• il y a 8 mois
Pierre Bellemare comme vous ne l’avez jamais entendu ! C’est la promesse de ce nouveau podcast imaginé à partir des archives exceptionnelles du Service Patrimoine Sonore d’Europe 1.
Affaires criminelles, true crime, crimes, enquêtes, crimes historiques ou plus récents, crimes crapuleux, crimes familiaux, crimes inexpliqués surtout : Pierre Bellemare est le pionnier des grands conteurs de récits radiophoniques. Dans les années 70, cette voix culte d’Europe 1 a tenu en haleine les auditeurs avec ses histoires extraordinaires. Des histoires vraies de crimes en tout genre qui mettent en scène des personnages effrayants, bizarres ou fous. Des phrases à couper le souffle, des silences lourds de suspense, un univers de polar saisissant et puissant.
Avec un son remasterisé et un habillage modernisé, plongez ou replongez dans les grands récits extraordinaires de Pierre Bellemare.

Lucien Borelli est encore très jeune lorsque ses parents se séparent. Très vite, le petit garçon choisit de vivre chez son père, jugeant sa mère beaucoup trop autoritaire et sa vie pas suffisamment trépidante. Dès lors, les journées du petit Lucien sont beaucoup plus gaies et tranquilles grâce à l’indulgence de son père. Mais une nouvelle personne va bientôt chambouler à nouveau la vie du jeune garçon et instaurer de nouvelles règles dans la maison… “Moune” est le surnom de la nouvelle compagne de Monsieur Borelli. Elle vient tout droit de Paris et semble aux yeux de Lucien, aussi rigide que sa mère. Après le baccalauréat, Lucien entreprend des études dans une école technique située à Paris. Il loge ainsi dans l’ancien appartement parisien de “Moune”. C’est l’occasion pour le jeune homme, frileux des règlements, d’enfin s’amuser un peu. Mais les sorties, les copains et les soirées, ne ravissent pas sa belle-mère qui ne manque pas de le lui faire comprendre. Alors, quand Lucien se remémore tous ces instants où il a été réprimandé par cette femme qui s’est incrustée dans sa vie, il perd la tête. Au volant d’une 203 noire, avec “Moune” comme passagère, il roule à toute allure dans les virages des routes isolées de la campagne. Puis il la frappe. La voiture freine sur plusieurs mètres avant de s'immobiliser entre deux arbres. Lucien est fou de rage, il frappe encore et encore le corps de “Moune”. Le jeune Lucien Borelli a désormais le cadavre de sa belle-mère sur les bras. Dans les films, il a vu à plusieurs reprises les criminels utiliser des bâches avant de jeter le corps dans un cours d’eau. Aussi, dans les films, on se crée un alibi après s’être allumé une cigarette. Mais la fiction pourra-t-elle sauver Lucien de la réalité de ce soir de mars 1954 ? Pierre Bellemare raconte cette incroyable histoire dans cet épisode du podcast "Les récits extraordinaires de Pierre Bellemare", issu des archives d’Europe 1 et produit par Europe 1 Studio. 
Retrouvez "Les Récits extraordinaires de Pierre Bellemare" sur : http://www.europe1.fr/emissions/les-recits-extraordinaires-de-pierre-bellemare

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Transcription
00:00 Bienvenue dans les récits extraordinaires de Pierre Belmar, un podcast issu des archives d'Europe 1.
00:11 Vingt ans à peine se sont écoulés, chers amis, depuis le procès qui a mis fin à ce dossier.
00:16 Nous avons voulu ménager les mémoires en changeant les noms, les lieux et les professions.
00:22 Mais pour nous cela n'a pas d'importance.
00:24 Les personnages sont authentiques, les caractères aussi et aussi la conclusion que nous a inspiré justement ce délai de vingt ans.
00:50 Les kilomètres de bitume gras défilent à une vitesse affolante dans le pinceau des phares.
00:56 140. Au tableau de la grosse 203 noire, l'aiguille du compteur kilométrique est bloquée au maximum.
