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Grands invités : les auteurs de « Une étrange victoire, l'extrême droite contre la politique » (Seuil)
- Étienne Ollion, sociologue, directeur de recherche au CNRS et professeur à l'École polytechnique
- Michaël Foessel, philosophe

LE GRAND DÉBAT / Élections américaines : tous les coups sont permis

« Le récap » par Bruno Donnet

Les élections américaines auront lieu dans la nuit mardi 5 au mercredi 6 novembre 2024 et les résultats ont rarement été aussi incertains. Le sondage du New-York Times en date du 25 octobre 2024 place les deux candidats à égalité : chacun recueillerait 48% des suffrages. Pour faire la différence, ils se permettent de durcir le ton, voire de verser dans l'outrance. Interrogée sur CNN le 23 octobre, Kamala Harris n'a pas hésité à qualifier Donald Trump de « fasciste ». De son côté, le candidat républicain a affirmé que la vice-présidente avait un Q.I très bas et a sous-entendu qu'elle pouvait être alcoolique et droguée. Dans une Amérique polarisée basée sur le système des grands électeurs, l'issue de l'élection se jouera dans 7 états clés (« swing states ») : Arizona, Caroline du Nord, Géorgie, Michigan, Nevada, Pennsylvanie et Wisconsin. Quels sont les facteurs qui peuvent faire basculer l'élection d'un côté ou de l'autre ?

Invités :
- Jérôme Viala-Gaudefroy, docteur en civilisation américaine et auteur de « Les mots de Trump » (Dalloz)
- Marjorie Paillon, journaliste spécialiste de la politique américaine
- Vincent Hugeux, enseignant à Sciences Po et ancien grand reporter
- Marie-Cécile Naves, politiste, autrice de « Géopolitique des Etats-Unis » (Eyrolles)
- En Skype (depuis les USA) : Richard Werly, correspondant pour le média « Blick »

LE GRAND ENTRETIEN / Michaël Foessel et Étienne Ollion : « une étrange victoire », ou l'infusion des idées de l'extrême droite

« Une étrange victoire, l'extrême droite contre la politique » est un essai sur l'ascension de l'extrême droite qui serait moins le fruit de sa stratégie que des évolutions dans le monde politique et médiatique. Michaël Foessel et Etienne Ollion s'attardent sur le processus de dédiabolisation du Rassemblement national : « il n'a pu être déroulé sans accrocs majeurs que parce que la langue de l'extrême droite a contaminé le débat public », expliquent les auteurs. Ce brouillage aurait permis au RN de s'emparer des thèmes sociaux qui étaient associés à la gauche. En revenant sur la sémantique propre à l'extrême droite, les auteurs décryptent la stratégie qui a notamment permis au RN d'arriver en tête des élections européennes. Comment l'ancien Front National a-t-il réussi à se défaire de son image sulfureuse ?

Grands invités : les auteurs de « Une étrange victoire, l'extrême droite contre la politique » (Seuil)
- Étienne Ollion, sociologue, directeur de recherche au CNRS et professeur à l'École polytechnique
- Michaël Foessel, philosophe

LA SÉANCE DE RATTRAPAGE / Vengeance et spéculations à l'Assemblée
- Jean-Baptiste Daoulas, journaliste politiq

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News
Transcription
00:00Générique
00:02...
00:05Bonsoir à tous. Ravis de vous retrouver
00:07dans Ça vous regarde et bonsoir à vous,
00:09Michael Fossel. Vous êtes philosophe
00:12et vous co-signez avec Etienne Ollion un livre
00:14pour mieux comprendre la montée de l'extrême droite en France,
00:17comment les idées du RN ont fini par s'imposer
00:20dans le débat public. On en parlera
00:22dans la seconde partie de l'émission.
00:24Avant cela, on fera le point sur la campagne présidentielle
00:27qui est une campagne violente, complètement folle,
00:30qui interpelle sur l'état de la démocratie aux Etats-Unis.
00:33On verra ce qui se joue entre Donald Trump et Kamala Harris.
00:37Enfin, on terminera par la séance de rattrapage,
00:40ce qu'il faut retenir de cette semaine à l'Assemblée.
00:43Une semaine marquée par quelques règlements de comptes.
00:46Voilà pour le sommaire. C'est parti pour Ça vous regarde.
00:49SOUS-TITRAGE SOUS-TITRAGE
00:51Générique
00:53...
00:59C'est une campagne qui fait peur, car elle montre sous une lumière crue
01:03une forme d'affaissement du débat public.
01:05Dans cette présidentielle américaine,
01:07tous les coups semblent permis. Donald Trump a refait
01:10une partie de son retard sur Kamala Harris,
01:13à coups d'insultes et de fake news.
01:15De quel côté penchera la balance le 5 novembre prochain ?
01:18C'est la fin de cette campagne américaine.
01:20Marie-Cécile Nave, bonsoir.
01:22Vous êtes politiste et autrice de Géopolitique des Etats-Unis
01:26aux éditions Erol.
01:27Jérôme Vialla-Gaudefroy, bonsoir.
01:30Vous êtes docteur en civilisation américaine
01:32et auteur du livre Les mots de Trump,
01:35paru chez Dalloz.
01:36A vos côtés, Marjorie Payon, bonsoir.
01:38Vous êtes journaliste, spécialiste de la politique américaine.
01:41Et Vincent Hugeux, bonsoir.
01:43Ancien grand reporter, aujourd'hui enseignant à Sciences Po.
01:47On sera en liaison vidéo aux Etats-Unis
01:49avec Richard Verlické, correspondant en France,
01:52pour le média en ligne suisse Blick,
01:54et qui suit la campagne américaine actuellement.
01:57Pour commencer, le récap de Bruno Donnet.
02:00Générique
02:01...
02:08Bonsoir, Bruno.
02:09Bonsoir, Clément.
02:11Dans ce récap, une campagne américaine
02:13d'une violence rhétorique sans précédent.
02:16Les mots utilisés dans cette campagne
02:18sont en train d'atteindre des sommets absolument vertigineux.
02:22Dernier exemple en date, avant-hier,
02:24Kamala Harris était l'invitée de CNN.
02:26Voici ce qu'elle a répondu à Anderson Cooper.
02:29...
02:35Oui, je pense que Donald Trump est un fasciste.
02:38Quant à Trump, il n'est pas en reste,
02:40puisque lui aussi insulte très copieusement Kamala Harris.
02:43...
02:52Est-ce qu'elle picole ? Est-ce qu'elle se drogue ?
02:55Elle a un QI minuscule.
02:56Comment est-ce qu'on en est arrivés là ?
02:59Pour bien comprendre, il faut regarder le sondage
03:01que publie tous les jours le New York Times
03:04et surtout l'évolution des courbes.
03:06Jusqu'en juillet dernier, Donald Trump faisait la course en tête.
03:09L'attentat dont il a été victime a même accru sa popularité.
03:12Joe Biden a jeté l'éponge.
03:14Kamala Harris est entrée dans la course.
03:16Là, les courbes se sont inversées, croisées.
03:19Trump a donc décidé de tout miser
03:21sur son sujet de prédilection, les migrations.
03:24-"Nous ne serons pas envahis,
03:26nous ne serons pas occupés,
03:28nous ne serons pas conquis,
03:30nous redeviendrons une nation libre et fière."
03:34Il a parlé subversion migratoire matin, midi et soir,
03:38affirmait que les Haïtiens mangeaient des chiens et des chats.
03:42Seulement, ça n'a pas suffi à faire varier les sondages,
03:45ça a seulement beaucoup fait rire Internet.
03:48-"They're eating the dogs,
03:50they're eating the cats,
03:53they're eating the pets of the people that live there."
03:58Qu'est-ce qui a changé depuis ?
04:00Depuis que l'aimant Trump a changé de ton,
04:03il a décidé de s'en prendre frontalement à Kamala Harris
04:06et d'insister sur le fait qu'elle est une femme,
04:09sous-entendu une faible femme.
04:11Il a donc fait produire tout un corpus d'images extrêmement viriles.
04:14Chez le Barbier, par exemple,
04:16il a choisi d'attaquer sa concurrente ad nominem,
04:18et tous les azimuts, y compris jusque dans les cuisines de McDonald's.
04:23-"She never went to McDonald's."
04:26-"Elle n'a jamais travaillé chez McDonald's.
04:28C'est Kamala la menteuse."
04:30Résultat, ça marche, les courbes se resserrent.
04:33Kamala Harris a donc appelé Barack Obama à la rescousse
04:36et décidé, elle aussi, de tirer à boulet rouge
04:38contre Donald Trump, et voilà comment on a atteint,
04:41cette semaine, le point Godwin dans cette campagne électorale.
04:45-"Il a dit qu'il voulait des généraux
04:47comme ceux qu'avait Hitler."
04:50-"Hitler", fasciste, Kamala Harris a également traité Trump
04:53de dérangé et d'instable, pendant qu'une parodie
04:57faisait passer l'ancien président pour un vieux schnock
05:00totalement sénile qu'il fait aujourd'hui le régal
05:03du camp démocrate.
05:04A 10 jours du scrutin, Clément, il est grand temps
05:07que cette campagne chiquissime se termine.
05:10Merci beaucoup, Bruno Donnet.
05:12Pour commencer, on va prendre la direction des Etats-Unis
05:15pour aller voir Richard Verli.
05:17Vous êtes sur place pour le média en ligne Blic.
