• il y a 19 heures
Avec Hervé Lehman, Ancien juge d'instruction et avocat au barreau de Paris & Marcel Gauchet, Philosophe, historien et auteur de "Le nœud démocratique: Aux origines de la crise néolibérale" - Ed. Gallimard

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##EN_TOUTE_VERITE-2024-12-22##

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Transcription
00:00En toute vérité, 11h30 sur Sud Radio, Alexandre Desvecquiaux.
00:04En toute vérité, chaque dimanche, entre 11h et midi, sur Sud Radio,
00:08sécurité, économie numérique, immigration, écologie.
00:11Pendant une heure chaque semaine, nous débattons sans tabou
00:14des grands enjeux pour la France d'aujourd'hui et de demain.
00:16Et ce dimanche, nous avons le plaisir de recevoir le philosophe Marcel Gauchet
00:21et l'avocat Hervé Léman.
00:22Marcel Gauchet est l'auteur d'un essai passionnant,
00:24le Neu démocratique aux origines de la crise néolibérale
00:28qui vient de paraître chez Gallimard.
00:30Hervé Léman a aussi signé plusieurs livres passionnants consacrés à la justice.
00:36On peut citer notamment le procès Fillon en 2018 ou encore plus récemment
00:41Soyez partiaux, itinéraires de la gauche judiciaire.
00:44C'est aux éditions du CR.
00:45Ce matin, alors que nous attendons toujours un nouveau gouvernement,
00:49nous parlerons avec eux du lien entre justice et démocratie.
00:52Nous évoquerons notamment la condamnation de Nicolas Sarkozy,
00:56un ancien président de la République condamné à trois ans de prison,
00:59dont un ferme.
01:00Est-ce une victoire pour la démocratie ou le triomphe du gouvernement des juges ?
01:05Comment expliquer l'opposition de plus en plus marquée entre l'État de droit
01:09et la souveraineté populaire ?
01:11Cette opposition nourrit-elle la crise de la démocratie ?
01:15Comment trancher le nœud démocratique ?
01:17Tout de suite, les réponses de Marcel Gauchet et Hervé Léman en toute vérité.
01:26– Hervé Léman, Marcel Gauchet, bonjour.
01:29– Bonjour.
01:30– Ravi de vous avoir ce matin pour discuter de la crise politique que nous traversons.
01:38Une crise politique liée notamment aussi à la question de l'État de droit,
01:44la question de la justice, avec cette actualité de la semaine,
01:48la condamnation d'un ancien président de la République à trois ans de prison,
01:53dont un ferme, à exécuter sous bracelet électronique pour pacte de corruption.
02:00Marcel Gauchet, vous avez eu récemment cette phrase, cette formule,
02:05après avoir lutté contre les abus de pouvoir,
02:08nous voilà aux prises avec des abus de droit.
02:11Est-ce que vous vous qualifieriez cette condamnation d'abus de droit ?
02:16– Oui, je crois qu'on peut aller jusque-là.
02:19Comme toujours, les juges sont des gens très habiles,
02:23ils ont en plus l'abri de la technicité du droit
02:27qui fait qu'on peut toujours estimer qu'ils ne font qu'appliquer des textes
02:33qui sont au-dessus de leur pouvoir.
02:36Mais le pouvoir d'interprétation des juges,
02:38on le constate très bien dans le contexte actuel,
02:42s'étend à ce point qu'il ne parvient plus à dissimuler l'arbitraire.
02:48Du fois qu'on employait le mot « bâcheur »
02:51qui est un mot de notre tradition politique,
02:54que peut recouvrir cette liberté d'interprétation ?
02:57Fut-elle soigneusement cachée dans les plis de la technicité juridique
03:03devant laquelle nous sommes tentés de nous incliner ?
03:07Dans le cas précis, les faits qui sont incriminés,
03:12les faits reprochés à Nicolas Sarkozy,
03:14paraissent tout de même extrêmement fragiles
03:18du point de vue de l'ampleur de la condamnation qui lui est adressée
03:21quand on regarde par ailleurs tout ce qu'on peut bien appeler le laxisme judiciaire
03:27sur toute une série de faits pourtant très graves.
03:30Il est clair qu'il s'agit d'une espèce de guérilla.
03:34Il y a deux enjeux dans ce procès.
03:35D'une part, il y a une sorte de guérilla personnel
03:39entre le corps judiciaire et Nicolas Sarkozy
03:42qui remonte aux réformes qu'il a introduites dans ce domaine.
03:46Et puis, il y a un enjeu de fond qui est la volonté de l'autorité judiciaire,
03:52puisque c'est ainsi qu'elle est qualifiée dans la Constitution française,
03:56de marquer sa réalité comme pouvoir
04:00en s'en prenant à un ancien président de la République.
04:03Il y a un enjeu symbolique qui n'a certainement pas échappé
04:06aux juges très avertis de la Cour de cassation
04:09et qui couronne d'une certaine manière l'ascension du pouvoir judiciaire
04:14au travers de la pénalisation de la vie politique.
04:18– Hervé Léman, vous avez suivi ce procès.
04:22Est-ce que vous partagez le constat de Marcel Gaucher ?
04:26Est-ce qu'on peut parler d'arbitraire ?
04:28Peut-être d'abord rappeler les faits,
04:31rappeler comment cette affaire a éclaté,
04:35comment ce procès a été mené.
04:38Et ensuite sur la question de la dureté de la peine
04:43qui a surpris certains observateurs aguerris de la justice.
04:48– Oui, je partage tout à fait l'avis de Marcel Gaucher.
04:51Il faut en effet se rappeler que le début de l'affaire,
04:54c'est un moment où François Hollande a l'intelligence
04:59de créer le parquet national financier,
05:01dont les premières priorités vont être de s'attaquer
05:07au leader de ce qu'étaient à l'époque les leaders de l'opposition,
05:09c'est-à-dire Nicolas Sarkozy d'un côté et Fillon de l'autre.
05:12Et les deux vont finalement tomber, succomber sous les coups
05:16du parquet national financier.
05:19La condamnation de Nicolas Sarkozy dans cette affaire,
05:24c'est la conséquence de cette stratégie qui a été adoptée à ce moment-là.
05:29Et c'est une affaire qui laisse un goût très amer dans la bouche
05:33parce que l'affaire en elle-même est complètement cloche merlesque,
05:37elle est dérisoire.
05:39– Vous pouvez nous rappeler ce qu'on lui reproche exactement ?
05:42– Tout à fait, on reproche à Nicolas Sarkozy d'avoir eu une discussion
05:47avec son avocat, qui lui-même avait une discussion
05:50avec un magistrat de la cour de cassation, Gilbert Aziber.