01:02 Le sol gras de la Nationale semble vraiment avalé par le capot luisant car, lorsque la voiture est passée, plus rien ne semble exister derrière elle.
01:11 Elle est seule, sur cette petite route, seule dans la campagne glaciale, en cette nuit de mars 1954.
01:20 Le conducteur prend des risques insensés et, même dans les virages qui surgissent de temps à autre, il ne ralentit pas.
01:26 Les pneus hurlent sur la chaussée humide et à chaque fois l'arrière du gros break chasse et couche les herbes du bas-côté.
01:33 A l'intérieur de la voiture folle, il y a deux personnes et un grand faitout de soupe.
01:39 Oui, et une grande casserole de soupe pour les chiens.
01:44 Le conducteur et sa passagère, tous deux les dents serrées, lancent ici et là un mot, une phrase brève et rageuse.
01:50 On sent entre ces deux êtres tellement de choses, tellement, tellement de choses complexes.
01:56 D'abord, leur attitude et leur parole trahissent une haine féroce.
02:00 Mais si l'on y prête attention, on comprend qu'une telle haine ne peut surgir entre deux individus que si elle prend racine sur des années et des années de souvenirs communs.
02:10 Ah, des souvenirs, il y en a, croyez-moi, entre ces deux-là.
02:14 Allez voir dans la vie, avoir cette femme un peu forte de quarante ans et ce jeune homme de dix-neuf ans, l'on dirait la mère et le fils.
02:22 Malgré les efforts qu'il fait pour se donner l'allure d'un dandy parisien, malgré la simplicité qu'elle affiche en toutes choses,
02:29 il leur échappe des gestes, des expressions qui créent des ressemblances, des ressemblances plus frappantes même que les traits du visage.
02:36 Ce sont des gestes, des expressions de deux personnes qui ont longtemps vécu ensemble et qui finissent par déteindre l'une sur l'autre.
02:42 Et pourtant, du point de vue de l'état civil, la femme un peu épaisse de quarante ans et le jeune dandy de dix-neuf ans n'ont rien de commun.
02:49 Pendant que la 203 Noire continue à dévorer la nuit au mépris du danger, pendant qu'elle emporte ses deux êtres vers un avenir inéluctable et atroce,
02:59 laissez-moi vous raconter leur histoire.
03:05 Ah, ça n'a pas été drôle de vivre avec maman. Papa, il est beaucoup plus amusant.
03:10 Le petit Lucien Borrelli est encore un gamin haut comme trois pommes, mais déjà il trouve que la vie est faite pour s'amuser.
03:16 Lorsque ses parents se sont séparés, il avait été décidé qu'il vivrait avec sa maman.
03:21 Mais ça n'était pas très gai. Il semblait que pour elle, bien qu'elle ne soit pas très âgée, la vie soit une sorte de retraite.
03:27 Les jours passaient dans la grisaille. Elle rentrait chaque soir de son petit emploi à caractère social dans une mairie de province.
03:33 Son dîner, silencieusement dans la salle à manger et triquet. Les seules remarques concernaient les ongles propres, jamais assez propres,
03:40 la bonne tenue du couteau et de la fourchette, le brossage des dents et la prière du soir.
03:44 Alors Lucien, le gamin haut comme trois pommes, a commencé son petit travail, une parole ici, une suggestion là,
03:49 et il a fini par obtenir ce qu'il voulait, venir vivre avec son père.
03:54 Ah, là c'était quand même autre chose.
03:57 À la crème des hommes, M. Eugène Borelli. Il était très accaparé par son travail. Un travail qui marchait bien d'ailleurs.
04:04 Les culs va brasser eux-bords. E pour Eugène et bord pour Borelli, bien sûr.
04:09 C'est un peu une spécialité, c'est une partie de l'équipement des fromageries. On y brasse la pâte à fromage.
04:14 Oui, ça marche. Ça marche même très bien. En plus là, à une vingtaine de kilomètres de la maison, il y a l'élevage,
04:20 plusieurs centaines de poules pondeuses, surveillées par deux gros chiens.