05:20Vous avez notamment suivi les équipes de Kamala Harris
05:23en Pennsylvanie. Là, je crois que vous êtes
05:26dans l'Etat de Virginie, c'est ça ?
05:28Absolument, et je ne suis pas n'importe où.
05:30Je suis à Fredericksburg, au sud de Washington,
05:33à environ une heure de Washington, dans une armurerie.
05:36L'armurerie vient d'ouvrir. Je tourne légèrement la caméra.
05:39Dans ce magasin, on vend des armes.
05:41Les premiers clients sont arrivés.
05:43Ce magasin s'appelle All Precision.
05:45Je suis venu ici parce que je voulais savoir
05:48ce qu'il en est de la vente d'armes dans ce climat
05:51qui vient d'être décrit.
05:52La Virginie, c'était un état-clé de la guerre de sécession.
05:56Est-ce qu'il y aurait, parce qu'on se pose la question,
05:59un risque de guerre civile aux Etats-Unis
06:02après l'élection du 5 novembre ?
06:04Parler de ces sujets, il y a une certaine tension.
06:08Richard, comment sentez-vous
06:09cette fin de campagne présidentielle américaine sur le terrain ?
06:13En fait, il y a deux campagnes.
06:15C'est ça que j'ai découvert au fil de ce voyage
06:17que je fais sur les routes américaines.
06:20Il y a la campagne de Trump,
06:21qui est une campagne totalement basée sur le buzz.
06:24Il fait le buzz maximal,
06:25parce qu'au fond, ce que j'entends des responsables républicains,
06:29c'est qu'il est convaincu d'avoir fait le plein de ses électeurs.
06:33Les partis politiques du pays sont mobilisés.
06:35Chez Kamala Harris, c'est différent.
06:38Il y a les déclarations que vous venez de montrer.
06:41Elle est très offensive, mais il y a aussi une campagne de terrain,
06:44le canvassing. Je l'ai vu à Washington.
06:46Vous savez, à Washington, c'est une ville démocrate,
06:50une ville noire. Ils envoient des gens
06:52dans les Etats voisins, les Etats-clés,
06:54par exemple en Pennsylvanie, pour frapper aux portes
06:57et pour essayer de dénicher les votes
06:59des deux corporations, des deux unités
07:02qui ont besoin des hommes noirs américains
07:04et des femmes modérées républicaines,
07:06notamment sur le thème de l'avortement.
07:09C'est dans ces deux segments de la population
07:11et de l'électorat que Kamala Harris doit se refaire
07:14ces prochains jours.
07:16Merci beaucoup, Richard Verli, en direct des Etats-Unis.
07:19Bonne fin de campagne américaine à vous.
07:21Marie-Cécile Nave, on vient d'entendre le ressenti
07:24sur le terrain de Richard Verli.
07:26On a vu ses sondages, présentés par Bruno Donnet,
07:29qui semblent montrer que l'écart se resserre.
07:32Ses sondages, ils sont fiables, selon vous ?
07:35Ils traduisent une réalité ?
07:36Là, vous avez montré des sondages nationaux.
07:39Les sondages nationaux...
07:40Ca ne veut pas dire grand-chose.
07:42Ca se joue dans six, sept Etats,
07:45et depuis un mois, partout, les intentions de vote sont stables.
07:49Mais tous les sondages sont à la marge d'erreur.
07:53Donc on ne sait pas, en fait.
07:54Vous dites stables quand, dans les médias,
07:57on a le sentiment que Donald Trump refait son retard,
08:00voire passe devant Kamala Harris.
08:02Il y a un sujet derrière ça ?
08:03Ca dépend de quels médias on parle,
08:05mais un certain nombre de journaux
08:08ou de chaînes télévisées font la moyenne
08:11de sondages qui sont faits,
08:13soit par des instituts de sondage indépendants,
08:16soit, et on le voit monter en puissance
08:18depuis quelques semaines, des sondages
08:20qui sont faits par des instituts ultrapartisans
08:23du côté républicain.
08:24On avait vu la même chose en 2022.
08:26Des sondages ultrapartisans,
08:28ce sont des instituts de sondage
08:30qui ne sont pas indépendants ?
08:31Ils ne sont pas indépendants et ont des biais
08:34dans les échantillons.
08:35Ils sont repris par les médias ?
08:37Non, c'est-à-dire que les médias font des moyennes
08:40d'un certain nombre d'instituts,
08:42et certains, comme le Washington Post,
08:44modèrent, voire écartent ces instituts ultrapartisans
08:49et montrent qu'effectivement,
08:52la course est totalement stable depuis un mois.
08:54On avait vu la même chose en 2022,
08:56c'est-à-dire que quelques mois avant les élections,
08:59on annonçait une vague rouge qui allait déferler
09:02sur le Congrès parce que la moyenne des sondages
09:05était quand même un peu,
09:07même parfois beaucoup,
09:09intoxiquée, si je puis dire,
09:11par ces sondages ultrapartisans
09:13qui ont trois objectifs.
09:15Encourager les indécis à aller voter pour Trump.
09:19Pas ceux qui hésitent entre deux candidats,
09:21mais qui hésitent à aller voter,
09:23plutôt du côté conservateur.
09:25Faire en sorte que la confiance
09:28s'installe d'un côté et pas de l'autre.
09:31Et puis, troisième objectif, contester l'élection
09:34dans le cas où Trump perdrait en disant
09:36que les sondages étaient pour nous et les démocrates ont gagné.
09:39C'est bien qu'il y ait eu de la triche.
09:42Sur quoi va se jouer cette élection
09:44dans cette dernière ligne droite, pour vous ?
09:46Sur les mêmes thèmes sur lesquels elle se joue
09:49depuis l'entrée en campagne de Kamala Harris, en réalité,
09:52sur des thèmes qui sont tout bêtement ceux
09:54sur lesquels on vote aux Etats-Unis,
09:56l'économie, l'immigration, l'inflation, évidemment,
09:59et puis toujours, comme on vient de parler de sondages,
10:02en pondérant le fait que,
10:05surtout en matière d'inflation,
10:07il y a le chiffre affiché sur une carte comme en météo
10:10et puis il y a le ressenti.
10:12Le ressenti de la plupart des Américains,
10:14des Américaines, en tout cas ceux qui en parlent ouvertement,
10:18c'est de dire que même,
10:19ils ne s'en rendent peut-être pas compte aujourd'hui,
10:22quand l'inflation a baissé, au mois de septembre,
10:24l'inflation est repassée sous la barre des 2,1 %,
10:27ce qui n'était pas arrivé sur les quatre dernières années,
10:30la Fed américaine a baissé ses taux directeurs
10:33pour la première fois en quatre ans,
10:35ce qui n'avait été jamais vu jusqu'alors.
10:38Ils ne s'en rendent pas compte.
10:39Surtout, ils ne le ressentent pas de cette façon-là.
10:42Leur problématique, c'est de savoir avec quoi ils vont payer
10:46leur loyer à la fin de la semaine,
10:48leurs médicaments ou leur hospitalisation
10:50qu'ils vont devoir assumer financièrement.
10:53Et ça, le problème, c'est que... Enfin, le problème.
10:56En l'occurrence, eux se souviennent qu'en 2016,
10:58ils avaient l'impression de mieux gagner leur vie
11:01ou, en tout cas, de mieux réussir à pouvoir la manager matériellement.
11:05Et sur l'économie, par exemple,
11:08les propositions qui sont avancées par Kamala Harris,
11:11elles restent peu incarnées en réalité.
11:14Si je vous dis Make America Great Again,
11:16vous allez dire que c'est du Donald Trump, du MAGA,
11:19on sait où on va, ou pas, mais en tout cas, c'est identifié.
11:22Si je vous dis When We Fight, We Win,
11:25ou Yes, She Can,
11:27ou We're Not Going Back,
11:29oui, c'est du Kamala Harris,
11:31mais vous allez du mal à réussir.
11:33Elle est rentrée en campagne plus tardivement.
11:35Elle est moins connue.
11:37Elle est moins connue.
11:38Tout ce que vous venez de dire est vrai.
11:40Ce qui est intéressant, c'est de voir à quel point
11:43cette petite musique est en train de monter,
11:45même dans le camp démocrate,
11:47on est en train de préparer les arguments
11:50en cas de défaite de Kamala Harris,
11:52pour dire, OK, peut-être qu'on a changé de cavalier
11:55au milieu de la bataille et peut-être qu'on l'a fait trop tard.
11:58Est-ce que c'était la bonne candidate
12:00pour assurer les couleurs du Parti démocrate ?
12:03Est-ce que, ben, on lui a réussi à lui faire aussi avoir...
12:06Il y a une perte de confiance dans le camp démocrate.
12:09Il y a une perte de confiance
12:11parce qu'il n'y a pas de croisement des courbes,
12:13enfin, prolongé, tel qu'on l'avait vu
12:15du changement de Kazakh démocrate,
12:17et parce que, surtout, on sait qu'en matière
12:20de maths électorale américaine,
12:22vous avez besoin d'une réserve énorme
12:24au vote populaire pour pouvoir le convertir
12:27au collège électoral.
12:28Souvenez-vous ce qui est arrivé à Hillary Clinton en 2016.
12:313 millions d'avances de voix au vote populaire,
12:34elle perd le collège électoral, donc elle n'est pas présidente.
12:37On est en train d'essayer d'assurer le service avant-vente.
12:41La chose est prête.
