Retrouvez « L'interview de 9h20 par Léa Salamé » L'interview de 9h20 avec Léa Salamé sur France Inter et sur : https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/l-interview-de-9h20
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00:00Et Léa, ce matin vous recevez un journaliste et écrivain.
00:04Bonjour Éric Neuf.
00:05Bonjour Léa Salamé.
00:06Merci d'être avec nous ce matin.
00:08Si vous étiez un réalisateur, un président de la 5ème République et un quartier de Paris,
00:13vous seriez qui ? Vous seriez quoi ?
00:15Paul Thomas Sanderson, Georges Pompidou et le 7ème arrondissement.
00:22Pourquoi en un mot ?
00:24Paul Thomas Sanderson parce que c'est un génie,
00:26c'est-à-dire que « Phantom's Thread » est un film qui écrase pratiquement tout le reste.
00:32Georges Pompidou parce que c'était un président capable, à la fin d'une conférence de presse,
00:38quand on l'interrogeait, en répondant sur l'affaire Gabriel Russier.
00:43Et puis le 7ème arrondissement parce que j'ai pratiquement habité toutes les rues de ce quartier.
00:49Qui n'a jamais aimé la vitesse, n'a jamais aimé la vie, ou alors peut-être n'a jamais aimé personne ?
00:54C'est ce qu'écrivait Françoise Sagan, qui a connu elle aussi, comme vous,
00:58un terrible accident de voiture au volant de son Aston Martin.
01:01Vous êtes d'accord avec elle ? L'amour de la vitesse, c'est l'amour de la vie ?
01:05Je n'ai pas besoin d'aller vite pour aimer la vie.
01:08Mais à l'époque, elle avait raison parce que c'était la mythologie de la bagnole dans ces années-là.
01:12Mais tout ce que dit Sagan est intelligent et merveilleux.
01:16Le fait est que Sagan, c'est un modèle pour tous.
01:19Quand on publie son premier livre, on se dit que ça va être comme « Bonjour Tristesse »,
01:23qu'on va devenir milliardaire, ne plus travailler de sa vie.
01:27Et ça ne se passe pas toujours comme ça.
01:29Et quand on lit votre livre, on pense à elle quasiment à toutes les pages.
01:33Vous écrivez comme elle, il y a la même...
01:35C'est peut-être aussi parce que c'est un livre sur la jeunesse, mais c'est Sagan qui est partout.
01:40Éric Neuf, enfin c'est moi qui l'ai écrit, c'est comme ça.
01:43Je ne vais pas vous faire de procès.
01:44J'espère.
01:45Vous êtes écrivain, critique littéraire et cinéma au Figaro.
01:48Vous avez officié au Masqué la Plume pendant plus de 20 ans.
01:51On connaît votre plume acerbe, indocile, parfois assassine et votre sens des formules.
01:56Ce sens de la formule, on le retrouve dans « Pain Total », ce livre que vous sortez
02:00chez Alban Michel, qui est le plus personnel, le plus intime.
02:04Le livre où vous fondez l'armure pour la première fois, ce qui est rare chez vous.
02:07On est en 1978, Giscard est président.
02:10Claude François vient de mourir.
02:11Le Palace vient d'ouvrir.
02:12Et Renaud vient de lancer la R18.
02:14Vous avez 22 ans.
02:15Vous menez une vie insouciante de jeune dandy parisien, fier et jouisseur.
02:19Quand, soudain, vous avez un grave accident de voiture en vacances sur la Costa Brava
02:24en Espagne.
02:25Un accident qui vous a cloué à l'hôpital pendant un an.
02:27Vous a fait subir 18 opérations et vous a fait perdre un ami.
02:31Mort sur le coup.
02:32Vous aviez la place du mort et Olivier avait la place du conducteur.
02:36C'est lui qui est mort.
02:37C'est un livre qui est à la fois le récit de cette convalescence interminable qui va
02:42emporter votre jeunesse.
02:43C'est la chronique d'une époque révolue, la fin des années 70.
02:46Et c'est aussi une lettre à cet ami disparu.
02:49C'est un peu tout ça.
02:50Oui, vous avez raison.
02:51D'ailleurs, si Patrick Besson n'avait pas pris le titre, j'aurais pu appeler ça
02:54« Lettre à un ami perdu ».