04:24 Inutile de dire donc que M. Eugène Borelli est un homme occupé.
04:28 Mais tous les instants qu'il arrive à distraire à son travail, il les consacre maintenant au petit Lucien.
04:34 On joue, on apprend la menuiserie, et puis on dîne ensemble en se racontant des histoires toutes bêtes qui font rire.
04:40 Et si de temps à autre, un coude s'égare sur la table, eh bien papa laisse faire.
04:45 Papa Borelli estime avec indulgence que Lucien a bien le temps d'être brimé par l'existence.
04:49 Et puis un jour, le petit Lucien remarque quelque chose. Il y a une troisième personne à table.
04:55 Il s'en fait plusieurs fois de suite. Il la connaît bien, elle est gentille.
04:59 C'est la secrétaire de papa. Elle s'appelle Anne-Luce Schmitt. C'est une robuste Alsacienne au visage avenant.
05:06 « Dis papa, pourquoi ta secrétaire est restée avec nous ce soir? »
05:11 « Eh bien, pour dîner. »
05:14 « Oui, mais pourquoi elle n'est pas rentrée chez elle? »
05:17 « Écoute mon petit Lucien, son appartement est à Paris. Mais c'est loin Paris. Alors, quand elle a travaillé tard, elle est fatiguée.
05:25 Et puis ce n'est pas prudent qu'elle fasse tout ce chemin la nuit toute seule. Tu comprends? »
05:30 « Eh bien, t'as qu'à la faire travailler moins tard ta secrétaire. Mais enfin, elle est gentille, tu ne trouves pas?
05:35 Et puis, tu sais, elle t'aime beaucoup. D'abord, tu pourrais commencer par l'appeler autant longtemps que ma secrétaire, elle s'appelle Anne-Luce.
05:41 Oh, c'est pas un joli nom. Ben, t'as qu'à lui en trouver un plus joli. »
05:45 Le petit nom plus joli, on finit par le trouver. Anne-Luce Schmitt devient Moon. Et Moon rentre de moins en moins souvent à Paris.
05:54 Moon finit même par avoir sa chambre dans la maison des Borelli. Et papa Borelli a l'air bien content.
06:00 Le petit Lucien, lui, l'est un peu moins. D'abord parce que papa s'occupe beaucoup de Moon et que Moon n'est pas toujours drôle.
06:08 Elle est presque aussi sévère que maman. Lorsque Moon est là, plus question d'ongles à moitié propres ou de coudes sur la table.
06:14 Lucien proteste, mais papa Borelli explique que Moon a raison. Elle-même a été élevée comme ça là-bas, dans sa famille d'Alsace.
06:21 Et elle estime qu'un petit garçon doit apprendre ces choses-là. D'ailleurs, Lucien doit faire des efforts s'il ne veut pas que Moon se mette en colère.
06:30 Lucien en fait des efforts, du moins le maximum de ce qu'il peut faire, car il n'a pas une volonté énorme.
06:36 Et puis, il faut dire que Moon quand même le gâte. Elle le gâte pour se concilier ses bonnes grâces.
06:41 Alors la vie passe, l'enfance passe. Et Lucien Borelli est maintenant lycéen et Moon est toujours à la maison.
06:48 Lucien ne rapporte pas des carnets extrêmement brillants. Moon le sermonne, le gronde même sérieusement.
06:54 Mais c'est difficile, car Lucien est une vraie plot de nerfs. Quand le sermon commence, il se replie sur lui-même et lève un mur d'indifférence.
07:00 Et si on essaie de franchir ce mur, Lucien explose et tout vole dans la maison.
07:04 A Borelli, lui, hoche la tête, grommelle des regrets derrière sa grosse moustache poivre et saine et retourne à ses cuves à brasser le fromage ou à son élevage de poulets.
07:14 Lucien arrive ainsi tant bien que mal jusqu'en terminale. Et là, il commence à s'intéresser à ce qui se passe à l'usine de son père.
