, à ceux qui survivent à ça, à cette déflagration
05:51absolue du féminicide.
05:52Et je me dis, on ne pense pas peut-être assez aux pères, et donc voilà, j'ai voulu être
05:56ce père-là.
05:57Vous parlez de la mère.
05:58Ce livre, il est dédicacé à elle et à tous les autres.
06:00Elle, c'est Lucas Vermar, le petit Lucas qui s'est pendu le 7 janvier 2023 après avoir
06:05été harcelé au collège.
06:07Cette histoire vous a bouleversé, c'est ça qui a été le détonateur de l'écriture
06:11de ce livre-là ?
06:12Oui, celle-ci et d'autres est là.
06:14C'est-à-dire le problème, c'est que nous sommes les uns et les autres percutés, blessés,
06:20traversés par l'actualité qui nous rapporte effectivement les faits de harcèlement.
06:24Et le travail que vous faites de ce point de vue-là est remarquable.
06:26Donc les journalistes, les essayistes, les sociologues, nous sommes évidemment percutés,
06:30blessés par les morts, par les marches blanches organisées en hommage aux disparus.
06:35Nous sommes percutés, blessés par ces visages d'enfants et celui de Lucas en particulier,
06:39celui de Nicolas, celui de Lincey, celui d'Evaël, de tant d'autres.
06:42Et tout d'un coup, on se dit « c'est trop, c'est pas supportable en fait ».
06:45Et puis on entend cette phrase qu'ils ont prononcée ou qu'ils ont écrite, ces enfants,
06:50c'est « il fallait que ça s'arrête ». C'est une phrase glaçante.
06:53Et donc moi, c'est cette phrase-là, « il fallait que ça s'arrête » qui m'a décidé
06:59à écrire.
07:00Et puis l'autre phrase qui est en face, en miroir, en miroir inversé, qui est celle
07:04des harceleurs, qui était « mais c'était pour s'amuser ». Et je me suis dit, ces
07:09deux phrases-là, « c'était pour s'amuser », « il fallait que ça s'arrête »,
07:12ça vous oblige, quand vous êtes romancier, à écrire une histoire.
07:15D'ailleurs, sur les harceleurs et sur les parents des harceleurs, vous dites que les
07:18parents ne veulent pas reconnaître que leur enfant a failli, a harcelé.
07:23Et d'ailleurs, les harceleurs-enfants se sentent protégés par leurs parents.
07:28Bien sûr.
07:29C'est à la fois odieux et légitime.
07:31C'est-à-dire que d'abord, les parents des harceleurs n'ont pas plus d'imagination
07:34parfois que les parents des harcelers, c'est-à-dire qu'ils n'imaginent pas leur enfant en
07:36caïd.
07:37C'est difficile de se dire « mon enfant est un harceleur », on n'a pas envie de
07:39cela.
07:40Donc il faut déjà admettre cette vérité-là.
07:42Et quand elle est admise, on protège, on protège son enfant, on protège son fils,
07:46sa fille, en disant « c'est mon fils, ma fille, donc je… ». Et du coup, évidemment,
07:49ça aggrave la situation, parce que les harceleurs se sentent une impunité, une immunité totale
07:54en disant « je peux continuer, parce que de toute façon, il ne m'arrivera rien ».
07:56Et cette question de l'immunité, j'imagine qu'on va parler du harcèlement numérique,
07:59qui est justement démultiplié par le harcèlement numérique et par l'anonymat des réseaux,
08:04parce que l'idée, c'est que vous pouvez harceler sans que finalement il y ait de conséquences.
08:07Et du coup, les enfants harcelés se trouvent seuls, dans une solitude immense, face à
08:12ça.
08:13Oui, et c'est ce qu'on voit là maintenant, c'est qu'effectivement, le versant numérique
08:17du harcèlement décuple les choses, puisque ça commence avec Hugo avec une insulte à
08:23la cour du collège, le rose c'est pour les fiottes, puis ensuite les injures se répètent,
08:27ça s'aggrave, dès qu'ils passent, ils sont en train de mimer une fellation, et puis
08:32ça ne s'arrêtera pas.
