Présidence : Xavier Magnon, Professeur à l’Université Aix-Marseille
La délibération sur la décision « IVG »
Mathilde Heitzmann-Patin, Professeur à l’Université du Mans
La réception doctrinale de la décision « IVG »
Julien Jeanneney, Professeur à l’Université de Strasbourg
Colloque « Cinquante ans après la décision IVG du 15 janvier 1975 : une jurisprudence en questions » organisé par l’Association française de droit constitutionnel, 15 janvier 2025.
La délibération sur la décision « IVG »
Mathilde Heitzmann-Patin, Professeur à l’Université du Mans
La réception doctrinale de la décision « IVG »
Julien Jeanneney, Professeur à l’Université de Strasbourg
Colloque « Cinquante ans après la décision IVG du 15 janvier 1975 : une jurisprudence en questions » organisé par l’Association française de droit constitutionnel, 15 janvier 2025.
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00:00:00Bonjour à tous, j'ai le plaisir et l'honneur de présider la première série d'intervention avec Julien Jannet et Mathilde Etzman-Patin.
00:00:22Alors, quelques mots en tant que Président.
00:00:25Je n'aime pas trop les Présidents qui prennent la parole, mais je vais quand même la prendre.
00:00:30Même si le Président Laurent Fabius a déjà parlé de l'IVG dans le volet IVG, parce que telle est sans doute la particularité des juristes que d'entendre par IVG autre chose que l'interruption volontaire de grossesse.
00:00:46C'est tout le programme et d'ailleurs n'est pas construit pour parler de l'interruption volontaire de grossesse, mais bien de la jurisprudence du Conseil constitutionnel sur la loi autorisant l'interruption volontaire de grossesse.
00:00:56Donc j'ai une dénomination de concept qui renvoie en réalité à deux choses parfaitement différentes, l'interruption volontaire de grossesse et la jurisprudence sur l'interruption volontaire de grossesse.
00:01:06Quelques mots peut-être sur le premier point et sur l'interruption volontaire de grossesse, avant de parler de la jurisprudence sur l'interruption volontaire de grossesse.
00:01:14Et peut-être quelques mots sur les droits accordés aux femmes, puisque l'interruption volontaire de grossesse fait partie de ces droits qui sont accordés aux femmes.
00:01:22Et quelques mots aussi, même si cela a été dit par le Président de Simone Veil dans ce cadre.
00:01:27Sur le droit des femmes, quelques dates, peut-être en 1907, c'est la loi qui accorde aux femmes mariées la libre disposition de leur salaire, en 1907.
00:01:39En 1936, c'est la première fois qu'une femme est secrétaire d'État.
00:01:43En 1938, c'est la suppression de l'incapacité civile des femmes.
00:01:48En 1944, c'est le droit de vote et d'éligibilité pour les femmes.
00:01:53En 1946, c'est la Constitution et son préambule qui consacrent le principe d'égalité entre les hommes et les femmes.
00:02:00Il faut attendre 1965 pour qu'il y ait une réforme des régimes matrimoniaux qui autorise les femmes à exercer une profession sans autorisation maritale,
00:02:11et à gérer leur bien propre, c'est-à-dire la possibilité d'ouvrir un compte et de signer des chèques sans l'autorisation de leur mari.
00:02:19Il faut attendre 1967 pour que la loi autorise la contraception.
00:02:24Il faut attendre 1970 pour que la loi change et marque le passage de l'autorité paternelle à l'autorité parentale.
00:02:341973 pour que la femme puisse transmettre sa nationalité à son enfant légitime ou naturel.
00:02:401975, c'est l'instauration du divorce par consentement mutuel, l'obligation de la mixité scolaire,
00:02:48et donc l'autorisation de l'interruption volontaire de grossesse, même si en 1975, la période était une période de 5 ans.
00:02:56Il faudra attendre 1979 pour que le dispositif soit maintenu.
00:03:02Rappelons encore qu'il faut attendre 1982 pour que l'interruption volontaire de grossesse soit remboursée par la Sécurité sociale.
00:03:09Et il faut attendre 1990 pour qu'il y ait une autorisation de la pilule du lendemain, la pilule RU486.
00:03:19Et c'est l'occasion, à travers ces droits des femmes, de rappeler le courage de Simone Veil,
00:03:24qui devant l'Assemblée nationale, qui à l'époque n'était composée que de 1,7% de femmes,
00:03:31et je vous rappelle cette célèbre formule de Simone Veil,
00:03:34« Je voudrais tout d'abord vous faire partager une conviction de femme. Je m'excuse de le faire devant cette Assemblée presque exclusivement composée d'hommes.
00:03:41Aucune femme ne recourt de gaieté de cœur à l'avortement. Il suffit d'écouter les femmes.
00:03:46C'est toujours un drame et cela restera toujours un drame. »
00:03:49C'était les propos de Simone Veil. On connaît le courage qu'elle a eu de défendre cette loi
00:03:55et on connaît aussi tout un ensemble de propos qui ont pu être tenus par la plupart de ces mâles dominants de l'Assemblée nationale.
00:04:03Je ne citerai pas de noms, mais certains ont parlé d'avortoir, d'autres de jeter au four crématoire,
00:04:08d'autres encore de barbarie organisée et couverte par la loi comme elle le fut par les nazis,
00:04:13ou encore le choix d'un zénocide.
00:04:15Ah ! Aux remarques sexistes se sont ajoutées les remarques antisémites.
00:04:21N'oublions pas, encore une fois, en ces périodes retournables où l'on choisit toujours de nouveaux coupables des discriminations,
00:04:29les dangers de ce genre de propos. Nous sommes tous des minorités.
00:04:36Reste quelque chose de positif. Effectivement, cela a été aussi évoqué par le président du Conseil constitutionnel.
00:04:44C'est la constitutionnalisation de l'interruption volontaire de grossesse,
00:04:48même si je me permettrais de dire que c'est une constitutionnalisation de second rang,
00:04:52puisqu'elle consiste simplement à attribuer un nouveau titre de compétence au législateur
00:04:57et non pas à garantir véritablement un droit ou une liberté.
00:05:01Et, en tout état de cause, le législateur avait déjà la compétence pour régir les libertés,
00:05:06et notamment celle de recourir à une interruption volontaire de grossesse.
00:05:11Voilà pour le plan interruption volontaire de grossesse dans le sens commun.
00:05:15Du côté de l'interruption volontaire de grossesse dans le sens jurisprudentiel,
00:05:19deux remarques rapides, peut-être une première, et elle est importante,
00:05:23et ce sera sans doute évoquée par Mathilde, dans les délibérations.
00:05:27Dans les délibérations, et en particulier au regard de l'intervention du rapporteur Gauguel,
00:05:32alors peut-être qu'il était docteur à droit, ça sert quand même d'avoir des juristes au Conseil constitutionnel,
00:05:38il a d'emblée séparé la question juridique de la question morale.
00:05:44Et je pense que ça, c'est quelque chose d'extrêmement important dans la construction du Conseil constitutionnel,
00:05:49que d'avoir d'emblée dissocié les questions de morale, les questions d'ordre axiologique, des questions juridiques.
00:05:55Puisque Gauguel conclura en faveur de la non-contrariété à la Constitution,
00:06:01tout en invoquant précisément le fait que lui, à titre personnel, n'était pas favorable à l'interruption volontaire de grossesse.
00:06:09Je pense que c'est quelque chose qui est assez marquant dans l'histoire du Conseil constitutionnel,
00:06:13que de pouvoir dissocier les questions d'ordre juridique de celles plus axiologiques.
00:06:19Sur la jurisprudence IVG également, mais quelques remarques là aussi rapides,
00:06:25je pense que l'un des premiers apports de cette décision, c'est d'avoir créé les conditions d'un pouvoir juridictionnel.
00:06:34Créer les conditions de la mise en place d'un pouvoir juridictionnel dans la mesure où, avec cette décision,
00:06:40il existe un contrôle diffus de la régularité des lois, même s'il s'agit d'apprécier leur conventionnalité.
00:06:48C'est un contrôle diffus de contrôle de la régularité de la loi,
00:06:52et sans doute l'une des conditions de l'expression d'un véritable pouvoir juridictionnel.
00:06:58C'est aussi, de manière paradoxale, une décision qui permettra la question prioritaire de constitutionnalité.
00:07:04Puisque finalement, ce qui a permis de vendre la question prioritaire de constitutionnalité,
00:07:10enfin la question de constitutionnalité d'abord, pour qu'elle devienne précisément une question prioritaire,
00:07:14ça a été cette concurrence de la conventionnalité face à la constitutionnalité,
00:07:18et il est clair dans les débats du pouvoir de révision constitutionnel,
00:07:23que cet élément a été décisif, restaurer l'autorité de la constitution,
00:07:27parce que précisément, la conventionnalité était défendue par la plupart des juges.
00:07:32Donc, de manière assez paradoxale, la jurisprudence IVG, c'est aussi une condition politique en opportunité
00:07:39qui a permis l'institution d'une question préjudicielle de constitutionnalité.
00:07:43Et j'évoquerai une dernière question, qui a aussi été évoquée par le président du Conseil constitutionnel,
00:07:49c'est la question de la compétence résiduelle du Conseil constitutionnel pour contrôler la conventionnalité des lois.
00:07:56Alors on sait que cette compétence résiduelle existe pour les lois de transposition des directives,
00:08:00les lois de transposition des directives pouvant être contrôlées au regard des directives qu'elles transposent,
00:08:06ou pour les lois qui assurent l'application de règlements.
00:08:11On sait aussi, par ailleurs, que le Conseil constitutionnel défend le respect du champ d'application de l'article 55.
00:08:18Ce sont, en gros, les compétences résiduelles concentrées du Conseil constitutionnel.
00:08:23Il me semble qu'il pourrait aller plus loin dans cette compétence résiduelle,
00:08:29et il me semble que le droit de l'Union pourrait, par exemple, justifier un contrôle concentré de la conformité des lois au droit de l'Union.
00:08:39Mais ça, ce sera une discussion qui sera entamée par la suite.
00:08:43Donc je laisse immédiatement la parole à Mathilde, qui nous parlera donc de la délibération sur la décision du 15 janvier 1975.
00:08:52Merci Mathilde.
00:08:55Merci cher Xavier, Monsieur le Président du Conseil constitutionnel, Mesdames et Messieurs les membres du Conseil,
00:09:01chers collègues, Mesdames, Messieurs.
00:09:03Permettez-moi tout d'abord d'exprimer le plaisir que j'ai de retrouver ces murs.
00:09:08Il y a maintenant quelques années, dont je remercie les plus connaisseurs de ne pas dévoiler le nombre,
00:09:13j'ai eu la chance de travailler plusieurs mois au Conseil constitutionnel en tant que stagiaire.