12:42Votre regard sur cette fin de campagne de Donald Trump,
12:45peut-être, parce que c'est davantage votre domaine.
12:48Il y a, vous en parliez bien, une radicalisation,
12:50et à chaque fois que Donald Trump est mis en difficulté,
12:53il va un cran plus loin.
12:55On peut se souvenir que même quand il était président,
12:58par exemple, et qu'il était mis en difficulté
13:00sur l'enquête russe, sur l'impeachment,
13:03par exemple, les journalistes sont devenus l'ennemi de l'Etat,
13:06l'ennemi du peuple, c'était les ennemis du peuple.
13:09C'est quand même un terme assez violent
13:11pour parler des journalistes.
13:14Et puis, là, on est arrivé à l'ennemi intérieur,
13:18l'ennemi intérieur qui est quand même les opposants,
13:21donc là, on est quand même dans un autre niveau,
13:24et en parlant, en mettant en scène aussi
13:26une forme de violence qu'il fait depuis très longtemps,
13:29mais qui est plus dirigée vers des individus.
13:32Adam Schiff, par exemple,
13:34qui était à la tête de la commission d'enquête,
13:36justement, à ce moment-là,
13:38l'enquête par rapport à la Russie,
13:40Nancy Pelosi, enfin, ils nomment des gens,
13:42et voilà, donc là, c'est encore un cran plus loin.
13:45On peut craindre, effectivement,
13:47qu'il y ait cette opposition aussi avec Mark Meyler,
13:51le général qui...
13:53-...avec plusieurs de ses anciens généraux.
13:55-...et John Kelly, et il faut voir que c'est eux
13:58qui les ont appelés fascistes,
14:00et donc Kamala Harris a repris,
14:02mais c'est quand même extraordinaire
14:04d'avoir les plus haut-gradés aux Etats-Unis
14:06qu'on puisse avoir, qui étaient quand même
14:09de l'Etat-major interarmé.
14:10On travaillait donc à la Maison Blanche,
14:13et qui le qualifie de fasciste.
14:15Et d'ailleurs, Donald Trump avait appelé
14:17à ce qu'il soit exécuté aussi,
14:19donc c'est une violence incroyable.
14:21Vincent Rugeux, comme tous les quatre ans,
14:23on parle des swing states.
14:25Ces quelques Etats qui font souvent basculer
14:27l'élection d'un côté ou de l'autre aux Etats-Unis,
14:30ça va encore se jouer dans ces Etats-clés, selon vous ?
14:33Selon, en tout cas, des analystes
14:35qui ont une expertise plus affûtée et plus ancienne
14:38que la mienne, il n'y a pas l'ombre d'un doute là-dessus.
14:41La nature même du système électoral américain,
14:44avec ce winner-take-all, le gagnant rafle-tout,
14:47fait que...
14:48-"Etat par Etat", on le rappelle.
14:50Un nombre de grands électeurs.
14:52-...on peut ne pas être élu en ayant près de 3 millions de voix
14:55de plus que son adversaire.
14:56C'est advenu il n'y a pas si longtemps.
14:59J'ai cassé ma boule de cristal depuis un moment.
15:01J'ai une certitude, c'est que personne ne sait qui va gagner.
15:05Pas même les experts les plus affûtés
15:07et les plus chevronnés de la scène politique américaine.
15:10Il y a trop d'éléments d'incertitude
15:12qui portent sur ces Etats pivots, auxquels vous faites allusion,
15:15mais qui portent aussi sur le comportement du marais
15:18ou de ce qu'il en reste.
15:20-"Vous parlez des indécis".
15:21C'est quelle proportion de l'électorat américain ?
15:24C'est mineur en termes de pourcentage.
15:26J'ai entendu des estimations qui allaient de 7 à 10 %,
15:30mais c'est évidemment décisif,
15:32notamment dans les Etats-clés évoqués à l'instant.
15:37Si vous voulez, on a dit au début, c'était le postulat dominant,
15:41que c'est là que ça se jouerait.
15:43Or, à l'évidence, ni l'un, Trump, ni l'autre, Harris,
15:47ne misent vraiment là-dessus encore moins Trump,
15:50parce que lorsque l'on veut aller convaincre
15:52des Républicains traditionnels
15:54et faroucher par les outrances ordurières de Trump,
15:57on n'en rajoute pas une louche.
15:59Au contraire, on essaie de tempérer son tempérament,
16:02ce qui est au-dessus de ses forces.
16:04De l'autre côté, je crois qu'il y a eu
16:06une sorte d'effet d'aubaine un peu trompeur,
16:09c'est-à-dire que le soulagement qui a été inspiré
16:11par le retrait de Joe Biden a fait oublier
16:14qu'au sein même des doyens
16:17du Parti démocratique canal historique,
16:19il y avait des préventions sur la capacité
16:22de Kamala Harris à emporter la mise
16:24et sur son équation personnelle, disons les choses,
16:27en termes de charisme, etc.
16:29Effectivement, ça va peut-être se jouer là,
16:32mais ce qui est, et je termine là-dessus,
16:34à mon sens, une évidence, il n'y en a pas beaucoup,
16:37c'est que Trump, et il le montre
16:39par ses dérapages plus ou moins contrôlés,
16:42sait qu'il peut miser sur un socle absolument inébranlable,
16:45qu'il ne sera pas troublé par ses propos.
16:49Il a quand même un appareil de désinformation
16:51extrêmement performant et il a aussi des soutiens fortunés,
16:55on y reviendra peut-être avec Elon Musk,
16:57et des soutiens influents, parce qu'ils ne sont pas
17:00les plus connus en France, mais ils ont beaucoup d'audience.
17:03J'en cite deux. Il y a un certain Joe Rogan,
17:06chez qui il va s'exprimer très bientôt,
17:08un podcasteur qui est ensuite aussi un expert des arts martiaux,
17:11extrême, acteur, humoriste, etc., etc.
17:14Et puis un autre personnage encore moins connu chez nous,
17:17qui s'appelle Charlie Kirk, un jeune type de 31 ans,
17:20qui a confondé à 18 ans une organisation
17:23de, en quelque sorte, de diffusion
17:25des fantasmes libertariens pré-trumpistes
17:29ou post-trumpistes, et qui, lui, fait un travail de fond
17:32qui est, il faut le reconnaître, très efficace,
17:35et qui colporte toutes les fadaises de la complosphère,
17:39du Covid à tout ce que vous voulez sur Bachar el-Assad,
17:45dont les attaques chimiques étaient un gros mensonge.
17:48C'est intéressant, parce qu'en l'occurrence,
17:51quand on oppose aujourd'hui, puisque ce vendredi,
17:53notamment, Donald Trump va s'exprimer
17:56sur le podcast de Joe Rogan,
17:58qui, par ailleurs, conseillait aux jeunes
18:00pendant la période du Covid de ne pas les faire vacciner,
18:03au même moment où il a un Clinton, pardon, la puce absolue,
18:07où Kamala Harris sera en meeting au Texas avec Beyoncé,
18:11qui est vraiment la texane, la star de l'Etat, et pas que,
18:16finalement, Beyoncé et Joe Rogan,
18:18malheureusement, je pense que c'est Joe Rogan
18:20qui gagne au poids électoral et au poids de conviction
18:24auprès du segment, en tout cas,
18:26que Donald Trump veut aller chercher.
18:29C'est vrai que ce contraste entre Hollywood,
18:31qui se mobilise, mais peut-être un peu timidement,
18:34peut-être un peu tard, en faveur du camp démocrate,
18:37versus la sphère des influenceurs d'extrême droite,
18:40qui est tout acquis à la cause de Donald Trump...
18:42-"Anti-establishment".
18:44-...oui, je pense que de ce point de vue-là,
18:46on est en 2024, le cycle médiatique,
18:48il n'est pas de 24 heures, il en est de 48 en 24 heures,
18:51parce qu'il est démultiplié sur toutes les caisses de résonance,
18:55notamment les plateformes sociales,
18:57et à ce jeu-là, il me semble que Donald Trump a pris de l'avance.
19:00On va se pencher sur la rhétorique de Donald Trump
19:04et revenir un peu sur les différentes fake news
19:07dont il s'est emparé,
19:09et ses vérités alternatives, comme il les appelle,
19:12les insultes qu'il a pu lancer à l'encontre de son adversaire.
19:16On va revoir un florige-lèche
19:18de ses déclarations les plus étonnantes
19:20avec Marion Becker, qui s'est plongée dans le cerveau de Trump.
19:23...
19:28C'est la campagne de toutes les outrances.
19:32-"À Springfield, ils mangent des chiens.
19:36Les gens qui viennent, les migrants,
19:38ils mangent des chats, ils mangent des animaux de compagnie."
19:41Depuis des mois, Donald Trump est en roue libre.
19:44Il multiplie les jurons et les insultes
19:47contre ses deux cibles préférées.
19:50-"Dès que j'aurai prêté serment,
19:52je lancerai le plus vaste programme d'expulsion
19:55de l'histoire des Etats-Unis."
19:57Il faut dire à Kamala Harris que vous en avez assez,
20:02que vous n'en pouvez plus.
20:04Nous ne pouvons plus te supporter.
20:07Tu es une vice-présidente pourrie.
20:10La pire.
20:11Tu es la pire vice-présidente, Kamala.
20:14Tu es virée. Sors d'ici.
20:16Tu es virée.
20:17...
20:20Les attaques n'ont jamais été aussi violentes.
20:24On connaissait les propos misogynes, racistes de Donald Trump.