05:53Et au cours de ces discussions, il a été envisagé
05:56que Gilbert Aziber intervienne auprès de la cour de cassation
05:59pour l'affaire des agendas de Nicolas Sarkozy,
06:02ce qui n'était pas une affaire en elle-même déjà,
06:05et qu'en échange Nicolas Sarkozy interviendrait auprès du prince de Monaco
06:10pour un poste pour Gilbert Aziber.
06:13Sauf que ces conversations n'ont été suivies de rien,
06:15il ne s'est rien passé.
06:17Et on vous dit que c'est très grave, c'est une corruption,
06:19trois ans de prison, plus d'échéance des droits civiques,
06:24Nicolas Sarkozy n'a même plus le droit de voter,
06:28c'est très grave alors qu'en fait il s'agit de conversations téléphoniques
06:31qui n'ont pas été suivies, d'effet, voilà.
06:34– Le principe même d'écouter un avocat et son client,
06:38est-ce que c'est quelque chose d'inédit,
06:41quelque chose qui se pratique habituellement ?
06:43– Bien sûr que non, c'est extrêmement grave,
06:47c'est-à-dire que dans cette obsession, à cette époque de la chasse au Sarkozy,
06:54on est allé utiliser toutes les armes qui sont normalement utilisées
06:57contre la grande délinquance, le terrorisme, les trafics de drogue.
07:01On a d'abord mis sous écoute téléphonique pendant 8 mois Nicolas Sarkozy,
07:05ancien président de la République, leader de l'opposition à l'époque,
07:08il est pendant 8 mois sous écoute téléphonique.
07:10Toutes ces conversations privées, politiques, sont enregistrées
07:15et se retrouvent sur le bureau de la garde de l'essau de l'époque,
07:20Christiane Taubira, qui va même un jour se vanter
07:23de ne pas avoir eu connaissance de ses écoutes, tout en les brandissant.
07:28C'est montrer la duplicité et le lien dans cette affaire très perverse
07:32entre la justice et le pouvoir politique de l'époque.
07:38Donc ça c'est déjà quelque chose qui est très grave,
07:40dans quelle démocratie met-on sous écoute téléphonique
07:43pendant 8 mois un leader de l'opposition ?
07:45Ailleurs on appelle ça un Watergate je crois,
07:47mais chez nous on dit non, c'est normal,
07:49le président ne doit pas être au-dessus des lois,
07:52l'ancien président ne doit pas être au-dessus des lois.
07:53Le deuxième point qui est encore plus choquant si je puis dire,
07:56c'est que ces écoutes vont se focaliser un moment
08:00sur les écoutes entre Nicolas Sarkozy et son avocat.
08:04Et ça c'est quand même insensé, comment peut-on admettre
08:07qu'on écoute les conversations téléphoniques entre un avocat et son client ?
08:14Ça a suscité à l'époque une bronca des avocats.
08:20La conférence des bâtonniers de France a demandé à être reçue
08:24par le président de la République, qui était donc François Hollande,
08:26qui les a reçues, puis a dit quelques bonnes paroles,
08:28mais c'est pour dire l'émotion, et c'est quand même grave aussi,
08:32dans quel pays on écoute les conversations entre un avocat et son client ?
08:38Le troisième point, c'est ce qui va donner lieu à l'affaire,
08:43c'est dans le cadre de cette affaire,
08:46c'est que comme le parquet national financier soupçonne
08:50que Nicolas Sarkozy aurait pu être renseigné sur le fait qu'il était sur écoute,
08:55ce qui aurait justifié le fait qu'il n'aille pas au-delà de simples conversations,
09:01hypothèse hypothétique, si je me permettais,
09:04on va aller faire ce qu'on appelle les falettes, et c'est l'affaire suivante,
09:10on arrive à Dupont-Moriti par ce biais, l'affaire des falettes des avocats,
09:14c'est-à-dire que le parquet national financier va demander à la police
09:17d'aller examiner les factures téléphoniques d'un certain nombre d'avocats
09:22pour voir qui ils ont appelé, quand, à quelle heure,
09:25et est-ce que ça ne permettrait pas de montrer que…
09:28Et là, à nouveau, c'est un troisième scandale,
09:30comment peut-on imaginer que dans notre pays,
09:33on examine les factures téléphoniques détaillées des avocats pour savoir qui ils appellent ?
09:38Petite cerise sur le gâteau,
09:41outre les avocats, on avait fait la même chose pour le juge Vanhoenbeek,
09:45parce que le parquet national financier soupçonnait le juge Vanhoenbeek
09:50d'être favorable à Nicolas Sarkozy, ce qui est assez grasse,
09:56et donc peut-être que ce serait lui, le juge Vanhoenbeek,
09:58qui aurait été la taupe, qui aurait renseigné Nicolas Sarkozy,
10:01ce qui fait qu'on a fait ces falettes également,
10:03et que, évidemment, le juge Vanhoenbeek, à l'époque, s'en est offusqué,
10:08et a dit « mais c'est insensé de faire ça à des juges et à des avocats ».
10:13Donc voilà, cette affaire, c'est ça, quand même, c'est tout ça.
10:15Et c'est pour tous ces éléments-là que la Cour de cassation vient dire « c'est pas grave ».
10:20Il n'y a pas de problème, je valide tout, tout est validé,
10:24tout est pardonné, comme disait je ne sais plus qui,
10:27tout est validé et la condamnation doit s'exécuter.
10:30Donc c'est vraiment une affaire qui est assez pénible sur le plan des principes démocratiques,
10:36sur le plan des principes des libertés individuelles,
10:40un État sonore de la manière dont il se comporte vis-à-vis de ses libertés,
10:46des droits de la défense et des droits de l'opposition.
10:50– Marcel Gaucher, au-delà de l'affaire elle-même,
10:55vous expliquiez que ça traduisait aussi une montée en puissance du pouvoir judiciaire.
11:02Est-ce qu'aujourd'hui le pouvoir judiciaire est simplement un contre-pouvoir
11:06ou est-ce que c'est un pouvoir politique
11:09et peut-être l'un des pouvoirs majeurs dans l'organisation de notre vie politique ?
11:16– Alors, faisons très attention au mot,
11:18ce n'est pas un pouvoir de décision politique,
11:23c'est un pouvoir d'empêchement, c'est un pouvoir d'interdiction.