08:33Et ils créent un groupe WhatsApp où ils montrent des vidéos de Hugo jeté à terre,
08:38et puis il y a évidemment le harcèlement numérique.
08:40Et vous parlez d'ailleurs, quand les parents découvrent ça, d'un continent.
08:44C'est un continent, le harcèlement.
08:46Mais parce qu'effectivement, on n'a pas l'idée de cela.
08:49Moi, quand j'avais 14 ans et que j'étais au collège et que j'étais aussi bousculé,
08:55injurié, insulté, molesté, et que j'entendais pour la première fois cette formule « sale
09:00pédé », parce que la première fois que j'ai entendu les mots « sale pédé », c'était
09:03dans une cour de récréation au collège de Barbesieux en 1980.
09:06Vous aviez 13 ans.
09:08J'avais 13 ans.
09:09Et vous avez dit quoi ?
09:10Et je n'ai rien dit.
09:11Et je n'ai rien dit parce que, et c'est ça au fond l'horreur en fait, c'est que, et c'est
09:18aussi de cela que j'écris le livre, c'est que je me souviens de ma peur, je me souviens
09:25de ma honte, je me souviens de l'humiliation, parce que vous êtes une chiffe molle sur
09:31laquelle on s'exerce et vous ne répondez pas, vous êtes là et vous ne répondez pas,
09:35mais je me souviens de mon silence, un silence obligatoire, c'est-à-dire en fait l'incapacité
09:39à dire, à dire à qui ? Vous allez voir votre père et lui dire « je suis harcelé
09:44à l'école parce que les autres disent que je suis homosexuel ? » Non, évidemment,
09:48vous n'y allez pas.
09:49Vous vous taisez parce que vous n'êtes pas capable de le dire, parce que vous n'avez
09:52pas l'irrévérence, parce que vous n'avez pas l'insolence pour répondre à vos harceleurs,
09:56parce que vous n'avez pas le courage de parler à vos parents, parce que vous n'avez
09:59pas les mots.
10:00En fait, moi je me souviens de ça et vous me demandiez tout à l'heure pourquoi j'avais
10:03écrit ce livre-là, peut-être que c'est ça la réalité, c'est qu'au fond j'ai
10:06été cet enfant qui n'a pas eu de mots et peut-être qu'on devient écrivain pour
10:11trouver les mots et je pose aujourd'hui des mots, longtemps après, et donc les enfants
10:16harcelés, ils sont enfermés dans ce silence, enfermés dans cette solitude parce que ça
10:20s'ajoute à ça, vous savez, l'idée du bannissement, de la mise à l'écart, voilà.
10:24Sauf que moi à l'époque, le harcèlement, il s'arrêtait à 4h30, puis il s'arrêtait
10:30le vendredi soir, puis il s'arrêtait pendant les vacances, donc vous aviez des répits,
10:34vous aviez des repos, vous pouviez vous dire je vais m'en sortir quand même un peu.
10:36Eux, c'est 24h sur 24, 7 jours sur 7, tout le temps, la propagation de rumeurs sur des
10:42téléphones qui deviennent des armes, c'est des vidéos qui sont sorties, et donc comment
10:47vous revenez dans votre collège quand on a sorti la photo de vos seins, de votre pénis,
10:52etc.
10:53C'est horrible.
10:54Donc voilà ce qu'ils vivent aujourd'hui.
10:55Vous, vous écrivez Philippe Besson pour trouver des mots, les mots que vous ne trouviez pas
10:57quand vous aviez 13 ans, lui, il dessine Antoine Dolle, mieux connu sous le nom de M.
11:03Tan, qui est le carton absolu de librairie avec Mortel Adèle que tous les enfants lisent,
11:07et bien M.
11:08Tan, Antoine Dolle, a été un enfant harcelé.