20:28Au gré des meetings, il va encore plus loin,
20:31divisant la société.
20:32...
20:35-"Nous ferons en sorte que la théorie critique de la race
20:38et la folie transgenre disparaissent de nos écoles.
20:42...
20:44Et nous empêcherons les hommes de pratiquer des sports féminins."
20:47...
20:49La campagne a dévoilé ses excès,
20:52des propos décousus.
20:54-"Je dis que le plus beau mot de tout le dictionnaire,
20:59c'est le mot tarif, comme tarif douanier,
21:02parce que j'adore les tarifs douaniers."
21:05...
21:06Et des scènes ubuesques.
21:07...
21:13Désormais, à la fin de tous ces meetings,
21:16sans prononcer le moindre mot,
21:18Donald Trump diffuse 40 minutes de musique
21:22et, étrangement, voyait un cillet.
21:25...
21:28-"J'ai pas besoin de la refaire."
21:30Est-ce que Kamala Harris a raison de se préoccuper
21:33publiquement de la santé mentale de Donald Trump ?
21:36Est-ce que c'est un argument qui peut peser sur l'électorat ?
21:40Alors, quelle est raison de s'interroger
21:42sur l'état mental de l'intéressé ?
21:45Oui, et elle n'est pas la seule.
21:46On peut considérer qu'il théâtralise ces outrances,
21:49mais il y a quelque chose de profondément inquiétant
21:52dans certaines de ses postures, notamment ces 17 minutes
21:55où on a vu une sorte de zombie dont on se demandait
21:58s'il avait conscience de l'endroit où il était
22:01et dont on voit au passage que toute la rhétorique
22:03sur le vieux et sénile Joe Biden tend quand même
22:06à se retourner contre lui.
22:08Pour le reste, moi, je me méfie, vous savez,
22:10de la thématique de la folie chez les hommes d'Etat,
22:13car depuis Caligula, ils le sont tous à peu près,
22:16mais ils ne sauraient pas là où ils sont.
22:18Simplement, ce qui est vrai, c'est que quand on songe
22:21à ce socle inaltérable de soutien de Trump,
22:25qui sont prêts à le suivre en enfer,
22:27et ça tombe bien, car c'est là qu'il les emmène,
22:30s'il est réélu, eux ne se posent pas du tout cette question-là.
22:33Et encore une fois, je pense qu'une riposte rationnelle,
22:36apaisée, factuelle, qui est la seule
22:38que tout universaliste digne de ce nom peut défendre,
22:41est simplement inefficace, elle n'est pas opératoire.
22:45Et faire venir sur scène
22:46Beyoncé, Bruce Springsteen, etc.,
22:50c'est très joli pour l'électorat de la côte est,
22:53mais ce n'est pas ça qui va ébranler,
22:55je dirais, le corps même de l'électorat trumpiste.
22:58Marie-Cécile Nave, il y a quand même
23:00une partie de l'électorat républicain
23:03qui est effrayée par Donald Trump ?
23:05Mais ça pèse dans le vote ?
23:07Peut-être que toute la dynamique d'insultes qui va...
23:10Là, vous avez montré quand même,
23:12avec une traduction parfois
23:14qui est beaucoup plus souple que les mots anglais au départ.
23:17-"Si on éloigne les enfants de poste,
23:19c'est vice-présidente de merde,
23:21c'est taré, c'est de la glandeuse, c'est de la pourriture."
23:24Voilà la traduction des propos tenus.
23:27Voilà. Plus la dynamique des insultes,
23:29et c'est probablement ce qui va se passer,
23:31va se poursuivre jusqu'au 5 novembre,
23:34plus ça peut aussi, en espoir des démocrates,
23:37rebuter une partie des gens qui hésitent encore.
23:40Mais ce qu'il faut quand même dire,
23:41c'est qu'entre 2016 et 2020,
23:43Trump fait 11 millions de voix de plus.
23:46Il fait 74 millions de voix en 2020.
23:50Il n'y a pas 74 millions de racistes, de fascistes
23:54ou de gens qui sont militants ultra-Trump.
23:56L'immense majorité de l'électorat Trump,
23:58c'est un électorat pragmatique,
24:00qui n'est pas très content,
24:02voire qui est au contraire très mécontent
24:05d'avoir Trump comme candidat,
24:06qui a peut-être une avance sur Harris en termes de campagne,
24:09il est en campagne depuis 4 ans.
24:11Ca fait 4 ans qu'il dit qu'il a gagné l'élection de 2020,
24:14que Biden a été élu,
24:16avec de la triche, etc.
24:19Donc il a quand même une avance considérable
24:21en termes de temps médiatique,
24:23plus dans les prétoires des tribunaux,
24:25il a aussi continué à faire campagne.
24:27L'électorat de Trump, c'est pas un électorat militant
24:31qui le considère comme un gourou pour son immense majorité.
24:34Il se dit qu'il va baisser les impôts.
24:36Il dit qu'il va supprimer l'impôt sur le revenu.
24:40Comment on va financer les dépenses sociales ?
24:42On va supprimer le ministère de l'Education aussi,
24:45ça fait partie.
24:46Il va déréguler l'économie,
24:48il va, dit-il, isoler les Etats-Unis
24:51sur la scène internationale
24:53en se concentrant sur les problèmes des vrais Américains,
24:57c'est-à-dire les Blancs, etc.,
24:58ce qui est impossible dans le monde auquel on vit aujourd'hui.
25:02Et donc, c'est un vote qui est essentiellement pragmatique,
25:05certes partisan, mais pas ultra-militaire.
25:08Comment pourrait-on le penser ?
25:10Finalement...
25:11Sur la rhétorique, peut-être.
25:13Je voudrais vous entendre sur la rhétorique de Trump.
25:16Vous avez travaillé sur le choix des mots qu'il emploie,
25:19ses insultes, ses fake news, ses vérités alternatives.
25:22Tout cela, c'est très travaillé, c'est improvisé,
25:25il y a une stratégie pensée derrière ça ?
25:27Ce qu'il faut voir, c'est que dans les meetings,
25:30on voit, comme le disait très bien Marie-Cécile,
25:32c'est que là, on n'a pas l'ensemble de l'électorat
25:35et qu'on a un électorat qui aime ça.
25:38Et plus ça choque la gauche
25:42ou les médias bien-pensants,
25:45pour reprendre des termes qu'ils ont utilisés,
25:48ça plaît, en fait.
25:50Et c'est le politiquement incorrect, en fait.
25:52C'est vraiment cette idée que le politiquement correct,
25:55c'est un truc qui nous a été imposé,
25:57et c'est cette idée que, en fait, là, on est dans l'authenticité,
26:01et Trump, il bénéficie de ça,
26:04et quand il parle de Kamala Harris
26:07en étant une vice-présidente de merde,
26:09ça les fait beaucoup rire, ça les amuse et ça leur plaît.
26:12On voit les applaudissements.
26:14Dans les meetings.
26:15Il y a quand même deux éléments
26:17dont on n'a pas encore parlé,
26:18qui sont quand même nouveaux depuis 2020.
26:21D'abord, il y a eu le 6 janvier,
26:23mais il y a aussi eu DOB,
26:25c'est-à-dire l'arrêt par rapport à l'avortement
26:27et au fait que l'avortement n'est plus protégé
26:30au niveau fédéral.
26:31Donc ça, ce sont quand même des éléments
26:34dont on mesure difficilement encore l'impact électoral,
26:37même si on voit que ça motive aussi certains électeurs,
26:40surtout la question de l'avortement.
26:43Et on voit d'ailleurs que Trump a essayé, à un moment donné,
26:46de récupérer l'électorat féminin, il n'y arrive pas,
26:49et là, il est à fond sur, justement, les hommes jeunes
26:53et de faire le plein des voix
26:56pour plein de raisons éventuellement.
26:58Pour contrer l'électorat féminin.
27:00Exactement.
27:01On a l'élection la plus genrée, sans doute,
27:04depuis très longtemps.
27:05On va en parler, mais d'abord, le regard du philosophe.
27:08Quand vous voyez cette rhétorique de Donald Trump,
27:11qui semble fonctionner, ses adversaires ont beau
27:14essayer d'employer des arguments rationnels,
27:16ça n'imprime pas sur une grande partie de l'électorat américain,
27:20comment vous voyez cette marginalisation
27:22de la raison dans une démocratie comme les Etats-Unis ?
27:25De ce point de vue, l'alliance objective et subjective
27:29d'Elon Musk est tout à fait révélatrice,
27:31du fait qu'au fond, il constitue une sorte de monde parallèle,
27:34en quelque sorte, indépendant des vérités,
27:37des objectivités, un monde virtuel qui finit par l'emporter
27:41sur le monde réel ou sur les faits objectifs
27:44dans l'esprit de quantité de ses partisans.
27:48Il y a aussi un désir, de la part, je pense,
27:50de ses partisans de nier systématiquement
27:53ce qui revient dans les médias mainstream,
27:56bien pensant, précisément, il y a un désir de la transgression,
27:59ce qui est tout à fait singulier.
28:01Comment débattre s'il n'y a plus d'arguments rationnels ?
28:04Je ne crois pas qu'il y ait lieu à débattre.
28:07C'est plutôt une montée en extrême permanente.
