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Laurent Fabius, Président du Conseil constitutionnel

Colloque « Cinquante ans après la décision IVG du 15 janvier 1975 : une jurisprudence en questions » organisé par l’Association française de droit constitutionnel, 15 janvier 2025.

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Transcription
00:00Bienvenue à tous dans cette maison, qui étant la maison du droit et la vôtre.
00:10Monsieur le Président de la Association française des droits constitutionnels,
00:14Mesdames et Messieurs les Présidents, Professeurs, Juges, chers collègues qui nous font la gentillesse d'être là,
00:20Mesdames, Messieurs, le Conseil constitutionnel est heureux d'accueillir
00:26précisément cette date de mi-janvier 2025, le colloque de l'Association française des droits constitutionnels,
00:33consacré à la fameuse décision n° 74-54 du 15 janvier 1975, c'est-à-dire exactement il y a 50 ans,
00:47dont par l'article 1er de son dispositif nous avons jugé que, alors vous connaissez par cœur le texte,
00:56les dispositions de la loi relative à l'interruption volontaire de la grossesse ne sont pas contraires à la Constitution.
01:03Fin de citation.
01:04Il n'est pas dans mon intention, en introduction d'une journée d'échange qui va être certainement riche,
01:12aussi bien par le programme que vous avez que par les qualités des intervenants,
01:17de faire un long commentaire de la décision que vous appelez, comme nous, la décision IVG.
01:25La journée va permettre de le faire, mais je veux seulement formuler 2-3 remarques assez brèves.
01:33Quand on dit ça, c'est un mauvais signe parce que, en général, c'est assez long, mais là, non.
01:39Cette décision fait partie des grandes décisions du Conseil constitutionnel.
01:45Elle a contribué au progrès de civilisation qui a été accompli par la loi du 15 janvier 1975,
01:53autorisant l'IVG en France.
01:57Et on ne comprendrait pas que je ne commence pas ce propos sans rendre hommage au courage dont a fait preuve Simone Veil,
02:08avant qu'elle ne siège elle-même, parfois on l'a oublié, au Conseil entre 1998 et 2007.
02:16Courage dont elle a fait preuve pour porter devant le Parlement la réforme de la dépénalisation de l'IVG.
02:22Il suffit de relever, vous ne voyez aucune allusion à quelques actualités historiques,
02:29il suffit de relever que parmi les députés signataires du recours formé contre la loi devant cette maison,
02:36figuraient pas mal de parlementaires de la majorité qui soutenait alors le gouvernement auquel Simone Veil appartenait.
02:46Depuis, le Conseil, saisi de textes successifs organisant la possibilité ouverte aux femmes de recourir à l'IVG,
02:54a validé ces textes en veillant à chaque fois à maintenir l'équilibre entre la sauvegarde de la dignité de la personne humaine
03:02contre toute forme de dégradation et la liberté de la femme qui découle de l'article 2 de l'ADDHC.
03:09La loi de 1975 constitue une avancée majeure en faveur du droit des femmes à disposer de leur corps et à maîtriser leur fécondité.
03:20Une avancée autant pour l'égalité femmes-hommes que pour la santé publique.
03:27L'importance de la loi, la richesse de la loi associée à celle de la décision IVG,
03:34peuvent se mesurer encore, et j'imagine c'est l'indécence de ce colloque, sous un regard contemporain.
03:41Aujourd'hui, c'est le cinquantième anniversaire de la décision, alors que le débat politique,
03:47qu'elle semblait avoir apaisé il y a 50 ans, a retrouvé récemment une forte actualité,
03:53en France évidemment beaucoup moins forte qu'ailleurs, mais d'abord ailleurs,
03:57et évidemment en relation avec la façon dont la Cour suprême des Etats-Unis a remis en cause le 22 juin 2022
04:06ce qu'elle avait jugé par l'arrêt célèbre Roe versus Wade, ce qui a provoqué une réaction vive, au-delà même des Etats-Unis.
04:15En réaction à ce revirement, le Parlement puis le gouvernement français ont souhaité cristalliser l'état de notre droit
04:22en l'inscrivant dans la Constitution, ce qui a donné lieu à la 25e révision de la Constitution,
04:27et il ne faut jamais oublier, même si c'est symbolique, mais les symboles ont leur importance,
04:32que la France est le premier pays au monde à faire explicitement référence à l'IVG dans sa loi fondamentale.
