Présidence : Aurélie Bretonneau, Conseillère d’Etat, Directrice, adjointe à la Secrétaire générale du Gouvernement
La concurrence nouvelle des juridictions judiciaires et administratives
Thibaut Larrouturou, Maître de conférences à l’Université Paris I Panthéon-Sorbonne
Les rapports ambivalents avec les cours européennes
Mustapha Afroukh, Maître de conférences à l’Université de Montpellier
Colloque « Cinquante ans après la décision IVG du 15 janvier 1975 : une jurisprudence en questions » organisé par l’Association française de droit constitutionnel, 15 janvier 2025.
La concurrence nouvelle des juridictions judiciaires et administratives
Thibaut Larrouturou, Maître de conférences à l’Université Paris I Panthéon-Sorbonne
Les rapports ambivalents avec les cours européennes
Mustapha Afroukh, Maître de conférences à l’Université de Montpellier
Colloque « Cinquante ans après la décision IVG du 15 janvier 1975 : une jurisprudence en questions » organisé par l’Association française de droit constitutionnel, 15 janvier 2025.
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00:00:00Vous devez être fatigué parce que l'heure tourne mais parce que vous avez beaucoup voyagé
00:00:13aujourd'hui.
00:00:14Les intervenants ce matin vous ont promené dans le temps en vous faisant voyager dans
00:00:21le passé mais aussi dans un futur hypothétique.
00:00:25Cet après-midi on vous a promené également cette fois-ci autour du monde en vous faisant
00:00:30découvrir une multitude étonnante de modèles étrangers, il étant riche des enseignements
00:00:39de tous ces voyages, d'en revenir un petit peu à notre situation nationale et à se
00:00:44recentrer sur nos problématiques.
00:00:46Et bien après avoir découvert en début d'après-midi comment les contrôles de conventionnalité
00:00:53et de constitutionnalité se conjugaient en langues étrangères de se poser la question
00:01:00de savoir si les juges qui sont chargés en France du contrôle de la loi française parviennent
00:01:07ou non à parler un langage commun et à s'entendre dans un dialogue juridictionnel fructueux.
00:01:14Alors parmi toutes les interactions juridictionnelles envisageables car il y a beaucoup d'acteurs
00:01:21et encore plus de configurations, nous allons commencer par nous pencher sur la situation
00:01:27des deux juges que la décision IVG a en quelque sorte installée comme co-responsable du contrôle
00:01:34de conventionnalité des lois et que d'ailleurs, soit dit en passant, la question prioritaire
00:01:39de constitutionnalité a aussi intronisé co-responsable de l'accès au juge constitutionnel
00:01:46dans le cadre du contrôle a priori par le prisme du filtre, les deux questions n'étant pas d'ailleurs
00:01:51sans se brancher l'une sur l'autre pour créer des interactions juridictionnelles à l'intérieur même
00:01:57des ordres juridictionnels. Donc j'ai nommé le juge judiciaire et le juge administratif.
00:02:04Je crois que Guy Carcassonne quand il parle de la décision IVG et de la nécessité impérieuse
00:02:11d'en changer, dit qu'à cette occasion les juridictions découvrent la compétition,
00:02:17Thibault Larouturou va nous parler de la nouvelle concurrence des juges dans ce cadre.
00:02:23Je lui donne la parole pour à peu près 20 minutes.
00:02:25Merci beaucoup madame la présidente. Je commencerai à mon tour mon intervention en disant tout le
00:02:32plaisir et l'honneur qui sont les miens de prendre la parole au sujet de la décision
00:02:35interruption volontaire de grossesse au sein même du conseil constitutionnel en ce jour
00:02:39où elle célèbre son cinquantième anniversaire. Les professeurs Bonner, Robleu-Troisier et Vidal-Naquay
00:02:45que je remercie très sincèrement de leur invitation, ont eu je crois une excellente
00:02:48idée en inscrivant cette journée non pas dans une forme d'admiration béate de ce monument
00:02:53juridice prudentiel mais plutôt dans une démarche de questionnement. Repenser la décision ce matin,
00:02:58la replacer cet après-midi, autrement dit la remettre dans sa juste position. Peut-être est-elle
00:03:05dans une mauvaise position, nous allons le voir. Et en l'occurrence pour l'intervention qui m'a été
00:03:09confiée, la remettre dans sa juste position par rapport à la concurrence nouvelle des juridictions
00:03:14judiciaires administratives. La dite concurrence en tant que telle est bien connue et je ne m'y
00:03:18attarderai donc que quelques instants. Jusqu'en 1975 le conseil constitutionnel est le seul pouvoir
00:03:26constitué susceptible de tenir en échec la volonté du législateur, ceci en contrôlant son œuvre avant
00:03:32sa promulgation par le président de la république. La loi reste en revanche pour reprendre les termes
00:03:38d'un grand auteur, un écran infranchissable disposé devant les pas de la cour de cassation
00:03:43comme du conseil d'état. Et pourtant quelques mois à peine après la décision IVG, la haute
00:03:50juridiction judiciaire franchit le rubicon avec son arrêt Jacques Vabre et sera imité, 14 ans plus
00:03:55tard, par la haute juridiction administrative dans sa décision Niccolo. Le monopole du contrôle de
00:04:01la loi dont bénéficiait le conseil constitutionnel a vécu avant même d'atteindre les 18 ans de sa
00:04:07majorité, il faut dorénavant compter avec le contrôle de conventionnalité. Plus grave peut-être
00:04:14encore, les normes de référence utilisées par les juges ordinaires dans le cadre de ce contrôle
00:04:18comportent plusieurs traités internationaux relatifs aux droits et libertés fondamentaux,
00:04:23de sorte que le conseil constitutionnel n'est pas seulement concurrencé en tant que juge de la loi,
00:04:27il l'est aussi en tant que juge des droits et libertés. Cette situation de concurrence
00:04:34potentielle a été très bien perçue par les acteurs juridictionnels en présence dans les années 70 et
00:04:3880. Et pour ne prendre qu'un exemple, le commissaire du gouvernement Patrick Friedman, dans ses
00:04:43conclusions sur l'affaire Niccolo, a pu avertir les membres de la formation de jugement en ces
00:04:48termes à l'heure où il les invitait à intégrer notamment la Convention européenne des droits de
00:04:52l'homme parmi les normes devant prévaloir sur la loi postérieure. Le contrôle que vous seriez
00:04:58amené à exercer sur la loi pourrait s'avérer en quelque sorte concurrent de celui qu'assure pour
00:05:03sa part le conseil constitutionnel. Ce qui a été en revanche mal anticipé, c'est l'intensité de
00:05:10cette concurrence. Le même commissaire du gouvernement prévoyait ainsi une poignée de
00:05:15décisions chaque année portant sur le contrôle de conventionnalité des lois, dont il imaginait
00:05:19qu'elles seraient dans leur écrasante majorité des décisions de conformité. Cette prévision,
00:05:25il faut l'admettre, était parfaitement cohérente avec les données contentieuses relatives aux
00:05:29droits européens dans les années ayant précédé le revirement de jurisprudence du conseil d'état.
00:05:32N'ont toutefois pas été pressentis la densification des droits de l'Union européenne et de la
00:05:38Convention, leur prise en main progressive pour ne pas dire exponentielle par les plaideurs, et le
00:05:45fait que les juridictions ordinaires prendraient goût aux fruits défendus du contrôle de la loi
00:05:50pour reprendre la belle expression d'un ancien conseiller constitutionnel. Les juges ordinaires,
00:05:56progressivement mais résolument, ont investi leur nouveau champ de compétences allant jusqu'à
00:06:02oser contester la conventionnalité de lois pourtant validées préalablement par le Conseil
00:06:09constitutionnel, ou beaucoup plus récemment jusqu'à adopter un contrôle concret de l'application des
00:06:14lois. Je ne m'étendrai pas plus ici sur la concurrence en tant que telle, dans la mesure
00:06:18où cette disjonction des contrôles de constitutionnalité et de conventionnalité a
00:06:21fait l'objet d'innombrables travaux et est bien connue de tous licenciés en droit. Il est toutefois
00:06:27une question à laquelle nous sensibilisons sans doute trop peu nos étudiants. Pourquoi ce
00:06:32basculement d'un monopole à un duopole en matière de contrôle de la loi ? À lire une grande partie
00:06:40de la doctrine, la décision IVG serait la principale responsable, et même pour certains
00:06:45auteurs la seule responsable, pardon, de cet état de fait. Elle a ainsi pu être qualifiée d'erreur
00:06:52d'aiguillage, de mauvais choix opérés pour de mauvaises raisons, ou encore de jurisprudence
00:06:57archaïque. Outre une motivation unanimement jugée discutable, le principal reproche qui
00:07:04lui est adressé par la doctrine constitutionnelle contemporaine est sans doute d'avoir créé ce
00:07:09duopole que j'évoquais il y a quelques instants, en renonçant au contrôle de conventionnalité et
00:07:14partant, en permettant que ce dernier devienne une compétence des juridictions ordinaires.