28:10Après, il faut le rappeler,
28:11puisque vous avez montré que maintenant,
28:14à juste titre, Trump est accusé d'être fasciste ou fascisant,
28:17mais il faut rappeler que jusqu'à récemment,
28:20et encore maintenant, Biden puis Kamala Harris
28:22étaient traités de communistes par Trump,
28:25ce qui n'est pas exactement, du point de vue économique et social,
28:28ce que l'on peut penser d'eux.
28:30Au fond, le plus préoccupant, c'est, je ne sais pas si Trump
28:34peut être qualifié de fasciste au sens strict du terme,
28:37mais néanmoins, son rapport à la démocratie,
28:39pour le dire simplement, est un peu paradoxal,
28:42puisqu'au fond, et c'est assez fasciste,
28:44il est pour la démocratie si elle le fait gagner,
28:47mais il a déjà envisagé, déjà d'ailleurs pratiqué en 2020,
28:50et il a déjà ici prévenu que si jamais il devait perdre,
28:53en fait, il ne peut pas perdre,
28:55et par conséquent, on se situerait certainement ici
28:58à la frontière de quelque chose comme une guerre civile
29:01ou, en tous les cas, un affrontement
29:03qui peut être dévastateur.
29:05Je pense qu'on est déjà entrés dans une guerre civique
29:08aux Etats-Unis, ne serait-ce que par l'arrêt...
29:11Ca veut dire quoi pour vous ?
29:12Ne serait-ce que par l'arrêt de la Cour suprême de juin 2022,
29:16qui, du coup, met un coup d'arrêt au droit à l'avortement,
29:19sur l'ensemble du système fédéral américain,
29:22à partir du moment où une Cour suprême
29:24donne le droit à des Etats de s'autodéterminer
29:26sur une question sociétale aussi fondamentale
29:29que le droit à l'avortement,
29:31qui était un ciment, encore une fois, sociétal,
29:33dans l'Etat fédéral, on a un sérieux problème.
29:36Et à quoi, du coup, servirait un Etat fédéral
29:39quand on veut mettre à mal les financements
29:42de l'ensemble, en l'occurrence, des allocations
29:45qui peuvent être données par des institutions fédérales,
29:48quand on veut mettre fin aux mécanismes
29:51aux ministères de l'Education,
29:53quand on veut mettre fin à un nombre assez fou
29:57d'institutions fédérales qui luttent notamment
30:00contre le changement climatique,
30:02ce qui est le cas dans le fameux projet de 2025,
30:05Project 25, qui a été littéralement écrit
30:07pour Donald Trump quasiment sur mesure,
30:10et même si, jusqu'à aujourd'hui, il se défend de le porter,
30:13en l'occurrence, c'est quand même la base
30:15de la plateforme républicaine pour cette élection de 2024,
30:19la vraie question, c'est à quoi ça sert
30:21d'être encore une fédération, les Etats-Unis d'Amérique ?
30:24Ce qui est intéressant sur l'avortement,
30:26c'est que, comme beaucoup de questions,
30:28et comme la question par rapport aux immigrés,
30:31c'est que pour beaucoup d'Américains
30:33qui n'ont pas vraiment une culture politique
30:36très développée, c'est quand on en arrive dans le réel
30:39qu'on s'aperçoit qu'en fait, ça ne fonctionne pas.
30:42C'était très abstrait, l'avortement.
30:44La question de l'avortement, ça fait 30 ans
30:46que c'est quelque chose qu'on entend à droite,
30:49chez les Républicains, chez les évangéliques, notamment,
30:52mais là, quand ça devient concret,
30:54on voit que c'est plus complexe que ce qu'on pense,
30:57qu'il y a des questions après-médicales,
30:59et ce qui est problématique, c'est que,
31:01pour beaucoup de propositions que fait Donald Trump,
31:04l'aspect pratique va vraiment...
31:06Je pense que les gens ne sont pas conscients
31:09de ce que ça implique.
31:10Je voudrais qu'on parle un peu de Kamala Harris aussi,
31:13parce qu'elle en parle beaucoup.
31:15Visiblement, il semble que le vote noir
31:17soit en train de lui échapper.
31:19Est-ce que c'est une réalité ?
31:21Ca s'explique comment ?
31:22Le vote noir, ça n'existe pas.
31:24C'est essentialiser les gens en fonction de leur couleur de peau.
31:28Ca n'existe pas en France,
31:29mais aux Etats-Unis, on raisonne souvent comme ça.
31:32Non, parce que, d'abord, il faut différencier les hommes et les femmes,
31:36ensuite, le niveau de diplôme, le territoire de vie,
31:39le niveau de revenu, il faut croiser tout ça,
31:41et on a des données extrêmement différentes
31:43d'un Etat à l'autre, d'un quartier à l'autre,
31:46et parfois d'une rue à l'autre.
31:48Du côté des femmes diplômées du supérieur,
31:50et même des femmes des classes populaires,
31:53il y a un soutien massif à Kamala Harris,
31:55non seulement dans le vote, mais aussi dans l'engagement
31:58dans la campagne, c'est-à-dire encourager
32:01à s'inscrire sur le lycée électoral,
32:03faire la campagne de terrain, les meetings, etc.
32:06Et puis, chez les hommes plutôt jeunes,
32:08plutôt diplômés du supérieur,
32:10qui, pendant la première présidence de Trump,
32:13Trump, ça ne leur évoque pas grand-chose,
32:15ils étaient très jeunes, et ils peuvent être séduits
32:18par le côté ne pas avoir de compte à rendre,
32:21le côté entrepreneuriat facile,
32:23même si c'est un mythe, chez Trump,
32:25c'est une sorte de marque à entretenir,
32:27mais qui est très largement fondée sur un mythe,
32:30l'entrepreneur qui réussit tout,
32:32et peut-être une certaine rhétorique masculiniste
32:35dans certains segments de la population masculine,
32:38mais pas que chez les Noirs.
32:40Donc, effectivement, sans doute qu'elle va perdre du terrain
32:44chez une partie des hommes noirs non diplômés du supérieur,
32:47mais peut-être qu'elle va en gagner aussi
32:50chez les femmes blanches diplômées du supérieur
32:53qui vivent dans les banlieues résidentielles
32:55des grandes villes des États de la Rust-Belt.
32:58Vincent Lejeu ?
32:59Oui, très rapidement, pour revenir
33:01sur la description de Marie Cécile,
33:03il n'y a pas plus de vote noir aux Etats-Unis
33:05que de vote juif en France.
33:07Il faut les catégoriser
33:08de la manière qu'il vient d'être esquissé.
33:11En revanche...
33:12Elle est identifiée comme noire.
33:14Elle-même a fait ce choix.
33:16Il y avait une forme de tiédeur,
33:18voire de déception vis-à-vis de l'administration démocrate
33:21et de sa performance dans ces électorats-là,
33:24puisqu'il est éclaté.
33:25Là, c'est peut-être une sorte de bonne nouvelle paradoxale
33:28d'avoir la perspective d'un retour à la Maison-Blanche
33:32d'un type qui est ouvertement raciste
33:34et qui est soutenu par des personnages
33:36qui le sont davantage encore et de manière totalement assumée.
33:39En revanche, il y a une inquiétude
33:41du côté des Hispanics, des Latinos,
33:43où, là aussi, on sent quand même une sorte d'usure
33:46de ce vote automatique que les démocrates croyaient acquis.
33:49Il y a un phénomène qui est très classique,
33:52qu'on a connu en France aussi.
33:53Les analogies transatlantiques sont toujours acrobatiques,
33:57mais l'époque de l'immigration maghrébine,
33:59où on nous disait que nous, on était aptes à l'intégration,
34:02mais la vermine qui arrive derrière,
34:04du Maroc, d'Algérie ou de Tunisie, ça ne va pas être possible.
34:08Celui qui est venu d'Amérique centrale, d'Amérique latine,
34:11qui a réussi à s'installer dans le rêve américain,
34:14de manière parfois un peu désevante, d'ailleurs,
34:17il se dit que si ça continue d'arriver,
34:20c'est mon propre statut qui va être fragilisé
34:22et l'hostilité va également, en quelque sorte,
34:25rayonner sur moi-même.
34:27Le mot de la fin ?
34:28Pour le vote hispanique, ce qui est aussi intéressant,
34:31c'est qu'on a quand même une variabilité importante
34:35entre les Cubains ou les Vénézéliens
34:37et les Mexicains, notamment par rapport
34:39à cette menace communiste que représentait Camila Harris.
34:42Il faut retenir que ce sont des électorats
34:45qui ne sont pas monolithiques, et encore plus cette année que jamais.
34:48Ce qu'on regarde dans les derniers jours
34:51qui nous séparent de la deadline pour aller voter,
34:54parce qu'on vote déjà dans la plupart des Etats américains,
34:57et les inscriptions, par exemple, pour les lycées électorales,
35:00s'achevaient le lundi en Pensylvanie.
35:03Ce qu'on va regarder d'ici le 5 novembre,
35:05c'est ces sous-sections de sous-sections
35:07de la sociologie électorale pour savoir où elle est grappillée
35:10à la voix près, celle qui pourrait faire gagner un camp ou un autre
35:15et surtout traduire, je le rappelle, en maths de politique américaine,
35:19en vote populaire, le collège électoral
35:21et avoir cette fameuse majorité de 270 grands électeurs
35:24au collège électoral, ce qui va être compliqué cette année.
35:27Merci beaucoup. C'est la fin de ce débat.
35:30Merci à tous les quatre d'être venus sur le plateau.
35:32Merci à Richard Verly, en direct avec nous depuis les Etats-Unis.