07:25 C'est du moins l'impression qu'il donne, mais Eugène Borelli et sa compagne, Alice Schmitt, sont tellement à l'affût du moindre signe chez le jeune homme qu'ils reprennent espoir.
07:33 Il n'y a qu'à donner à Lucien une formation technique et dans quelques années, il pourra seconder son père.
07:38 Alors une école technique, on en trouve une, mais c'est à Paris. Et faire le trajet chaque jour, c'est fatigant.
07:44 Anne-Luce, dite "moon", est bien placée pour le savoir, mais justement, justement, elle a toujours gardé l'appartement qu'elle occupait avant de venir habiter dans la maison de Borelli.
07:53 Et c'est elle qui propose la solution. Lucien est grand maintenant. Il n'aura qu'à habiter l'appartement pendant la semaine et puis revenir à la campagne le week-end.
08:01 Qu'en pense-t-il ? Ce qu'il en pense, Lucien, mais pour lui c'est inespéré. C'est une bouffée d'air pur, c'est l'espoir de pouvoir enfin échapper à la sévérité de "moon", à la faiblesse de son père, l'espoir de pouvoir enfin s'amuser un peu dans la vie.
08:15 À l'appartement de Paris.
08:21 À la pensée des jours et surtout des nuits qu'il y a passées, le jeune Lucien Borelli se détend un instant. Mais tout de suite, il empoigne à nouveau le volant avec rage, car nous sommes, ne l'oublions pas, nous sommes, pendant que ses souvenirs défilent, à bord d'une grosse 203 noire qui fait crisser ses pneus dans les virages et qui dévore une route isolée dans la campagne, une 203 noire qui emporte "moon" et Lucien vers un destin atroce et inéluctable.
08:46 [Musique]
08:54 Compteur bloqué à 140, la grosse 203 noire emporte vers leur destin "moon" et Lucien. Lucien qui repense à la joyeuse vie dans l'appartement prêté par "moon" à Paris. C'est peut-être finalement cet appartement qui est à l'origine de tout.
09:08 Lucien est un joyeux de rire. Lucien est un bon copain. Tout le monde est d'accord là-dessus. L'école technique, on y va ou on n'y va pas. On y va quand on arrive à se réveiller à l'heure, quand la nuit n'a pas été trop folle. Et les nuits sages sont de plus en plus rares.
09:22 C'est qu'il y a tant de cinéma à Paris, tant de caves avec du bon jazz à sa jamais-dépré, tant de bars accueillants où les bouteilles de scotch semblent n'avoir pas de fond. Lucien ne les connaît pas tous, mais en tout cas, il les sait.
09:34 Lucien traîne derrière lui une cour de copains empressés à profiter de ses largesses. Et l'argent file, file à une vitesse affolante. C'est qu'il en faut de l'argent pour les copains, les petites amies, les petites amies des copains.
09:46 Tout ce petit monde se retrouve dans l'appartement de "moon" où l'on mène joyeuse vie jusqu'à l'aube. L'argent file. Et papa Boréli paye, paye encore. Il donne l'argent gagné avec les cuves à brasser eux-bords et l'élevage de poules couveuses.
10:03 Et "moon" n'est pas d'accord.
10:06 Aujourd'hui dimanche, elle a décidé de mettre un point final à cette descente en flèche sur la pente savonneuse de la vie trop facile.
10:13 Papa Boréli est parti vers le Cantal faire la tournée de ses clients. C'est Lucien qui l'a mis au train en fin d'après-midi.
10:21 Ce soir, comme deux fois la semaine, on a chargé, dans le break, la grosse marmite de pâté pour les chiens qui gardent l'élevage. "moon" a passé sa vieille blouse bleue et son chandail élimé trop large. Lucien s'est mis au volant tiré à quatre épingles comme toujours.
10:34 En route pour les vingt kilomètres qui les séparent de l'élevage.
10:38 La route a commencé doucement et "moon" s'est mise à parler. Elle a parlé des voisins à Paris qui se sont pleins du bruit dans l'appartement chaque nuit. Il faut que cela cesse, sinon elle reprendra les clés.