00:07:18À ce titre, le professeur Guy Carcassonne que vous citiez à l'instant, madame la présidente,
00:07:22a pu dénoncer, je cite, « la multiplication des incertitudes, la diversification des voies de
00:07:29droit contre la loi française, l'aléa judiciaire qui résulterait tout entier de la décision IVG ».
00:07:35Dès lors, la mission qui m'a été confiée, replacer cette décision s'agissant de la concurrence
00:07:41nouvelle des juridictions administratives et judiciaires, invite à s'interroger sur ce
00:07:45procès qui lui est fait. Le conseil constitutionnel est-il, du seul fait de sa jurisprudence du 15
00:07:52janvier 1975, à l'origine du contrôle de conventionnalité des lois par les juges ordinaires ?
00:07:57Une façon particulièrement efficace de répondre à cette question, et je crois d'imaginer ce qu'il
00:08:03se serait passé s'il n'avait pas jugé dans le sens qu'il a fait, et je vais ici avoir l'impudence
00:08:08incroyable d'être plus royaliste en matière d'Uchronie que la reine de l'Uchronie, Ariane
00:08:13Vidal-Naquet, qui nous a passionnés ce matin, en s'interrogeant sur donc que se serait-il passé
00:08:18si le conseil constitutionnel avait adopté le contrôle de conventionnalité ? Et pour ma part,
00:08:23je considère qu'une telle décision n'aurait pas fondamentalement changé les choses en matière de
00:08:29contrôle de conventionnalité par les juges ordinaires, puisque la décision IVG n'est pas
00:08:34la cause principale, ni même la cause première de ce contrôle. Mais pour lui rendre sa juste place,
00:08:40il faut admettre qu'elle a en revanche très largement façonné ce contrôle de conventionnalité
00:08:44en accélérant son appropriation et en contribuant à lui donner le visage que nous connaissons.
00:08:49Je soutiendrai ainsi dans un premier temps que la concurrence était inéluctable,
00:08:55quel qu'ait été le sens et la motivation d'IVG, avant d'affirmer dans un second temps
00:09:00que la concurrence a été catalysée par cette décision. Une concurrence inéluctable,
00:09:05une concurrence catalysée. Une concurrence inéluctable, affirmer que les juges administratifs
00:09:13et judiciaires se seraient emparés du contrôle de conventionnalité de la loi, quand bien même
00:09:17la décision IVG aurait été sans doute différente, a sans doute de quoi surprendre. Et j'ai d'ailleurs
00:09:23vu madame la présidente, lors de mon affirmation, se précipiter sur son stylo, je m'en inquiète
00:09:27déjà. Cela surprend particulièrement à se souvenir de la forte réticence du conseil d'Etat
00:09:33en la matière, celui-ci ayant à de nombreuses reprises réaffirmé sa jurisprudence au moule de
00:09:37France après 1975. Et pourtant, je suis convaincu qu'il s'agissait là d'une évolution inéluctable
00:09:44dans deux champs au moins du droit conventionnel. Le droit de l'Union européenne, d'une part,
00:09:48du fait de sa très grande spécificité et des exigences particulières de la Cour de justice
00:09:52vis-à-vis des juridictions nationales, et le droit de la Convention européenne des droits de l'homme,
00:09:57d'autre part, du fait de son attractivité singulière pour les juges internes. La spécificité du
00:10:02droit de l'Union dans un premier temps, l'attractivité du droit de la Convention dans un second temps.
00:10:07La spécificité du droit de l'Union. Un autre arrêt décisif pour les rapports entre contrôle de
00:10:14constitutionnalité et de conventionnalité fêtera également prochainement son demi-siècle d'existence,
00:10:18l'arrêt cimental de la Cour de justice des communautés européennes, 19 mars 1978. La
00:10:25juridiction européenne a pu affirmer dans cette affaire, je le cite, je m'en excuse c'est un
00:10:28petit peu long, que le juge national chargé d'appliquer dans le cadre de sa compétence les
00:10:34dispositions du droit communautaire a l'obligation d'assurer le plein effet de ses normes en laissant
00:10:39aux besoins inappliqués de sa propre autorité toute disposition contraire de la législation
00:10:44nationale, même postérieure, sans qu'il ait à demander ou attendre l'élimination préalable de
00:10:51celle-ci par voie législative ou par tout autre procédé constitutionnel. Autrement dit, le
00:10:57possible exercice d'un contrôle de conventionnalité par le juge constitutionnel n'autorise pas le juge
00:11:02ordinaire à se dispenser de laisser inappliquer une loi contraire au droit de l'Union. En toute
00:11:08orthodoxie unionniste, les jurisprudences Jacques Vabre et Niccolo étaient ainsi à terme inévitables
00:11:14dans le champ du droit de l'Union européenne. Il n'existe aucune formulation de la décision IVG qui
00:11:20aurait pu permettre au Conseil constitutionnel d'échapper à toute concurrence. Cet état de fait
00:11:26avait là encore été perçu par les observateurs des décisions IVG Jacques Vabre et Niccolo. Le
00:11:30président Bruno Genevoix, que je salue très respectueusement, a par exemple relevé dans sa
00:11:34note sous la décision de Niccolo que le revirement de jurisprudence opéré par le Conseil d'État ne
00:11:39pourrait pas être défait par le Conseil constitutionnel du fait de la jurisprudence
00:11:43alimentale, quand bien même le Conseil constitutionnel se verrait confier un nouveau mode de saisine par
00:11:48voie de question préjudicielle et quand bien même il opérerait un revirement de sa décision IVG.
00:11:53On se convainc d'ailleurs aisément du caractère inéluctable d'un contrôle de la loi au regard du
00:12:00droit de l'Union lorsque l'on observe les exemples étrangers. Ainsi que l'a relevé le professeur
00:12:05Sébastien Platon dans une étude de 2019, il existe une véritable singularité du droit de l'Union
00:12:10européenne dans le contrôle de conventionnalité des lois qui a conduit ce contrôle à se déployer
00:12:15jusque dans les états les plus attachés à la souveraineté parlementaire, à savoir le Royaume-Uni
00:12:20avant le Brexit. Dans nombreux états, la doctrine analyse ainsi le droit de l'Union comme un espace
00:12:26de concurrence entre les juges ordinaires et la Cour constitutionnelle et le renvoi préjudiciel est
00:12:31notamment perçu comme un outil potentiel de contournement du juge constitutionnel par les
00:12:36juges ordinaires. Je renvoie à l'exemple qu'évoquait à l'instant le professeur Tussaud au sujet de la
00:12:40Slovaquie. Plus encore dans le sillage de la jurisprudence de la Cour de justice, les juges
00:12:46de droit commun doivent ignorer les décisions de la Cour constitutionnelle s'ils sont en désaccord
00:12:52avec le constat de conformité de la loi auquel celle-ci est parvenue. Le droit de l'Union aurait
00:12:59ainsi immanquablement vu se développer une concurrence entre conseil constitutionnel et
00:13:04juge ordinaire et il n'aurait probablement pas été le seul. L'attractivité du droit de la
00:13:11convention maintenant. En dehors de ce champ très particulier du droit de l'Union, le droit de
00:13:16la convention à tout le moins aurait probablement fini par constituer lui aussi un terrain de
00:13:21concurrence entre les juges français. Certes la convention n'exige pas par principe l'existence
00:13:28d'un recours pour contrôler la conventionnalité de la loi ou celle de ses mesures d'application
00:13:32qui en découlent nécessairement. Cela ressort parmi beaucoup d'autres d'un arrêt James et autres
00:13:37contre au Royaume-Uni de 1986. Néanmoins comme trop souvent avec la Cour de Strasbourg, sa jurisprudence
00:13:43est en réalité très complexe et impose parfois qu'une mesure générale ou individuelle prise sur
00:13:49le fondement d'une loi puisse être contestée par un tribunal. Je pense par exemple à un arrêt
00:13:53Posty-Héraco contre Finlande de 2002. La jurisprudence de la Cour Strasbourgeoise offre par ailleurs des
00:13:59véritables points d'appui aux juges nationaux qui souhaiteraient s'emparer d'une compétence de
00:14:03contrôle de la loi. Par exemple lorsqu'elle est dicte de véritables vademécum pour contrôler
00:14:08les règles applicables à une situation donnée. Et en tout état de cause il va s'en dire qu'il est
00:14:14beaucoup plus aisé pour le juge national de faire respecter la convention et partant d'éviter des
00:14:19condamnations internationales de la France s'il est libre de laisser inappliquer la loi interne
00:14:25contraire à la convention ou dont l'application dans un cas donné serait contraire à la convention.