35:36Rendez-vous mardi 5 novembre,
35:37nuit américaine qui sera à suivre avec une antenne spéciale sur LCP.
35:41Michael Fossel, vous restez avec nous.
35:44On va évoquer cet ouvrage que vous avez coécrit avec Etienne Ollion,
35:47Une étrange victoire, l'extrême droite contre la politique.
35:51Un livre pour mieux comprendre la montée de l'extrême droite en France,
35:55les explications de Dario Borgogno.
35:57Si on vous invite,
35:58Michael Fossel et Etienne Ollion, c'est pour votre constat.
36:01L'extrême droite, dites-vous, vient de remporter une étrange victoire,
36:05celle de l'instauration de ses idées dans le paysage politique,
36:08et ce, sans jamais accéder au pouvoir,
36:10avec juste la force de son groupe à l'Assemblée.
36:13Un groupe de députés qui est arrivé aux élections législatives
36:17le premier en voie, le premier parti.
36:21Un certain nombre de manoeuvres nous ont privés
36:24de la majorité absolue.
36:26Ca n'est que partie remise.
36:28Vous êtes tous les deux chercheurs,
36:30l'un philosophe, l'autre sociologue,
36:32de domaines nécessaires pour analyser, selon vous,
36:35une bataille infrapolitique des idées menées par le RN.
36:39Le parti, dites-vous, a fait certaines concessions,
36:42comme l'appartenance à l'Union européenne
36:44ou l'inscription de l'IVG dans la Constitution,
36:47des prises de position qui brouillent les pistes.
36:49Ces changements programmatiques majeurs
36:51se sont toujours faits dans le même sens,
36:54celui de l'opinion majoritaire enregistrée par les études d'opinion.
36:58Des compromis pour imposer sur la scène politique et médiatique
37:01des thèmes chers à l'extrême-droite, comme l'immigration.
37:04Il est indéniable que sur certains sujets,
37:07l'extrême-droite a imposé ses manières de voir.
37:09Comment comprendre autrement que les élus de la majorité d'alors,
37:12qui se définissent comme centristes, aient pu voter en 2023
37:16une loi appliquant de facto la préférence nationale ?
37:18Et pourtant, selon vous, la lepénisation des esprits
37:21n'a pas encore eu lieu, mais pour combien de temps ?
37:24Le sursaut a eu lieu aux législatives,
37:26mais tout indique qu'il ne sera qu'un sursis.
37:31Bonsoir, Etienne Ollion.
37:33Vous avez coécrit ce livre avec Mickaël Fossel,
37:36qui est avec nous depuis le début de l'émission.
37:38Etrange victoire dans le titre, cette expression,
37:41c'est une référence à l'étrange défaite de la France en 1940.
37:44C'est une façon de pointer la responsabilité
37:47des élites françaises, à la fois politiques et médiatiques,
37:50selon vous ?
37:51C'est une manière de montrer qu'elle est étrange
37:53et qu'il y a des éléments qui ont été rappelés
37:56dans votre petit sujet,
37:57que le Rassemblement national et l'extrême droite en France
38:01se présentent comme plutôt les défenseurs de la République,
38:04de la laïcité, d'un certain nombre de conquêtes
38:07en termes de libéralisme culturel sur l'IVG,
38:09alors qu'historiquement, elle s'est constituée
38:12contre ces règles.
38:13Il y a une responsabilité des élites françaises ?
38:15Il y a une responsabilité dans le fait d'avoir intégré,
38:18en réalité, le Rassemblement national
38:21à ce qui se nomme désormais l'arc républicain,
38:23bien qu'on ait vu, au moment des élections législatives,
38:26que le front républicain s'est reconstitué en catimini.
38:29L'étrangeté, c'est simplement déjà le fait
38:32que l'usage du terme extrême droite
38:34est aujourd'hui remis en cause, non seulement...
38:37C'est une vraie bataille sémantique menée
38:39par le Rassemblement national
38:41contre ses adversaires politiques,
38:43contre les journalistes aussi.
38:45Et avec, certaines fois, la complicité
38:47d'un certain nombre d'hommes politiques
38:49qui ne sont pas du RN, j'entends,
38:51qui considèrent qu'il vaut mieux parler des extrêmes
38:54ou du populisme ou toute catégorie qui nous semble,
38:56à Étienne et à moi, un peu imprécise
38:58pour caractériser, je dis bien caractériser,
39:01pas forcément critiquer, mais caractériser objectivement
39:04ce qu'est le RN.
39:05Etienne Ollion, quand on lit votre livre,
39:08on sent que les journalistes ont une part de responsabilité
39:11dans la montée du RN en France.
39:13Que leur reprochez-vous ? Ils font mal leur travail ?
39:16Dire que les journalistes font mal leur travail,
39:18ce serait peut-être aller dans le sens d'une critique
39:21qui est déjà très développée.
39:23L'idée du livre, c'est de pointer une espèce de miroir
39:26pour prendre un peu du recul en direction,
39:28vous l'avez dit, de différents groupes et de personnes.
39:31Il y a les élites politiques, mais il y a aussi les journalistes.
39:35En général, quand on s'intéresse à la montée de l'extrême droite,
39:38on va plutôt regarder des chaînes qui diffusent ces idées-là,
39:42rachetées par quelques milliardaires.
39:44C'est un peu trop court, si on faisait ça.
39:46On est allés chercher un peu plus loin en se demandant
39:49comment cette montée rapide du RN et de l'extrême droite
39:52avait pu avoir lieu en moins de dix ans
39:55à travers, parfois, des journaux, des télés, des émissions,
39:59qui sont à plus grand public, et qu'on ne peut pas accuser
40:02d'avoir voulu faire l'agenda de ce parti-là.
40:05Qu'est-ce qu'on met en cause ?
40:07C'est deux choses.
40:08La première, c'est un changement du traitement de la politique,
40:11c'est le traitement de la politique sous l'angle
40:14de la course de petits chevaux,
40:16qui peut avoir comme effet de...
40:18On appelle ça la popole.
40:19La popole, voilà, qui peut avoir...
40:21La politique comme coulisses et batailles,
40:23le dévoilement des coulisses...
40:25Qui peut avoir comme effet principal
40:28de ne plus faire attention aux programmes,
40:30aux reniements, aux évolutions, aux implications.
40:33L'autre chose qu'on voit beaucoup,
40:35et ça s'est fait bien au-delà des simples médias
40:38d'extrême droite,
40:39c'est aussi la question de la théâtralisation
40:41du débat public, où on débat pour le débat.
40:44De ce point de vue-là, il y a peut-être des choses
40:46qu'il faudrait changer, parce que quand on les change,
40:49on l'a bien vu pendant ce mois de juin-juillet 2024,
40:52le Front national, le Rassemblement national,
40:55doit répondre à la question.
40:57C'est cher.
40:58Vous pointez aussi les effets de l'effacement du clivage
41:01entre la droite et la gauche. Pourquoi ?
41:03De ce point de vue, c'est assez facile de voir
41:06que s'il n'y a plus de droite ni de gauche,
41:08si ce clivage devient complètement invalide,
41:11il ne peut plus y avoir d'extrême droite
41:13ni d'extrême gauche.
41:14Le clivage droite-gauche a d'abord une vertu
41:17qui est celle de permettre l'intelligibilité,
41:19de mieux comprendre ce qui se passe politiquement.
41:22Il ne s'agit pas de situer les individus
41:24sur l'échiquier politique, mais de comprendre
41:27ce qui se produit.
41:28Les Français ont perdu leur grille de lecture.
41:31Voilà. En tout cas, on les y a aidés.
41:33De ce point de vue-là, l'idée qu'on pouvait gouverner
41:36de droite et de gauche ou ni à droite ni à gauche...
41:39Vous faites le procès d'Emmanuel Macron ?
41:41En tout cas, le procès, non, mais c'est une critique
41:44du fait que ce clivage, qui est constitutif
41:46de la démocratie, qui est une invention française,
41:49il apparaît pendant la Révolution française,
41:52ça s'est exporté au monde entier,
41:53c'est l'occasion d'être patriote et d'en être fier,
41:56ce clivage a comme vertu de rendre compte
41:59des conflits qui ont lieu dans la société.
42:01Il n'y a pas de démocratie sans conflits,
42:03des différences qui peuvent être réglées
42:06pacifiquement, rationnellement,
42:08la gauche étant traditionnellement plutôt
42:10du côté de l'égalité, de la promotion
42:12de cette égalité à la fois sociale et civique,
42:15la droite plutôt du côté de la concurrence,
42:17de la liberté comme méritocratie.
42:19A partir de là, on peut s'opposer, je dirais,
42:22sans nécessairement mener à la guerre civile.
42:24On voit bien aux Etats-Unis où cela peut mener.
42:27Par conséquent, il y a une espèce de brouillage
42:29qui nous semble être constitutif de cette étrange victoire,
42:32d'avoir voté pour un parti
42:35qu'on caractérisera au pire de populisme.
42:38Evidemment, c'est plus facile
42:40que d'envisager que ce mouvement s'inscrit
42:42dans l'extrême droite, c'est-à-dire dans une certaine histoire.
42:46Etienne Ollion, vous reconnaissez
42:48que le Rassemblement national a réussi à imposer
42:51ses thèmes, immigration, sécurité,
42:53et ses idées sur chacun de ces thèmes,
42:55et en même temps, vous estimez que la bataille des idées
42:58n'a pas été remportée par le RN. Pourquoi ?