11:27Par exemple, en l'occurrence, mettre en rejeu Nicolas Sarkozy
11:31et montrer que le pouvoir judiciaire ne connaît pas de limites,
11:36il y avait un respect traditionnel qui s'attachait aux anciens responsables publics,
11:42le pouvoir juridique ici affirme,
11:45et c'est ce qui est applaudi par une partie de l'opinion,
11:49même un président de la République est sous la loi,
11:53un ancien président en tout cas,
11:56et se trouvait compromis par des décisions de justice.
12:02– La loi est la même pour tous, c'est une manière d'affirmer cela.
12:05– C'est derrière cet alibi en fait que s'avance la Cour de cassation
12:11pour affirmer sa liberté qui n'a pas de limites en fait.
12:17Alors le pouvoir judiciaire, puisqu'il faut l'appeler bien désormais comme ça
12:24en dépit du fait qu'il n'est pas nommé de la sorte dans la Constitution,
12:28le pouvoir judiciaire reste un contre-pouvoir,
12:32mais ça peut devenir un contre-pouvoir majeur,
12:35un contre-pouvoir d'empêchement qui a un effet extrêmement important
12:42sur le processus politique français,
12:44ce qu'on avait vu quand même avec l'élimination de François Fillon
12:48de fait de la compétition en 2017
12:51qui a permis à Emmanuel Macron de se faire élire.
12:53Donc avec l'empêchement,
12:56vous pouvez produire des effets politiques majeurs.
13:00– Justement, on parlera après une courte pause du procès Fillon,
13:05Hervé Léman y a consacré un livre,
13:08on parlera aussi, vous dites que c'est un pouvoir d'empêchement,
13:10mais je vous poserai la question après la pause,
13:12est-ce que par les juristes prudences,
13:14la justice n'est pas aussi en train d'écrire la loi ?
13:19C'est une autre question si on élargit la focale,
13:23mais on en parle sur Sud Radio après une courte pause,
13:25En Toute Vérité, à tout de suite Marcel Gaucher et Hervé Léman.
13:28– En Toute Vérité, 11h30 sur Sud Radio, Alexandre Desvecquiaux.
13:33– Nous sommes de retour sur Sud Radio avec Marcel Gaucher et Hervé Léman.
13:39On discute de la crise de la démocratie,
13:42mais aussi du lien entre justice et démocratie,
13:45et de cette actualité de la semaine,
13:48la condamnation de l'ancien président de la République, Nicolas Sarkozy,
13:51à trois ans de prison, dont un ferme.
13:56Hervé Léman, avant la pause, Marcel Gaucher nous disait finalement
14:00que l'affaire Nicolas Sarkozy se situait dans la continuité du procès Fillon,
14:06et que les deux avaient un impact sur la démocratie,
14:09puisque l'affaire Fillon, en pleine campagne présidentielle,
14:13a peut-être changé le cours de l'histoire politique française.
14:17Et là, certes, le président de la République est retiré,
14:21mais ça aurait pu être un recours,
14:23donc il y a une volonté, vous pensez, des juges,
14:26d'éliminer certains personnages politiques du paysage ?
14:30– Dans le cadre de Nicolas Sarkozy et de François Fillon, certainement,
14:34mais c'est vrai que ça a donné des idées, je dirais,
14:37et une forme d'habitude, qui est que les juges considèrent
14:41qu'il faut être très ferme avec les responsables politiques,
14:46et vous voyez les affaires qui concernent les responsables politiques,
14:50de tous niveaux d'ailleurs, qui se multiplient.
14:52On a quand même aujourd'hui une situation hallucinante,
14:54où nous avons le Premier ministre en fonction,
14:57qui est au milieu d'une procédure pénale de détournement de fonds publics,
15:03c'est trois fois rien, le secrétaire général de l'Élysée,
15:05qui est poursuivi pour priser l'égalité d'intérêt,
15:08la ministre de la Culture, la principale leader de l'opposition,
15:12enfin vous avez toute une partie de ce qu'on appelle la classe politique,
15:15qui est sous le coup de procédures judiciaires,
15:19avec des risques à chaque fois d'illégibilité,
15:22puisque les juges ont inauguré depuis peu,
15:25depuis très peu, depuis à peu près un an,
15:28l'idée de dire que quand le tribunal condamne,
15:30il prononce une illégibilité avec exécution provisoire,
15:34c'est-à-dire que même si les personnes font appel,
15:40elles sont démissionnées d'office de leur mandat.
15:42C'est le cas du maire de Toulon,
15:44qui a été démissionné d'office de son mandat
15:46parce qu'il était allé déjeuner à la cantine.
15:49– Dans le cas de l'affaire Le Pen,
15:51vous pensez que l'exécution provisoire peut être prononcée ?
15:55– Je pense que c'est très possible,
15:57parce qu'on va vous dire, maintenant c'est comme ça,
16:02la loi prévoit l'inéligibilité,
16:05et puis l'exécution provisoire s'est prévue également,
16:09et puis c'est une affaire ancienne,
16:10donc c'est tout à fait possible que cette exécution provisoire soit prononcée,
16:15ce qui serait à la fois une entorse au principe du recours effectif,
16:20c'est-à-dire qu'à quoi sert l'appel si la prononciation est exécutée ?
16:25– Exécutée.
16:26– Et en même temps ce qui sera un nouveau séisme politique considérable,
16:32c'est vrai que la mise en examen de François Fillon
16:35a changé le sort de l'élection présidentielle avec l'élection de Macron,
16:39ça a changé l'histoire de France quand même.
16:42L'inéligibilité de Marine Le Pen aux prochaines élections présidentielles
16:47changerait probablement, je ne sais pas comment,
16:49mais changerait probablement également le sort de l'histoire de France.
16:54Et donc ce sont quand même des responsabilités très très lourdes
16:57que prennent les juges en mettant les mains comme ça dans le politique.
17:04– Marcel Gauchet, on passe d'une affaire à l'autre,
17:08l'affaire Nicolas Sarkozy à l'affaire Marine Le Pen,
17:11effectivement si la candidate de l'opposition favorite,
17:17si l'on en croit les sondages, à l'élection présidentielle était éliminée,
17:21quel impact sur la démocratie ? Ce serait un séisme démocratique ?
17:27– Ce serait d'autant plus un séisme démocratique
17:31que ça viendrait confirmer une sorte d'attitude de l'establishment,
17:37enfin de la France officielle à l'égard d'un courant politique
17:43qui à la fois dispose maintenant d'une audience considérable dans le pays
17:48mais qui est interdit d'une certaine manière de pouvoir politique.