00:14:30Cette dernière constitue ainsi en quelque sorte un terrain naturel d'appréciation de la loi par le
00:14:36juge interne, une sirène auquel il est particulièrement difficile de résister, à fortiori dans un état moniste.
00:14:41L'exemple italien l'illustre parfaitement bien je crois alors même qu'il s'agit d'un
00:14:46état dualiste. A partir du début des années 2000 les juridictions ordinaires ont essayé à plusieurs
00:14:52reprises de s'emparer du contrôle de conventionnalité des lois, à tel point que la Cour constitutionnelle
00:14:56a dû réagir par les deux arrêts jumeaux que citait tout à l'heure la professeure Bottini
00:15:00afin d'affirmer que ce contrôle relève en réalité du contrôle de constitutionnalité et qu'il lui
00:15:07échoua donc par l'entremise des questions que peuvent lui poser les juges de droits communs.
00:15:10Cette jurisprudence a été contestée par la suite notamment par le conseil d'état italien qui a
00:15:16cherché à asseoir malgré tout sa compétence en matière de contrôle de conventionnalité. Je n'ai
00:15:21que peu de doutes quant au fait que les juges ordinaires français, à minima le juge judiciaire,
00:15:26auraient avec le temps procédé à une tentative similaire si la décision IVG avait été différente.
00:15:32Et le conseil constitutionnel aurait été bien en peine de déjouer la manœuvre en l'absence de
00:15:37toute voie permettant au justiciable de le saisir. En définitive les véritables racines du contrôle
00:15:44de conventionnalité des lois par les juges ordinaires sont à mon sens la montée en puissance
00:15:48des normes européennes et le défaut initial d'accessibilité du conseil constitutionnel.
00:15:53La décision IVG ne pouvait pas s'opposer durablement à ce mouvement et n'est donc pas la
00:15:59cause unique de la concurrence. Il compte toutefois pour lui donner sa juste place d'admettre qu'elle
00:16:04a largement façonné, amplifié et accéléré, ce sera le second an de mon intervention, une concurrence
00:16:10catalysée. De façon singulière pour ne pas dire unique par rapport à ses homologues européens,
00:16:17le conseil constitutionnel ne s'est initialement pas opposé à la concurrence que risquait de lui
00:16:21porter les juridictions ordinaires et bien au contraire il l'a favorisé en cherchant à faire
00:16:26accepter le corollaire de son propre refus d'exercer le contrôle de conventionnalité des lois, à
00:16:31savoir la nécessité pour les juges administratifs et judiciaires de s'en emparer. Ce faisant il a fait
00:16:37comprendre à ses juridictions qu'elle ne s'engagerait pas dans un conflit de compétence avec lui,
00:16:41levant en quelque sorte une hypothèque institutionnelle en la matière. Par ailleurs l'interprétation qu'il
00:16:50a livrée de l'article 55 de la constitution leur a offert sur un plateau d'argent une manière de
00:16:55justifier leurs compétences nouvelles en leur permettant de revendiquer une habilitation
00:16:59constitutionnelle à agir. La levée de l'hypothèque institutionnelle dans un premier temps, l'offrande
00:17:05d'une habilitation constitutionnelle dans un second temps. La levée de l'hypothèque institutionnelle.
00:17:11La volonté du conseil constitutionnel, cela a été dit ce matin, telle qu'elle ressort de la
00:17:16délibération revisitée par la professeure Edsman-Patin, était clairement que les juridictions
00:17:21ordinaires veillent au respect de l'article 55 de la constitution. Il suffit pour s'en convaincre
00:17:26de citer de nouveau le rapporteur François Gauguel, non contredit sur ce point par l'un
00:17:29quelconque de ses collègues, je cite, c'est aux autorités administratives et judiciaires et à
00:17:35elles seules qu'il appartient de garantir le respect de la supériorité du traité sur la loi. Mais non
00:17:41seulement le conseil constitutionnel souhaitait que les juridictions ordinaires s'emparent du
00:17:45contrôle de conventionnalité de la loi, encore a-t-il tout fait pour leur faire savoir afin de
00:17:51lever les réserves qu'elles auraient pu avoir notamment vis-à-vis de ses propres compétences
00:17:54et de son propre rôle. S'agissant du conseil d'état qui a mis un peu de temps à se laisser
00:18:00convaincre, le conseil constitutionnel a eu tout le loisir d'adopter des décisions assurant en
00:18:05quelque sorte le service à prévente de la décision IVG. Particulièrement par une décision du 3
00:18:11septembre 1986, il a pu souligner qu'il appartient aux divers organes de l'état de veiller à
00:18:15l'application des conventions internationales dans le cadre de leurs compétences respectives.
00:18:20Plus encore par une décision du 21 octobre 1988, il a exercé en tant que juge électoral un contrôle
00:18:27de conventionnalité de la loi applicable. Le commissaire du gouvernement Patrick Friedman,
00:18:33dans ses conclusions précitées sur la décision de Niccolo, n'a pas manqué de relever ses insistants
00:18:38appels du pied. Je le cite. « C'est peu de dire que cette juridiction sollicite avec une
00:18:44certaine insistance, même si elle n'a évidemment pas le pouvoir de vous l'imposer, un revirement de
00:18:49votre jurisprudence. Le conseil constitutionnel ne saurait, sans portée atteinte à votre libre
00:18:55arbitre, se montrer plus clair dans sa condamnation de votre solution traditionnelle. » Il s'agit
00:19:01bien évidemment d'une configuration institutionnelle particulièrement favorable à un revirement de
00:19:06votre jurisprudence, puisque le premier argument d'opportunité que le commissaire du gouvernement
00:19:10met en avant est l'existence d'un vide institutionnel en matière de contrôle de conventionnalité,
00:19:14là où si la décision IVG avait été différente, il aurait dû parler d'une première difficulté,
00:19:19à savoir la nécessité pour le juge ordinaire de monter à l'assaut d'une compétence déjà
00:19:24revendiquée par le conseil constitutionnel. S'agissant de la Cour de cassation maintenant,
00:19:30le conseil constitutionnel a eu très peu de temps pour agir, mais n'est néanmoins pas resté inactif
00:19:35dans les quelques mois qui ont séparé la décision IVG de la décision Jacques Vabre,
00:19:39ainsi que l'illustre un témoignage de l'ancien conseiller Jean-Claude Colliard que j'ai exhumé
00:19:43dans les actes d'un collocte de 2004. Que nous dit-il ? J'avais été frappé par la concordance
00:19:50dans le temps entre IVG et Jacques Vabre, 1975 également, et j'ai appris récemment que ce n'est
00:19:56pas du tout un hasard. Roger Beauvois, président de chambre à la Cour de cassation et qui était à
00:20:01l'époque chef du service juridique du conseil constitutionnel, m'a indiqué qu'il avait été
00:20:06appelé par le président du conseil constitutionnel après la décision IVG, qui lui avait dit « allez
00:20:11donc voir vos amis de la Cour de cassation, nous ne pouvons pas le faire, mais eux doivent le faire ».