11:12Écoutez-le.
11:13Pendant 3 ans, 3 ans et demi, tous les jours, on me répétait qu'il fallait que je me
11:18suicide, que rien de ce que j'étais ne fonctionnait, rien de ce que j'étais n'était
11:23valide à leurs yeux.
11:24J'aimais dessiner, ils m'ont fracturé le pouce.
11:28C'était des violences qui étaient difficiles et qui m'ont amené à avoir toute une stratégie
11:33autour.
11:34C'est-à-dire que je me mettais à être beaucoup dans l'hyper-vigilance et dans le calcul
11:37en me disant, bon alors si je passe par là, je vais croiser un tel, donc je vais passer
11:40par là.
11:41J'étais dans une espèce de suradaptation permanente qui a été épuisante pendant
11:453 ans.
11:46Les adultes n'ont rien vu ?
11:47J'en parlais pas, très honnêtement, parce que j'étais déjà très gêné, parce que
11:53j'avais peur que ce soit plus grave si j'en parlais.
11:55Et du coup, non.
11:57Après, on voit aussi ce qu'on veut voir.
11:59Je pense qu'il y a aussi un malentendu sur les violences scolaires depuis très longtemps.
12:04Peut-être ça a évolué ces dernières années.
12:06Moi je vous parle de ça, c'était il y a 25 ans.
12:09Mais à l'époque, on considérait aussi beaucoup que les violences scolaires, c'était des
12:12histoires de gosses, dans la récré, et qu'il faut que jeunesse se fasse.
12:16Toine Del au micro de Zoé Varier, c'est aussi ça, c'est aussi une génération et
12:23un moment, ce qu'il a vécu, ce que vous avez vécu, une génération de pères aussi,
12:29de l'éducation nationale aussi, c'est un tout.
12:31C'est-à-dire qu'on ne prenait pas la mesure de ce phénomène à l'époque.
12:35D'abord, on ne le nommait pas.
12:36Déjà, quand vous ne nommez pas les choses, ça n'existe pas.
12:38Le mot harcèlement, on l'applique aujourd'hui à cette réalité-là, mais il y a 15 ans,
12:41il y a 20 ans, il y a 25 ans, ce n'était pas ça.
12:43Donc on laissait les choses se faire.
12:45Aujourd'hui, au moins, on nomme, donc c'est déjà un progrès considérable.
12:48Oui, mais on disait, ce n'est pas grave, il va s'endurcir, c'est à la dure.
12:50Peut-être parce qu'on se rappelait de notre enfance, en se disant, nous aussi, on en a
12:54morflé.
12:55Bien sûr, on en a morflé, donc du coup, c'est normal qu'il morfle aussi.
12:58Et ça nous a aidés, c'est aussi ça que ça interroge, ces phrases sur le harcèlement,
13:05ce combat pour le harcèlement.
13:06C'est que nous, je vais même être un peu personnelle, c'est-à-dire que quand j'ai
13:10lu votre livre, qui m'a absolument bouleversée, vraiment, sincèrement, et immédiatement,
13:14on pense à ses enfants, on pense aux proches, à ses proches, aux autres enfants autour,
13:18et on a envie d'aller immédiatement, en fermant votre livre, leur demander si ça
13:21va ou si on a encore loupé quelque chose.
13:23Mais c'est vrai qu'on peut se dire que quand on en a bavé, enfant, ça nous a aussi construit
13:29et ça nous a grandis.
13:31Alors que si on n'en bave pas du tout dans son enfance, si on a une enfance que hyper
13:35facile, on n'a pas la rage, on ne se transcende pas.
13:38On peut avoir cette idée-là que le père a, manifestement, et en fait, c'est faux.
13:43C'est faux.
13:44C'est faux.
13:45Et qu'on ait des épreuves et qu'on doive surmonter des épreuves, c'est très bien,
13:48qu'on doive gagner en maturité, c'est formidable, qu'on fasse sa vie et qu'on
13:52se construise, bien sûr.