43:01C'est une thèse qu'on entend beaucoup,
43:03à droite comme à gauche, y compris dans les médias,
43:06qui est que la raison pour laquelle le RN et l'extrême droite
43:10seraient arrivés aux portes du pouvoir en France,
43:12c'est parce qu'ils auraient remporté la bataille des idées.
43:16C'est ce qu'on entend parfois, on disait,
43:18la lupénisation des esprits, la fascisation des esprits.
43:21Cette thèse nous paraît intéressante,
43:23mais probablement fausse. Pourquoi ?
43:26Si, en effet, vous venez de le rappeler
43:28sur la question de l'immigration,
43:30le RN a réussi à imposer ces thèmes,
43:32à tel point qu'on l'a vu lors de la dernière loi immigration,
43:35certaines de ces mesures ont été reprises par la majorité.
43:38Sur bien d'autres sujets, c'est plutôt le RN
43:41qui s'est déplacé vers les sujets,
43:43vers l'opinion majoritaire dominante.
43:46Vous avez en tête, par exemple ?
43:47La constitutionnalisation de l'IVG,
43:49signée par autant de députés du RN
43:52que par des députés des Républicains.
43:54Le mariage homosexuel,
43:55qui, historiquement, ne fait pas partie
43:57d'une dérogative idéologique du RN.
44:00L'Europe aussi.
44:01D'une certaine façon.
44:02Il y a dix ans, le RN, à l'époque Front National,
44:05demandait le Brexit et la sortie de la monnaie unique.
44:08On peut voir le chemin qui a été parcouru
44:10où il y a eu une politique d'accommodement
44:13vis-à-vis de l'Europe.
44:14Sur tous ces sujets, le RN a fait preuve d'une stratégie
44:18qui vise à suivre la côte des sondages.
44:20Mais cette élasticité idéologique du RN,
44:24on voit que les électeurs du RN ne lui en veulent pas.
44:28Pourquoi ?
44:29Comment vous l'expliquez ?
44:31Il faut faire des études d'opinion sur ce que font les électeurs.
44:34Il me semble que c'est ce qui lui a permis
44:37d'élargir sa base de manière massive.
44:39S'il était resté sur son précaré historique,
44:41il aurait probablement fait des scores beaucoup plus faibles.
44:45Mais en combinant cette stratégie relativement efficace
44:48et, de l'autre côté, la déstructuration
44:51des coordonnées politiques dans lesquelles évoluent
44:54tous les partis politiques,
44:55dont il a largement bénéficié, il a réussi à passer incognito.
44:59Dans votre livre, vous prenez position
45:01contre l'extrême droite et vous avancez des pistes
45:04pour combattre l'extrême droite tout en expliquant
45:07que l'extrême droite s'opposant en partie du bon sens,
45:10c'est difficile de combattre le bon sens.
45:12Ce n'est pas les idées que Étienne vient de rappeler
45:15sur lesquelles l'hégémonie de l'extrême droite
45:18se serait imposée, plutôt cette bataille du bon sens,
45:21des évidences dont un des symboles les plus grands,
45:24le slogan qui est toujours dans les meetings
45:26du Rassemblement national,
45:28on est chez nous. On est chez nous,
45:30c'est une phrase qui signifie, en quelque sorte,
45:33l'évidence de l'appartenance des Français à la France.
45:36On voit bien que quand on analyse cette phrase,
45:39le on est chez nous, quand il est prononcé
45:41par l'extrême droite, veut dire vous, les autres,
45:44les étrangers, vous n'y êtes pas.
45:46C'est ce qu'on appelle ici bon sens,
45:48c'est-à-dire cette espèce de mélange
45:50entre des évidences subjectives
45:52et une interprétation politique qui finit par exclure les autres.
45:55Donc, certainement que nous ne sommes pas,
45:58ni Étienne ni moi, des politiques,
45:59nous n'avons pas de programme alternatif,
46:02mais il faudrait, pour les partis qui combattent
46:04l'extrême droite, essayer de reconquérir
46:07un bon sens, je dirais, ou des évidences,
46:09des perceptions, des manières de voir le monde
46:12qui soient au moins identitaires,
46:14peut-être plus inclusifs, comme on dirait aujourd'hui,
46:17égalitaires.
46:19Rebâtir un nous qui ne soit pas simplement
46:21ce chez-nous, en quelque sorte, exclusif et excluant,
46:24un nous démocratique, non pas un nous naïf
46:26qui accueillerait tous et toutes,
46:28mais un nous qui serait fondé sur le respect
46:31des authentiques principes de la République,
46:33dans laquelle, je rappelle, pour la République française,
46:36l'égalité entre tous les citoyens est absolument constitutive.
46:40Par conséquent, la préférence nationale comme telle,
46:43et on l'a vu au moment où la loi a été d'abord votée
46:46et le Parti a validé en 2023,
46:48la préférence nationale est radicalement opposée
46:50aux principes de notre Constitution.
46:53Etienne Ollion, comme remède,
46:54à la montée de l'extrême droite, vous évoquez aussi
46:57les politiques d'égalité. Pourquoi ?
46:59Elles ont été abandonnées, à vos yeux ?
47:01C'est pas l'image, forcément, qu'a la France.
47:04Oui, les politiques d'égalité.
47:06Ca dépend de quelles politiques d'égalité on parle,
47:09mais il me semble qu'en effet, c'est une des phrases,
47:12un des thèmes qu'on évoque dans la conclusion,
47:14redécouvrir des formes d'égalité,
47:16éventuellement élargir l'égalité,
47:18en sortant des questions identitaires,
47:21pourrait être un des moyens d'apporter des solutions
47:23par rapport à une égalité qui pourrait être
47:26un peu exclusive et excluante.
47:28Merci beaucoup, Etienne Ollion, d'être venu sur le plateau.
47:31Je rappelle le titre de ce livre coécrit avec Mickaël Fossel,
47:34Une étrange victoire, l'extrême droite contre la politique,
47:38c'est aux éditions du Seuil.
47:39Vous restez avec nous pour la suite de l'émission,
47:42c'est la séance de rattrapage.
48:14C'est d'abord ce coup de théâtre, mardi soir.
48:16...
48:18...
48:27Jérémie Yordanoff, élu vice-président de l'Assemblée,
48:30à la place d'Annie Gennevard, qui est devenue ministre.
48:33C'est un écologiste à la place d'une députée de droit,
48:37c'est pas du tout ce qui était prévu.
48:39Pour cause, Elsa, c'est la conséquence d'une guerre des chefs
48:42dans le socle commun.
48:43C'est exactement ce socle commun,
48:45qui est utilisé par nous, journalistes,
48:47mais les Français ne voient pas ce que c'est.
48:50C'est la droite et les anciens macronistes,
48:52ils le sont toujours, ils composaient l'ancienne majorité.
48:56Ce socle commun, à l'Assemblée, dispose d'une vingtaine de voix de plus
48:59que le Nouveau Front populaire.
49:01On est sur des équilibres presque équivalents,
49:04mais ils sont un peu plus nombreux.
49:06Ce socle commun porte décidément mal son nom,
49:08puisqu'il est très fragile, en vertu d'un accord
49:11qui avait été passé au mois de juillet,
49:14la droite et la coalition présidentielle
49:16étaient censées soutenir un candidat,
49:18une candidate, Virginie Dubimulaire,
49:20mais entre-temps, l'accord qui avait été passé
49:23n'a pas été respecté par Laurent Wauquiez et ses troupes
49:26lors de la commission des affaires économiques
49:29pour remplacer un autre député parti à Bercy.
49:31Le Modem, par exemple, a décidé de se venger,
49:34a présenté une candidature, au premier, au deuxième,
49:37et même s'il l'a retirée au troisième tour,
49:39il y a eu Virginie Dubimulaire,
49:41elle n'a pas fait le plein parmi le socle commun.
49:43Ce qu'on rappelle, c'est que c'est un vote à bulletin secret,
49:47donc à part si on est derrière le député,
49:49ils peuvent nous raconter ce qu'ils veulent,
49:52on ne sait pas ce qu'ils font.
49:53Beaucoup nous ont dit, hors de question,
49:56que je vote pour Laurent Wauquiez.
49:58On sait que c'est parce qu'il y a eu des défections
50:01dans son propre camp.
50:02La gauche a un nouveau poste au bureau,
50:04où elle est déjà majoritaire.
50:06Ca montre la fragilité de cette majorité
50:08qui n'en est pas une, et pourtant,
50:10c'est fort pour créer un peu de cohésion.
50:12Il organise des réunions.
50:14Le pauvre Michel Barnier a dû commencer
50:16par passer un coup de fil à Virginie Dubimulaire
50:19pour la consoler un petit peu.
50:21Il organise des réceptions au ministère des Relations
50:24avec le Parlement, mais il y a à peine une moitié
50:27des députés du socle commun, qui n'est pas si commun que ça,
50:30qui sont venus.
50:31Il envisage d'organiser des petits-déjeuners à Matignon
50:35avec des graves de députés pour mieux les connaître,
50:38mais ce que ça montre, c'est qu'il n'y a absolument
50:41aucune espèce d'affection, de cohésion
50:43dans ce bloc-là, qui est juste là par calcul.
50:46Il n'y a pas d'envie de travailler ensemble ?
50:48Vous pensez que ça va...