00:20:17Ainsi, et je crois véritablement que cela ne doit pas être sous-estimé dans le contexte français,
00:20:23la décision IVG a constitué un puissant catalyseur du contrôle de conventionnalité des juges
00:20:28ordinaires en ce qu'ils ont pu s'emparer de cette compétence sans craindre d'entamer une guerre des
00:20:34juges à l'italienne. La catalyse ne s'est toutefois pas arrêtée là, il faut maintenant évoquer la
00:20:39seconde face de la même pièce, l'offrande d'une habilitation constitutionnelle. La courte
00:20:47motivation de la décision interruption volontaire de grossesse ne désigne pas explicitement le juge
00:20:52ordinaire comme gardien de l'article 55 de la constitution, mais donne de ce dernier une
00:20:57interprétation ouvrant grand la voie à son usage par les juridictions de droits communs. On se
00:21:03souvient que le conseil constitutionnel affirmait dans cette décision que le contrôle du respect
00:21:07du principe énoncé à l'article 55 de la constitution ne saurait s'exercer dans le cadre de l'examen
00:21:12prévu à l'article 61 en raison de la différence de nature de ces deux contrôles. Il s'agit là
00:21:20d'un élément qui a été relevé avec beaucoup d'intérêt à la fois dans les conclusions du
00:21:24procureur général Adolphe Touffet sur Jacques Vabre que par le commissaire du gouvernement Patrick
00:21:29Friedman sur l'arrêt de la décision de Niccolo. Puisque le contrôle de conventionnalité n'est pas
00:21:35un contrôle de constitutionnalité, les juges ordinaires peuvent l'exercer sans porter atteinte
00:21:40à leur jurisprudence, refusant ce contrôle, Paulin et Harigui. Puisque l'article 55 de la
00:21:46constitution ne s'adresse que marginalement au conseil constitutionnel, la cour de cassation
00:21:51et le conseil d'état ont tous deux pu l'interpréter comme comportant à la fois une règle de conflit
00:21:55de normes entre lois et traités, mais également comme une habilitation constitutionnelle implicite
00:22:00à leur endroit qui les conduit à veiller au respect de cette hiérarchie. Certes, les juges
00:22:07ordinaires auraient pu exercer le contrôle de conventionnalité sans cette offrande du conseil
00:22:10constitutionnel, par exemple en allant chercher le fondement de leurs compétences directement dans
00:22:15le droit international, singulièrement dans le droit de l'union, mais la marche à franchir aurait
00:22:20été beaucoup plus haute pour ces juridictions. En cédant aux juridictions ordinaires une assise
00:22:27constitutionnelle indiscutable à leur contrôle de conventionnalité de la loi, la décision IVG
00:22:33leur a permis de s'engager de manière assurée dans leurs nouvelles compétences. Ce faisant,
00:22:39elle a sans doute contribué largement au visage qu'a pris ce contrôle en France, à savoir un
00:22:43contrôle abstrait de normes à normes très similaire au contrôle de constitutionnalité,
00:22:48que nos voisins européens ne connaissent que très peu, et un contrôle qui s'exerce au regard d'un
00:22:52ensemble très vaste de normes internationales. En définitive, replacer la décision IVG dans
00:22:59la concurrence nouvelle des juridictions administratives et judiciaires conduit au
00:23:03constat d'une responsabilité nuancée. Cette décision n'a pas créé ex nihilo un contrôle
00:23:08de conventionnalité des juges ordinaires qui aurait émergé sans, voire malgré elle. Mais si j'ose
00:23:14prendre une métaphore familiale en ce jour où nous célébrons les 50 ans de la décision IVG,
00:23:18si on ne peut pas donner la paternité du contrôle de conventionnalité à la décision IVG, je crois
00:23:24qu'on peut la comparer à une bonne fée qui se serait penchée sur le berceau du nouveau-né. Et
00:23:28au lieu pour celui-ci d'être un nouveau-né timide, chétif, mal assuré, la décision IVG lui a donné
00:23:34un certain nombre de qualités, de puissance, de croissance, d'assurance, qui ont fait de ce
00:23:39nouveau-né un petit Hercule au sens mythologique cette fois-ci. C'est déjà beaucoup. Je vais
00:23:44vous remercier de votre attention.
00:23:52Merci beaucoup pour cette intervention, tout à la fois très riche et remarquablement concise,
00:23:57ce qui est tout de même un double mérite absolument extraordinaire. Alors, quand je me
00:24:01suis ruée sur mon stylo au début de votre intervention, ce n'était pas du tout parce que
00:24:07j'étais en désaccord avec l'idée d'un dialogue des juges inéluctable et d'une concurrence
00:24:13juridictionnelle inéluctable, malgré ou à côté de la décision IVG. Et d'ailleurs, quand on lit
00:24:20les PV des délibérations de la décision IVG, c'est amusant de voir que le dialogue des juges est
00:24:24déjà présent en réalité dans la délibération, puisque le Conseil constitutionnel, enfin le
00:24:30rapporteur et les membres, non seulement se réfèrent à la décision sous gaule de France du
00:24:34Conseil d'État, mais aussi à la décision qu'a fait Jacques Vabre, alors non pas celle de la Cour
00:24:39de cassation, qui évidemment n'était pas encore adoptée, mais celle de la Cour d'appel, qui s'était
00:24:43déjà témérairement engagée dans la voie qu'elle a bien eu raison de suivre, puisque finalement la
00:24:51suite lui a donné raison. Donc, je trouve très intéressant cette mise en perspective du dialogue
00:24:58et de la concurrence des juges comme étant consubstantielle, finalement, à la cohabitation
00:25:02de normes qu'il faut bien mettre en oeuvre. Ce qui m'amène rapidement à une remarque un peu interrogative,
00:25:11on ne va pas résoudre ça maintenant, on verra peut-être tout à l'heure s'il reste un peu de temps,
00:25:16mais on en vient je trouve à se demander, finalement, et si c'était bien qu'il y ait plusieurs juges
00:25:24pour juger y compris un peu de la même chose ? Alors évidemment, par-delà les cas pathologiques
00:25:30de contradictions frontales qui sont insupportables et très difficiles à surmonter,
00:25:35mais pour le reste, ce dialogue qui n'est pas tout à fait homogène et qui conduit à des petits jeux
00:25:44de réponses, d'interrogations et d'ajustements successifs, c'est aussi une façon, je trouve,
00:25:50de créer une sorte de collégialité chronologiquement décalée et de permettre un raffinement des solutions
00:26:00juridiques prudentielles et un ajustement dans le temps, qui ne serait pas forcément si facile,
00:26:04je trouve, si tout est concentré entre les mains d'un seul juge, parce qu'on a naturellement un peu
00:26:09de mal à se dédire et en tout cas, il est de toute façon de mauvaise politique de se dédire constamment
00:26:13sans raison objectivable. Voilà, donc c'était ma petite réflexion, mais qui reboucle quand même
00:26:20pas mal avec ce que vous dites sur la catalysation de la concurrence, qui lui donne une touche assez
00:26:27positive. Alors, il n'en reste pas moins, parce que je ne vais pas monopoliser la parole, donc on voit que
00:26:35les juges nationaux ont fort à faire pour s'aligner entre eux et articuler leur contrôle, mais voilà
00:26:41que l'équation se complique encore, puisqu'ils ont aussi dans les pattes d'autres juges, et en particulier
00:26:47deux Cours européennes, l'une dont l'intervention peut s'enchasser même dans l'instance juridictionnelle
00:26:53par le voie de la question préjudiciaire, c'est la Cour de justice de l'Union européenne, qui est
00:26:58garante, on l'a bien vu, d'un droit spécifique, et l'autre qui intervient généralement, le plus souvent,
00:27:05dans un second temps après l'appuisement des voies de recours internes, la Cour européenne des droits
00:27:10de l'homme, qui bénéficie du caractère attractif de la Convention. Donc, je me tourne vers
00:27:17Moustapha Afrouk, qui va nous parler des rapports ambivalents avec ces Cours européennes.
