Jeudi 14 novembre 2024, SMART BOURSE reçoit Benjamin Louvet (Directeur de la Gestion Matières Premières, Ofi Invest Asset Management)
Category
🗞
NewsTranscription
00:00Générique
00:10Le dernier quart d'heure de Spartbourg chaque soir, c'est le quart d'heure thématique, le thème ce soir c'est celui des matières premières,
00:15et même plus précisément de Trump et des matières premières.
00:18Benjamin Louvet, directeur de la gestion des matières premières chez Ofia Invest.
00:21Asset Management est à mes côtés ce soir. Bonsoir Benjamin.
00:23Bonsoir Grégoire.
00:24Bon, j'imagine que sous Trump, au moins on peut être convaincu que l'offre de pétrole ne manquera pas ?
00:30Oui, en fait on n'avait pas besoin de ça.
00:32Je vous rappelle que l'agence internationale de l'énergie a communiqué ce matin en disant que l'année prochaine,
00:36malgré, enfin même en anticipant que l'OPEP plus ne remettrait pas sur le marché le pétrole qu'elle avait décidé d'enlever,
00:44eh bien on aurait probablement un surplus de production de l'ordre de 1 million de barils par jour l'année prochaine.
00:49Et c'est important dans le cadre de l'arrivée de Trump, parce qu'il avait un de ses mantras pendant la campagne,
00:54c'est « drill baby drill », fort bébé fort.
00:57Donc il va être un soutien des énergies fossiles bien évidemment et du pétrole en particulier.
01:03La question c'est est-ce que ça va vraiment être suivi des faits ?
01:07Parce qu'il faut bien dire que sous Biden, il y avait des événements en faveur des énergies renouvelables,
01:15mais on n'a pas forcément plus contraint que ça les producteurs d'énergie fossile qui se sont contraints eux-mêmes.
01:22Je rappelle que, et d'ailleurs ça date de la précédente mandature de Trump, à partir de grosso modo 2018,
01:27pendant des années, le pétrole de schiste commence aux Etats-Unis en 2008,
01:32parce que le cours commence à rendre cette activité rentable, qui est connue depuis très longtemps, mais qu'on n'exploitait pas.
01:37À 100 dollars, ça a relâché les esprits animaux du shale américain.
01:41Exactement, mais pendant des années, à partir de 2008, on a fait de la productivité à tout va,
01:46on a augmenté la production, c'était facile de trouver des financements, et on promettait des revenus.
01:50Et puis en 2018, les investisseurs ont commencé à dire, disons ça va bien, on vous donne de l'argent,
01:54on a de la productivité, mais on n'a pas de rentabilité, donc maintenant il faudrait changer ça.
01:58Et on a commencé à rationaliser la production pour la rendre rentable.
02:02Et aujourd'hui, même les producteurs de schiste vous disent eux-mêmes,
02:05je ne vais pas augmenter ma production de plus de 5% par an pour ne pas tuer mon business,
02:11et puis accessoirement, parce qu'il y a aujourd'hui une offre de pétrole qui est suffisante pour pouvoir faire face aux besoins.
02:19Donc je ne suis pas certain que l'arrivée de Trump change beaucoup de choses.
02:23Et puis ils sont rationnels, s'ils produisent plus de pétrole, le prix va baisser, on en a déjà trop,
02:27donc à ce moment-là, ils ne seront plus rentables.
02:29Donc il y a un comportement rationnel quand même, vous dites, des acteurs du shale,
02:32qui malgré le baby-drill de Trump et des permis de forage qui vont être distribués à tire-larigot,
02:38j'imagine qu'il y a quand même une rationalité économique qui s'est installée chez ces acteurs du shale,
02:43qui va quand même aussi protéger un petit peu le relâchement de l'offre.
02:48Je crois que ce que Trump veut dire quand il dit drill, baby-drill, c'est qu'on ne fera pas d'efforts sur notre production de pétrole,
02:57on ne va pas sacrifier notre avantage économique lié à des prix de l'énergie peu chers,
03:03l'énergie coûte beaucoup moins cher aux Etats-Unis qu'en Europe par exemple, pour la transition énergétique.
03:08Et en cela, on est déjà en fait dans ce schéma-là, il ne faut pas oublier aussi que la production de pétrole aux Etats-Unis progresse,
03:18aujourd'hui c'est le premier producteur mondial, la production de gaz aussi,
03:21et que c'est un avantage compétitif énorme pour les Etats-Unis.
03:23Je rappelle juste une chose, les émissions de CO2 aux Etats-Unis n'ont pas moins baissé lors de la précédente Air Trump
03:31que pendant les autres présidents, c'est même le record de baisse des émissions de CO2 la précédente mandature de Trump,
03:36mais il a eu un petit coup de pouce, pardon c'est malheureux de le dire comme ça,
03:40mais c'est que le Covid est tombé pendant cette mandature.