04:39A cet égard, j'ai remarqué, je m'en suis réjoui, que dans les travaux préparatoires de la loi constitutionnelle du 8 mars 2024
04:48relatives à la liberté de recours à l'IVG, peu de craintes se sont exprimées sur le risque que le Conseil puisse un jour
04:56opérer un revirement du type de celui effectué par la Cour suprême américaine.
05:01Et avec satisfaction, j'ai constaté que l'exposé des motifs que je vais citer du projet de loi constitutionnelle
05:08insistait au contraire sur le fait que, je cite,
05:12cette liberté sera juridiquement protégée sous le contrôle du juge constitutionnel saisi,
05:18soit directement à l'issue du vote d'une loi, soit ultérieurement par la voie de la question prioritaire de constitutionnalité.
05:28L'office de gardien des droits et libertés que la Constitution garantit, qui est le cœur même de la mission du Conseil,
05:34est bien un élément essentiel de notre état de droit, comme la décision IVG avait commencé de nous le montrer de manière tout à fait éclatante.
05:44Et désormais, l'article 24 de la Constitution, il y a une nouvelle disposition au terme de laquelle, je cite,
05:54la loi détermine les conditions, c'est sa rédaction, dans lesquelles s'exerce la liberté garantie à la femme d'avoir recours à une interruption volontaire de grossesse.
06:03Tout ceci en gardant à l'esprit, et vous l'avez bien sûr comme moi à l'esprit,
06:09que le droit concret à l'IVG ne dépend pas seulement des textes qui sont tout à fait essentiels,
06:17mais des conditions pratiques de l'exercice de ce droit.
06:22Et les conditions pratiques, il faut bien sûr toujours y rester vigilant.
06:28Pour revenir au texte de la décision, je vous rappelais, mais ces choses sont bien connues de vous,
06:33qu'elle est composée de ce qu'on appelait alors 11 considérants, aujourd'hui on dirait 11 paragraphes,
06:39et qu'elle a été prise il y a 50 ans donc, sous la présidence de Roger Frey, et au rapport de François Gauguel,
06:46à l'issue d'une délibération qui a duré deux jours, ainsi qu'en ténoigne le procès-verbal de la séance,
06:54qui est accessible sur notre site internet, qui constitue un verbatim d'une cinquantaine de pages.
07:00Dans l'histoire du contrôle de constitutionnalité, cette décision, je le rappelle, a été, après celle du 30 décembre 1974,
07:09sur la loi de finances pour 1975, la deuxième décision de contrôle a priori intervenue sur ces unes parlementaires,
07:16et bien sûr, quand on dit cela, on a à l'esprit combien la révision constitutionnelle du 29 octobre 1974
07:23a été essentielle en ouvrant le prétoire du conseil à 60 députés ou 60 sénateurs.
07:29Cette révision est intervenue elle-même trois ans à peine après que, par sa décision fameuse du 16 juillet 1971,
07:38le conseil venait lui-même d'intégrer, parmi les normes de référence au contrôle de la constitutionnalité des lois,
07:44le préambule de la constitution, et par là, le renvoi que celui-ci opère à la DDHC et au préambule de la constitution de 1946.
07:52S'agissant de l'office du juge, vous allez en parler longuement aujourd'hui,
07:57la décision IVG est celle par laquelle le conseil a considéré que, n'ayant qu'une compétence d'attribution,
08:04il n'était pas compétent pour exercer le contrôle de conventionnalité des lois.
08:10En fermant ainsi la porte du contrôle de conventionnalité à son niveau,
08:15le conseil l'a ouverte clairement aux juges de l'ordre judiciaire et de l'ordre administratif.
08:21Les deux types de contrôle, constitutionnalité et conventionnalité, coexistent donc,
08:27et chacun dans sa sphère, ce sera bien sûr l'objet de beaucoup de vos discussions, prospère.
08:34Cette question du contrôle de conventionnalité rejaillit aujourd'hui sur la définition de l'articulation
08:40entre l'office des juges nationaux et celui des juges européens.