00:09:17Alors si j'ai pu développer mes travaux sur les normes de concrétisation dans la jurisprudence du Conseil constitutionnel,
00:09:23j'ai aussi appris beaucoup au regard du fonctionnement de l'institution en rencontrant des personnes passionnées, dévouées et accueillantes.
00:09:30Certains sont encore ici aujourd'hui et je profite de ces quelques mots pour les remercier à nouveau.
00:09:36Merci donc au Conseil constitutionnel de nous recevoir aujourd'hui.
00:09:39Cela démontre que malgré nos possibles désaccords, au gré des décisions, des accords de fond,
00:09:44la doctrine peut faire entendre sa voix auprès des membres du Conseil.
00:09:48Mes derniers remerciements seront rapides mais surtout plus mitigés.
00:09:51Ils s'adressent aux organisateurs de ce colloque, c'est grâce à eux que je m'exprime devant vous aujourd'hui et je les en remercie.
00:09:58Mais sur quel sujet ?
00:10:00Il est vrai qu'ils me connaissent suffisamment pour savoir que j'aime éplucher les délibérations,
00:10:04jusqu'à la moindre petite phrase glissée par un membre,
00:10:08mais je dois avouer qu'à ma reconnaissance est associée une certaine dose d'angoisse.
00:10:12Que dire de nouveau sur cette délibération tant étudiée ?
00:10:16Les minutes qui vont suivre diront si j'ai parvenu à dire quelque chose d'autre que ce que tu as également relevé, Xavier.
00:10:22Alors, la semaine passée, alors que je discutais avec un médecin du programme de ma semaine à venir,
00:10:27j'abordais le colloque de ce jour, expliquant devoir intervenir sur la délibération des membres du Conseil relative à la décision IVG
00:10:35et sa première réaction, immédiate sur la suivante, qu'en pensait-il ?
00:10:39Quelle était l'opinion des membres sur l'IVG ?
00:10:43Et cela m'a paru intéressant, car cette remarque reflète une différence de réflexe.
00:10:48Pour les non-juristes, la première question soulevée lorsque l'on aborde la délibération,
00:10:53et plus largement la décision, c'est le point de vue des membres sur l'avortement.
00:10:57Et pour les juristes, la délibération est souvent en premier lieu abordée au regard du contrôle,
00:11:02ou plutôt de l'absence de contrôle de conventionnalité des lois.
00:11:06Pourtant, il est vrai que la délibération recèle, outre cette fondamentale question,
00:11:10d'autres aspects juridiques intéressants à relever.
00:11:13Comme l'a rappelé le président Fabius, cette délibération est le résultat de l'une des premières saisines parlementaires
00:11:19depuis la réforme permettant à 60 sénateurs ou 60 députés de saisir le Conseil.
00:11:24Elle vient non pas de l'opposition, mais de la majorité.
00:11:27Les membres ont délibéré sur deux jours, au complet, à savoir par ordre d'ancienneté au Conseil,
00:11:32Pierre Châtenet, Georges Léon Dubois, Jean Saint-Tenis, Paul Coste-Fleuret,
00:11:37François Gauguel, rapporteur, Henri Rey, René Brouillet, Roger Fray, président, et Gaston Monnerville.
00:11:44On notera que si tous ont pris la parole, Messieurs Saint-Tenis et Rey étaient un petit peu plus effacés.
00:11:50Dans l'ensemble, mon intervention sera concentrée davantage sur les discussions entre les membres
00:11:56que sur le rapport de François Gauguel, à quelques exceptions près.
00:12:01Par ailleurs, il n'est pas ici question d'ouvrir un débat de fond sur la conformité du texte à la Constitution
00:12:07à partir des arguments soulevés.
00:12:09Je vais développer six points, en revoir le plan en deux parties, deux sous-parties,
00:12:13qui me paraissent pertinents et avoir pour certains une résonance encore aujourd'hui.
00:12:17D'abord la question du contrôle de conventionnalité, il faut bien commencer par cela.
00:12:22Celle ensuite de la valeur juridique du Préambule de 58,
00:12:26puis la question des limites de la compétence du Conseil constitutionnel,
00:12:30avant d'aborder la question de la rédaction des décisions,
00:12:33celle de la réception des décisions du Conseil,
00:12:36et enfin la problématique du gouvernement des juges.
00:12:40Sur le contrôle de la conformité des lois aux traités, d'abord, deux points peuvent être abordés.
00:12:46Celui du contrôle stricto sensu, mais aussi celui d'un éventuel contrôle incident des traités à la Constitution.
00:12:54Sur le contrôle de la loi stricto sensu, au début de la délibération,
00:12:58le sujet tourne autour de la différence entre traité et Constitution,
00:13:02pour justifier que le Conseil ne contrôle pas la loi par rapport aux traités,
00:13:07car les traités n'ont pas la même valeur juridique que la Constitution.
00:13:11Selon François Gauguel, et je le cite,
00:13:14l'idée que cet article 55 signifierait qu'une loi contraire à un traité serait par la même une loi contraire à la Constitution,
00:13:21équivaudrait en somme à admettre que la Constitution puisse être modifiée ou complétée sans aucun recours,
00:13:27non seulement à une procédure de révision constitutionnelle, mais même à la simple procédure législative.
00:13:33Ainsi, pour le rapporteur, le Conseil ne peut contrôler la loi que par rapport à des normes de valeurs constitutionnelles,
00:13:40ce qui est un raisonnement tout à fait contestable, et plus encore, erroné.
00:13:44Agnès Roblot-Troisier le démontre dans sa thèse en traitant du contrôle médiatisé.
00:13:49On le sait, certaines normes sont des conditions de conformité à la Constitution,
00:13:53sans constituer pour autant des normes de valeurs constitutionnelles.
00:13:57En témoigne par exemple la LOLF, la loi organique sur les lois de finances,
00:14:01qui constitue une norme de référence du contrôle des lois de finances tout en ayant valeur organique.
00:14:06Dans un autre registre, le Conseil crée lui-même des normes qui sont des conditions de constitutionnalité,
00:14:12sans même constituer des normes de référence, ce sont les normes de concrétisation.
00:14:16Il le fera dans cette décision de 75, nous y reviendrons.
00:14:19Alors il est vrai que la délibération n'offre pas d'analyse très claire sur la question de la supériorité des traités
00:14:25par rapport aux lois dans le texte constitutionnel,
00:14:28et l'obligation constitutionnelle de respecter des traités qui pourraient justifier un tel contrôle.
00:14:33François Gauguel affirme que c'est au stade de l'application d'une loi,
00:14:36au cas par cas, que la question de la conformité aux traités doit se poser.
00:14:40Et donc il s'agit d'une compétence, je le cite, des autorités administratives et judiciaires.
00:14:45La question de la compétence des juridictions judiciaires est également abordée par Paul Coste-Fleuret,
00:14:50qui mentionne l'arrêt, à l'époque, de la Cour d'appel de Paris, de 1973, Jacques Vabre.
00:14:56Pierre Châtenay, quant à lui, insiste sur la finalité des articles 54 et 55,
00:15:01c'est-à-dire, respectivement, éviter les traités manifestement contraires à la Constitution
00:15:07et conforter la signature de la France dans les traités internationaux.
00:15:12Messieurs Monerville et Fray sont opposés aussi à un tel contrôle.
00:15:16A l'unanimité, ils votent contre le contrôle de la loi par rapport à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme.
00:15:23Cette position est ensuite rappelée, lors de la suite de la délibération, le 15 janvier, le deuxième jour, par le rapporteur,
00:15:29qui met en avant le caractère strict de la compétence de l'article 61,
00:15:33qui n'inclut pas un contrôle par rapport aux traités, mais aussi la relativité de la supériorité des traités sur les lois, relatifs et contingents.
00:15:41Deux remarques peuvent être faites à ce stade.
00:15:44D'abord, certains auteurs avancent que, n'ayant pas conscience de l'ampleur qu'allait prendre le droit communautaire à l'époque,
00:15:51le droit de l'Union européenne ainsi que le droit européen,
00:15:54les membres du Conseil n'ont pas considéré comme nécessaire d'effectuer ce contrôle.
00:15:59Toutefois, même s'ils en avaient eu conscience, auraient-ils décidé autrement ?
00:16:02Il est permis d'en douter.
00:16:04Outre les contraintes matérielles, tenant notamment au nombre de traités déjà mentionnés à l'époque,
00:16:09donc des contraintes matérielles dont on parle encore aujourd'hui à propos du travail du Conseil,
00:16:14les arguments semblent davantage des questions de principe que l'essor des droits européens n'efface pas.
00:16:20Ensuite, si le Conseil se garde d'opérer un tel contrôle, on rappellera qu'il ne s'empêche pas de juger
00:16:26en prenant en compte le droit européen et le droit de l'Union européenne.
00:16:29Les exemples sont légions, mais on peut ici en noter un,
00:16:32la transposition de l'exigence de motifs impérieux d'intérêt général pour justifier une validation législative,
00:16:38exigence adoptée par le Conseil en 2014, reprenant l'exigence de la Cour européenne des droits de l'homme.
00:16:44Pour en terminer, lors de mon intervention, mais il y en aura d'autres,
00:16:48sur la question du contrôle de la conventionnalité,
00:16:51il faut mentionner que les membres se sont interrogés sur la possibilité de contrôler incidemment
00:16:58la conformité des traités à la Constitution.
00:17:01Et donc, sur le contrôle incident du traité, il s'agit en fait d'une proposition de M. Dubois
00:17:07de contrôler la conformité du traité incidemment au contrôle du respect du traité par la loi,
00:17:13et ce dès le début de la discussion entre les membres à l'issue du rapport.
00:17:17François Gauguel se dit sensible à cette question et à cette occasion,
00:17:20il fait déjà du droit comparé, ce que feront certains de mes collègues cet après-midi,
00:17:24en évoquant les états signataires de la Convention européenne des droits de l'homme,
00:17:28ayant déjà adopté une législation sur l'IVG analogue à la législation adoptée en France.
00:17:34Après le vote unanime sur le refus de contrôler la loi par rapport à la Convention,
00:17:38il est toutefois proposé d'ajouter une incise dans la décision, je la cite,
00:17:41« pour autant que ce traité ou accord est lui-même conforme à la Constitution ».
00:17:48Cette proposition ne fait pas l'unanimité, M. Châtenay relevant que ça signifierait
00:17:52que le Conseil déclare la Convention conforme à la Constitution.
00:17:56Mais les arguments avancés relèvent surtout le risque d'un détournement de procédures
00:18:01que nous évoquerons dans un autre point, car il rejoint la question plus large
00:18:04de la limite des compétences du Conseil.