03:42Oui, ça tombe pendant ces quatre années de mandat.
03:44Mais quand on regarde les autres années, il ne fait pas ni mieux ni moins bien que les autres présidents américains,
03:49parce que la baisse des émissions aux Etats-Unis vient surtout du remplacement du charbon par le gaz de schiste.
03:54Est-ce qu'il faut imaginer une guerre des parts de marché entre les Etats-Unis et l'OPEP+,
04:00et notamment le cœur de l'OPEP, l'Arabie Saoudite ?
04:03C'est-à-dire que même si je comprends que la rationalité économique des acteurs du shell américain
04:08ne va pas les pousser forcément à relâcher toute l'offre possible,
04:14il y a quand même l'idée côté saoudien que les Etats-Unis ont pris des parts de marché
04:19pendant qu'eux s'astraignaient à essayer de mettre en place une politique de quota qui est en train de prendre l'eau,
04:24et tout le monde ou tout le marché se demande si les Saoudiens ne vont pas à un moment capituler, craquer,
04:29en disant attendez, moi je vais gérer mes parts de marché, et puis les autres faites ce que vous voulez.
04:34C'est possible, mais à ce moment-là, ils remettront sous le témoin le pétrole de schiste américain.
04:38Mais au-delà de ça, il faut quand même avoir conscience de plusieurs choses.
04:40D'abord, le pétrole n'existe pas, il y a plein de pétroles différents,
04:43et le pétrole de schiste est un pétrole très léger, qui ne convient pas à toutes les raffineries,
04:47et notamment les raffineries américaines.
04:49C'est pour ça que Barack Obama a dû en 2015 arrêter l'interdiction d'exportation de pétrole,
04:54parce qu'il y avait trop de pétrole de viande, on ne savait plus quoi en faire.
04:57Ce qui fait qu'aujourd'hui, le pétrole WTI, qui était considéré avant comme de meilleure qualité,
05:01vaut moins cher que le pétrole Brent, c'est de là que ça vient.
05:04Donc il y a ce premier problème, qui est un problème de qualité.
05:08Et puis le deuxième problème, je le disais, c'est que les acteurs américains sont des acteurs privés,
05:13qui ont un objectif de faire de la rentabilité.
05:15On l'a bien vu pendant la crise du Covid, qui a coupé la production ?
05:18Ce ne sont pas les producteurs américains, c'est l'Arabie Saoudite.
05:21Donc si l'Arabie Saoudite décide de remonter sa production,
05:24les producteurs américains seront obligés de limiter leur croissance,
05:29parce que les prix ne leur permettront plus d'être rentables.
05:32Donc on a, je pense, pas trop d'inquiétudes à se faire au niveau de ce Drill Baby Drill de M. Trump.
05:40Et donc en termes d'équilibre de prix, qu'est-ce que ça donne, grosso modo ?
05:45Clairement, aujourd'hui, le pétrole est sous pression.
05:48On voit que l'OPEB veut depuis un moment remonter sa production, et n'y arrive pas.
05:52Ils ont reporté encore, je crois.
05:54Ils ont reporté encore, et on a aujourd'hui clairement des attentes de surplus de production.
06:00Pourquoi aussi ? Parce que vous avez certains pays,
06:02qui étaient des gros pourvoyeurs de croissance de la demande de pétrole,
06:06notamment la Chine, qui le sont de moins en moins,
06:09notamment parce que la Chine avance sur la transition énergétique.
06:11Elle s'électrifie de plus en plus.
06:13De macroéconomistes me disent que ça se voit.
06:15C'est-à-dire que dans le shift de la demande du fossile vers l'électrification,
06:19on voit de plus en plus, et ça se retrouve de plus en plus structurellement,
06:24dans l'affaiblissement de la demande de pétrole.
06:26Qui continue de progresser, la demande de pétrole.
06:28La Chine a installé en 2023 plus de panneaux solaires que le monde entier,
06:32Chine incluse, en 2022.
06:34La Chine a six ans d'avance sur son programme de déploiement des énergies renouvelables.
06:38Sur son plan net zéro, elle a six ans d'avance.
06:42Elle est déjà à 2030.
06:43La Chine, je pense, a compris que si elle avançait sur les énergies renouvelables,
06:48elle obtenait son indépendance énergétique.
06:50Elle n'avait plus besoin de dépendre du pétrole d'un tel, du gaz d'un tel.
06:54Et donc, ils accélèrent énormément.
06:56Pour la première fois au troisième trimestre cette année, depuis la crise Covid,
06:59les émissions de CO2 en Chine ont baissé parce que la production de renouvelables a augmenté.
07:04Je m'entends.
07:05Et ça, avec ou sans Trump, la Chine est embarquée dans ce voyage.
07:09L'Europe est embarquée dans ce voyage.
07:11Le facteur Trump ne changera rien à cette tendance.
07:15On sait qu'il va dire pique-pendre, évidemment, sur le green, le climat, etc.