08:45Selon la présentation qui en est faite parfois,
08:49la combinaison du contrôle de constitutionnalité et du contrôle de conventionnalité,
08:54qui se traduirait par une sorte de concurrence entre juges européens et juges nationaux,
09:01éroderait la souveraineté des états, et ça est un débat actuel.
09:06La jurisprudence du conseil constitutionnel et la pratique du dialogue des juges,
09:12à laquelle nous avons veillé, en tout cas tout au long de ma présidence,
09:17m'incite plutôt à évoquer une articulation entre le contrôle de constitutionnalité et celui de conventionnalité
09:26qui peut et qui doit être respectueux de la souveraineté nationale.
09:31A cet égard, évidemment, il faut mentionner une sorte de clause de sauvegarde constitutionnelle,
09:40exception en quelque sorte à la décision IVG,
09:44qui est propre à assurer en dernier recours la primauté de notre constitution nationale.
09:49Il s'agit de l'hypothèse où le droit de l'union qui l'est lieu de transposer
09:52irait à l'encontre, je cite, d'une règle ou d'un principe inhérent à l'identité constitutionnelle de la France,
09:59les fameux pics, comme l'a confirmé, ça n'est pas il y a très longtemps,
10:06notre décision Air France du 15 octobre 2021 que nous avons,
10:11je parle en présence de mes collègues et du secrétariat du conseil,
10:16présent à l'esprit. Pour en résumer la portée que vous connaissez,
10:20là où ces principes sont protégés de façon équivalente par le droit de l'union,
10:26le contrôle des cours supérieurs peut s'effacer.
10:28En revanche, là où le droit de l'union est muet ou même contraire à un pic,
10:36ces principes inhérents viennent combler le vide laissé par la construction européenne.
10:41Ce contrôle, dans notre esprit, contribue donc à une protection augmentée de l'état de droit
10:47qui traduit non pas une concurrence mais plutôt une complémentarité
10:52entre les offices constitutionnels et européens,
10:55comme cela ressort des termes même du traité sur l'union européenne.
11:01Mais, je répète, je sais que ce sera un point important de vos discussions
11:07parce qu'il y a des avis divers à cet égal.
11:10Mesdames et Messieurs, quand vous m'avez proposé, M. le Président,
11:15de tenir cette réunion, je l'ai fait avec, j'ai accepté avec beaucoup de plaisir
11:20parce que je pense que l'importance et la richesse de la décision IVG
11:26donne un sens particulier au fait que ces travaux puissent se dérouler ici,
11:3050 ans après sa publication.
11:34Nous avons choisi, mes collègues et moi-même,
11:39puisqu'on arrive, en tout cas en ce qui me concerne, à la période des bilans,
11:43dès le début de notre présence au Conseil,
11:47d'insister sur sa tâche de consolidation du droit,
11:50mais aussi sur la tâche du Conseil
11:54qui consiste à moderniser son fonctionnement
11:57et à s'ouvrir au plan national et international.
12:01Et à tous ces égards, je pense que les travaux que vous allez poursuivre aujourd'hui
12:08s'inscrivent tout à fait dans le cadre de ce que doit être
12:12une institution vivante comme la nôtre.
12:16C'est pourquoi je suis sûr que vos travaux vont être intéressants
12:21et que nous allons les suivre avec beaucoup de plaisir.
12:27Et je salue en particulier mon collègue François Seners
12:31qui est chargé d'une mission particulière à la fin de cette journée
12:36et Alain Juppé qui a eu la bonne idée d'être présent en ce début de matinée.
12:44Alors, je ne veux pas chercher la petite bête,
12:48mais j'ai vu que l'intitulé que vous avez retenu est, je cite,
12:53« jurisprudence en question » avec un « s ».
12:56Bon, je comprends par là que votre ambition,
13:00c'est de croiser librement les différents points de vue.
13:03Je crois ne pas être à côté d'interprétation.
13:08Mais je ne voudrais pas non plus que vous y déceliez.
13:12Je le précise, une intention du Conseil de se détacher lui-même aujourd'hui
13:17d'une jurisprudence qui est constante depuis 50 ans.
13:21J'annonce donc la couleur.
13:23Pour conclure, je veux vous remercier,
13:26remercier l'ensemble des intervenants
13:30et vous souhaiter bien sûr des travaux dont je sais qu'ils seront excellents.
13:35Bonne journée à tous.

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