00:18:06M. Dubois demande donc à ce qu'il n'y ait pas de vote sur l'articulation de la compétence du Conseil
00:18:10entre les articles 54 et 61, car il pense, je le cite, avoir une majorité contre lui,
00:18:15honnête dans sa crainte.
00:18:17Une autre intervention développera largement ce point du contrôle incident,
00:18:22c'est la raison pour laquelle je m'arrêterai ici.
00:18:26Ensuite, sur la valeur juridique du préambule, c'est mon deuxième temps.
00:18:30Le rapporteur affirme n'avoir jamais douté de leur valeur juridique,
00:18:34alors lui qui faisait référence plus tôt dans son rapport aux travaux préparatoires
00:18:38de la Constitution de 58, il les occulte totalement pour afficher ici son point de vue,
00:18:42car on sait que les travaux étaient assez clairs sur cette question.
00:18:45Selon lui, je le cite, si le Conseil constitutionnel avait eu l'occasion
00:18:50de faire application du préambule avant juillet 1971, il l'aurait sans doute fait.
00:18:54On peut aussi douter de cette affirmation.
00:18:57Le plus intéressant, c'est Roger Frey, qui conteste, quant à lui,
00:19:01la valeur juridique du préambule dans cette délibération.
00:19:04Je le cite, on peut se demander si toutes les dispositions du préambule de 46
00:19:08ont valeur de droit positif absolu.
00:19:10Il pose alors la question de l'interprétation combinée des textes de 1789 et de 1946,
00:19:17et pense que 1946 ne peut pas s'interpréter à l'aune de 1789.
00:19:23Pour lui, je le cite à nouveau,
00:19:25les principes affirmés dans le préambule de 1946 et la déclaration de 1789
00:19:30ont une portée générale, mais non pas la valeur absolue de dispositions de droit positif,
00:19:34et n'excluent pas certaines dérogations qui pourraient leur être apportées
00:19:38pour la mise en œuvre d'autres dispositions de valeur constitutionnelle.
00:19:42Cette affirmation peut surprendre, même si elle fait état d'une idée
00:19:45aujourd'hui largement développée de la conciliation des droits.
00:19:49Le président du conseil de l'époque envisage une sorte de retour en arrière
00:19:53par rapport à l'acquis de 1971, et on pourrait avoir tendance à penser
00:19:57qu'une telle révolution constitutionnelle, comme elle a été qualifiée par certains auteurs,
00:20:01cherche à être renforcée systématiquement par une institution, une fois acquise.
00:20:06Et ce n'est pas automatique, il faut bien se garder de prendre pour acquis
00:20:09toute évolution jurisprudentielle, que l'on y soit ou non favorable,
00:20:12ce n'est pas la question.
00:20:14Toutefois, selon Paul Coste-Fleuret, le conseil ne peut revenir en arrière,
00:20:18il met alors en exergue la valeur du précédent.
00:20:21Il en va de même pour François Gauguel, qui précise que 1946 peut s'interpréter
00:20:26à la lumière de 1789, pour la simple et bonne raison que 1946,
00:20:30le texte de 1946, réaffirme les principes de 1789.
00:20:35La valeur juridique du préambule, qui n'est plus contestée aujourd'hui,
00:20:38a été réaffirmée notamment par la révision de 2008,
00:20:41pose toutefois une autre question, celle de la limitation des compétences du conseil,
00:20:45c'est mon troisième temps.
00:20:47Sur les limites aux compétences du conseil alors,
00:20:49trois points issus de la délibération méritent selon moi d'être abordés,
00:20:53la question du détournement de procédure, celle du pouvoir d'appréciation du conseil,
00:20:58ainsi que celle de la définition des principes fondamentaux reconnus
00:21:01par les lois de la République, que j'appellerais PFRLR,
00:21:04pour ne pas être coupé trop tôt par le président de séance.
00:21:07Premier point sur la question du détournement de procédure,
00:21:11à propos du contrôle incident des traités que j'abordais tout à l'heure,
00:21:14M. Frey craignait que le conseil ne s'arroche trop de pouvoir.
00:21:18M. Monnerville, quant à lui, ne voyait pas cette potentielle compétence
00:21:21comme s'exerçant dans le cadre d'une autosaisine,
00:21:24car le conseil serait saisi d'une question,
00:21:27et vérifierait à l'occasion de cette question la conformité du traité à cette occasion.
00:21:32M. Brouillet rejoignait alors M. Frey sur la question des attributions,
00:21:36en mettant en avant des précédents où le conseil, je le cite,
00:21:39a donné dans le passé l'impression qu'il pouvait aller au-delà de ces attributions,
00:21:43la possibilité de s'ouvrir une porte doit donc être examinée avec beaucoup de circonspections.
00:21:48Plus tard, après une pause méridionale,
00:21:51François Gauguel abordait directement la question du détournement de procédure,
00:21:54ajoutée à une certaine autosaisine du conseil s'il exerçait cette compétence.
00:21:59La réaction de M. Dubois à ce sujet mérite d'être citée in extenso.
00:22:04Il n'est pas question d'autosaisine, mais d'une interprétation du mot constitution.
00:22:08Dans le passé, le conseil a déjà commis un certain nombre de détournements de procédure,
00:22:12puisqu'à l'examen des textes par rapport à la constitution elle-même,
00:22:16il a ajouté le préambule de 1958, puis celui de 1946,
00:22:20puis la déclaration de 1789, puis les principes généraux du droit.
00:22:24Par conséquent, la solution procédée, proposée,
00:22:29s'inscrit selon lui dans la ligne déjà adoptée par le conseil.
00:22:33Ce n'est pas la question de l'adjonction du préambule aux normes de référence qui nous intéresse ici,
00:22:37elle a déjà été bien épuisée, mais le raisonnement de M. Dubois est à tout le moins surprenant.
00:22:43Non seulement il place l'autosaisine qui s'exercerait dans le cadre de l'exercice des compétences du conseil
00:22:48comme étant plus problématique qu'un détournement de pouvoir,
00:22:52mais plus encore il considère qu'un détournement de pouvoir peut constituer un précédent
00:22:56justifiant un autre détournement de pouvoir.
00:23:00En d'autres termes, autant le dire ainsi, ce serait du « nous n'avons pas respecté le cadre de nos compétences,
00:23:04continuons à ne pas le respecter ».
00:23:08Certains diraient que c'est la porte ouverte à toutes les fenêtres.
00:23:12M. Monnerville affirmait quant à lui que le conseil peut étendre ses attributions
00:23:16en interprétant celles qui lui sont données afin de répondre à une question nouvelle.
00:23:20Alors, sur ce point, l'histoire lui donnera raison, car par exemple, ce n'est qu'un exemple parmi d'autres,
00:23:24dans le cadre de la QPC et sur le fondement du nécessaire « effet utile »
00:23:28des décisions du conseil, ce dernier s'est donné la compétence
00:23:32de contrôler non plus la disposition législative contestée,
00:23:36mais l'interprétation constante qu'en font le Conseil d'État et la Cour de cassation.
00:23:40C'est la doctrine du droit vivant intégrée dans une nouvelle norme de concrétisation.
00:23:44Deuxième point sur la limitation des compétences du Conseil,
00:23:48sur le pouvoir d'appréciation par rapport à celui du Parlement.
00:23:52Le respect du Parlement apparaît dès le début du rapport de François Gauguel,
00:23:56qui rend hommage aux membres du Parlement qui ont voté la loi et qui, je le cite,
00:24:00« ont assumé cette responsabilité dans des conditions fort honorables
00:24:04à la fois pour eux et nos institutions ». Ce respect se traduit
00:24:08par le premier considérant de la décision bien connue, selon lequel l'article 61
00:24:12de la Constitution ne confère pas au Conseil un pouvoir général
00:24:16d'appréciation et de décision de même nature que celui du Parlement,
00:24:20mais lui donne seulement compétence pour se prononcer sur la conformité à la Constitution
00:24:24des lois déférées à son examen. C'est par cette décision que le Conseil crée
00:24:28cette norme de concrétisation découlant de l'article 61 de la Constitution
00:24:32qui sera, après la réforme de 2008, transposée à l'article 61-1
00:24:36dans le cadre de la QPC. Et on voit ici l'esquisse d'une politique
00:24:40jurisprudentielle de protection de la compétence du législateur,
00:24:44politique parfois menée également à travers le refus de reconnaître
00:24:48les PFRLR. C'est donc le troisième point, la définition
00:24:52des PFRLR. Alors selon le rapporteur, pour reconnaître un tel principe,
00:24:56il faut qu'il soit né sous une république et non repris
00:25:00par un régime républicain. Paul Coste-Fleuré, lui, n'est pas
00:25:04de cet avis et intègre les principes plus anciens que la République
00:25:08je le cite « a fait sienne ». M. Brouillet s'accorde
00:25:12avec M. Coste-Fleuré et c'est l'interprétation que retiendra à l'avenir le Conseil
00:25:16en témoigne par exemple le PFRLR sur le droit alsacien Mosellan issue de la décision
00:25:20Somodia de 2011. Alors au regard de la définition des principes,
00:25:24M. François Gauguel appelle à la prudence des membres, à trop en reconnaître
00:25:28le Conseil bloquerait toute évolution législative, je le cite
00:25:32à procéder autrement, on risquerait de bloquer complètement toutes les modifications législatives
00:25:36rendues nécessaires selon l'appréciation des chambres du Parlement
00:25:40dont c'est le rôle essentiel par l'évolution sociale.
00:25:44Cette affirmation peut être liée à une décision bien postérieure,
00:25:48celle de 1975, en 2013, alors qu'il était saisi de la loi
00:25:52ouvrant le mariage aux couples de même sexe.
00:25:56Le Conseil constitutionnel rappelle d'abord qu'il n'a pas un pouvoir d'appréciation
00:26:00de même nature que celui du Parlement pour rejeter ensuite l'existence d'un tel principe
00:26:04et pour ce faire il crée un nouveau critère, un nouveau critère de reconnaissance
00:26:08qui excluait le mariage entre un homme et une femme, je cite
00:26:12cette règle qui n'intéresse ni les droits et libertés fondamentaux, ni la souveraineté nationale
00:26:16ni l'organisation des pouvoirs publics ne peut constituer un PFRLR.
00:26:20Exemple topique, reprenant l'argument de François Gauguel
00:26:24de ne pas bloquer l'appréciation du Parlement concernant les évolutions sociales.