02:56Et ça a été vraiment un marqueur.
02:58C'est qu'en 78, c'était d'autant plus violent que tous les mois qui avaient précédé
03:04étaient épatants.
03:06Je garde un souvenir radieux de cette époque-là.
03:09C'était Roland Garros avec Borg et Victor Pecci aussi, qui était un Paraguayen, qui
03:15avait un petit diamant à l'oreille, ce qui ne se faisait pas du tout à l'époque.
03:19Il y avait, comme vous l'avez dit, le Palace.
03:21Il y avait le Rosebud.
03:24Le Rosebud, ce bar de Montparnasse.
03:27Où on était ravis de commander du Chili con carne et d'apercevoir Jean-Pierre Léaud
03:31à une des tables.
03:33Il y avait les études aussi qu'on suivait paresseusement.
03:36Il y avait la musique aussi.
03:38Votre thèse sur Driel à Rochelle, la musique.
03:40On va en parler de cette époque-là, mais je voudrais commencer quand même par l'accident.
03:44C'est vrai que c'est étonnant, vous, qui êtes un homme assez secret, qui profondez
03:48souvent dans vos critiques les livres d'autofictions, de vous voir ainsi vous confier de manière
03:54intime et même très intime.
03:56Vous cédez, vous aussi, Eric Neuf, aux sirènes du narcissisme contemporain ?
04:01À ma décharge, si un ami éditeur ne me l'avait pas demandé, peut-être que je n'aurais
04:06pas écrit ce livre.
04:07D'ailleurs, vous l'avez reçu ici, pour ne pas le nommer, c'est Thibaut de Montaigu.
04:11Et puis j'ai peut-être attendu longtemps, parce que, comme vous le disiez, je n'étais
04:15pas seul dans cette voiture.
04:17Cette histoire n'était pas seulement la mienne, mais il était peut-être temps de
04:21le faire.
04:22J'ai presque des remords de ne pas avoir fait ça plus tôt, parce que mes parents
04:26auraient pu le lire et ils auraient vu la gratitude que je leur voue à cause de cette
04:32histoire qui a dû l'éliminer gravement.
04:34Vous remerciez vos parents, effectivement.
04:36La vie, je l'ai à leurs doigts deux fois.
04:38Cela fait beaucoup.
04:39Je n'ai peut-être pas su leur exprimer toute ma reconnaissance.
04:41Je n'ai pas su, évidemment.
04:43Il est trop tard maintenant.
04:44Les marques d'amour n'étaient pas mon fort.
04:46Je crains de ne pas avoir beaucoup évolué dans ce domaine.
04:49Oui, et puis c'est marrant parce que, enfin marrant, c'est pas le mot, mais en me mettant
04:55à écrire là-dessus, j'ai tout retrouvé.
04:57Les sensations, les images, les couleurs, les odeurs.
05:00Et je me suis surtout aperçu d'une chose, c'est que je serai éternellement ce type
05:06de 22 ans étalé sur une route de la Costa Brava.
05:10Et je crois que grâce à ça, tout ce qui m'est arrivé par la suite est un bonus.
05:16Que j'aime tout ce qui se passe, le bon, le mauvais.
05:19Et que je ne vieillirai jamais.
05:22Et je crois même que je ne mourrai pas grâce à ça.
05:24Oui, ça reste à voir.
05:26Si vous voulez.
05:27Oui, très bien, vous ne mourrez pas, ça me va.
05:30Il ne peut plus rien arriver de grave.
05:32Je me suis dit aussi que vous avez écrit ce livre, au fond, parce que vous ne vous rappelez pas
05:37de ce qui s'est passé dans ces deux minutes où il a perdu le contact et où vous avez
05:43été propulsé de cette décapotable et lui est mort sur le coup.
05:47Vous ne l'avez pas su tout de suite.
05:48Vos parents n'ont attendu qu'un mois pour vous le dire.
05:51Et ce livre, c'est ça aussi, c'est l'impossibilité de savoir ce que vous ne saurez jamais.
05:55Ce qui s'est passé.
05:56Oui, parce que là, je suis là, je vous regarde.
05:59Mais ce que je vois, c'est cette image de l'époque.