13:54Mais là, on parle de violences psychologiques nombreuses exercées sur des enfants de 6
13:59ans, de 8 ans, de 12 ans.
14:01On parle d'insultes répétées, on parle de menaces, on parle de tortures, de coups
14:05de combat, on parle de tibias fracturés, on parle de choses répétées.
14:10Donc la violence, ça ne s'exerce pas sur un enfant.
14:13Ce n'est pas une chose normale, ce n'est juste pas une chose naturelle, ce n'est
14:18pas une chose acceptable.
14:19Et donc il faut trouver ça.
14:20Et c'est contre lui.
14:21Vous avez raison de dire ça.
14:22Ce n'est pas les événements de la vie, ce n'est pas un divorce de parents, ce n'est
14:24pas la guerre, ce n'est pas un exil, c'est contre lui, contre cet enfant et c'est
14:29sa réputation sur les réseaux.
14:31C'est juste parce qu'on le présume différent ou fragile, c'est-à-dire on va contre
14:34lui parce qu'on le présume homosexuel, on va contre lui parce qu'il est en surpoids,
14:38on va contre lui parce qu'il est bègue et donc quand il passe, on surjoue le bégaiement,
14:42etc.
14:43On va contre lui parce qu'il est roux, parce qu'il a les meilleures notes à l'école.
14:45Donc c'est absolument effrayant.
14:46Et donc il faut comprendre que ça, ce n'est pas une attitude normale.
14:49Aujourd'hui, les gens parlent davantage, les artistes dénoncent, comme vous, ou comme
14:53la chanson de Maëlle, vue 11 millions de fois sur Youtube, effet de masse.
14:57Dans les beaux bureaux en glace, comme dans les couloirs d'école, c'est toujours l'effet
15:05de masse qui nous casse et nous isole.
15:11Sur les écrans, sous des masques, dans des regards qui rigolent, c'est toujours l'effet
15:19de masse qui nous casse et nous isole.
15:27Il était dans ma classe, il vivait dans ta rue.
15:34C'était celui qui passe, mais son nom, je ne sais plus.
15:41Qu'est-ce qu'on peut être idiot quand on n'est plus nombreux ?
15:48Je l'avoue, le cœur gros, oui, j'ai ri avec eux.
15:54Aujourd'hui, c'est toujours la même histoire, dans la vie ou dans les bruits de couloirs.
16:06Dans les beaux bureaux en glace...
16:08Oui, c'est une chanson absolument déchirante, qui raconte aussi l'effet de meute, parce
16:13qu'il faut dire ça aussi, c'est que ce qui se passe, c'est quand le harcèlement numérique
16:16se passe, tout d'un coup, il devient un spectacle, il devient quelque chose en repais, et surtout
16:21les autres viennent et vous rejoignent, et donc tout d'un coup, vous êtes seul face
16:24à une foule, face à des gens qui sont trop nombreux, et vous, vous êtes dans cette solitude.
16:29Et en écoutant Mahel ou d'autres, moi, je me dis cela, qu'était mon ambition en écrivant
16:36ce roman, parce que c'est un roman, peut-être que nous autres, les artistes, c'est-à-dire
16:41les écrivains, les chanteurs, les cinéastes, les comédiens, on a quelque chose à faire
16:47et on a un rôle à jouer.
16:48Je veux dire que les journalistes, les essayistes, font un travail d'information et parlent
16:53à notre intelligence, ils nous donnent l'information et nous l'avons, mais cette information,
16:58qu'en faisons-nous ? Et je crois que peut-être les romanciers, en tout cas, c'est ce que
17:02j'ai cherché à faire, on va viser le cœur, on va viser le cœur et pas le cerveau, et
17:06faisant cela, on emploie le langage du sensible, le langage de l'émotion, le langage du
17:12conteur d'histoire à hauteur d'humain, à hauteur d'humain, et faisant cela, on peut
17:16espérer, c'est pour ça que je suis très touché par ce que vous m'avez dit, bouleverser,
17:20percuter, émouvoir, questionner, et du coup éveiller les consciences, et tout d'un coup,
17:25avec cette arme qui est à notre disposition, celle du sensible, on peut espérer éveiller
17:30les consciences, c'est ça l'ambition en tout cas.