00:26:28Alors le 15 janvier, François Gauguel réaffirme l'absence de PFRLR
00:26:32alors que Paul Coste-Fleuré propose l'inverse, on peut le souligner
00:26:36il suggère de reconnaître un tel principe
00:26:40de respect de tout être humain dès le commencement de la vie, réaffirmé
00:26:44par l'article 1er de la loi déférée, tout en affirmant que la loi déroge
00:26:48au principe sans être contraire à la constitution. La décision ne reconnaît
00:26:52finalement pas clairement de principe fondamental, mais se contente
00:26:56d'affirmer que les dérogations au respect de la vie de tout être humain
00:27:00dès le commencement de la vie ne sont pas contraires à l'un des principes fondamentaux
00:27:04reconnus par les lois de la République.
00:27:08Quatrième temps, sur la rédaction de la décision à proprement parler.
00:27:12Alors c'est vrai que la rédaction des décisions du Conseil a fait et fera encore certainement
00:27:16couler beaucoup d'encre, notamment en ce qui concerne la motivation des décisions du Conseil
00:27:20et ce sujet est lié en partie seulement aux contraintes matérielles
00:27:24du Conseil. Déjà en 1975, François Gauguel aborde ces contraintes
00:27:28au sujet du contrôle des lois par rapport au traité. Ce serait une tâche
00:27:32extrêmement difficile à remplir, dit-il. Et la question de la rédaction
00:27:36des décisions est ensuite abordée par M. Châtenay, selon qui, pour une raison de méthode
00:27:40et d'éthique, la décision doit être concise. Pour lui, c'est le résultat d'un
00:27:44examen, mais il n'est pas d'une institution judiciaire et
00:27:48n'a donc pas à répondre à des moyens. Il examine la conformité d'un acte politique,
00:27:52la loi, à un texte politique, la Constitution.
00:27:56Ce vote concision est partagé par M. Brouillet, mais pour une autre
00:28:00raison, ne pas valoriser la loi en développant la conformité
00:28:04à la Constitution. Même position pour Roger Frey, cette fois-ci pour ne pas trop
00:28:08se lier pour l'avenir, en cas de loi élargissant la liberté d'avortement avec des conditions
00:28:12plus souples en termes de délai. Paul Coste-Fleuret, quant à lui, trouve que la décision
00:28:16ne doit pas être trop longue. Roger Frey s'interroge aussi sur
00:28:20l'opportunité de maintenir des titres de parti, et le rapporteur propose de les
00:28:24remplacer par en premier lieu, en second lieu. S'en suit une discussion sur les visas
00:28:28et un débat sur l'opportunité de mentionner tous les mémoires,
00:28:32y compris ceux en dehors de la saisine stricto sensu. Alors M. Coste-Fleuret
00:28:36était favorable à l'exhaustivité quand Pierre Châtenay y placait
00:28:40une opposition de principe pour ne pas viser les mémoires et les notes envoyées par Jean Foyer
00:28:44et éviter de glisser, je cite, vers les errements à forme juridictionnelle.
00:28:48On voit que la position des années 70 a aujourd'hui bien évolué.
00:28:52Raison pour laquelle il propose, vu les observations produites
00:28:56à l'appui de cette saisine, formule alors adoptée par les membres.
00:29:00A cet égard, on peut relever aussi que M. Dubois ne se souhaitait pas
00:29:04tenir compte de l'intention du législateur, car le Conseil n'était pas une juridiction.
00:29:08Justement, sur la réception des décisions
00:29:12par l'opinion publique, c'est mon avant-dernier temps,
00:29:16aujourd'hui, on le sait, les décisions du Conseil sont pour certaines
00:29:20très attendues. La décision sur la réforme des retraites en fut l'exemple exacerbé
00:29:24et nul doute que les membres du Conseil en ont aujourd'hui conscience.
00:29:28Mais si l'on aurait pu penser qu'il n'en avait pas toujours été ainsi,
00:29:32la délibération de 75, certainement spécifiquement en raison du sujet de fond,
00:29:36montre que le Conseil déjà n'était pas du tout indifférent à l'opinion publique.
00:29:40François Gauguel mettait en avant que l'opinion publique
00:29:44accepterait mal un raisonnement avancé par M. Dubois, raisonnement assez confus au passage.
00:29:48Selon M. Châtenet, en ce qui concerne l'opportunité de dire
00:29:52que l'avortement n'est pas obligatoire, la décision risque d'être mal comprise
00:29:56et à la limite d'être l'objet de plaisanteries. François Gauguel,
00:30:00plus tard dans la délibération, soulève la différence entre les juristes qui comprendront
00:30:04un raisonnement particulier et l'opinion publique qui risque, je cite,
00:30:08« d'éclater de rire ». L'opinion publique était aussi invoquée au regard de la compétence
00:30:12du Conseil. Encore une fois, sur le contrôle incident des traités,
00:30:16Roger Frey affirmait que si le Conseil adoptait la solution proposée,
00:30:20il s'engagerait dans une voie périlleuse car il n'a aucun droit en ce sens.
00:30:24Sa décision serait donc critiquée et critiquable. Il serait accusé d'aller au-delà
00:30:28des limites de sa compétence et de se rendre coupable d'un détournement de pouvoir
00:30:32qui serait nuisible à son autorité. On parlait déjà, dans les années 70,
00:30:36de l'autorité des décisions. Selon lui, alors que le Conseil
00:30:40vient de recevoir une nouvelle attribution, cela laisserait à penser qu'il veut encore
00:30:44l'élargir. M. Brouillet, quant à lui, considérait que l'extension
00:30:48des compétences mettrait le Conseil en porte-à-veau, même raisonnement,
00:30:52pour M. Châtenay si le Conseil se trouvait face à un traité non conforme à la Constitution
00:30:56et se devait de le déclarer. Nous l'avons vu, les membres du Conseil ont choisi
00:31:00la prudence en 1975, et cette prudence est également illustrée par l'absence
00:31:04d'un gouvernement des juges, ce sera, je vous le rassure, mon dernier point.
00:31:08Sur le gouvernement des juges, enfin,
00:31:12je cite « Si je suis convaincue que la loi qui nous a été
00:31:16déférée n'est pas contraire à la Constitution, et si j'incline à penser
00:31:20qu'il était opportun de l'adopter, elle ne signifie pas que, personnellement,
00:31:24je sois favorable à l'avortement. » C'est par ces mots que le rapporteur
00:31:28donne son point de vue sur le fond de la loi, en toute fin de rapport.
00:31:32S'en suivent deux pages d'explications de son point de vue personnel, sur les raisons
00:31:36de l'adoption de la loi, et sur son point de vue personnel sur cette dernière.
00:31:40Ce sujet est abordé à nouveau lors de la discussion entre les membres,
00:31:44après avoir tranché celle du contrôle de conventionnalité et du contrôle incédent
00:31:48des traités. Paul Coste-Fleuret considérait qu'il n'était pas possible de faire abstraction
00:31:52de ses pensées religieuses et philosophiques, et affirmait être opposé au texte,
00:31:56toutefois, il exprimait également son accord avec les conclusions du rapporteur
00:32:00sur la conformité du texte à la Constitution.
00:32:04Selon lui, tout comme selon M. Brouillet,
00:32:08le droit à la vie était un PFRLR, et
00:32:12il y avait en revanche un désaccord sur cette question du PFRLR.
00:32:16Mais aucun désaccord sur la conformité du texte.
00:32:20Si beaucoup d'entre eux soulevaient l'hypocrisie de la première phrase, selon eux,
00:32:24garantissant le respect de tout être humain dès le commencement de la vie,
00:32:28ils s'accordaient toutefois sur la conformité à la Constitution, M. Châtenet, M. Dubois,
00:32:32M. Saint-Denis, évoquant pour ce dernier des scrupules philosophiques tout en se résignant
00:32:36à la conformité. On peut ici noter que M. Brouillet
00:32:40s'interroge bien avant la QPC sur l'application de la loi et les problèmes que l'application
00:32:44peut poser, tout comme François Gauguel sur l'appréciation de l'état de nécessité
00:32:48ou la situation de détresse de la femme. Sur ce dernier point, et nous conclurons ainsi,
00:32:52cette délibération est un modèle. Exercer un gouvernement
00:32:56des juges consiste pour ces derniers à faire prévaloir leur propre
00:33:00conception, leur conception personnelle, qu'elle soit morale, philosophique,
00:33:04religieuse ou autre, au détriment des considérations d'ordre juridique.
00:33:08Un modèle à continuer de suivre afin de ne pas mettre en péril
00:33:12l'exercice et l'existence du contrôle de conformité des lois
00:33:16à la Constitution.
00:33:22Merci beaucoup Mathilde pour cette intervention. Je passe
00:33:26immédiatement la parole à Julien Janeney qui nous parlera de la réception
00:33:30doctrinale de la décision éligée. Merci Julien.
00:33:34Merci infiniment M. le Président. Je serai beaucoup plus rapide mais non moins sincère
00:33:38dans mes remerciements, évidemment adressés au trio des organisateurs
00:33:42ainsi qu'aux membres et aux services du Conseil Constitutionnel pour leur accueil
00:33:46toujours magnifique. Mathilde vient de confronter le Conseil
00:33:50Constitutionnel à un exercice de réminiscence institutionnelle.
00:33:54Je vais désormais m'attacher à faire de même mais pour ce
00:33:58qui concerne la doctrine. Si on évalue une grande décision
00:34:02à l'aune de sa capacité à stimuler l'intérêt doctrinal,
00:34:06à provoquer d'éventuelles oppositions, à provoquer des controverses,
00:34:10alors la décision IVG, à n'en point douter,
00:34:14mérite sa place au panthéon des très grandes décisions rendues
00:34:18en ce lieu. Je commencerai pour essayer de vous en convaincre
00:34:22par une observation d'ordre numérique. La décision
00:34:26Liberté d'association, rendue en 1971, 4 ans plus tôt,
00:34:30a suscité lors des 3 années qui l'ont suivie une dizaine
00:34:34d'articles ou de commentaires dans des revues juridiques.
00:34:384 ans plus tard, la décision IVG en provoque le double,
00:34:42sans compter les controverses cristallisées dans des revues
00:34:46destinées à un public plus large. Plusieurs facteurs permettent
00:34:50de le comprendre et de l'expliquer. Tout d'abord,
00:34:54l'intérêt doctrinal pour le Conseil constitutionnel va croissant
00:34:58jusqu'au milieu des années 1970.
00:35:02Il était resté ponctuel, au milieu des années 1970 il commence à se développer
00:35:06et évidemment il se développe véritablement à partir du début
00:35:10des années 1980. Par ailleurs, plus que d'autres,
00:35:14cette décision est susceptible d'intéresser un public large.