00:27:22Merci Madame la Présidente, merci au Conseil constitutionnel de son accueil, merci aux
00:27:30organisateurs de ce colloque, Ariane Vidal-Naquet, Agnès Roblot-Troisier et mon amie Julien Bonnet,
00:27:35qui m'ont fait l'honneur de m'inviter à cette belle manifestation. Alors, dans le cadre d'une
00:27:40réflexion sur les rapports entre le Conseil constitutionnel et les juridictions européennes,
00:27:45deux difficultés apparaissent d'emblée. Première difficulté, le caractère extrêmement large du
00:27:52sujet. Il s'agit d'évoquer deux Cours, deux juridictions, issues d'ordres juridiques certes
00:28:00proches mais distincts, avec des logiques propres et des ordres juridiques qui ne sont
00:28:06pas appréhendés de la même manière du point de vue de la Constitution. On l'a dit ce matin,
00:28:10il n'y a pas dans le texte constitutionnel, il n'y a pas l'équivalent de l'article 88-1 pour la
00:28:16Convention européenne des droits de l'homme. Et donc, partant du constat que la question
00:28:22prioritaire de constitutionnalité a multiplié les points de contact entre les deux contrôles,
00:28:27contrôle de constitutionnalité et contrôle de conventionnalité, le choix a été fait de se
00:28:34concentrer plutôt sur le contrôle a posteriori. Et ce qui est intéressant ici, c'est que les
00:28:40plaideurs, les requérants, n'hésitent plus à invoquer les jurisprudences européennes devant
00:28:46les juges du filtre et devant le Conseil constitutionnel. Cela permet de souligner
00:28:52le rôle de ces acteurs fantômes des rapports de système. Deuxième difficulté, les effets de la
00:29:01jurisprudence IVG, les conséquences de cette jurisprudence sont peut-être moins nettes
00:29:06s'agissant de ces rapports et de ces interactions avec les cours, les juridictions européennes.
00:29:11Ainsi, IVG n'empêche pas des interactions juridictionnelles, n'empêche pas le Conseil
00:29:17constitutionnel, on l'a dit ce matin, de saisir la Cour de justice de l'Union européenne d'une
00:29:21question préjudicielle ou de saisir la Cour européenne des droits de l'homme d'une demande
00:29:26d'avis consultatif. Mais une ambivalence apparaît, puisque dans ce cas, le Conseil constitutionnel est
00:29:34dans une position assez curieuse, qu'on a bien du mal à expliquer à nos étudiants. Il demande une
00:29:40interprétation à ses juridictions, comme le ferait n'importe quel juge pour exercer un contrôle de
00:29:44conventionnalité, mais pour opérer lui, in fine, un contrôle de constitutionnalité. Et l'ambivalence
00:29:51demeure même lorsqu'on s'intéresse aux interactions jurisprudentielles, c'est le fameux
00:29:57dialogue sans parole qui continue de se déployer en QPC sans la moindre gêne. Et cela nous amène
00:30:05donc à deux précisions sur la spécificité de ces rapports entre le Conseil et ces deux juridictions.
00:30:13Tout d'abord, en tentant d'avoir une approche globale et réaliste du sujet, il est difficile
00:30:19d'ignorer les considérations politiques qui animent ces juridictions lorsqu'elles examinent
00:30:24des affaires qui posent la question des relations entre ordre juridique interne et européen. Chacun
00:30:29tente de parvenir en effet à un équilibre fragile entre la nécessité de défendre son précaré et le
00:30:36souci d'éviter des conflits d'interprétation. Dans sa contribution au mélange Constantinesco,
00:30:41Pierre Pescator a une formule que je trouve qui résume assez bien cette difficulté,
00:30:46jusqu'où le juge peut-il aller trop loin. Ensuite, le sujet indique clairement l'existence
00:30:53de trois acteurs, le Conseil, la Cour de justice, la Cour européenne. Et donc on a l'image d'un
00:30:59Conseil face à deux blocs de jurisprudence bien distincts. Cependant, cette idée du
00:31:05trilogue mérite d'être nuancée à la faveur de l'entrée en vigueur de la Charte des droits
00:31:10fondamentaux de l'Union européenne, avec l'article 52, paragraphe 3 de la Charte,
00:31:15clause de correspondance, dans la mesure où cet article, cette disposition, impose que le juge
00:31:21de l'Union interprète les droits garantis par la Charte qui correspondent à des droits conventionnels
00:31:27de la même manière, avec une similarité de sens et de portée. On a dès lors un jeu de miroir qui
00:31:34est plus ou moins fidèle, puisque tantôt la correspondance va être parfaite, la récente
00:31:39séquence jurisprudentielle sur l'interdiction de l'abattage rituel en Belgique l'illustre,
00:31:44juges de l'Union cour européenne ont eu la même position, tantôt la correspondance va être
00:31:50imparfaite et donc mettre en difficulté le juge interne, comme l'illustre le contentieux sur la
00:31:56règle non bis in indemn, j'y reviendrai. L'ouvrage de la philosophe Michela Marzano,
00:32:02le contrat de défiance paru chez Grasset en 2010, peut fournir une clé permettant d'appréhender
00:32:08notre sujet. L'auteur y développe en effet l'idée d'une confiance comme Paris, une confiance qui
00:32:14ne se décrète pas mais qui se construit, qui ne peut être pensée qu'en relation avec
00:32:19l'incertitude du lien à l'autre. Or, en prenant prétexte du respect de la jurisprudence IVG,
00:32:25certaines prises de position du Conseil donnent le sentiment d'être face à une juridiction sur la
00:32:31défensive, alors qu'un dialogue décomplexé n'affecterait nullement son indépendance.
00:32:36La figure sous forme d'oxymore de « confiance contrôlée » peut alors être avancée.
00:32:44Malgré cet écueil, le Conseil constitutionnel est conscient qu'il évolue dans un environnement
00:32:50normatif marqué par une pluralité d'acteurs qui ne peuvent s'ignorer à force ouverte dans le domaine
00:32:54des droits fondamentaux et, bien que discrète, sa sensibilité à l'endroit des exigences européennes
00:33:00est bien réelle. Deux temps seront donc distingués ici. Tout d'abord, une confiance contrôlée en
00:33:10protection. Protection de quoi ? De l'autonomie du Conseil constitutionnel. Et ensuite, une
00:33:15confiance officieuse en solution. En solution de quoi ? Face au risque réel d'isolement du Conseil
00:33:22constitutionnel. Tout d'abord, sur cette idée de « confiance contrôlée », deux hypothèses peuvent
00:33:30être avancées. La distance et la méfiance. La distance parce que la décision Jérémy F. qui a
00:33:41été évoquée ce matin à propos du mandat d'arrêt européen est une exception. Elle est intervenue
00:33:47dans une configuration assez particulière. On l'a dit, l'article 88-2 de la Constitution. Mais depuis
00:33:562013, le Conseil constitutionnel n'a jamais fait droit à des demandes de renvoi devant la Cour de
00:34:03justice. Et alors qu'en 2013, la Cour de justice l'avait qualifiée de juridiction de renvoi. Et je
00:34:12crois qu'il y a un décalage entre la représentation du Conseil qualifiée de juridiction de renvoi et
00:34:20son office et la pratique concrète qui montre bien que le Conseil a du mal à revêtir l'office de la
00:34:30juridiction de renvoi. Par exemple, la décision Ahmed S. de 2015 à propos de la déchéance de
00:34:36nationalité, je trouve est un exemple intéressant parce que dans cette affaire était posée la
00:34:42question de la conformité à la charte des droits fondamentaux de disposition sur la déchéance de
00:34:47nationalité. Que fait le Conseil ? Botte en touche, renvoie la balle au juge ordinaire. On ne peut pas
00:34:52me poser des questions sur la compatibilité du droit national avec le droit de l'Union. Autre
00:34:58exemple intéressant, sur la motivation. Car l'office même de juridiction de renvoi implique
00:35:06une part de responsabilisation dans la motivation des refus. Dans une décision qui a été rendue le
00:35:1323 septembre 2021, QPC 2021-932, il s'agissait de dispositions législatives qui permettaient
00:35:20aux juridictions répressives de prononcer la confiscation de biens dont le condamné avait
00:35:26la libre disposition, mais sans prévoir un minimum de garantie pour le propriétaire. Et les
00:35:32sociétés requérantes faisaient valoir que compte tenu d'un arrêt de la Cour de justice sur des
00:35:37dispositions comparables, le Conseil constitutionnel ne pouvait pas reporter les effets dans le temps
00:35:43de sa déclaration d'inconstitutionnalité. Le Conseil refuse de faire droit à une demande renvoi
00:35:50devant la Cour de justice au motif que la demande ne porte pas sur la validité ou l'interprétation
00:35:57d'un acte pris par les institutions de l'Union. Mais la question de la primauté, la question de la
00:36:03mise en œuvre de la primauté est bien une question qui a trait à l'interprétation des traités. Et donc
00:36:09on a une motivation qui n'est pas satisfaisante et qui montre qu'il y a encore des progrès à faire
00:36:13dans cette part de responsabilisation qui est inhérente à l'office de juge de renvoi. Peut-on
00:36:20établir une différence avec la relation entre le Conseil et la Cour européenne des droits de l'homme ?