07:21Il va avoir des forces de rappel.
07:23Le patron Dixon lui a déjà demandé de ne pas toucher à l'Ira.
07:26Pourquoi ?
07:27Parce que les producteurs de pétrole utilisent aussi l'Ira
07:31pour travailler sur la décarbonation du secteur pétrolier,
07:34notamment sur la capture de CO2.
07:36Ça, c'est la première chose.
07:37Ensuite, vous avez d'autres problèmes.
07:38Toucher à l'Ira, ça nécessite un accord du Sénat.
07:41Trump a la majorité au Sénat.
07:43Il a 53 sénateurs.
07:44Mais il faut la super-majorité pour bouger l'Ira.
07:46Et la super-majorité, elle est à 60 sénateurs.
07:48Et donc ça, ça ne marchera pas.
07:50Au-delà de ça, la plupart des États qui ont profité de l'Ira sont des États républicains.
07:55C'est un vieux politicien Biden qu'on apprend à faire la grimace.
08:00Et puis deux autres éléments.
08:01Qui est le premier soutien de Trump, le plus visible ?
08:05Elon Musk, oui.
08:06Il fait quoi Elon Musk ?
08:07Il fait des voitures électriques, des panneaux solaires
08:09et du stockage sur batterie stationnaire.
08:12Donc là encore, on a un autre problème.
08:14La question, est-ce qu'il va mettre fin aux subventions pour l'achat de véhicules électriques ?
08:21Il peut, mais ça créera des surcoûts qui vont retarder la transition vers le véhicule électrique.
08:28Ça rend pas encore plus cher la transition.
08:30Mais il faut qu'il garde quand même en tête une chose qui est très importante pour moi
08:33et qui est vraiment le point central.
08:35Trump est pragmatique.
08:37Qu'il le veuille ou non, on va vers une économie décarbonée
08:40et donc vers plus de panneaux solaires, plus d'éoliennes, plus de voitures électriques.
08:44S'il décide de ne pas aider ces industries aux Etats-Unis,
08:47il laisse le champ libre à la Chine.
08:49La Chine aujourd'hui fait 80% des précurseurs des panneaux solaires,
08:53l'essentiel des précurseurs des éoliennes,
08:55la quasi-totalité des batteries sont produites en Asie.
08:59S'il fait ça, il laisse le champ libre aux Chinois.
09:03Je rappelle juste une dernière chose.
09:05Les Etats-Unis dépendent encore pour 16 métaux à plus de 50% de la Chine.
09:09Donc la Chine a des moyens de rétorsion.
09:11Pour l'instant, elle a mis des licences d'export sur deux métaux, le gabelium et le germanium,
09:14mais elle n'a pas restreint les exportations.
09:16Mais c'était un signal d'alarme.
09:18Les prix ont monté.
09:20Ces métaux sont indispensables notamment pour les technologies militaires.
09:23Pour l'instant, les Etats-Unis dépendent encore très franchement de la Chine.
09:26Donc il y a un rapport de force qui s'installe et qui n'est pas aussi évident que ça.
09:30Et je pense que Trump, avec toutes ses vociférations,
09:33ne changera pas forcément en 4 ans la trajectoire des Etats-Unis.
09:37Il ne faut pas oublier aussi qu'on a une fédération.
09:39La Californie, pendant l'ère Trump, n'a pas arrêté de développer des éoliennes, des panneaux solaires.
09:43Et le Texas est le premier producteur d'énergie renouvelable aujourd'hui aux Etats-Unis.
09:46Donc on a quand même des forces de rappel qui font que, quelque part, je ne suis pas trop inquiet.
09:52Et ce n'est pas sur les Etats-Unis qu'on compte le plus en matière de transition énergétique.
09:56Aujourd'hui, ça se passe en Asie.
09:57En Europe, ça se passe aussi un peu aux Etats-Unis.
09:59Mais ce n'est pas parce que Trump changera quelques petites choses,
10:02parce qu'il sera limité comme je viens de vous l'expliquer,
10:04que la transition s'arrêtera aux Etats-Unis.
10:06Non. Et pour l'Europe, ça peut même être un accélérateur.
10:10Ça pourrait pousser encore un peu plus l'urgence,
10:15mais aussi aux Européens qui peuvent essayer de rattraper des parts de marché qu'ils n'ont pas aujourd'hui.
10:19Merci beaucoup, Benjamin.
10:20Merci d'être venu évoquer ce compartiment des matières premières,
10:23les enjeux de la transition énergétique et, bien sûr, le sujet du pétrole sous une administration.
10:29Trump, Benjamin Louvet, directeur de la gestion des matières premières
10:32chez Offi Invest Assets Management,
10:34était l'invité de ce quart d'heure thématique de Smart Bourse ce soir.
10:37À retrouver, bien sûr, en replay sur bsmart.fr
10:39ou encore en podcast sur l'ensemble de vos plateformes préférées.