00:35:18Parmi les commentateurs de la décision, on compte
00:35:22évidemment des spécialistes de droit public interne, de droit constitutionnel,
00:35:26mais également des spécialistes de droit international public,
00:35:30des spécialistes de droit communautaire, un droit communautaire naissant
00:35:34qui commence désormais à avoir ses spécialistes, ainsi plus ponctuellement
00:35:38que certains professeurs de droit privé. Autre observation,
00:35:42c'est, on pourrait dire, la première saisine
00:35:46du Conseil constitutionnel d'initiatives parlementaires
00:35:50portant non pas sur une loi de finances mais sur un texte à propos duquel
00:35:54la saisine était évidemment susceptible de se poser ou de ne pas se poser.
00:35:58La saisine, le président Fabius l'a rappelé ce matin, était
00:36:02le fait de parlementaires du camp politique qui soutenaient par ailleurs
00:36:06le président et le gouvernement qui avaient porté cette loi.
00:36:10Et puis s'y joue, d'une manière décisive du point de vue
00:36:14de la hiérarchie des normes et des rapports de système, une question
00:36:18absolument épineuse dont on va parler pendant toute la journée.
00:36:22Ce qui ajoute évidemment, s'y ajoute évidemment, pardon,
00:36:26pour ce qui concerne les réactions dans la presse grand public,
00:36:30le débat qui porte sur le fond de la question, on l'a dit déjà,
00:36:34à savoir l'interruption volontaire de grossesse, loi qui marque
00:36:38d'un point de vue politique, sans doute celle qui marque le plus,
00:36:42les premiers mois de la présidence de Valéry Giscard d'Estaing.
00:36:46Nous sommes très attachés dans les facultés de droit à l'abaissement
00:36:50de la majorité, à la saisine parlementaire, mais enfin reconnaissons-le
00:36:54du point de vue de la longue durée de l'histoire et de la France,
00:36:58la loi IVG est sans doute la plus importante à ce moment.
00:37:02Ainsi se comprend l'impression d'inédit exprimée alors par Anne Guyenne
00:37:06de Paris, devenue Paris 2, jamais encore décision juridictionnelle
00:37:10n'a fait l'objet d'un nombre aussi important de commentaires.
00:37:14En regard de l'importance aujourd'hui reconnue à cette décision,
00:37:18ce chiffre ne choque pas, cette multitude
00:37:22de commentaires ne choque pas et il ignore en plus
00:37:26les très nombreux commentaires ultérieurs de cette décision.
00:37:30Ce qui m'intéresse ici, dans ce chapitre rétrospectif
00:37:34à titre liminaire, pour ce colloque, c'est d'étudier les réactions
00:37:38doctrinales immédiatement produites par cette décision
00:37:42dans l'année, l'année et demie, les deux années qui ont suivi
00:37:46la décision, ce que je vais expliquer tout de suite.
00:37:50Pour appréhender ces réactions dans de bonnes conditions, il convient tout d'abord
00:37:54de restituer le contexte dans lequel ces réactions ont été formulées.
00:37:58En prenant garde à ne pas commettre ce qui chez les historiens
00:38:02est un péché mortel, à savoir l'anachronisme ou le finalisme,
00:38:06l'idée selon laquelle on lirait les articles
00:38:10qui ont pu être écrits à l'époque, à l'aune de ce que l'on sait de la suite
00:38:14de l'histoire. Pour le dire plus simplement, si la reine Niccolo résulte indirectement
00:38:18de la décision IVG, il n'est pas contenu de façon certaine
00:38:22dans la décision IVG, il faut se garder de lire les écrits de l'époque
00:38:26à la lumière, par exemple, de 1989.
00:38:30Ce contexte, c'est d'abord un contexte politique. L'élection de Valéry Giscard d'Estaing,
00:38:34l'adoption, la préparation d'abord, puis l'adoption de cette
00:38:38loi Veil, principalement grâce à des parlementaires de gauche,
00:38:42les débats sur la signification de l'interruption volontaire
00:38:46de grossesse qui traverse la vie intellectuelle, qui traverse les conversations
00:38:50de certains foyers en France, l'existence évidemment de convictions
00:38:54morales, religieuses, très fortes, qui sont susceptibles de
00:38:58peser sur l'appréciation de la loi et de la manière dont
00:39:02elle a été accueillie par le Conseil constitutionnel. Et cette appréciation,
00:39:06ces appréciations-là, évidemment, elles sont susceptibles de toucher également les membres
00:39:10de la doctrine. Je cite très simplement l'un des auteurs, un docteur en droit
00:39:14et en sciences politiques qui ensuite a fait sa carrière en Tunisie, monsieur El Mokhtar Bey,
00:39:18qui estime que la loi, dès lors qu'elle ne reconnaît pas
00:39:22la nécessité d'obtenir l'accord du père, entre guillemets, du fœtus
00:39:26ou de l'embryon, est une loi qui
00:39:30méconnaît le droit ou la liberté du père. Par ailleurs, il estime que
00:39:34au nom de la morale universelle qui est liée à des principes religieux, le Conseil
00:39:38constitutionnel aurait dû, avait l'obligation morale sinon juridique
00:39:42de s'opposer à cette loi. Je ne reviendrai pas sur le détail
00:39:46des passions tout à fait fébriles qui se sont exprimées à l'occasion
00:39:50de la discussion de cette loi. Je citerai simplement une phrase qui m'a frappé
00:39:54du grand médecin prix Nobel de médecine, François Jacob à l'époque, qui
00:39:58écrit dans Le Monde le 25 septembre 1974 que l'essentiel
00:40:02lui semble être de ne pas faire que les opinions et convictions personnelles
00:40:06aient force de loi et qu'il faut que la loi passe au-dessus
00:40:10de la diversité des opinions susceptibles d'être éprouvées sur le sujet.
00:40:14S'y ajoute un contexte juridictionnel national.
00:40:18Il faut se rappeler ce qu'est le Conseil constitutionnel au mi-temps des années
00:40:2270, une institution qui pendant la décennie du
00:40:26général de Gaulle est restée pour le moins timide, que la démission de
00:40:30général de Gaulle a contribué sans doute indirectement à libérer, d'où
00:40:34la décision de 1971. Nous enseignons évidemment la décision
00:40:38du 16 juillet 71, nous enseignons la rupture de la loi
00:40:42constitutionnelle de 1974, mais l'erreur serait de croire
00:40:46que l'essor du contentieux constitutionnel se trouvait déjà inscrit dans ces deux moments.
00:40:50Il n'est qu'à regarder la première édition des grandes décisions du Conseil
00:40:54constitutionnel, préparée par Louis Favoreux et Loïc Philippe
00:40:58depuis la grande ville d'Aix-en-Provence, pour constater que ces grandes décisions
00:41:02en réalité ce sont quasiment les décisions, c'est-à-dire que le nombre de décisions
00:41:06à se mettre sous la dent pour la doctrine à l'époque n'est pas non plus suffisamment
00:41:10important pour que la distinction entre grandes, moyennes, toutes petites ou petites décisions
00:41:14soit si évidente. Il y a aussi un contexte juridictionnel
00:41:18international que l'on ne saurait oublier. On assiste alors au
00:41:22balbutiement des tensions entre ordres juridiques, appréhendées
00:41:26plus tard à travers le concept de rapports de système.
00:41:30Du côté des communautés européennes, quelques rappels, quelques grands arrêts ont certes déjà
00:41:34été rendus, Wangenen-Los en 63, Costa-Contrénal en 64
00:41:38et puis plus récemment, Nolde en mai 74 et
00:41:42Vanduinen en décembre 74. Ils n'ont pas encore suffi, on peut le reconnaître,
00:41:46à transformer en profondeur la culture juridique française.
00:41:50Quant à la Convention européenne des droits de l'homme, entrée en vigueur en
00:41:541953, ratifiée par la France en 74, le 3 mai
00:41:58sous la présidence d'Alain Poher, la deuxième, la décision
00:42:02et bien évidemment la CEDH est importante, mais c'est le tout début de ce que
00:42:06l'on peut appeler le droit de la convention. Enfin, il y a un contexte
00:42:10culturel, avec le recul
00:42:14au milieu des années 70 et là on est vraiment à ce point précis
00:42:18de la prééminence de la loi, qui était centrale
00:42:22dans la culture juridique française et le début d'un basculement
00:42:26qui conduit à considérer que c'est la protection des droits et libertés qui doit
00:42:30constituer le cœur du raisonnement des juristes.