00:36:26Dans son communiqué publié en 2017 sur la ratification du protocole numéro 16, le Conseil souffle le
00:36:34chaud et le froid, alternant entre avancée et immobilisme. Fort de la minimisation de la portée
00:36:42des avis rendus par la Cour, présentée comme de simples éléments de contexte, le Conseil
00:36:48pourrait être tenté d'utiliser cette nouvelle procédure dans un contexte d'équivalence des droits
00:36:53garantis. Pour l'heure saisie à deux reprises de demandes d'avis consultatifs, notamment sur la
00:36:57question du cumul des sanctions pénales et fiscales, il a toujours refusé d'y faire droit en considérant
00:37:01qu'aucun motif ne justifie une telle saisine en l'espèce. Dans le même temps, il faut reconnaître
00:37:06que la Cour européenne des droits de l'homme n'envoie pas toujours des signaux d'encouragement
00:37:10aux hautes juridictions nationales. La question des délais, l'article 93 du règlement de la Cour
00:37:18indique que les demandes d'avis consultatifs doivent se voir réserver un traitement prioritaire.
00:37:22La Cour a rendu trois avis en 2021, plus d'un an en moyenne pour répondre. De même, le rejet d'une
00:37:30demande d'avis qui avait été présentée par la Cour suprême slovaque en 2020 a eu l'effet d'une
00:37:35douche froide pour ces juridictions et donc il faut aussi que la Cour européenne des droits de l'homme
00:37:39encourage les hautes juridictions à la saisir. Passons à la méfiance. La méfiance, c'est la
00:37:46décision qui a été évoquée ce matin sur les conditions de détention indignes rendues en octobre
00:37:532020. Dans cette décision, le Conseil constitutionnel refuse de prendre en compte l'interprétation
00:38:01conforme aux engagements internationaux délivrés en l'espèce par la Cour de cassation à propos des
00:38:09conséquences de l'arrêt JMB contre France sur la question de la surpopulation carcérale et de la
00:38:15possibilité pour les détenus de pouvoir saisir un juge pour se plaindre de leurs conditions de
00:38:20détention. Ce qui est intéressant dans cette décision, c'est que le Conseil, d'une part,
00:38:25refuse de prendre en compte ces interprétations conformes, mais après tout, pourquoi pas, priorité
00:38:32du mécanisme de la QPC, mais à la faveur des nobitaires dictum, le Conseil va plus loin puisqu'il
00:38:40se reconnaît même compétent pour contrôler, je crois que c'est le considérant 10, l'interprétation
00:38:46délivrée par les juges ordinaires au titre d'engagements internationaux. Ce qui pourrait
00:38:53d'ailleurs conduire à contrôler les interprétations européennes puisque les juges ordinaires ne sont
00:38:59que les relais des solutions des deux cours européens. Alors, on a beaucoup écrit sur cette
00:39:08décision, il y a même eu un article au Dallas qui qualifie la démarche du Conseil d'europhobes,
00:39:13je n'irai pas jusque là, je pense que c'est une critique excessive et je crois que comme la
00:39:20réserve qui a été évoquée ce matin, la réserve PIC, c'est ça, PIC, qui n'a été opposée qu'à
00:39:25une seule reprise, je crois que le contrôle de l'interprétation conforme apparaît surtout
00:39:29comme une arme de dissuasion. Les juridictions européennes disposent également de ces outils
00:39:34de dissuasion et les cours européennes, le juge de l'Union et la Cour de Strasbourg n'ont eu de
00:39:40cesse ces dernières années d'inoculer au juge national le virus de l'interprétation conforme
00:39:45et je crois, je crois qu'il s'agit dans cette décision d'une posture car en l'espèce, le
00:39:53Conseil ne fait rien d'autre que suivre le contrôle de la Cour européenne des droits de
00:39:57l'homme dans l'affaire JMB. Donc, il n'y avait pas réellement de conséquences ici pour le
00:40:04justiciable. Deuxième temps, deuxième temps de ma communication, la confiance officieuse en
00:40:12solution, en solution face au risque réel d'isolement du Conseil constitutionnel. On le
00:40:19sait, je ne vais pas y revenir, le Conseil privilégie avec ses juridictions un dialogue
00:40:25sans parole. Il interagit officieusement. Les manifestations de cette concordance,
00:40:32de cette harmonie jurisprudentielle sont légion. Il suffit de lire la chronique d'Hélène Surel
00:40:37à la revue du Conseil constitutionnel et donc on voudrait plutôt ici mettre en exergue l'équilibre
00:40:45des rapports entre le Conseil et ses juridictions mais un équilibre qui doit en réalité beaucoup à
00:40:51l'ensemble des acteurs. Thibault en a parlé tout à l'heure, les juges ordinaires qui, à mon avis,
00:40:57sont des facilitateurs de cette pacification et équilibre qui doit aussi au positionnement de la
00:41:04Cour de justice et de la Cour européenne. Et donc, ça sera le premier temps de cette deuxième partie,
00:41:11l'équilibre des rapports par un jeu d'influence réciproque. La contextualisation est importante
00:41:18en effet pour prendre la mesure de cette idée d'équilibre. Les jurisprudences européennes sont
00:41:23remplies d'exigences d'assouplissement de certains principes essentiels afin de prévenir tout conflit
00:41:28ouvert avec les cours suprêmes ou les cours constitutionnels. On a évoqué ce matin l'affaire
00:41:33Melki, on pourrait évoquer l'affaire Tariqo 2 de 2018 de la Cour de justice et on a même vu,
00:41:39on a même vu ces juridictions, je pense à la Cour de Strasbourg, européaniser des notions issues
00:41:46d'ordres juridiques nationaux comme le concept du vivre ensemble dans l'affaire SAS contre France
00:41:52à propos de l'interdiction du voile intégral dans l'espace public. Et du côté de la Cour européenne,
00:41:59il y a un nouveau contexte. Depuis 2012-2013, on parle d'âge d'or de la subsidiarité d'une Cour
00:42:07qui est beaucoup plus sensible à l'appréciation portée par les autorités nationales et cette
00:42:14différence elle s'exprime même sur un plan procédural. On en a un très bel exemple à
00:42:21propos de la demande d'avis qui a été présentée par le Conseil d'État sur les associations
00:42:26communales de chasse agréée puisque la Cour européenne a suspendu le traitement de cette
00:42:32demande pour la reprendre après que le Conseil constitutionnel ait rendu sa décision. Donc,
00:42:38on a cette idée de différence, elle n'est pas simplement sur le fond, elle est également sur
00:42:43un plan procédural. Et dans ce jeu d'équilibre, trois points méritent d'être soulignés,
00:42:51je serai extrêmement bref. Tout d'abord, le Conseil constitutionnel, à mon sens,
00:42:55a pris la mesure du principe de subsidiarité, c'est-à-dire qu'il ne se contente pas d'être
00:43:01dans une position de suivisme par rapport aux jurisprudences européennes, il n'hésite pas,
00:43:06en effet, à dépasser le standard conventionnel. Ainsi, le champ d'application des garanties du
00:43:10procès équitable, l'application du principe d'individualisation des peines sont des exemples
00:43:16éclairants. Deuxième idée, les juges européens confortent l'office des Cours constitutionnels et,
00:43:24en particulier ici, du Conseil constitutionnel. Il y a une décision, un arrêt qui a été rendu par
00:43:32la Cour européenne des droits de l'homme en 2017, à propos dans le domaine de la protection des
00:43:37données, où la Cour européenne est venue au soutien d'une réserve d'interprétation du
00:43:41Conseil constitutionnel. Et plus récemment encore, dans une affaire Jarre contre France,
00:43:47je crois que c'est 2024, alors que les requérants critiquaient l'effet immédiat et sans réserve de
00:43:52la déclaration d'inconstitutionnalité prononcée par le Conseil, la Cour souligne que le Conseil,
00:43:58je cite, « dispose d'une marge d'appréciation pour la modulation des effets dans le temps de
00:44:03sa décision, notamment pour les procédures juridictionnelles en cours, dans le but de
00:44:08garantir la sécurité juridique ». Même si cette formule ne reflète pas fidèlement l'office du juge
00:44:14de la QPC, elle donne à voir un respect de la liberté du Conseil dans son pouvoir de modulation.