06:02Les phares qui balayaient le bas côté, la poussière, les graviers.
06:06Et puis, à quelques dizaines de mètres, la pile d'un pont.
06:10Et ensuite, c'est vraiment le trou noir.
06:12On dit toujours ça quand il y a un accident.
06:14Mais hélas, c'est vrai.
06:15Et je m'étais dit qu'en écrivant, sans doute que j'allais percer ce mystère.
06:19Et hélas, non, je ne saurais jamais ce qui s'est passé durant ces quelques secondes.
06:22Ça, vous ne le saurez jamais.
06:23Vous ne vous en rappelez plus.
06:24En revanche, vous vous souvenez très bien, et c'est ça qui est hallucinant,
06:27de tous les détails de cette année à l'hôpital.
06:29Vous avez 22 ans.
06:30C'était quand même il y a 46 ans.
06:31Vous n'êtes malheureusement plus tout jeune.
06:33Vous n'allez pas mourir, mais vous n'avez plus 20 ans.
06:35Vous vous souvenez de tout.
06:37Le brancardier qui refuse de vous gratter le nez.
06:39Ça, c'est un de mes traumatismes.
06:41Il avait demandé de vous gratter le nez.
06:43Non, parce que c'est ça.
06:44Quand on est immobilisé comme ça, avec les bras dans des sangles et tout,
06:47on a envie de se gratter et on ne peut pas le faire.
06:51Je voudrais volontiers être anglais, ce gars-là, d'ailleurs.
06:54Vous l'auriez à être anglais, mais vous ne pouviez pas,
06:56parce que vous ne pouviez pas bouger.
06:57L'anesthésiste qui vous dit que vous ressemblez au joueur de tennis,
06:59Jimmy Connors.
07:00Elle croyait me faire plaisir, alors que je n'aimais pas du tout la tête de Jimmy Connors.
07:04Et quand je me suis endormi, je voulais me réveiller pour pouvoir l'engueuler après,
07:08mais elle n'était plus là.
07:09Les médecins qui vous énervent en vous infantilisant.
07:12Il a bien dormi, il a bien mangé.
07:14Vous dites ce « il » qu'on emploie toujours quand on est malade
07:16et que les médecins emploient autour de nous.
07:18Ce « il » mauripil.
07:19Ou encore le soutien-gorge et la culotte de l'infirmière
07:22que vous apercevez en transparence de sa blouse blanche.
07:24Tout est remonté.
07:26Oui, c'est bizarre.
07:27Et puis le bruit que faisaient les sandales des infirmières sur le linoleum.
07:31L'odeur des produits qu'on mettait pendant les pansements.
07:34Et puis tout ce que je voyais à la télévision,
07:36parce que j'étais très frustré, moi, d'être coincé là.
07:38Moi, je me souviens que je me disais,
07:40mais je rate un tas de films qui sortent.
07:42Le nouveau Truffaut, le dernier sautet,
07:45Voyage au bout de l'enfer qui était à l'affiche.
07:47Je ne pouvais pas voir ces trucs-là.
07:49Moi, je regardais Daniel Gilbert cette année-là.
07:51Oui, vous regardiez Daniel Gilbert.
07:53Et j'écoutais Le Masque et la Plume.
07:55Oui, on va y venir, Le Masque et la Plume.
07:57Et puis, ce qui est là sur toutes les pages, c'est la douleur.
08:00La douleur physique, vous lui en voulez parce qu'elle prend toute la place.
08:03Parce que c'est vrai que quand on souffre,
08:05et c'est pour ça que le livre s'appelle Pain Total.
08:07Pain Total, c'est l'anesthésiant qu'on vous a...
08:10Oui, c'est ce qu'on vous injecte pour vous endormir.
08:12Injecté pendant un an, qui est aussi, dites-vous, un sérum de vérité,
08:15le Pain Total, qui est utilisé dans les interrogatoires par les services de renseignement.
08:18Ça, c'est une parenthèse.
08:20Mais cette douleur, elle bouge tout le reste.
08:22Vous ne pensez qu'à elle, vous ne pensez qu'à l'atténuer.
08:24Et vous citez, dans tout le livre,
08:26« Sois sage, ô ma douleur, et tiens-toi tranquille ».