00:42:34Le contexte doctrinal, c'est enfin un contexte
00:42:38qui est marqué par le fait que les commentateurs de décision du Conseil constitutionnel
00:42:42jusqu'alors étaient extrêmement limités. On a Léo Hamon
00:42:46qui pendant les années 60, de manière assez régulière, est le premier à avoir commenté des décisions
00:42:50du Conseil constitutionnel, mais les premières thèses sur le Conseil constitutionnel
00:42:54on peut citer Michel Prouset en 70, Claude Franck en 72
00:42:58Pierre Lemire en 1975, c'est une thèse importante mais elle n'est pas
00:43:02encore soutenue au moment de janvier 75, et c'est vraiment après
00:43:06à la suite de la décision IVG, et IVG a sans doute tenu un rôle
00:43:10important à cet égard, que commence à se déployer une véritable
00:43:14dogmatique juridique, des écrits doctrinaux nombreux, notamment
00:43:18en matière doctorale. Alors, la délimitation du sujet
00:43:22et j'ai conscience que mon introduction est un peu longue, mais c'est la vie
00:43:26il n'y a plus de différence entre l'introduction et le reste aujourd'hui
00:43:30c'est le fait que, évidemment, doctrine juridique
00:43:34j'entends en gros professeur de droit ou disons docteur en droit, avec des
00:43:38évolutions personnelles, on notera, puisque j'ai évoqué Louis Favoreux tout à l'heure, je vais le citer une deuxième fois
00:43:42le fait que Louis Favoreux semble avoir un peu changé d'avis, puisque dans un texte
00:43:46donné quelques semaines plus tôt dans les mélanges Eisenman, publié en 75
00:43:50mais vraisemblablement texte écrit avant la décision IVG
00:43:54il cite les traités et accords parmi les normes de référence du contrôle
00:43:58de constitutionnalité des lois, et puis juste après, dans son commentaire
00:44:02à la RDP, il dit que le Conseil constitutionnel a très bien fait de ne pas reconnaître
00:44:06les traités parmi les normes de référence du contrôle, je ne sais pas ce qui a pu intervenir entre temps
00:44:10peut-être une décision du Conseil constitutionnel, peut-être une affection particulière
00:44:14pour cette institution. Par ailleurs, la question se pose des médias
00:44:18qui sont utilisés, évidemment il y a les revues juridiques, mais il y a aussi
00:44:22les médias grand public, et puis, rapidement, la question
00:44:26il faut justifier quand même ce choix de délimitation temporelle
00:44:30alors quel est le point de départ de mon étude ? On pourrait se dire que c'est
00:44:34naturellement le 15 janvier 1975, je pense qu'il faut paradoxalement remonter un peu plus tôt
00:44:38dans la mesure où les écrits échangés notamment dans la presse
00:44:42grand public pendant les semaines qui ont précédé la décision font partie
00:44:46créent un contexte doctrinal dans lequel s'inscrit la décision elle-même et mérite
00:44:50à cet égard la qualification de réception doctrinale de cette
00:44:54décision de manière paradoxale, et puis évidemment il y a la question de la fin
00:44:58où est-ce qu'on s'arrête ? Je vous ai dit que j'allais m'arrêter deux ans après la décision
00:45:02en gros, il me semble que cela se justifie par le fait que
00:45:06la décision, l'arrêt Jacques Vabre de la cour de cassation est rendue dès
00:45:10le 24 mai, chambre mixte de la cour de cassation
00:45:141975, donc très rapidement après, vous le savez tous, le conseil constitutionnel
00:45:18attend 14 ans pour s'aligner sur la solution de la cour de cassation
00:45:22mais si bien que les tout premiers
00:45:26commentaires de la décision n'ont pas encore, ils ont l'arrêt de cour d'appel
00:45:30mais la certitude que la cour de cassation va tirer les conséquences de la décision IVG
00:45:34et que ensuite la question change de nature à partir
00:45:38de la fin des années 80, on aurait pu s'arrêter à la fin
00:45:42des années 80, Niccolo, au milieu des années 90, prenons en compte Maastricht
00:45:46à la fin des années 90 avec Saran et Fresse évidemment, au milieu des
00:45:50années 2000 avec les décisions, loi pour la confiance sur l'économie numérique
00:45:54loi relative au droit d'auteur en 2006
00:45:58on aurait pu s'arrêter enfin au milieu des années 2010 avec la décision mariage incestueux
00:46:02de la cour de cassation et l'arrêt Gonzalès-Gomez du conseil d'état
00:46:06qui tous ont contribué, sont les petits enfants indirects si j'ose dire
00:46:10de la décision IVG. On se rend compte
00:46:14en plongeant dans ces différents écrits doctrinaux immédiats
00:46:18à la suite de la décision, en faisant une sorte de carottage doctrinal, que tout d'abord
00:46:22il y a des styles extrêmement différents sous la plume de ces auteurs
00:46:26la plume est particulièrement enlevée dans certaines tribunes
00:46:30destinées au grand public, notamment publiées dans les colonnes du journal
00:46:34Le Monde, je pense aux écrits, aux nombreux articles, ils ont écrit
00:46:38plusieurs articles de Roger Gérard Schwarzenberg, de Jean Foyer
00:46:42ainsi que dans des écrits plus spécialisés, on connaît traditionnellement
00:46:46la plume de Jean Riveraud, qui écrit extrêmement bien et c'est toujours un plaisir de le lire
00:46:50et en l'occurrence il écrit sur cette décision, s'y ajoutent
00:46:54des auteurs alors plus jeunes et notamment Alain Pellet, professeur de droit international
00:46:58qui donne un commentaire particulièrement bien écrit, je dois reconnaître
00:47:02de cette décision, qui m'a fait plaisir de lire
00:47:06Il y a l'impression aussi que les controverses
00:47:10juridiques finalement sont assez rares, avec le recul sous la Vème République de ce type-là
00:47:14On pourrait citer la controverse sur le recours à l'article 11 pour
00:47:18réviser la Constitution, en 62 puis en 69, on pourrait citer la querelle
00:47:22des ordonnances fameuses qui avaient été mises en perspective notamment par Michel Trauper
00:47:26celle de 1986, on pourrait citer sans doute les oppositions
00:47:30doctrinales entre professeurs de droit au moment de l'adoption de la loi Taubira
00:47:34de 2013, mais finalement, et puis j'imagine qu'on peut en citer quelques autres, mais les moments
00:47:38vraiment d'opposition doctrinale dans les colonnes de la presse grand public
00:47:42sont finalement assez rares sous la Vème République
00:47:46En définitive, une plongée dans les écrits consacrés
00:47:50à la décision IVG invite à s'interroger sur la manière dont la doctrine
00:47:54contribue à une forme de stratification jurisprudentielle
00:47:58qui conduit à légitimer la décision, à dessiner le cadre intellectuel
00:48:02dans lequel elle sera appréhendée à l'avenir. Alors je commencerai
00:48:06par évoquer dans une perspective dynamique
00:48:10les échanges dans les colonnes du journal Le Monde, tout simplement parce que ça permet bien de voir
00:48:14à quel point les professeurs de droit peuvent se répondre dans des textes courts
00:48:18à destination du grand public dans le contexte qui est celui de la décision IVG
00:48:22au sens large. Première tribune, le 23 décembre, donc avant le 15 janvier
00:48:261974, Jacques Robert qui défend, qui sera ensuite
00:48:30membre de cette maison, qui défend alors la compétence du Conseil Constitutionnel
00:48:34en écrivant une loi contraire au traité et contraire à l'article 55
00:48:38de la Constitution, tout en défendant la compatibilité de la loi déferrée
00:48:42avec l'article 2 de la Convention Européenne des Droits de l'Homme
00:48:46Jean Foyer, deux jours plus tard, lui répond, Jean Foyer il est au coeur
00:48:50de ce dont on parle ici puisque vous connaissez l'homme, vous connaissez le grand professeur de droit privé
00:48:54vous connaissez le garde des Sceaux, à l'époque député, c'est le
00:48:58premier signataire de la saisine du Conseil Constitutionnel dans cette affaire
00:49:02et on peut considérer assez probablement que c'est lui qui a tenu la plume
00:49:06en tout cas qu'il a trouvé certains des arguments juridiques, notamment l'incompatibilité
00:49:10avec l'article 2 de la CEDH dans des conditions qu'il développe
00:49:14dès ses écrits dans le journal Le Monde, il défend lui aussi
00:49:18la compétence du Conseil Constitutionnel mais à l'inverse évidemment l'inconstitutionnalité
00:49:22de la loi, il est notable que lorsqu'il était garde des Sceaux en 1964
00:49:26il s'était opposé à l'époque à la ratification de la Convention
00:49:30Européenne des Droits de l'Homme par la France et
00:49:34il révèle dans son article le fait qu'il est
00:49:38personnellement très opposé à l'IVG, la loi française peut-elle reconnaître à la maire
00:49:42le droit discrétionnaire de faire donner la mort impunément à l'enfant qu'elle a conçu
00:49:46jamais sans doute notre Conseil Constitutionnel n'aura-t-il à décider d'une question
00:49:50d'une si grande portée morale et juridique. S'y ajoute un avocat
00:49:54qui défend l'idée qui n'est pas sans intérêt selon laquelle
00:49:58à partir du moment où d'autres états européens qui sont partis à la Convention
00:50:02Européenne des Droits de l'Homme ont adopté des lois ouvrant la possibilité
00:50:06pour les femmes de recourir à une interruption volontaire de grossesse, il n'y a pas lieu de considérer
00:50:10que la France serait une sorte de pays tout seul en Europe qui, elle,
00:50:14devrait considérer que l'IVG est contraire à l'article 2 de la CEDH.
00:50:18S'y ajoute un argument de Roger Gérard Schwarzenberg le 9 janvier
00:50:221975, donc toujours avant la décision, qui lui défend la thèse
00:50:26selon laquelle la loi serait une loi de liberté, liberté pour les
00:50:30femmes, liberté pour les médecins qui peuvent choisir ou non de pratiquer une IVG, mais également
00:50:34plus intéressant, plus original, une loi de laïcité. Sa thèse est la suivante
00:50:38il y aurait un principe fondamental reconnu par les lois de la République
00:50:42de laïcité de manière générale et en vertu de ce dernier, le
00:50:46Conseil Constitutionnel devrait s'opposer aux parlementaires qui se fondent
00:50:50sur leurs convictions religieuses dans l'exercice de leurs fonctions parlementaires
00:50:54pour demander au Conseil Constitutionnel de bloquer cette loi.
00:50:58Jean Foyer répond à Schwarzenberg, il moque une tendance des
00:51:02juristes de gauche à avoir célébré la décision de 1971 au nom de la liberté
00:51:06pour essayer de convaincre aujourd'hui de ne pas censurer la loi de 1975
00:51:10et enfin le 18 janvier, donc trois jours après la décision, Schwarzenberg répond à Foyer
00:51:14qui répondait à Schwarzenberg pour dire en gros, j'avais raison, j'ai gagné.
00:51:18Alors cette controverse, elle révèle
00:51:22le fait que différents auteurs ont pu essayer avant
00:51:26la lecture de la décision de peser sur le cours des délibérations.
00:51:30Alors en l'occurrence, je ne sais pas si tu as noté Mathilde des remarques à cet égard, j'avais en étudiant
00:51:34les délibérations sur la loi de nationalisation en 82, il est frappant de constater que plusieurs
00:51:38membres du Conseil Constitutionnel, peut-être que vous le dites encore aujourd'hui, ont tendance
00:51:42parfois à râler un petit peu lorsque des professeurs de droit prennent la plume dans la presse
00:51:46grand public en se disant, écoutez franchement, si c'est pour peser sur notre
00:51:50décision, ça n'arrivera pas, nous allons résister.
00:51:54Sur le fond, et rapidement,
00:51:58quelle est la cartographie argumentative que l'on peut dresser, que l'on peut présenter
00:52:02à propos des différents arguments que l'on trouve dans ces articles de doctrine.
00:52:06Et là, je quitte les colonnes du journal Le Monde pour arriver
00:52:10aux revues juridiques beaucoup plus sérieuses.