00:44:22Troisième idée, au titre de cet équilibre, la nature abstraite du contrôle de constitutionnalité
00:44:27des lois, à la française, n'est pas un problème pour la Cour européenne. En effet, on a trop
00:44:32tendance à opposer, je crois de façon caricaturale, la nature des contrôles de constitutionnalité et de
00:44:38conventionnalité. Tandis que le premier contrôle serait abstrait, le second serait totalement
00:44:43concret et individualisé. En vérité, cette opposition est excessive parce qu'elle fait
00:44:49défi d'un certain nombre d'évolutions du contrôle européen depuis un certain nombre d'années. Et
00:44:54par exemple, lorsque le Conseil a conclu à la constitution des dispositions adoptées en 2016
00:45:00qui incriminent les personnes ayant recours à la prostitution, d'aucuns avaient pointé à l'époque
00:45:05un contrôle de proportionnalité indigne. En 2024, la Cour prend un arrêt et elle décerne pourtant
00:45:12un brevet de conventionnalité à ces mêmes dispositions en s'appuyant sur le caractère
00:45:17sur le contrôle abstrait du Conseil constitutionnel et sur la qualité du processus
00:45:24législatif long et complexe. Enfin, je voudrais terminer ici par les points de tension. Les points
00:45:30de tension entre le Conseil et les juridictions européennes et des points de tension qui, à mon
00:45:34avis, méritent d'être relativisés. En effet, l'hypothèse de la proximité des catalogues
00:45:39constitutionnels et conventionnels, on parle bien de proximité et non pas d'identité, cela a été
00:45:43dit tout à l'heure, à ceci de particulier que cette proximité rend plutôt compte de l'énonciation
00:45:50des droits et non de leur concrétisation. Or, l'identité dans la formulation des droits n'implique
00:45:56pas l'identité de leur interprétation. Il faut faire toute sa place à l'idée selon laquelle les
00:46:02droits sont appliqués dans des contextes particuliers par des juges différents selon des méthodes
00:46:07d'interprétation et des préoccupations qui ne coïncident pas toujours. Je crois que le meilleur
00:46:13exemple que l'on puisse donner ici, c'est la règle non bis in inde. L'interdiction selon laquelle
00:46:19nul ne peut être jugé ou puni pénalement deux fois pour les mêmes faits. Règle inscrite à
00:46:25l'article 4 du protocole numéro 7 à la Convention et à l'article 50 de la Charte des droits
00:46:30fondamentaux de l'Union européenne. Le contentieux dans ce domaine est intéressant car il donne à
00:46:35voir un juge national déboussolé face à des jurisprudences européennes qui n'ont pas toujours
00:46:41emprunté la même direction. Il suffit de rappeler l'arrêt de la grande chambre de la Cour européenne
00:46:46rendue dans l'affaire A et B contre Norvège en matière de cumul des sanctions pour s'en rendre
00:46:54compte. Dans cet arrêt, la Cour relativise en effet l'intangibilité de cette règle non bis in
00:46:59indemne et elle reconnaît le cumul de sanctions lorsque les procédures mixtes présentent un lien
00:47:04matériel et temporel est suffisamment étroit. Et la complexité dans ce contentieux, c'est que la
00:47:09Cour de justice n'a pas la même appréciation que la Cour européenne. Encore tout récemment,
00:47:15Johann Kohlhoert qui est le greffier en chambre de la grande chambre de la Cour européenne vient
00:47:21de faire paraître un article à la revue trimestrielle des droits de l'homme et il fait
00:47:24état d'un arrêt de la Cour de justice très récent où le juge de l'Union, dans son contrôle de
00:47:31l'appréciation de la proportionnalité des atteintes à cette règle, nous dit
00:47:38que ce qui est essentiel, c'est les intérêts de l'État. Il s'agissait d'une convention
00:47:44d'application sur les accords de Schengen où l'Allemagne avait exclu l'application de cette
00:47:47règle et le juge de l'Union, dans son contrôle de proportionnalité, donne la priorité aux intérêts
00:47:54de l'État. Donc on a des sensibilités, des préoccupations qui ne convergent pas toujours
00:48:01et cela montre bien que s'il y a de l'autonomie, des ajustements, des approches différentes de
00:48:09certains droits, des sensibilités distinctes, le Conseil n'a jamais vraiment en réalité exprimé
00:48:15une résistance d'ordre axiologique pour s'opposer à une jurisprudence européenne. Et la première
00:48:22utilisation des pics ne s'inscrivait pas d'ailleurs dans cette finalité. Sur ce point, il est
00:48:27intéressant de dresser une comparaison avec le Conseil d'État et la Cour de cassation. Juges de
00:48:32la conventionnalité, leurs rapports avec les juridictions européennes ne sont pas pour autant
00:48:35dépourvus d'ambivalence que l'on songe notamment au rapport du Conseil d'État avec le renvoi
00:48:40préjudiciel. Pour le Conseil constitutionnel, les étapes à franchir ne semblent pas insurmontables.
00:48:45Il ne lui reste plus qu'à avoir une lecture plus constructive de la jurisprudence IVG pour
00:48:51entamer une relation directe et d'égal à égal avec ces deux juridictions et mettre fin à un
00:48:57dialogue sans parole devenu anachronique et contre-productif. Je vous remercie.
00:49:10Merci beaucoup pour cette intervention qui a beaucoup de points communs avec celle de votre
00:49:15prédécesseur, la richesse, la concision et finalement y compris un peu parfois votre corps
00:49:22défendant, une certaine forme d'optimisme parce que vous n'avez pas caché et vous avez même
00:49:28abordé tout à fait frontalement un certain nombre de difficultés qui tiennent à la fois aux
00:49:34différences de posture. Vous avez employé ce terme entre le Conseil constitutionnel qui camprait sur
00:49:38un contrôle abstrait, économe de mots et enfermé dans une matrice très nationale avec l'attitude
00:49:48des juges européens, en particulier sur ce point de la CEDH qui verse plus volontiers dans un contrôle
00:49:56concret qui se déploie d'une façon assez différente. Vous avez évoqué également un certain nombre de
00:50:02solutions jurisprudentielles détonantes entre elles au point de pouvoir parfois poser des
00:50:10difficultés. Il y en avait beaucoup dans celle sur lesquelles, je ne reviens pas sur celle que
00:50:15vous avez assez longuement développé, celle sur lesquelles vous êtes passé un peu plus vite, il y a
00:50:19évidemment la saga de la protection des données personnelles que vous avez évoqué rapidement qui
00:50:25met une sorte de pagaille assez compliquée à aboutir et d'ailleurs en l'occurrence le Conseil
00:50:34constitutionnel, qui n'était pas le premier dans la partie, a eu avec tous ceux qui se
00:50:39prennent successivement une part de rôle dans une tentative de remettre un peu d'ordre dans un
00:50:45débat qui était parti de façon assez peu concertée. Mais néanmoins, mais néanmoins, peut-être que je
00:50:53suis résolument optimiste, je ne sais pas si c'est le plaisir d'être avec vous cet après-midi plutôt que
00:50:57de faire mon travail, mais je retiens que pour l'essentiel le dialogue se fait. Il ne se fait peut-être pas
00:51:04de façon suffisamment explicite ou institutionnalisée aux yeux des observateurs extérieurs, mais à la
00:51:12fin des fins, j'en reviens à mon idée qui est que cette coexistence des juges et ce dialogue un peu
00:51:23forcé qui tient à la multiplicité des intervenants est aussi un facteur de, alors le mot est un peu
00:51:29moche, mais de co-construction du droit et finalement de raffinement de la protection des droits
00:51:35fondamentaux, ce qui est quand même l'horizon que chacune de ces juridictions poursuit. J'ai bien aimé
00:51:42évidemment la perche tendue sur le contrôle concret et le contrôle abstrait, j'y suis assez sensible.