10:51 Elle a parlé des dépenses somptueuses de Lucien. C'est terminé maintenant. Elle a convaincu papa Boréli de fermer les cordons de la bourse.
10:57 Et puis, les fréquentations de Lucien aussi. Ça ne va pas du tout. Il y a des filles, n'est-ce pas? Eh bien oui, il y en a des filles.
11:06 Lucien en parle avec hargne avec des filles. Il parle de cette femme mariée qui vient le voir dès que son mari a le dos tourné et il parle de l'autre, celle qui a trente-deux ans, qui est tellement sensuelle.
11:17 Alors "moon" ne se contrôle plus. Elle gringue comme une tigresse, elle torse sa blouse, elle griffe le siège de la voiture.
11:23 Alors Lucien commence à comprendre vaguement ce revirement qu'il a senti chez "moon" depuis quelques mois, cette tendresse différente qu'il a confusément ressenti chez "moon" depuis qu'il est un homme.
11:32 Il n'est pas très intelligent, Lucien, mais il en comprend assez pour sortir quelques paroles méchantes, puisqu'il sait qu'il va toucher le point sensible.
11:39 "Moon" est blessée, blessée au plus profond d'elle-même. Elle se voit avec ses quarante ans, sa taille devenue épaisse, sa vieille blouse et son chandail, à côté de ce dandy, de ce grand gosse difficile qu'elle ne sait plus comment aimer.
11:49 Et puis, elle voit la route qui défile maintenant à cent quarante à l'heure, sous la voiture éprenée par la rage de Lucien, Lucien qui lance entre ses dents.
11:56 "Et de quel droit tu me donnerais des ordres? Tu n'es même pas ma mère!"
12:01 La gifle est partie, forte, précise, avant que "moon" ne se rende même compte de ce qu'elle fait. La voiture traverse la route, frôle le côté gauche. Lucien redresse, la deux-cent-trois tangue.
12:11 Il touche sa joue en feu et son bras repart, poing fermé. Cruellement, il frappe en regardant la route, il frappe au visage, au ventre, à la poitrine. "Moon" se plie en deux, crie, s'accroche à Lucien. La voiture fait une embardée, freine sur cent mètres et s'immobilise entre deux arbres.
12:26 Déjà Lucien est retourné sur son siège et il frappe, il frappe encore. Il descend de la voiture, tire "moon" qui se débat comme elle peut sur l'herbe humide. Lucien est derrière elle, une terrible brise de judo, "moon" la gorge coincée, étouffe et s'immobilise, évanoui.
12:40 Lucien va à la voiture, saisit le démonte-pneu, retourne vers "moon" allongé dans l'herbe et il cogne, il cogne à la tête deux fois, dix fois, il ne sait plus.
12:51 Tout est fini, "moon" est morte, horrible à voir dans la lumière des phares.
12:56 Lucien passe une main sur son front, que faire maintenant ? S'il l'a laissé là, il pourrait croire un accident, un chauffard qui aurait pris la fuite. Oh puis non, c'est idiot. Pourquoi serait-elle venue là toute seule ?
13:14 Alors Lucien poigne le corps, le corps lourd comme il n'aurait jamais cru et il le glisse derrière la banquette de la 203, à côté de la patte et des chiens. Il essuie le démonte-pneu dans l'herbe et se remet en route vers la maison Borelli.
13:27 Tout en fumant une cigarette, il réfléchit à tous les détails et prend sa décision.
13:32 Arrivé à la maison, il monte à la chambre de "moon", il jette pêle-mêle quelques robes dans une valise et il ajoute les bijoux, l'argent qu'elle garde dans l'armoire et des valeurs. La bonne est dans la cuisine.
13:43 "Je conduis mademoiselle Schmitt chez elle à Paris", crie Lucien. Il va à Paris. Il garde la 203 dans une rue tranquille, près de chez son ami Jean-François Marty. La maman de Jean-François le reçoit et le laisse entrer dans la chambre de son fils. Elle referme la porte.