17:52On accepte que les gens votent pour lui,
17:55le Parti, le Rassemblement National n'est pas interdit
17:58mais il est interdit d'effectivité politique, interdit de pouvoir
18:02et donc une décision d'inéligibilité envers Marine Le Pen
18:06aboutirait à confirmer le fait qu'il y a dans ce pays
18:10une capacité des élites d'empêcher la possibilité même de Marine Le Pen
18:19de comparaître devant le suffrage.
18:20Je pense, je reviens sur le fond, cette idée d'exécution provisoire
18:28qui a une sorte de légitimité technique quand il s'agit de délinquants avérés
18:34qui peuvent continuer à exercer leurs méfaits
18:37est une monstruosité dans le champ politique.
18:41En quoi l'exécution provisoire dans le cadre du procès de Marine Le Pen
18:46engendrerait-il un risque que Marine Le Pen continue
18:54à exécuter les actes qui lui sont reprochés ?
18:59C'est une absurdité intellectuelle
19:02et c'est une monstruosité juridique.
19:04Je crois que je ne comprends même pas d'ailleurs
19:07que le milieu professionnel des juristes ne s'élève pas
19:10contre l'absurdité de cette disposition
19:13qui relève vraiment à l'heure là de parfaite arbitraire
19:18parce qu'elle contredit le sens commun
19:23quand il s'agit de poursuivre des délits
19:27et qui annule le sens même de cette disposition fondamentale du droit
19:32qui est l'appel.
19:33C'est invraisemblable d'une certaine manière
19:36et je crois que plus encore dans le cas de Marine Le Pen
19:41que ce ne fut le cas dans le procès Fillon,
19:44l'impact politique, c'est-à-dire le droit que se confère la justice
19:51pour des motifs en plus qu'on peut beaucoup discuter,
19:55de sectionner les candidats qui sont présentables
20:00devant les électeurs,
20:01renom abouti à une impasse
20:03et je pense que si ça devait avoir lieu,
20:07je pense que ce sera un tournant dans l'histoire politique du pays.
20:10Il est impossible que ça passe sans provoquer
20:13un séisme d'une manière ou d'une autre.
20:16– Marcel Gauchet, justement quand on prend de la hauteur
20:20au-delà de ces affaires,
20:23ce qu'on voit c'est monter une forme de conflit
20:27entre la souveraineté populaire,
20:30et l'état de droit,
20:32aujourd'hui l'état de droit confisque-t-il
20:36une partie de la souveraineté populaire ?
20:40– Alors, il y a différents visages de l'état de droit,
20:44toute la difficulté est là,
20:45c'est une notion élastique qui a une histoire,
20:49qui est une notion qui s'est enrichie au fil du temps
20:53et qui prend dans la période récente
20:55une signification tout à fait différente
20:57de ce qu'elle a été dans le passé.
20:59Il ne faut pas s'en prendre à l'état de droit en tant que tel,
21:02il faut s'en prendre à la manière
21:04dont il est compris aujourd'hui,
21:06et comme en fait une manière de censurer
21:10la décision politique au nom du droit,
21:13et un droit qui n'est pas n'importe lequel,
21:15c'est le droit fondamental des individus
21:18qui peut s'estimer lésé par une décision majoritaire.
21:22Donc de ce point de vue,
21:24les droits individuels qui sont une part essentielle
21:28de la vie démocratique,
21:30peut-il s'opposer à une décision majoritaire ?
21:34Ça devient l'enjeu philosophique pour ainsi dire,
21:39qui est posé devant l'évolution des démocraties,
21:42et à ce titre là,
21:43c'est un nouveau point de contentieux majeur
21:46dans la vie démocratique, assurément.
21:48– Merci Marcel Gauchet, merci Hervé Léman,
21:51on poursuit la discussion dans quelques minutes
21:55après une nouvelle pause sur Sud Radio,
21:58on parle de cette crise de la démocratie,
22:01crise politique également,
22:02on rappelle qu'on attend toujours un gouvernement,
22:05peut-être avant le Noël,
22:08on se retrouve tout de suite sur Sud Radio.
22:10– En toute vérité, 11h30 sur Sud Radio, Alexandre Desvecquiaux.
22:14– Nous sommes de retour sur Sud Radio
22:17avec le philosophe Marcel Gauchet, l'avocat Hervé Léman,
22:22nous évoquons la crise de la démocratie,
22:24le lien entre cette crise et la justice,
22:27justice de plus en plus politique.
22:30Hervé Léman, vous avez écrit plusieurs livres sur la justice,
22:35on a évoqué déjà le procès Fillon aux éditions du CERN,
22:38mais vous avez également écrit un livre qui s'intitule
22:44« Soyez partiaux ».
22:46Est-ce que l'un des problèmes justement de la justice aujourd'hui,
22:51c'est la partialité ?
22:53– Oui, au-delà des affaires purement politiques,
22:57on a parlé de Sarkozy, de Marine Le Pen,
23:00mais cette partialité, est-ce qu'on la retrouve
23:02sur d'autres types d'affaires ?
23:04Et avec, je dirais, on a constaté l'extrême sévérité des peines
23:09pour les puissants,
23:10mais avec au contraire finalement une forme de laxisme judiciaire
23:15que beaucoup dénoncent sur d'autres affaires,
23:19notamment celle de violences quotidiennes.
23:22– Oui, certainement.
23:23Ce qui a changé au cours du dernier demi-siècle,
23:25c'est que les juges sont devenus indépendants,
23:28ce qui n'était pas avant,
23:30mais ça ne veut pas dire qu'ils sont forcément impartiaux.
23:32La plupart des juges sont impartiaux ou s'efforcent de l'être le maximum,
23:36mais il y a au sein de la magistrature un noyau dur, je dirais,
23:41qui est celui du syndicat de la magistrature,
23:45qui a un projet politique.
23:47Le syndicat de la magistrature, ce n'est plus un syndicat,
23:49c'est un parti politique,
23:51puisqu'il a un projet de société et qu'il agit pour ce projet de société.
23:54Et ce projet de société, c'est une société sans capitalisme,
23:58sans prison, sans frontières.
24:00Et c'est ce que vous retrouvez ensuite dans cette pratique,
24:03quand on se dit,
24:04tiens, mais pourquoi est-ce que sur l'immigration,
24:08la justice est aussi molle ?
24:11Pourquoi sur la délinquance traditionnelle,
24:15la justice est aussi molle ?
24:17Eh bien, ça correspond à cette philosophie.
24:19Et c'est soyez partiaux.