17:32Et c'est le cas de votre livre, en tout cas, ça a fonctionné sur moi.
17:34Les impromptus pour terminer, qui n'ont rien à voir, allez, vous répondez rapidement avec
17:40le sourire, Philippe veut plaire, et comme il est très plaisant, il plaît, dira de
17:45vous votre ami Pascal Sevran, c'est une bonne définition de vous, Philippe veut
17:48plaire, et comme il est très plaisant, il plaît.
17:50Je pense que j'ai voulu plaire, je pense que c'est moins vrai, je pense que l'âge est
17:56arrivé et que sans doute j'ai moins besoin de cela, après c'est pas à moi de dire si
18:00je suis plaisant.
18:01Le temps qui passe, ça vous angoisse ?
18:03Ça me dévaste, ça me met par terre.
18:05Bientôt 60 ans, Philippe Guess.
18:06Bientôt 60 ans, et là je peux pas vous dire, mais encore une fois, à 17 ans déjà, je
18:11pensais que c'était tout foutu, donc vous imaginez, les années ayant passé, ça s'est
18:15aggravé.
18:16Brokeback Mountain ou Sur la route de Madison ?
18:18C'est une vraie colle, parce que je le sens déchirer.
18:23Brokeback pour l'amour impossible, mais Madison aussi pour l'amour raté, pour l'opportunité
18:29ratée, la vie à côté de laquelle on est passé.
18:30Flaubert ou Stendhal ?
18:31Stendhal.
18:32Duras ou Proust ?
18:34Duras.
18:35Brett Histon-Ellis ou Paul Oster ?
18:37Brett Histon-Ellis.
18:38Patrick Besson ou Luc Besson ?
18:39Patrick.
18:40Virginie Despentes ou Michel Houellebecq ?
18:45Virginie Despentes.
18:46Que reste-t-il du DRH, de l'IFOP que vous étiez il y a 30 ans ?
18:48Pas grand-chose, pas grand-chose, pas grand-chose.
18:53Elon Musk, il vous inquiète ou il vous fascine ?
18:56Il m'inquiète, il ne me fascine pas du tout, il m'inquiète terriblement, sa fascination
19:00pour les régimes autoritaires, ce populisme décomplexé, cette loi du plus fort, cette
19:07injonction à la virilité, tout me fait horreur dans cet homme-là, tout.
19:11Vous votez ?
19:12Je vote en France, oui, bien sûr.
19:14Toujours ?
19:15Oui, toujours, oui.
19:16Comment vous voulez Macron ?
19:17Il faudra leur demander.
19:18Vous ne les voyez plus ?
19:19Non, si, si, si, je les vois toujours, mais je crois qu'ils vivent une période difficile,
19:23j'ai cru comprendre.
19:24Liberté, égalité, fraternité, vous choisissez quoi ?
19:26Fraternité.
19:27Et Dieu dans tout ça ?
19:28J'ai la chance, si je puis dire, d'être athée, donc d'essayer de me tenir à l'écart
19:34du fanatisme religieux et des querelles religieuses.
19:36Et c'est une question de Jacques Chancel qu'il a vraiment posée, je dis ça pour
19:40Florian Zeller qui vous a précédé hier, qui a dit à l'antenne que Jacques Chancel
19:43n'avait jamais prononcé cette phrase, si, et on a l'enregistrement que je diffuserai
19:46un matin, là on n'a plus le temps, c'est Charline qui me l'a envoyé.
19:50Vous parlez de mon fils, c'est chez Julliard, le nouveau Philippe Besson, à ne pas rater,
19:54vous l'aurez compris.
19:55Merci et belle journée à vous.
19:56Merci infiniment.

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