50:50C'est paradoxal. Ce que ça montre,
50:52on voit des couches d'animosité, de rancune
50:56qui s'accumulent depuis quelques semaines,
50:58mais ils se rendent compte de plus en plus,
51:00assez douloureusement, que quand ils sont divisés,
51:03ils perdent, donc il y a une nécessité
51:05de travailler ensemble.
51:07Quand ils se projettent, ils se rendent compte
51:09qu'il y a trois blocs. Ils sont enfermés dans le même bloc
51:12face à l'extrême droite et à la gauche de l'autre côté.
51:15S'ils veulent avoir une chance d'avoir un candidat en 2027,
51:18au deuxième tour de la présidentielle,
51:20ils sont obligés de travailler ensemble.
51:23Ils sont enfermés, malheureux, haineux, parfois,
51:25mais contraints.
51:27Ils sont condamnés à s'entendre, même s'ils se détestent.
51:30-"Condamnés à s'entendre", c'est ma question.
51:32Les fourberies de Scapin, c'est un peu que diable à s'y faire.
51:36C'est la question que se posent à la fois les Républicains
51:39et les différentes composantes de l'ex-majorité,
51:43Modem, proches d'Edouard Philippe
51:45et amis de Gabriel Attal.
51:47D'ailleurs, c'est un peu la réponse du berger à la bergière,
51:51cette affaire de la vice-présidence.
51:53Il y a une semaine, il est arrivé le contraire,
51:55c'est-à-dire que la présidence de la commission des affaires économiques
51:59avait atterri sur une insoumise,
52:01parce qu'il y avait eu un défaut de vote DLR pour les macronistes.
52:06Donc, oui, c'est vraiment la zizanie,
52:08je ne cite plus Molière, mais Astérix,
52:10et puis, quelqu'un me le disait,
52:12un cadre du parti macroniste me le disait,
52:14cette majorité, ou ce qu'il en reste,
52:17cette minorité absolue, c'est une planche pourrie,
52:19elle va céder par le milieu, et en ce moment,
52:22tous ses membres versent de l'huile de ricin
52:24à deux endroits, l'immigration et le budget,
52:27dont nous parlons tout à l'heure.
52:29C'est peut-être à s'entendre, et en plus, ils nous disent
52:32qu'en circonscription, leur électorat leur demande beaucoup
52:35chez les proches de Gabriel Attal,
52:37où on vit d'être plus critique, mais ils savent que chez eux,
52:40on leur dit qu'on veut de la stabilité,
52:42donc ils sont aussi contraints par la pression
52:45que leur mettent les électeurs.
52:47L'autre actu de la semaine, c'est ce débat budgétaire
52:50qui a commencé lundi soir, et ce n'est pas fini.
52:52Je suis, par définition, par construction,
52:55à la disposition du Parlement, je serai avec vous pour débattre
52:58autant qu'il est nécessaire.
53:00Si c'est samedi, je suis disponible,
53:02si c'est au-delà, je suis disponible,
53:04il n'y a pas de difficulté.
53:05On évoquait un possible 49-3 qui surgirait très rapidement
53:09dans ce débat budgétaire, c'est parti pour durer ?
53:11C'est parti pour durer, la séance est ouverte demain,
53:14donc on va pouvoir encore discuter.
53:16Il reste de très nombreux amendements,
53:18mais il ne reste que quelques mesures symboliques,
53:21mais il n'y a pas encore 150 000 choses à discuter.
53:24Les députés ont bon espoir, peut-être, de pouvoir finir le texte,
53:28il sera siégé très tard dans la nuit de samedi à dimanche.
53:31Un des scénarios privilégiés serait d'aller au vote,
53:34le texte serait certainement rejeté,
53:36ce qui pourrait faire les affaires du gouvernement.
53:38Chacun est en train de calculer
53:40le scénario dans lequel il pourrait remporter des victoires.
53:43Aller au vote 149-3, mardi.
53:45Aller au vote 149-3, mardi,
53:47ça ne veut pas dire qu'il n'y aura pas de 49-3 sur le texte,
53:50mais on peut faire un dernier 49-3 qui arriverait plus tardivement.
53:53David Rebaudallon, quel est le meilleur des scénarios,
53:56à votre avis, pour Michel Barnier, sur ce budget ?
53:59Michel Barnier, à tous ceux qui l'ont interrogé,
54:02ministre et directeur de cabinet,
54:04ils lui ont dit que ce 49-3, ça vient quand,
54:06et lui, il a dit qu'il allait laisser le temps au temps
54:09et qu'il allait laisser la discussion de faire.
54:11On n'est pas à l'abri de propositions,
54:14de bonnes idées ou de propositions intéressantes.
54:16En réalité, ce n'est qu'une question de temps.
54:19La question n'est pas de savoir si 49-3, il y aura,
54:22mais quand, vu ce qu'il se passe...
54:24Il n'y a pas de majorité sur ce budget.
54:26Vu ce qu'on se dit sur l'ambiance de la majorité
54:28et les oppositions à gauche et à l'extrême droite,
54:31il n'a aucune chance de passer.
54:33Peut-être qu'il y a un petit répit qui lui permettra
54:36de vendre sa méthode qu'il a vantée en arrivant à Matignon,
54:39c'est-à-dire l'écoute, le dialogue, le compromis,
54:42même si tout ça n'est qu'un jeu de posture et de façade.
54:45Jean-Baptiste, il y a un avantage pour Michel Barnier
54:48à aller au vote à l'Assemblée et faire rejeter son projet budget,
54:51qui se retrouve entre les mains du Sénat.
54:53On repart à zéro, c'est entre les mains du Sénat
54:56ou au Sénat, contrairement à Elisabeth Borne l'an dernier,
54:59il a une majorité.
55:00C'est une majorité qui va être compliquée,
55:03qui ne va pas vouloir couper les 5 milliards d'euros
55:06pour les collectivités locales ou les couper différemment.
55:09Les électeurs des sénateurs, c'est les collectivités locales.
55:12Il aura une copie à peu près équilibrée,
55:15comme il l'attend, donc il peut compter sur eux.
55:17Pour l'histoire du 49-3, la question,
55:19c'est de savoir s'il y aura un 49-3,
55:21mais combien de 49-3 il va y avoir.
55:23L'an dernier, Elisabeth Borne avait tiré très vite,
55:26il y en avait eu 10 au cours des mois de fin octobre
55:30jusqu'à décembre, donc 10 motions de censure,
55:33donc ça veut dire que 10 fois, l'ERN sauverait, entre guillemets,
55:37le gouvernement en ne le censurant pas.
55:41Un des conseillers d'exécutif me disait cette semaine,
55:44finalement, être sauvé par l'ERN une fois, ça va,
55:47si on doit l'être 10 fois, c'est compliqué.
55:49Pour Michel Barnier, il y a aussi cet enjeu-là.
55:52Elsa, d'un mot ?
55:53Un mot, stratégie de la dinde,
55:54c'est un terme qu'on commence à entendre parler.
55:57Si on calcule bien, selon la navette,
55:59la dernière version du budget,
56:01ça pourrait être autour du 20-21 décembre,
56:04ici, à l'Assemblée, donc une motion de censure le 24 décembre.
56:07Qu'est-ce qu'on fait quand on est un groupe ?
56:10Est-ce qu'on censure le gouvernement le matin de Noël ?
56:13Ça promet de bonnes conversations dans les repas de famille.
56:16Est-ce qu'elles seront bonnes ou mauvaises ?
56:18Peut-être qu'on peut prendre en compte
56:21cette période festive pour se demander
56:23si on doit faire des choix politiques.
56:25Un mot sur la semaine à venir ?
56:26On va parler du budget,
56:28mais pas seulement, il y a un rendez-vous jeudi.
56:30Jeudi 31, c'est la niche parlementaire
56:33du groupe Rassemblement national.
56:35Les groupes minoritaires peuvent présenter leur proposition de loi.
56:38C'est autant de pièges politiques.
56:40On tente de piéger la gauche sur la réforme des retraites.
56:44On va aussi piéger la droite
56:45sur les expulsions de délinquants étrangers,
56:48sur les peines planchers.
56:49Beaucoup de politique le 31 octobre.
56:51Votre regard sur ce nouveau paysage politique
56:54qui a surgi après les législatives ?
56:56Je ne serais pas très original
56:58en disant qu'il est assez chaotique, ce paysage,
57:01et que cela fait quelques années déjà,
57:03c'était déjà le cas en 2022,
57:04et c'est ce qui est le plus préoccupant
57:07pour la démocratie en France,
57:08aucune élection ne règle ou ne permet de sortir
57:11de l'impasse politique dans laquelle on se trouve.
57:14À chaque fois, il y a une espèce de radicalisation,
57:16une répartition de le fait ou de le sentiment
57:19que la France est devenue ingouvernable.
57:21Quand on a le sentiment qu'elle est ingouvernable,
57:24il faut parfois avoir l'inquiétude
57:26que ceux qui promettent de gouverner rationnellement,
57:29de gouverner autoritairement, finissent par en porter symboliquement.
57:33Je pense à l'extrême droite encore.
57:35Rien n'est perdu, mais de ce point de vue-là,
57:37l'antiparlementarisme pourrait apparaître
57:40comme gagnant de cette séquence.
57:41Merci beaucoup à tous les quatre.
57:43Je rappelle que ces débats budgétaires
57:46seront sur le site d'LCP pendant tout le week-end
57:48car les députés vont siéger samedi et sur nos réseaux sociaux.
57:52Bonne soirée et bon week-end à tous sur LCP.
57:54SOUS-TITRAGE ST' 501

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