08:29Et elle est là, elle ne part pas.
08:31Oui, c'est vous qui êtes obligé de vous tenir tranquille.
08:34Parce que pendant un temps très long, c'était la victorieuse.
08:38Et moi, je lui en voulais parce qu'on n'est plus que ça.
08:41Un bloc de douleur, on n'est plus rien.
08:43Un morceau de viande qui essaie de résister.
08:46Et heureusement, la douleur physique s'oublie.
08:49Mais là, toutes les sensations sont revenues.
08:52Parce que les mots, ce n'est pas n'importe quoi.
08:54Et ça permettait de se retrouver dans cet état.
08:57Et vous dites qu'il n'y a rien de beau, il n'y a rien de grand,
08:59il n'y a rien de sacré dans la douleur.
09:01Ça ne vous rend pas plus fort, rien du tout.
09:03C'est juste, ça ne sert à rien et ça fait mal.
09:05Oui, ça ne vous rend pas plus fort.
09:07Ça vous empêche de faire du ski, ça vous empêche de courir après.
09:10Donc, cette phrase de Nietzsche est une aberration.
09:14Vous racontez aussi la dégradation physique, l'humiliation de la dépendance.
09:18Pisser dans un pistolet, faire ses besoins dans une bassine.
09:22Vous y allez dans la description, ça m'a surpris.
09:24Oui, moi aussi.
09:25Vous êtes surpris à écrire les détails.
09:28C'est Wellbeckien.
09:30Oui, je ne sais pas.
09:31Non, mais tant qu'à faire, il fallait raconter ce que c'était.
09:34Parce que je me suis aperçu que c'était une expérience
09:38que, heureusement, peu de gens avaient connue.
09:41Un accident de voiture et puis un séjour aussi long en hôpital.
09:44Donc, il fallait tout décrire.
09:46Mais on s'habitue aussi à l'humiliation et à la dépendance.
09:50C'est ça qui est tragique.
09:52Et puis, plus de libido.
09:54Vous qui, jusque-là, faisiez beaucoup l'amour dans votre jeunesse.
09:58Excusez-moi, on va y venir, Philippe.
10:00Quand je pouvais.
10:01Mais à l'hôpital, la libido terminait.
10:04Et puis, vous n'êtes quand même pas dans la meilleure forme pour ça.
10:08Mais ça vous permet de fantasmer.
10:10Et puis, en plus, vous vivez complètement par procuration.
10:12Moi, tous mes copains venaient et me racontaient ce qui se passait.
10:16Puis, je les voyais partir à la fin des visites et aller s'égayer dans Paris.
10:20Alors que moi, j'étais dans ce lit à l'horizontale.
10:23Cet accident met un coup d'arrêt à cette jeunesse dorée et festive que vous avez eue.
10:28Et d'ailleurs, tout le livre est un flashback entre les mois à l'hôpital
10:32et votre jeunesse d'avant, le temps d'avant l'accident.
10:35Vous écrivez, et c'est beau,
10:37« Un soleil insolent brillait sur les arrondissements.
10:39Les digicodes ne verrouillaient pas encore les portes cochères.
10:43Nous déboulions à l'improviste chez les uns et chez les autres.
10:45Le soir était à nous.
10:47Nous ne doutions pas d'être doués pour la jeunesse.
10:50Paris était notre champ de bataille.
10:52Nous étions si jeunes.
10:53Nous étions tellement cons. »
10:55Oui, mais c'est bien d'être un jeune con.
10:57Sinon, on a gâché une partie de son existence.
11:00Vous voyez, ça a marqué un coup d'arrêt, la mort de cette amie.
11:03C'était notre premier mort.
11:05C'est la première fois que quelqu'un de notre âge mourait dans des conditions comme ça.
11:09Et j'imagine que pour tout notre petit groupe, ça a été quand même un avant et un après.
11:17Telle fut notre jeunesse.
11:19Idiotes, dissipés, inoubliables.
11:21On dansait sur du disco, sur Patrick Hernandez que vous détestiez.
11:24Ou sur ça.
11:31Alors moi, j'adore.
11:33Vous détestez Michael Jagger.
11:35Band.
11:36Mais maintenant, j'aime beaucoup.