24:20Soyez partiaux, c'est ce qu'on a appelé la ranc de Baudot,
24:22c'est le texte d'un des fondateurs du syndicat de la magistrature,
24:26qui dit aux juges,
24:29soyez partiaux, choisissez systématiquement l'ouvrier contre le patron,
24:35le délinquant contre le policier,
24:37la femme contre le mari,
24:40le pauvre contre le riche, etc.
24:42Et c'est effectivement une philosophie judiciaire, si je puis dire,
24:47et qui irrigue toute la justice,
24:50même si ça ne correspond pas à la pensée de la plupart des magistrats,
24:54mais ça correspond, je le dis, à la pensée d'un noyau dur,
25:00structuré idéologiquement, organisé,
25:02qui arrive au poste de responsabilité quand la gauche est au pouvoir,
25:06et qui amène une évolution de la justice telle qu'on la constate aujourd'hui.
25:13– Marcel Gauchet, cette partialité a-t-elle des conséquences politiques ?
25:21Est-ce qu'elle réduit de plus en plus les hommes politiques
25:24à une forme d'impuissance ?
25:26On voit que sur la question de l'immigration,
25:28sur des questions de sécurité,
25:30certaines décisions de justice réduisent à néant,
25:35finalement, certaines lois votées au Parlement.
25:40– Oui, certainement.
25:42Je voudrais juste souligner, avant de répondre à votre question,
25:45la gravité du phénomène que vient de pointer Hervé Léman.
25:49C'est l'insécurité juridique pour les gens qui ont affaire à la justice.
25:55Vous ne savez pas sur qui vous allez tomber.
25:58Il y a un aléa considérable,
26:01compte tenu de la position qu'est la vôtre dans la société,
26:06de savoir par qui vous allez être jugé.
26:10Je pense que va de paire avec l'idée de la loi,
26:15l'idée de la constance, de la régularité du processus juridique
26:19qui fait que, quel que soit idéalement le tribunal
26:23devant lequel vous allez paraître,
26:25vous avez affaire à la même décision.
26:28Eh bien, ce n'est plus le cas.
26:29Et je pense que le syndicat de la magistrature en France
26:33a fondamentalement altéré l'image sociale
26:38que, dans un univers démocratique,
26:41on est appelé à se faire de la justice.
26:44Il faut, au fond, il y a une sorte de...
26:47On doit établir un principe nouveau, si je puis dire.
26:51C'est la possibilité pour les justifiables
26:54de récuser tel ou tel juge
26:56au motif de ses opinions bien connues
26:58et de son adhésion à un courant idéologique
27:01qui menace l'intégrité du processus juridique.
27:04C'est très, très grave
27:06du point de vue de l'idée même de la justice.
27:09Bon, j'en reviens à votre question principale.
27:13Je crois que, surtout,
27:16le phénomène joue dans un sens très précis,
27:20qui est l'intimidation du personnel politique.
27:23Il n'ose tout simplement pas aborder
27:25toute une série de questions
27:27de peur de se trouver mis en défaut
27:31par le barrage de la loi.
27:33Donc, le législateur est empêché
27:36par la manière dont,
27:38devant le Conseil constitutionnel principalement,
27:41mais devant le Conseil d'Etat,
27:43puis devant des tribunaux ordinaires,
27:45toute mesure d'un certain type
27:47risque d'être ou invalidée
27:50ou ramenée à sa plus simple expression
27:53et vidée de sa substance.
27:55Je crois que c'est de cette façon
27:57que l'évolution de la justice
28:02participe d'une certaine inhibition
28:05du pouvoir politique,
28:06plus encore que par les mesures concrètes
28:09qu'elle est appelée à prendre
28:10sur tel ou tel texte.
28:12Je crois qu'il y a une sorte de démission,
28:14presque, du personnel politique
28:17devant un pouvoir judiciaire
28:19qui est perçu comme un point d'arrêt
28:21contre lequel il est très difficile d'aller
28:24et qui vaut mieux purement et simplement contourner.
28:27– Hervé Léman, Marcel Gauchet,
28:30avant de répondre à ma question,
28:33a expliqué que le problème de la partialité des juges
28:39était un immense problème
28:42qui faisait peser le discrédit sur la justice.
28:45Il y a beaucoup de...
28:46Effectivement, face à la défiance
28:47de plus en plus grande,
28:48tous les sondages montrent que les Français
28:50ont de moins en moins confiance en la justice.
28:53Il y a des solutions qui sont évoquées.
28:55Certains pensent à une élection des juges,
28:58d'autres s'interrogent.
29:00Pourquoi il n'y a pas une forme de justice de la justice
29:03comme il existe une police des polices ?
29:04Quelles peuvent être les solutions
29:07pour remédier à ce problème de partialité de la justice
29:11qui est peut-être le véritable problème ?
29:13On parle toujours d'indépendance de la justice,
29:15elle l'est aujourd'hui,
29:17mais l'impartialité de la justice
29:20est peut-être le nœud, je dirais, du problème.
29:24Quelles sont les solutions politiques face à cela ?
29:26Je crois que le problème fondamental
29:30c'est en effet celui du syndicat de la magistrature.
29:33Et on est un peu coincé,
29:34parce que quand on vient dire
29:35il ne devrait pas y avoir de syndicat de la magistrature,
29:38on vous dit, ah là là,
29:39mais vous êtes un dangereux réactionnaire
29:41qui lutte contre le droit syndical,
29:43c'est un droit fondamental, etc.
29:45Or nous ne sommes pas dans cette situation.
29:47Les magistrats, ce ne sont pas des travailleurs
29:50qui, et leurs syndicats,
29:52ne défendent pas des intérêts de travailleurs
29:53contre un employeur, ce n'est pas ça.
29:55Le syndicat de la magistrature,
29:56c'est, je l'ai dit tout à l'heure,
29:57un parti politique qui veut mener une politique
30:01et qui la traduit dans ses décisions judiciaires.
30:05Alors vous avez quelquefois des interlocuteurs
30:08du syndicat de la magistrature qui disent
30:10ah mais quand on entre dans la salle de délibérer,
30:12on a notre robe et donc on a laissé nos idées au vestiaire.
30:15Ça, moi, je n'y crois pas.
30:16Et d'ailleurs, quelque part,
30:18c'est presque leur faire injure que de dire
30:20que quand ils entrent dans la salle de délibérer,
30:23ils abandonnent leur conviction.
30:25Un juge qui considère que quoi qu'il arrive,
30:27un étranger ne doit pas être expulsé.
30:29Il y en a un certain nombre qui pense ça.
30:30Quoi qu'il arrive, un étranger ne doit pas être expulsé.
30:33Ils gardent cette conviction quand ils décident
30:35si on va garder dans un centre de rétention
30:37quelqu'un qui a une QTF ou pas.