00:52:14Tout d'abord, un certain nombre d'arguments tentent à expliquer et à légitimer la décision
00:52:18de 1975. Certains essayent
00:52:22d'expliquer, on n'a pas accès évidemment aux délibérations, le raisonnement qui a pu être celui
00:52:26des membres du Conseil Constitutionnel. Jean Riverault avait
00:52:30en 1971, après la décision du 16 juillet,
00:52:34incité le Conseil Constitutionnel à la prudence au nom de l'idée suivante
00:52:38vous venez de faire quelque chose d'extrêmement audacieux, faites attention à ne pas aller
00:52:42trop vite et pendant les années qui viennent, calme. Faites en sorte
00:52:46qu'il n'y ait pas de retour de bâton, que l'opinion publique ne considère pas que cette
00:52:50accusation de gouvernement des juges si facilement brandie mérite de vous être
00:52:54attachés. En 1975, il reconnaît à cet égard que
00:52:58il n'était pas mauvais sans doute pour le Conseil Constitutionnel de ne pas de nouveau
00:53:02faire une interprétation qui pourrait être perçue comme large de sa propre
00:53:06compétence. La deuxième idée importante mise en avance
00:53:10par Alain Pellet en l'occurrence, c'est l'idée selon laquelle les membres du Conseil
00:53:14Constitutionnel, on peut en faire l'hypothèse, ont sans doute une conscience des conditions
00:53:18de fonctionnement très concrètes de leur institution et si
00:53:22demain ils devaient opérer un contrôle de conventionnalité dans les délais très serrés
00:53:26qui sont les leurs, eh bien on peut considérer que ces neuf membres qui, malgré
00:53:30un régime assez sévère d'incompatibilité, sont souvent très occupés par ailleurs, à l'époque
00:53:34ça n'est pas une fonction entièrement à plein temps, auraient pu, ils se demandent
00:53:38s'ils pourraient matériellement contrôler la conventionnalité des lois en regard
00:53:42d'une grande diversité de traités et conventions internationales.
00:53:46Troisième élément, la légitimation. Jacques Robert estime que
00:53:50la critique des décisions du Conseil Constitutionnel n'est pas cohérente, que l'on ne peut pas à la fois
00:53:54considérer que lorsque le Conseil Constitutionnel rend des décisions
00:53:58en matière d'organisation des compétences de l'Etat
00:54:02il n'est pas assez courageux pour considérer que, à propos
00:54:06de l'IVG, il lui faudrait aller beaucoup plus loin. Autre ensemble
00:54:10d'arguments, des arguments critiques. Critiques de la décision elle-même tout d'abord
00:54:14alors il y a des critiques qui tiennent déjà à la motivation
00:54:18jugée un peu frustre de la décision. Jean-Rivérault estime qu'il y a
00:54:22quand même eu un petit progrès depuis 71. La démarche est un peu moins impérieuse
00:54:26qu'en 71. Par ailleurs, sur le fond
00:54:30certains auteurs critiquent l'incohérence du Conseil Constitutionnel
00:54:34en termes de constitutionnalité par renvoi. Tu en parlais quelques années
00:54:38à peine avant la thèse d'Agnès Roblot-Troisier. Certains auteurs
00:54:42notamment Léo Hamon jugent incohérent de défendre l'idée selon laquelle
00:54:46par renvoi le préambule de 1946 ferait partie des normes de référence
00:54:50du contrôle de constitutionnalité des lois alors que par renvoi les traités
00:54:54ne font pas partie de ces normes de référence au titre de l'article
00:54:581955. Autre élément
00:55:02et ça c'est quelque chose qui est noté par la doctrine et qui est une critique
00:55:06qui est tout à fait valable à propos de la décision de 75, c'est l'idée consistant à dire
00:55:10le Conseil Constitutionnel décide dans sa motivation de mettre en avant l'idée selon laquelle
00:55:14la réserve de réciprocité de l'article 55 fait obstacle à ce que
00:55:18l'on puisse dans de bonnes conditions dans un délai d'un mois vérifier si l'autre partie
00:55:22à un traité remplit sa part du deal. Et bien la critique
00:55:26qui est formulée c'est l'idée consistant à dire en l'occurrence il s'agissait de la CEDH
00:55:30traité multilatéral et tous les internationalistes de l'époque
00:55:34sont tombés d'accord assez rapidement après 58 sur le fait que
00:55:38la réserve de réciprocité ne pouvait pas d'un point de vue en termes de cohérence
00:55:42s'appliquer à des conventions multilatérales. Alors a fortiori en matière de droit de l'homme
00:55:46lorsque comme la CEDH on fonctionne de manière sans doute différente d'autres
00:55:50conventions. Mais cette critique là elle est adressée au Conseil Constitutionnel et à mon avis elle porte.
00:55:54D'autres critiques, et je termine bientôt Monsieur le Président, portent
00:55:58sur les effets de la décision.
00:56:02Jean Riverault estime que c'est dommage de ne pas avoir négligé
00:56:06que c'est dommage d'avoir négligé la CEDH dans la mesure où
00:56:10en gros sa thèse est la suivante, les préambules de 46 et
00:56:14la déclaration de 89 sont des textes
00:56:18qui contiennent des catégories juridiques extrêmement vagues
00:56:22or la CEDH est sans doute plus précise à cet égard et donc les membres du Conseil Constitutionnel
00:56:26disposeraient avec la CEDH d'un texte beaucoup plus maniable
00:56:30qu'avec ces deux textes auxquels ils sont réduits du fait de cette décision.
00:56:34Par ailleurs l'autre
00:56:38élément c'est le fait qu'il aurait été utile de préserver
00:56:42l'effet utile de l'article 55 et donc de permettre à quelqu'un en France
00:56:46de garantir la supériorité des traités sur les lois sur certaines conditions.
00:56:50Alors certes il y a eu la décision de la Cour de cassation
00:56:54peu de temps après mais du côté du Conseil d'Etat comme vous le savez il faut attendre encore longtemps
00:56:58et certains auteurs en doctrine disent que la grande difficulté de cette décision du Conseil
00:57:02Constitutionnel c'est que tant que tous les juges judiciaires et administratifs
00:57:06n'accepteront pas de contrôler la conventionnalité des lois et bien cet article
00:57:1055 est privé d'effet utile. En définitive
00:57:14et je termine sur une contribution un peu trop longue
00:57:18ce que démontrent les écrits
00:57:22doctrinaux de ces auteurs c'est tout d'abord le fait que le travail est extrêmement
00:57:26sérieux c'est à dire qu'à la rencontre de ces différents commentaires on se dit que la décision
00:57:30a été très bien analysée, très bien mise en perspective, que l'on voit déjà
00:57:34apparaître des lignes de force qui ensuite rétrospectivement, et là je vais faire de l'anachronisme
00:57:38sont concrétisées dans les décisions ultérieures. Par ailleurs
00:57:42on a l'impression que les auteurs se lisent les uns les autres, parfois se reprennent un peu, il y a une forme
00:57:46de palimpseste, on gratte ce qu'a écrit quelqu'un d'autre et puis on y ajoute quelque chose
00:57:50et enfin on note que certains auteurs sortent du lot, nous sommes
00:57:54donc condamnés lorsque nous écrivons des écrits à doctrinaux
00:57:58à nous soumettre au jugement de l'histoire. Je vous remercie.
00:58:02Applaudissements
00:58:06Merci beaucoup cher Julien, alors nous avons
00:58:10un peu de temps pour ouvrir une discussion avec la salle, alors juste
00:58:14quelques petites, je commence par réagir, alors sur
00:58:18la position de Louis Favoureux, évidemment qu'avant la décision du 15 janvier
00:58:221975 il ne pouvait pas savoir que le conseil conventionnel se déclarait incompétent
00:58:26et précisément la question se posait, puisque à partir du moment
00:58:30où c'est la constitution qui pose le principe de primauté, toute sanction
00:58:34de l'inconventionnalité est une sanction de la constitution, et
00:58:38toutes les juridictions ordinaires ne faisaient qu'appliquer le principe
00:58:42l'ex posterior deroga de priori, parce qu'ils pensaient que
00:58:46pour les lois postérieures c'était la compétence du conseil conventionnel, donc ils ne pouvaient pas évidemment
00:58:50savoir ce qu'il en serait, et d'ailleurs c'est bien le problème de la
00:58:54motivation de la jurisprudence du conseil constitutionnel, qui d'ailleurs
00:58:58a été unanimement critiqué, la motivation, la justification
00:59:02de l'incompétence, et d'ailleurs jamais plus le conseil constitutionnel
00:59:06n'aura réitéré cette motivation, et pour le coup
00:59:10il me semble que la doctrine était en tout cas unanime sur le fait que
00:59:14la motivation était discutable, et d'ailleurs plus jamais
00:59:18le conseil conventionnel, ça fait partie sans doute des fois où le conseil
00:59:22conventionnel écoute la doctrine, plus jamais il ne réitérera cette
00:59:26justification, et la difficulté me semble-t-il de la jurisprudence
00:59:30IVG, c'est cette logique d'une constitutionnalité directe, constitutionnalité
00:59:34indirecte, je censure tous les cas de constitutionnalité
00:59:38indirecte, mais pas les cas d'unconstitutionnalité indirecte
00:59:42l'article 55 étant une hypothèse d'unconstitutionnalité indirecte
00:59:46Donc peut-être Bruno Genevois, et oui,
00:59:50c'est un plaisir monsieur le président que de vous entendre en premier
00:59:54toujours lors de nos échanges
00:59:58Alors peut-être un micro, oui, merci
01:00:04Je commencerai par dire que j'étais
01:00:08très intéressé par tout ce qui s'est dit, et
01:00:12je commencerai par votre conclusion, la distinction
01:00:16entre constitutionnalité directe et constitutionnalité
01:00:20indirecte, c'est là qu'est toute la difficulté
01:00:24Alors cette formule se retrouve
01:00:28dans le célèbre article de Kelsen
01:00:32à la revue de droit public de 1928
01:00:36sur la garantie juridictionnelle de la constitution
01:00:40où il dit que la loi contraire
01:00:44à un traité est tout au moins
01:00:48de façon indirecte contraire à la constitution
01:00:52Et il va falloir au niveau des diverses
01:00:56juridictions, le conseil constitutionnel, le conseil d'état, la cour de cassation
01:01:00savoir comment résoudre cet aspect
01:01:04Est-ce qu'il faut pencher du côté de la constitutionnalité
01:01:08ou dire non, si c'est indirect ça pose
01:01:12un problème différent. Alors pour me
01:01:16rattacher aux remarques de madame la professeure
01:01:20Edsman-Patin qui avait à rendre compte d'une décision
01:01:24très riche, incontestablement, je me bordonnerai
01:01:28à deux séries d'observations. La première
01:01:32c'est pour indiquer que si dès le premier considérant
01:01:36le conseil constitutionnel dit qu'il ne dispose pas
01:01:40du même pouvoir d'appréciation que le Parlement
01:01:44c'est pas seulement
01:01:48une réaction de prudence ou de rassurer l'opinion
01:01:52suite à l'extension du mode de saisine résultant de la loi constitutionnelle
01:01:56du 29 octobre 1974, c'est aussi
01:02:00parce que, au fond de lui-même, ses membres
01:02:04sont très divisés face à la loi.
01:02:08Et ça paraît tout au long de la discussion.