11:38Mais à l'époque, on était plus rock que disco.
11:41Alors vous étiez les Stones.
11:42C'est le groupe qui vous a le plus bouleversé.
11:44Sauf quand les Stones se mettaient à trahir, à faire du disco.
12:00Vous me détestez, monsieur.
12:02Je me suis habitué.
12:04Non, parce que j'aime mieux d'autres morceaux d'eux.
12:07Mais eux aussi sont des survivants.
12:09Parce qu'ils sont toujours là.
12:10Même s'ils viennent d'annuler leur tournée à 80 ans et quelques.
12:13C'est ça qui est miraculeux.
12:15Ils vous bluffent toujours.
12:16Ah ouais.
12:17Vous fréquentiez beaucoup les filles.
12:19Je suis désolée, vous l'avez écrit.
12:20Les relations sont simples et s'enchaînent sans état d'âme.
12:22Vous écrivez « Je ne connaissais rien aux femmes.
12:24Je baisais vite et mal, n'importe comment.
12:26C'est-à-dire en m'en foutant.
12:27Il s'agissait de coucher avec le plus de filles possible.
12:30Des filles qui étaient comme des héroïnes de Sagan.
12:32Des allumeuses candides.
12:33Des petites filles pas si modèles que ça.
12:35Écrivez-vous.
12:36Et puis, de belles phrases sur les parisiennes.
12:38Oui.
12:39Mais c'est un livre qui est écrit par quelqu'un de 22 ans.
12:41J'ai retrouvé cet état d'esprit qu'on a à cet âge-là.
12:45Quand on est étudiant à Paris.
12:47Et qu'on a envie de s'amuser, de faire la fête et de découvrir la vie.
12:51D'ailleurs, avec le recul, je me demande comment on se débrouillait.
12:54Parce qu'on n'avait pas tant d'argent que ça.
12:56Mais on sortait beaucoup.
12:57On allait au bus palladium tous les mardis soir.
12:59Parce que c'était gratuit pour les filles.
13:01Donc, on s'imaginait qu'on n'aurait qu'à claquer dans les doigts.
13:04Pour repartir accompagné.
13:06Ce qui n'était pas le cas.
13:07Il y a eu aussi la main bleue qui avait ouvert le temple du disco.
13:11Dans un parking.
13:13Ce qui aurait dû être le parking d'un centre commercial à Montreuil.
13:16Qui a été ensuite détrôné par le palace.
13:19C'est tout ça que vous nous racontez.
13:21Et pendant mon hospitalisation, j'ai appris à la radio qu'une nouvelle boîte de nuit ouvrait.
13:25Et c'était les bains douches.
13:26Et voilà.
13:27Et le palace également cette année-là.
13:28Je pense que c'est le mois de mars 1978.
13:30Et puis le cinéma.
13:31Évidemment.
13:32Vous passez votre temps au cinéma.
13:33Vous aimez Truffaut, Yves Boisset, Claude Sauté, Jean-Loup Dabadie, Philippe de Broca.
13:37Et votre passion, c'est d'assister aux enregistrements du Masque et de la Plume.
13:41Avec en figure tutélaire, Jean-Louis Bory.
13:44On l'écoute sur Star Wars.
13:46La guerre des étoiles.
13:47La guerre des étoiles, Georges Lucas.
13:48Qui commence ?
13:49Jean-Louis peut-être ?
13:50Oui, si vous voulez.
13:51C'est-à-dire que c'est le genre de film pour lequel il faut se refaire une âme d'enfant, toute fraîche.
13:55À quoi nous réussissons très bien.
13:57Oui, enfin, toi.
13:58Moi, je réussis très très bien souvent ce genre de film.
14:00Hélas, c'est toi seul.
14:01Je m'assoie.
14:02J'adore les bandes dessinées.
14:03Et dès que je vois comme ça des robots extrêmement marrants et qui tombent amoureux les uns des autres, je trouve ça très bien.
14:08Alors, la guerre des étoiles, c'est une énorme machine à l'américaine.
14:12Où on commence par s'amuser beaucoup.
14:14Moi, je vais dire que je me suis amusé énormément.
14:15Et lorsqu'on réfléchit, on finit par y trouver tout de même des tas de choses.
14:20Mais il faut jouer le jeu.