30:41Donc ça, je crois que c'est un problème important.
30:43L'autre point, c'est quand même,
30:46on rebondit sur l'état de droit.
30:49C'est de dire quand même que le premier point de l'état de droit
30:52qui est dans la déclaration des droits de l'homme de 1789,
30:56c'est que la loi, ce n'est pas les juges qui font la loi.
30:59L'état de droit, c'est que la loi,
31:01elle est faite par le peuple,
31:03soit par référendum, soit par ses représentants,
31:06c'est-à-dire le Parlement.
31:08Et la dérive qui consiste à dire
31:10non, ce n'est plus le Parlement qui fait la loi.
31:12Et d'ailleurs, ça ne doit pas être le peuple non plus.
31:14Vous voyez comme Laurent Fabius
31:16se précipite sur les plateaux de télévision
31:18dès qu'on parle d'un référendum sur l'immigration,
31:20pour dire surtout pas, surtout pas,
31:22ce serait illégal de faire un référendum sur l'immigration.
31:25Il ne faut surtout pas que les Français
31:27aient la parole sur cette question
31:29qui les concerne.
31:31Je crois qu'il faut dire
31:33quand on est attaché à l'état de droit,
31:35comme nous,
31:37le premier point de l'état de droit,
31:39c'est que c'est le peuple
31:41qui exprime sa volonté par le référendum
31:43ou par la voix de ses représentants.
31:47Et que le juge,
31:49moi j'ai été juge dans ma jeunesse.
31:51J'ai oublié de le préciser, mais c'est quand même intéressant
31:53de le rappeler.
31:55J'ai été juge pendant 10 ans.
31:57Pourquoi est-ce que j'ai été juge ?
31:59Parce que j'ai réussi un concours juridique. Point.
32:01J'aurais pu passer le concours,
32:03j'aurais pu passer l'internat,
32:05enfin je ne sais pas si j'aurais pas réussi,
32:07mais j'aurais pu passer l'internat, je serais devenu médecin.
32:09J'ai passé le concours de magistrature, je suis devenu juge.
32:11Quelle légitimité ça me donne
32:13pour dire non, je n'appliquerai pas
32:15la loi votée par le Parlement.
32:17Ça c'est un problème qui...
32:19– La justice est la bouche de la loi, rien de plus.
32:21– Exactement.
32:23– Ma question était concrète,
32:25on va y revenir,
32:27notamment avec Marcel Gaucher,
32:29parce que je crois que c'est un point très important
32:31dans la crise de la démocratie.
32:33Quand le peuple justement,
32:35son pouvoir est confisqué,
32:37ça crée effectivement
32:39une réaction populiste, entre guillemets.
32:41C'est ce dont on parlera avec Marcel Gaucher.
32:43Là ma question était,
32:45on a l'impression,
32:47d'ailleurs je ne sais pas si c'est le cas,
32:49vous allez me le dire ou pas,
32:51que parfois il y a des décisions de justice
32:53qui apparaissent évidemment contestables
32:55et que les juges n'ont de comptes
32:57à rendre à personne.
32:59Ou par exemple dans le cas de la récidive,
33:01des gens qui sont libérés
33:03avant d'avoir exécuté leur peine,
33:05qui vont recommettre un délit,
33:07jamais on demande
33:09de comptes au juge.
33:11Comment on pourrait faire
33:13pour régler ce problème-là ?
33:15Vous évoquiez le problème
33:17du fait que vous aviez passé un concours
33:19et que ça ne vous donnait pas le droit
33:21d'écrire la loi.
33:23En quelque sorte,
33:25comment on fait pour changer aussi
33:27la sociologie des juges ?
33:29Il y a le concours, mais il y a le fait
33:31qu'ils viennent avec leurs idées.
33:33On peut supprimer le syndicat de la magistrature,
33:35mais ils conserveront quand même
33:37leurs idées.
33:39Voilà, pour contrôler tout ça
33:41et changer en profondeur la justice.
33:43J'évoquais la piste de l'élection
33:45des juges.
33:47Est-ce que c'en est une ?
33:49Est-ce qu'il faut créer une sorte d'arc-homme
33:51de la justice ?
33:53Je n'en sais rien.
33:55Une autorité indépendante de régulation,
33:57en quelque sorte.
33:59Est-ce que vous avez des pistes ?
34:01– Oui, moi je ne crois pas beaucoup à l'élection
34:03parce que ça pose beaucoup de problèmes.
34:05On n'a pas le temps d'aborder là,
34:07mais je n'y crois pas.
34:09En revanche, effectivement,
34:11il y a la question de la légitimité.
34:13Quelle est la légitimité du juge ?
34:15Mais il y a un deuxième point
34:17qui est le contrepoint, si je puis dire,
34:19la contrepartie de la légitimité.
34:21C'est la responsabilité.
34:23Le responsable politique,
34:25il est responsable
34:27parce que les électeurs
34:29peuvent le désavouer.
34:31Ils peuvent voter contre lui,
34:33ne pas le réélire.
34:35Donc il y a une responsabilité.
34:37Quelle est la responsabilité du juge ?
34:39Nous avons un système
34:41dans lequel il y a une responsabilité théorique,
34:43c'est-à-dire que les textes
34:45prévoient la possibilité d'engager
34:47des poursuites contre des magistrats,
34:49mais ce mécanisme
34:51ne fonctionne pas puisqu'il n'aboutit
34:53quasiment jamais.
34:55Sauf vraiment quand vous avez
34:57des comportements,
34:59je dirais, de délinquants.
35:01Je veux dire, un magistrat qui a
35:03un comportement d'agression sexuelle,
35:05de vol, bon voilà.
35:07Mais en dehors de cela, lorsqu'il y a des fautes professionnelles
35:09graves, cela n'aboutit
35:11jamais.
35:13Parce que vous avez un conseil supérieur
35:15de la magistrature,
35:17qui est une sorte d'arc-homme,
35:19mais qui est tellement corporatiste
35:21et composé en très large partie
35:23de représentants des syndicats
35:25de magistrats, qu'il n'y a
35:27jamais de véritable
35:29sanction. On l'a vu
35:31dans l'affaire
35:33Dupont-Moretti, vous avez l'ancien
35:35procureur national financier
35:37qui est poursuivi devant le conseil
35:39supérieur de la magistrature pour des faits
35:41de harcèlement moral dans son
35:43parquet.
35:45Et vous avez le conseil supérieur de la magistrature
35:47qui répond, c'est un manquement déontologique,
35:49mais ça ne
35:51constitue pas une faute professionnelle, donc pas de sanctions.