01:02:12Grosso modo, il y a entre un tiers et un quart des débats
01:02:16qui porte sur la question, est-ce que les traités
01:02:20doivent figurer dans les normes de référence, et puis les deux tiers
01:02:24ou l'essentiel, c'est comment
01:02:28tout à la fois laisser passer cette loi
01:02:32mais en encadrant quand même ses conditions d'application
01:02:36et chose qui ne trompe pas,
01:02:40en fin de délibéré, le président Frey dit
01:02:44est-ce que je mets aux voix, c'était sur la question de fond
01:02:48conformité au préambule de 46, Coste-Fleuret lui dit
01:02:52ce n'est pas nécessaire monsieur le président
01:02:56et la décision est adoptée, René Brouillet
01:03:00dit tout de même je suis contre, René Brouillet qui était
01:03:04un catholique pratiquement haut fonctionnaire,
01:03:08ambassadeur du Saint-Siège pendant de nombreuses années, qui était très
01:03:12attaché à ses idées, d'ailleurs ultérieurement il avait posé un problème
01:03:16au conseil constitutionnel dans une décision dont il était rapporteur
01:03:20dont il ne partageait pas la solution
01:03:24il n'avait pas, comme il est d'usage, signé la décision
01:03:28alors on a voulu dire mais vous savez la signature ça ne veut pas dire que vous l'approuvez
01:03:32vous l'authentifiez parce que vous êtes un juge
01:03:36donc considérant sur
01:03:40l'autolimitation il est accru par
01:03:44cette idée que cette loi, il y a certains qui disent
01:03:48je voterai, déchirer, Pierre Chateney, quand on relit tout ça
01:03:52c'est extrêmement sensible. Alors le deuxième aspect
01:03:56c'est celui qui concerne
01:04:00la place des traités comme normes de référence
01:04:04et François Gauguel fait une démonstration en 3 points
01:04:08qui rétrospectivement
01:04:12apparaissent un tout petit peu
01:04:16discutables dans le détail à 2 égards
01:04:20alors il pose 3 questions
01:04:24première question, quelles sont les lois
01:04:28qui seraient visées par l'application de l'article 55
01:04:32alors il dit c'est les lois antérieures
01:04:36aux traités et c'est également
01:04:40les lois postérieures et sur ce point il dit
01:04:44je m'inscris contre la jurisprudence du Conseil d'Etat
01:04:48résultant d'un arrêt de section du 1er mars 1968
01:04:52syndicat général des fabricants de ce moule de France
01:04:56et il ne dit pas, il n'indique pas
01:05:00que la position du Conseil d'Etat consistant
01:05:04à faire prévaloir la loi postérieure sur le traité
01:05:08résulte de ce que le Conseil d'Etat
01:05:12considère que c'est un contrôle de constitutionnalité
01:05:16constitutionnalité indirecte et la justification
01:05:20elle est dans les conclusions de Nicole Questiaux
01:05:24il ne vous appartient pas de votre propre autorité
01:05:28de modifier votre place dans les institutions
01:05:32or depuis un arrêt de 1936 à Riguy
01:05:36et du même jour d'Amcoudère le Conseil d'Etat dit
01:05:40en l'état actuel du droit public je ne contrôle pas
01:05:44la constitutionnalité de la loi et j'étais depuis
01:05:48quelques mois au Conseil d'Etat, j'assistais aux délibérés
01:05:52j'avais été frappé par le fait que deux membres de la formation de jugement
01:05:56avaient rappelé leur souvenir de l'arrêt à Riguy
01:06:00tout ce qui est antérieur à votre propre naissance
01:06:04paraît extrêmement éloigné dans le temps
01:06:08c'est le premier point de la démonstration de Goguel
01:06:12qui ne met pas en évidence quand même
01:06:16l'aspect constitutionnalité indirecte
01:06:20le deuxième point, quels sont les traités ?
01:06:24il dit quelque chose de très juste, c'est les traités
01:06:28c'est aussi des accords en forme simplifiée et il ajoute
01:06:32et ça n'est pas neutre compte tenu de la composition du Conseil constitutionnel
01:06:36où siègent trois membres nommés par le Sénat
01:06:40il dit mais le traité peut être introduit
01:06:44sans vote conforme du Sénat
01:06:48l'Assemblée nationale ayant
01:06:52priorité en dernière lecture
01:06:56et alors qu'une révision de la Constitution
01:07:00en vertu de l'article 89, il faut l'accord du Sénat
01:07:04nul doute que cette allusion n'était pas neutre
01:07:08au regard des trois membres du Conseil constitutionnel
01:07:12nommés par le président du Sénat, y compris
01:07:16l'ancien président du Sénat qui était devenu membre
01:07:20alors c'est ça le deuxième point de l'analyse
01:07:24le troisième point de l'analyse de Goguel, c'est là où il développe l'idée
01:07:28la clause de réciprocité
01:07:32le caractère relatif et contingent
01:07:36on a su à l'époque, parce qu'au Conseil d'État
01:07:40les affaires portées devant le Conseil constitutionnel
01:07:44étaient suivies par un jeune collègue auquel le secrétariat général
01:07:48du gouvernement demandait de rédiger un mémoire
01:07:52et Christian Schrick, maître des requêtes
01:07:56on interviewait un peu
01:08:00comment se présentait cette affaire, pourquoi cette décision
01:08:04il nous avait dit, Goguel, le rapporteur François Goguel
01:08:08a longuement eu un long entretien
01:08:12avec Guy Blacharrière, un diplomate qui était directeur
01:08:16des affaires juridiques du ministère des Affaires étrangères
01:08:20à l'époque, le ministère des Affaires étrangères défendait bien entendu
01:08:24les conventions internationales, mais avec beaucoup de prudence
01:08:28pour l'insertion de la convention européenne des droits de l'homme
01:08:32dans notre ordre juridique, il avait multiplié, à juste titre d'ailleurs
01:08:36les réserves de déclarations interprétatives
01:08:40voilà ce que je puis dire en complément de tout ce qui a été dit
01:08:44par madame Mathilde Toitain sur
01:08:48la décision proprement dite. Alors sur l'accord
01:08:52doctrinal, comme toujours avec Julien Jeannet
01:08:56on apprend beaucoup de choses et on est frappé
01:09:00par l'étendue de ses recherches et de son savoir
01:09:04en tout dernier lieu, le dernier numéro de la revue française de droit administratif
01:09:08où on sait tout, sur la justice au Venezuela
01:09:12et les raisons pour lesquelles, en tant que juriste, nous devons
01:09:16soutenir l'irrégularité
01:09:20de la désignation de Nicolas Maduro
01:09:24donc c'est très complet, c'est très bien. Alors reste
01:09:28l'aspect, disons, quantitatif et qualitatif
01:09:32de toutes les réactions
01:09:36qui ont suivi l'immédiate décision
01:09:40à mes yeux, deux émergeaient
01:09:44deux, trois, disons, trois émergeaient. La première
01:09:48c'est Jean Rivero à l'actualité juridique
01:09:52il a été fait allusion, mais
01:09:56de manière cursive, très bien rédigée
01:10:00il dit, le raisonnement du conseil constitutionnel il vaut bien
01:10:04sur un plan général, mais dans le cas particulier
01:10:08de la convention européenne des droits de l'homme, il est en porte à faux
01:10:12car l'exigence de réciprocité ne joue pas.
01:10:16Il montre aussi que
01:10:20la convention est plus précise
01:10:24et ça aurait un intérêt à l'introduire.
01:10:28Tout ça ne restera pas l'être morte et sans anticiper sur la suite
01:10:32de nos débats, le conseil constitutionnel a rectifié le tir
01:10:36en ce qui concerne les rapports loi-traité et
01:10:40il a interprété la norme nationale
01:10:44la déclaration des droits de l'homme à la lumière
01:10:48de la convention européenne des droits de l'homme, voire même en introduisant
01:10:52la contravention sur les droits de l'enfant à partir de la formule de 46.
01:10:56Donc c'est vrai, la doctrine a été pleinement suivie
01:11:00et ce que disait Rivero était très pertinent.
01:11:04Pertinent aussi ce que dit Louis Philippe
01:11:08et Louis Favre parce qu'il montre bien
01:11:12que la décision du conseil constitutionnel ouvre place
01:11:16à un contrôle de la supériorité du traité
01:11:20au stade de l'application des normes. Et c'est dit expressément,
01:11:24je l'ai relu à la revue de droit public
01:11:28et ça va être fécond. Alors simplement, il y a un problème de différer
01:11:32dans le temps. François Gauguel
01:11:36s'appuie sur l'arrêt de la cour d'appel Jacques Vabre,
01:11:40repris par Paul Cosse-Fleuret. La cour de cassation le confirme
01:11:44en mai 1975. On s'attend un peu à ce que
01:11:48le Conseil d'État suive, mais
01:11:52il y a un changement de climat en 1976-78.
01:11:561976, élection
01:12:00de l'Assemblée du Parlement européen,
01:12:04comme il s'appelait depuis 1962, au suffrage universel direct.
01:12:08Large controverse, division au sein de la majorité.
01:12:12Et 1978, on découvre la jurisprudence
01:12:16de la Cour de justice sur l'effet direct des directives
01:12:20contraires à l'article 189 du traité. Donc il y avait eu
01:12:24un mouvement de recul, de crispation qui conduit
01:12:28le Conseil d'État à confirmer sa jurisprudence dite
01:12:32des smoules dans un arrêt du 22 octobre 1979
01:12:36et finalement à franchir le pas avec l'arrêt Niccolo du 20 octobre
01:12:401989. Voilà,
01:12:44c'est cette évolution qui méritait
01:12:48d'être soulignée. L'importance du rôle de la doctrine
01:12:52avec la prise de position de Riverault,
01:12:56celle de Favoreux, également celle intéressante d'Alain Pellet
01:13:00à la Gazette du Palais, mais dont l'argumentation
01:13:04n'est pas décisive, parce qu'il dit, après tout, le Conseil constitutionnel
01:13:08contrôle la constitutionnalité de la loi au regard
01:13:12de la loi organique. Ce n'est pas la norme constitutionnelle elle-même,
01:13:16mais il est aisé de démontrer, comme l'a fait le doyen Vedel,
01:13:20que si le législateur ordinaire
01:13:24intervient dans un domaine couvert par la loi organique,
01:13:28il viole ipso facto la constitution.
01:13:32Quant aux lois organiques sur les lois de finance
01:13:36et les lois de financement de la Sécurité sociale, elles ont une valeur
01:13:40quasi constitutionnelle du fait du renvoi du pouvoir constituant
01:13:44à la loi organique. Voilà, j'ai été trop bavard,
01:13:48je m'en excuse et poursuivons nos travaux.
01:13:52Merci Monsieur le Président.