14:21Il y a un duel fantastique de Durandin.
14:24Alors, il y a des épées.
14:25Naturellement, c'est des rayons laser.
14:26Non, c'est du néon.
14:28C'est tout simplement du néon.
14:30Voilà, vous avez un exemple d'une âme qui n'est pas fraîche, celle de Sarançon,
14:35qui voit du néon alors qu'il faut voir un laser.
14:38Moi, j'ai vu un laser.
14:40Jean-Louis Bauré, au Masque et la Plume, il vous a donné envie d'être critique littéraire.
14:44Oui, complètement.
14:45Il n'aimait ni Alain Delon ni le parrain.
14:47Oui, mais il se gourait souvent.
14:50Et puis, c'est drôle, si on peut dire, parce qu'il s'est suicidé pendant que j'étais en clinique.
14:54Et ça m'a fait un choc.
14:56Et le pauvre est mort le même jour que John Wayne.
14:59Alors, c'était un peu une erreur de calendrier.
15:01Le Masque, vous alliez y assister et vous leviez la main et vous posiez des questions,
15:05vous faisiez des interventions.
15:06C'était au Studio 104, le samedi après-midi.
15:08Et puis, Jérôme Gersin vous invite à y participer.
15:11Vous allez y être pendant 20 ans.
15:14Au moment de son départ, vous écrivez grâce à lui.
15:16Le Masque et la Plume étaient pour un journaliste du Figaro le seul moyen de mettre un pied dans les studios de France Inter.
15:21Je me trompais.
15:22Un peu facile.
15:23Un peu facile, vous êtes invité ce matin.
15:25C'était pour vous.
15:26C'est une facilité.
15:27Tandis que maintenant, je veux être embauché à la matinale.
15:29Ah, vous voulez être embauché à la matinale.
15:31Très bien.
15:32L'offre de service a été entendue par la patronne.
15:35Dans votre livre, il y a cinq ans, « Très cher cinéma français ».
15:39Vous défonciez, vous désinguez le cinéma français.
15:42Polar, malficelé, comédie pas drôle, petite romance à la con.
15:45On a droit à tout cela.
15:46SOS, cinéma français cherche talent désespérément.
15:49Alerte à toutes les patrouilles.
15:50La mobilisation générale est décrétée.
15:52Après l'année magnifique, mirobolant du cinéma français.
15:56Montecristo, un petit truc en plus et tous les autres films.
15:58Il va mieux le cinéma français ?
16:00Oui, ils l'ont écouté là apparemment.
16:01Mais il n'y a pas que ces deux films.
16:02Mais vous le trouvez meilleur ?
16:04Le cinéma, je ne sais pas.
16:05Mais les films, oui, il y en a eu plein d'intéressants.
16:07Surtout des premiers films.
16:08Qu'est-ce qui vous a touché cette année ?
16:10« Vingt dieux » que je trouve merveilleux.
16:12Qui marche très bien, près d'un million d'entrées.
16:15Quand quelqu'un fait un film qui est nécessaire.
16:18Où on sent le plaisir d'avoir une caméra entre les mains.
16:21Les gens sont sensibles à ça.
16:22« Le Royaume » aussi, le film corse.
16:24Sur la petite fille dont le père est mafieux.
16:26C'est très très beau.
16:27Il y a un tas de trucs.
16:29Même le film où Romain Duris est chauffeur de taxi à Tokyo.
16:33« La part manquante », c'est un bon film.
16:35Alors, je suis un peu démuni en ce moment.
16:37Heureusement, il y a eu « Toutes pour une ».
16:39Qui est le remake féminin des « Trois mousquetaires ».
16:44Et là, vous n'avez pas aimé.
16:46Vous avez pu vous lâcher.
16:48Comme vous aimez.
16:49Et comme on aime bien vous lire aussi.
16:51Quel film ?
16:53On est mercredi.
16:54Il faut aller voir quoi aujourd'hui ?
16:55« The Brutalist » de Brady Corbett.
16:57Un film grandiose.
16:58Trois heures et demie.
16:59Je l'ai déjà vu deux fois.
17:01Et ça, ça écrase tout sur son passage.
17:03L'histoire de cet architecte hongrois réchappé des camps de la mort.