35:53C'est-à-dire qu'il y a
35:55là un corporatisme
35:57flamboyant, qui fait qu'il n'y a
35:59pas de sanctions, il n'y a pas de responsabilité.
36:01Et à chaque fois que vous avez un responsable politique
36:03qui dit qu'il faut avancer sur la
36:05responsabilité des magistrats,
36:07vous avez levé le bouclier.
36:09Et donc le ministre de la Justice
36:11osera s'attaquer
36:13à cela.
36:15– D'ailleurs, pour revenir à Nicolas Sarkozy,
36:17est-ce que ce n'est pas ça qui paye ?
36:19Parce qu'il a été un des hommes politiques
36:21à s'attaquer justement à la responsabilité des...
36:23Est-ce qu'il y a une forme de vengeance ?
36:25– Oui, je pense, bien sûr.
36:27Ce qu'on reproche à Nicolas Sarkozy,
36:29ce n'est pas sa phrase sur les magistrats,
36:31c'est comme des petits pois. Ce n'est pas très malin,
36:33comme phrase, mais à la limite, ce n'est pas fondamental.
36:35Non, non, le crime
36:37de Nicolas Sarkozy, ça a été
36:39de dire que les juges étaient
36:41trop laxistes, et de dire qu'il fallait supprimer
36:43le juge d'instruction. Donc ça,
36:45les magistrats ne lui ont pas pardonné.
36:47Ils l'ont
36:49écrit et répété
36:51à l'époque, et ce n'est certainement pas
36:53neutre dans ce qui lui arrive maintenant.
36:55– Merci Hervé Léman, merci
36:57Marcel Gauchet. On se retrouve après
36:59une courte pause, c'est la dernière partie
37:01de cette émission. En toute vérité,
37:03ça continue dans quelques minutes
37:05avec Marcel Gauchet et Hervé Léman.
37:07– En toute vérité, 11h30
37:09sur Sud Radio, Alexandre Devecchio.
37:11– Nous sommes de retour sur Sud Radio
37:13avec Hervé Léman,
37:15avocat, essayiste,
37:17auteur de nombreux livres
37:19sur la justice, soyez partiaux,
37:21aux éditions du CR Le Procès
37:23à Fillon, où nous sommes également
37:25avec Marcel Gauchet,
37:27auteur du Neu Démocratique
37:29qui vient de paraître
37:31chez Gallimard. Marcel Gauchet,
37:35durant cette émission, on discute du lien
37:37entre justice et démocratie.
37:41Votre livre,
37:43le Neu Démocratique, montre
37:45finalement des démocraties de plus en plus
37:47difficilement gouvernables,
37:49et on est en plein dedans, on attend toujours
37:51un gouvernement avec
37:53une montée de ce qu'on appelle aujourd'hui
37:55les partis populistes.
37:57Est-ce que cette montée
37:59du populisme est aussi une réaction
38:01à une forme de dépossession
38:03démocratique
38:05liée à
38:07l'abus de droits
38:09que vous avez dénoncé
38:11en début d'émission et que
38:13vous dénoncez dans votre livre, ou que vous
38:15analysez du moins ?
38:17– À coup sûr.
38:19Le phénomène
38:21qu'on appelle populiste, faute d'un meilleur nom,
38:23mais après tout, il dit quelque chose.
38:25Populisme, parce que souveraineté du peuple,
38:27tout simplement.
38:29Et parce qu'accessoirement,
38:31on voit bien que ça correspond d'autre part
38:33à une division sociale
38:35entre des élites
38:37devenues pour une part importante
38:39indifférentes au sort commun
38:43et qui vivent
38:45dans une autre dimension,
38:47une dimension mondiale par rapport à des gens
38:49qui sont confinés dans un espace
38:51national, voire plus étroit
38:53encore, où leur capacité
38:55d'action est très limitée.
38:57Donc populisme va pour populisme.
38:59Oui, le populisme est un phénomène
39:01réactif, fondamentalement
39:03par rapport à une évolution du monde
39:05qui va contre
39:07les intérêts, la sécurité
39:09matérielle du plus
39:11grand nombre, en fait.
39:13Mais aussi, vous avez raison,
39:15introduire cette dimension devant une
39:17compréhension de la nature de nos régimes
39:19où cette dimension
39:21de capacité de décision collective
39:23qui est l'essence de la démocratie
39:25est ignorée au profit
39:27du règne inconditionnel
39:29des droits personnels
39:31et des droits, ce qu'on appelle
39:33maintenant les droits fondamentaux des individus.
39:35Mais s'il n'y a que des droits
39:37individuels, comment peut-on
39:39faire une décision collective ?
39:41Au fond, c'est à cette simple proposition
39:43que se ramène le dilemme actuel
39:45de la vie démocratique.
39:47S'il n'y a que des individus,
39:49où sont les peuples ?
39:51La capacité
39:53de faire peuple, de faire nation,
39:55est ce qui est en question dans l'évolution
39:57de nos régimes, et c'est la question
39:59à laquelle les démocraties vont devoir
40:01répondre, car on voit bien
40:03que, malgré tout,
40:05cette question ne cesse
40:07de monter en importance, en centralité,
40:09devient
40:11la question politique par excellence
40:13et il va bien falloir
40:15s'efforcer de la résoudre.
40:17Sinon,
40:19la situation française d'aujourd'hui
40:21est exemplaire.
40:23Faute d'intégrer cette dimension
40:25dans la vie publique, il n'y a plus
40:27de gouvernement possible.
40:29Ce qui est
40:31l'originalité du moment
40:33que nous vivons en France aujourd'hui,
40:35c'est la pression suffisamment
40:37grande du rassemblement national
40:39à la faveur des dernières élections
40:41pour rendre impossible
40:43toute décision
40:45gouvernementale
40:47à l'intérieur de l'espace habituel
40:49des partis.
40:51Ça ne peut plus fonctionner.
40:53Il est temps peut-être de se poser la question
40:55de la manière de résoudre
40:57les problèmes
40:59que soulève l'existence
41:01même du populisme.
41:03Marcel Gauchet,
41:05dans votre livre,
41:07vous expliquez,
41:09dans plusieurs de vos livres,
41:11vous montrez la tendance
41:13des démocraties à aller
41:15toujours plus loin dans l'extension
41:17des droits individuels
41:19ou fondamentaux jusqu'au stade
41:21où vous l'expliquiez,
41:23s'il n'y a plus que des libertés individuelles
41:25et des droits fondamentaux, il n'y a quasiment plus
41:27de société
41:29et de peuple.