00:51:47Je crois, fondamentalement, c'est tout de même assez erroné de penser que l'un s'oppose à l'autre et je
00:51:54crois que personne dans les tenons du contrôle concret n'a jamais envisagé de les penser autrement qu'en
00:51:58complémentarité. Bien entendu qu'un contrôle concret tout seul n'aurait pas grand sens et que ce qu'on
00:52:04peut dire dans ce cadre ne miroite pas nécessairement avec ce qui est dit dans l'autre. Mais je laisse la
00:52:09salle réagir éventuellement. Sur ce point, est-ce qu'on a encore un petit peu de temps pour les
00:52:13questions ? Ils ont bien tenu leur timing. Le président Genevoix, je lui donne la parole d'autant plus
00:52:18tout de suite que tout à l'heure, je sais qu'il n'a pas eu le temps de poser sa question.
00:52:21Nous attendons tous le rapport de François Seners et personnellement, je suis très largement d'accord avec ce qui
00:52:31vient d'être dit. Je voudrais simplement intervenir sur deux points. Un rétrospectif que j'ai bien connu et un présent
00:52:40qui a été évoqué par le professeur Afpro. Alors, l'élément rétrospectif que j'ai connu, c'est que
00:52:50la manière dont la jurisprudence sur les rapports entre la loi et le traité a été appréhendée dans la période 1986-1989.
00:53:03Alors, vous avez, à juste titre, monsieur le professeur Larotourou, cité la décision du 3 septembre 86, où le
00:53:11Conseil constitutionnel, au rapport de Robert Lecourt, qui avait été, comme on sait, président de la Cour de justice de
00:53:18Luxembourg, indique que le respect de l'article 55 s'impose aux divers organes de l'État dans le cadre de leurs compétences respectives.
00:53:31Alors, je signale que cette décision, à la demande du président Mazinter, a été précédée d'un contact entre le rapporteur,
00:53:42monsieur le président Lecourt, accompagné du secrétaire général, avec le Conseil d'État, en la personne du vice-président de l'époque
00:53:52et du président de la section du contentieux, ce qui a été intéressant et dont j'ai gardé un souvenir très précis.
00:54:00Deuxièmement, la décision bien connue du 21 octobre 1988, rendue en matière électorale, Assemblée nationale valdoise,
00:54:10cinquième circonscription, a été rendue sur le rapport d'une section d'instruction du Conseil, comme c'est le cas pour le contentieux électoral,
00:54:19section présidée par Robert Mazinter, comportant également Robert Fabre et Jacques Lacha. Et le rapporteur, membre du Conseil d'État, tout à fait imminent,
00:54:35pour donner un repère, il a pris ma suite lorsque j'ai été président de la section du contentieux, le rapporteur a défendu l'idée sur le fondement de la jurisprudence
00:54:47dite des semoules, 1er mars 1968, confirmée par UDT, fin de 2 octobre 1979. Il a dit « la loi, une fois promulguée, est incontestable »,
00:55:01ce que vous avez rappelé, M. le professeur Larroutoux. Il n'a pas emporté la conviction de la section, ni non plus celle du Conseil, en formation plénière,
00:55:14qui, en tant que juge de l'élection et au titre de l'application de la norme, a fait opérer un contrôle de la loi interne au regard de la Convention européenne
00:55:27du protocole sur les élections libres. Et le couronnement de cette jurisprudence sur le plan de la formalisation, correspondant aux idées du doyen Vedel,
00:55:38de Robert Lecour et de Robert Badinter, Robert Lecour étant très sensible au fait que le juge de l'application de la loi, c'était le particulier dont la vigilance
00:55:51était à même de garantir le respect des traités mieux que les États, dans le cadre de leurs rapports respectifs. Le doyen Vedel, qui estimait que le juge constitutionnel
00:56:05est un juge de droit interne avant tout, en aboutit à cette construction. Le Conseil constitutionnel est le gardien de la norme de conflit de l'article 55.
00:56:17S'il y a violation directe de cet article, il y a un constitutionnalité par la loi qu'il censurera. Mais en revanche, l'application de la norme revient, au cas par cas,
00:56:28par les juridictions chargées de l'application, le plus souvent le juge judiciaire, le juge administratif, mais éventuellement le juge constitutionnel en matière électorale.
00:56:38Et la synthèse de cette jurisprudence a été opérée par le considérant numéro 79, si j'ai ma bonne mémoire, de la décision du 29 décembre 1989 concernant la loi de finances pour 1990,
00:56:55qui est d'ailleurs due assez largement à la plume du président Badinter en séance, où le Conseil commence par dire positivement pourquoi il est compétent,
00:57:09c'est-à-dire le contrôle de la violation directe de la Constitution, pour ensuite dire ce sur quoi il n'est pas compétent et écarter le moyen dont il était saisi.
00:57:20Donc, voilà un petit élément d'histoire que je voulais vous indiquer compte tenu de mon expérience.
00:57:26Alors, pour ce qui est des situations plus actuelles, je suis assez d'accord avec les présentations qui ont été faites, d'autant plus qu'elles rejoignent assez bien la position de Denis de Béchillon de 2011
00:57:41dans la revue Pouvoir consacrée à la question prioritaire de constitutionnalité, où, avec de bons arguments, il dit un peu le contraire de ce qu'il avait dit dans le numéro de Pouvoir de 2001 sur les cours européennes.
00:57:59Mais ce qui est très sympathique, c'est qu'il explique pourquoi.
00:58:02D'ailleurs, sur ce sujet et en d'autres circonstances, Baptiste Bonnet me l'avait rappelé. Moi, j'ai aussi évolué. Pas de problème.
00:58:11Alors, Béchillon terminait en disant finalement, il y a une pluralité d'acteurs. C'est très bien parce qu'on peut faire confiance à la sagesse des parties prenantes.
00:58:24Alors, soit. Mais malgré tout, je suis parfois un tout petit peu préoccupé par des solutions juridiques par trop divergentes, en particulier sur la règle non bis in idem.
00:58:42Alors, évidemment, c'est passionnant. Je vois l'arrêt grande des Stéphanes contre l'Italie qui condamne, qui a son interprétation de la règle et surtout qui invalide la réserve italienne.
00:58:58Comme la réserve française est identique à la réserve italienne, ça a quelques conséquences sur le plan du droit français. Alors j'apprends que le problème est posé devant le Conseil constitutionnel.
00:59:10Et à l'époque, j'étais président de l'Agence française de lutte contre le dopage, où il y a à la fois des sanctions pénales dans certains cas et puis des sanctions administratives en matière de lutte contre le dopage.
00:59:22Alors, je crois sur moi de présenter un mémoire en intervention en expliquant tout l'intérêt de la dualité, de la répression dans certains domaines et pénales et administratives.
00:59:34Et qu'est-il arrivé ? J'ai reçu un coup de téléphone du secrétaire général en me disant « Ton intervention n'est pas recevable. »
00:59:44Et le Conseil constitutionnel s'est prononcé de manière très intéressante. Mais ce n'est pas le seul, parce que ça rebondit avec la Cour européenne et droit de l'homme dans l'affaire A et B,
00:59:57avec la Chambre criminelle, avec la Cour de justice de l'Union européenne et avec les formations fiscales du Conseil d'État en novembre dernier.
01:00:10Alors, soit c'est bien qu'il y ait une émulation, mais il faut quand même que progressivement, on aboutisse à une harmonisation.
01:00:20Et la doctrine devrait aussi se pencher sur ces questions au-delà de la vision que nous avons eue dans la première moitié de l'après-midi sur le néoconstitutionnalisme,
01:00:33sur la reconnaissance de la personnalité juridique du monde animal.
01:00:39Disons qu'on a aussi fort à faire dans le cadre européen.
01:00:44En tout cas, cette journée d'aujourd'hui nous a appris à tous beaucoup. Merci.
01:00:49Merci beaucoup, Monsieur le Président, à la fois pour la capsule mémorielle d'une précision et d'une richesse qui font honneur à votre réputation,
01:01:09mais aussi pour ces propos sur l'actualité et cet appel à la raison des juges.
01:01:15Est-ce qu'on a d'autres demandes d'intervention dans la salle ?
01:01:18Ou est-ce qu'il est temps de conclure par une conclusion, des conclusions ?
01:01:25Je laisse le Président Sénère se décider si c'est au singulier ou au pluriel.
01:01:30Mais en tout cas, je lui laisse la parole.