17:08Qui déboule aux Etats-Unis en 1947.
17:10Avec Adrian Brody.
17:12C'est quelque chose de...
17:13On va aller le voir avec Nicolas.
17:15On va aller le voir.
17:16On va aller le voir ce week-end.
17:18Vous donnez un conseil à un jeune dans le livre.
17:21Fuir les excès.
17:23Vous lui dites « Fuis les excès ».
17:26Mais en revanche, interdiser à la gaieté de s'en aller.
17:29La gaieté, c'est plus intéressant que les excès, finalement.
17:33Parce que les excès, c'est quelque chose de trop sportif.
17:37Alors que la gaieté, c'est la civilisation.
17:39C'est la vie quotidienne.
17:41Comment on fait pour lui interdire de s'en aller à la gaieté ?
17:45On fait tout pour.
17:48Moi, j'ai aucun effort à faire.
17:51Tout me plaît.
17:53Tout vous plaît ?
17:54J'ai jamais connu la dépression.
17:55Je ne sais pas ce que c'est.
17:56Quand des amis me disent « ça va pas, je suis déprimé ».
17:59L'angoisse inconnue aux bataillons aussi.
18:02Chanceux !
18:03Mais c'est peut-être à cause de cette histoire d'accident.
18:05C'est peut-être ça.
18:07Qu'est-ce qui peut m'arriver ?
18:09Vous êtes invincible et vous ne mourrez pas.
18:11Les impromptus, vous répondez rapidement, sans trop réfléchir.
18:18« Toutes les femmes sont sérieuses comme la pluie, surtout les plus frivoles »,
18:21écrivait Drieus La Rochelle.
18:23Vous avez tenté de faire une thèse sur Drieus.
18:25Il a raison.
18:26« Toutes les femmes sont sérieuses comme la pluie, surtout les plus frivoles ».
18:30La phrase est belle, mais je ne comprends pas bien ce que ça veut dire, j'avoue.
18:33Ça veut dire qu'on est sérieux.
18:35Oui, je pense que les femmes sont plus sérieuses que les hommes, heureusement.
18:38Marguerite Duras ou Marguerite Yourcenar ?
18:40Ni l'une ni l'autre.
18:42Godard ou Truffaut ?
18:43Truffaut.
18:44La peau douce ou la femme d'à côté ?
18:46La peau douce.
18:47Catherine Deneuve ou Fanny Ardent ?
18:48Deneuve.
18:49Elon Musk, il vous fascine ou il vous angoisse ?
18:52Ni l'un ni l'autre, mais je trouve que tout ce qui est réseaux sociaux, technologies, assomment.
18:57Le masque ou la plume ?
18:58Les deux.
18:59L'Académie française, c'est fini ? Vous avez renoncé ?
19:02C'est fini, parce que je ne pourrai plus jamais faire un discours sur Jean-Loup Dabadie.
19:06Le cinéma, c'est mieux le matin, l'après-midi ou le soir ?
19:09Tout le temps.
19:10Jean d'Ormesson ou Philippe Tesson ?
19:12Jean d'Ormesson, parce qu'il écrivait des livres.
19:15Houellebecq ou Moediano ?
19:16Moediano.
19:17Vous avez compris la polémique Emilia Pérez ?
19:20Non.
19:21Alcool, sexe, drogue ? Vous avez encore des vices ?
19:25Une drogue, jamais. Je ne suis pas comme Sagan, je n'ai pas sombré dedans.
19:32Sexe et alcool, il faut continuer ça.
19:35Mais peut-être pas en même temps.
19:36Liberté, égalité, fraternité, vous choisissez quoi ?
19:39Liberté.
19:40Et là, question Jacques Chancel.
19:41Pour terminer, Dieu dans tout ça.
19:43Eric Neuf.
19:45Il m'attend.
19:47Et il me demandera ce qu'il y a de bien à voir ce jour-là.
19:49Mais non, puisque vous n'allez pas mourir.
19:51Oui, mais je reviendrai.
19:53Le livre s'appelle « Pain total », c'est chez Albain Michel.
19:56Le livre le plus intime, le plus mélancolique et sans doute le plus beau.
20:00Monsieur Neuf, merci et très belle journée.
20:02Merci à vous.