41:31Cette tendance,
41:33c'est une tendance qui a été portée
41:35uniquement, je dirais,
41:37par une certaine élite,
41:39par justement les juges
41:41ou c'est aussi une tendance profonde
41:43de la société
41:45en réalité.
41:47L'atomisation des peuples,
41:49l'atomisation des structures
41:51qui autrefois
41:53étaient des cadres communs
41:55qui permettaient de faire tenir la société.
41:57Oui,
41:59vous posez bien le problème.
42:01C'est une évolution fondamentale
42:03des sociétés. Ce n'est pas simplement
42:05une perversion qui aurait été
42:07sécrétée par des élites
42:09qui ne comprennent plus la vie sociale.
42:11Non, c'est un mouvement fondamental.
42:13Nous vivons dans un
42:15nouveau monde. Depuis 50 ans,
42:17nous sommes passés dans quelque chose
42:19qui bouleverse complètement
42:21la façon dont nous nous représentions,
42:23la vie collective.
42:25D'un côté, l'ouverture sur le monde,
42:27ce qu'on appelle la mondialisation.
42:29De l'autre côté, en bas,
42:31l'individualisation radicale.
42:33L'individualisation radicale
42:35qui va par exemple jusqu'à
42:37ce qu'on observe couramment
42:39aujourd'hui, la dissolution
42:41de la famille comme structure
42:43de base de la société.
42:45Au fond, il n'y a plus de famille, au sens
42:47traditionnel du mot, comme une institution.
42:49Il y a des couples qui font
42:51des enfants. Vous le remarquerez,
42:53majoritairement aujourd'hui,
42:55en dehors même des liens du mariage.
42:57C'est très frappant.
42:59On est dans un monde de liberté privée
43:01où la dimension publique
43:03s'estompe.
43:05L'histoire de la démocratie,
43:07c'est la réponse par le processus
43:09démocratique à des évolutions
43:11sociales fondamentales.
43:13C'est celle-là qu'il nous faut aujourd'hui
43:15mettre sur le tapis pour envisager
43:17comment néanmoins, parce que
43:19en dépit de cette liberté
43:21personnelle que chacun d'entre nous
43:23exploite
43:25avec
43:27son bénéfice, et c'est tout à fait
43:29normal, comment en dépit
43:31de cette évolution et au travers d'elle,
43:33il s'agit de refaire
43:35une organisation politique
43:37qui permet de décider
43:39sur le sort commun.
43:41C'est un nouveau défi pour
43:43les démocraties qui
43:45arrivent de façon très confuse
43:47à l'agenda, et qu'il s'agit
43:49d'expliciter et qu'il s'agit d'affronter
43:51pour elles-mêmes.
43:53Hervé Léman,
43:55sur cette évolution de la société,
43:57la focalisation
43:59sur les droits individuels,
44:01est-ce que c'est pas ça aussi
44:03qui explique l'évolution de la
44:05justice ? Est-ce qu'on n'a pas tout simplement
44:07des magistrats
44:09qui ne jugent plus en fonction
44:11de l'intérêt général, mais
44:13qui jugent en fonction
44:15des libertés fondamentales
44:17ou individuelles des uns ou des autres ?
44:19Oui, je suis d'accord avec ce que vient de dire Marcel Gaucher,
44:21je le dirai beaucoup moins bien que lui.
44:23Prenons l'exemple
44:25de l'immigration, qui est un exemple intéressant.
44:27Vous avez 75%
44:29des Français,
44:31et probablement des Européens,
44:33qui sont pour stopper cette immigration
44:35massive.
44:37Sauf que vous avez les élites qui
44:39pensent le contraire. Et parmi les élites,
44:41il y a les juges. Et vous avez ce qu'on appelle
44:43le dialogue des juges, c'est-à-dire
44:45la jurisprudence combinée
44:47de la Cour européenne des droits de l'homme, de la Cour de justice
44:49de l'Union européenne,
44:51qui vient dire que l'on doit donner des allocations
44:53familiales aux enfants
44:55de familles en séjour
44:57irréguliers.
44:59Est-ce que c'est à des juges de le dire ?
45:01Donc, combinée de ces deux juridictions,
45:03du Conseil constitutionnel,
45:05Cour de cassation et Conseil d'État.
45:07Et vous avez ce
45:09qu'on appelle le dialogue des juges,
45:11qui, au nom de l'État de droit,
45:13viennent dire, sur toutes
45:15les règles que concernent l'immigration,
45:17le contraire de ce que
45:19pensent les Français,
45:21la majorité des citoyens,
45:23et le contraire de ce que
45:25vote
45:27le Parlement. Donc là, il y a
45:29un vrai problème, et en effet,
45:31pour l'instant, la porte de sortie
45:33des citoyens,
45:35c'est le vote populiste.
45:37– Et sur
45:39la vision
45:41du monde,
45:43est-ce que
45:45ce que je vous expliquais, est-ce qu'on a
45:47des magistrats
45:49qui sont complètement déconnectés
45:51justement de la société,
45:53en réalité, ou des intérêts
45:55de la société
45:57en général ? On parle beaucoup de
45:59l'individualisation
46:01des peines.
46:03Est-ce que c'est une philosophie peut-être
46:05différente d'autrefois, où la
46:07justice rendait justice au nom
46:09de la société ? – Alors, je ne sais pas.
46:11Je crois qu'il y a un phénomène
46:13d'engagement idéologique
46:15qu'on a décrit tout à l'heure.
46:17Je ne sais pas si c'est un phénomène
46:19individualiste.
46:21Je ne suis pas absolument certain.
46:23Je pense qu'il y a une vision de la société
46:25des magistrats du
46:27syndicat de la magistrature qui n'est pas
46:29nécessairement individualiste, mais qui est plutôt
46:31défendre
46:33les principes que je rappelais tout à l'heure,
46:35c'est-à-dire pas de prison,
46:37pas de lutte contre l'immigration.
46:39– Et pas de frontières.
46:41– Et pas de frontières également.
46:43– Je pense que c'est plus ça
46:45que la question de l'individualisme
46:47qui est tout à fait exacte.
46:49Je ne dis pas du tout le contraire de ce que dit Marcel Gaucher,
46:51mais je pense que c'est un phénomène complémentaire.
46:53– Marcel Gaucher, Hervé Léman,
46:55merci, c'était passionnant.
46:57On se retrouve la semaine prochaine
46:59avec un nouveau numéro. Dans toute vérité,
47:01on aura peut-être
47:03un gouvernement d'ici là.
47:05Merci, à bientôt,
47:07et je vous laisse avec les informations.

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