14:02 "J'ai un cadavre sur les reins", annonce d'emblée Lucien. Dans les films que les jeunes gens ont vus, les héros sont impassibles. Jean-François tente d'allumer impassiblement une cigarette, mais l'allumette tremble.
14:15 "Qui ?" demande-t-il sobrement. Sobrement comme dans les films.
14:23 "Annelus." "Merde." Jean-François laissait tomber sa cigarette. "Faut prévenir Renaud", finit-il par suggérer. Renaud Dubreuil, le troisième dandy, l'inséparable, habite au-dessus. Les voilà tous les trois dans la chambre.
14:41 "Faut s'en débarrasser, fait Renaud." "On peut pas la garder. Un cadavre, ça sent mauvais", hasarde Jean-François. "On va la flanquer dans la marne. Je connais un goût discret."
14:54 C'est Lucien qui a repris en main la direction des opérations. D'ailleurs, il fait entrevoir à ses amis les bijoux et l'argent. Si les copains se montrent à la hauteur, ils auront leur part.
15:06 Dans les films, ils ont vu que l'on enroulait les cadavres dans une bâche. Au passage, on chipe la bâche qui recouvre le scooter du frère de Renaud. On trouve une corde du fil de fer. Et puis, en route vers la marne.
15:19 Dans les films, ils ont vu qu'il fallait lester les cadavres pour les empêcher de remonter. Alors, en chemin, on s'arrête près d'un chantier et on vole de parpaing.
15:28 C'est vrai que le coin de la marne que connaît Lucien est discret sur toutes les nuits. Mais la berge est en pente douce. On a emballé soigneusement le corps de la pauvre Moune dans la barge du scooter. On a fixé les parpaings avec le fil de fer. Mais il faudrait la mettre au milieu du fleuve.
15:42 Il y a bien une barque, mais elle est pleine d'eau. Alors, on retrousse les pantalons des beaux costumes et on écope avec la casserole. Oui, celle de la pâte et des chiens.
15:52 La barque flotte à peu près. « On y va ? » demande Renaud. « J'ai pas à nager », dit Lucien. Et ils restent sur la rive pendant que ses deux amis transportent le corps de Moune. Après tout, il va les payer. Ils n'ont qu'à travailler un peu.
16:06 Un gros plouf, quelques rondants en l'eau, une barque qui coule à moitié en revenant vers la rive. L'affaire est faite. On rentre à Paris, on se sépare. Lucien retourne à la maison.
16:20 Papa Borelli est revenu le surlendemain de sa tournée dans le Cantal. « Où est passée Moune ? » « Elle est allée se reposer en Autriche », annonce Lucien très calme.
16:28 C'est vrai que Moune avait parlé de ce projet, mais après dix jours sans nouvelles, Papa Borelli s'inquiète. Il téléphone au frère de Moune qui est avocat en Alsace. La famille non plus n'a pas de nouvelles.
16:40 Le frère avocat monte à Paris avec Papa Borelli. Il visite l'appartement de Moune. On ne trouve rien au Canada sur sa destination. Le frère avocat qui connaît la marche à suivre fait lancer une recherche dans l'intérêt des familles.
16:54 La police débarque à la maison Borelli. Lucien ne sait rien et s'inquiète comme tout le monde. Cela dure des jours et des jours. Et puis des mariniers repêchent un corps méconnaissable emballé dans une bâche au fil de la marne.
17:08 Une femme vêtue d'une blouse. Dans la poche de la blouse, une enveloppe encore lisible. Mademoiselle Anne-Luce Schmitt, au bon soin de M. Borelli.
17:20 Puisqu'il y a eu crime, il y a interrogatoire. Personne ne suspecte Lucien. Mais dans les films, il a vu que les criminels avaient un alibi. Il s'est donc créé un alibi pour la nuit du meurtre. Il était au cinéma.
17:33 Mais il hésite, s'emmêle, se trompe dans les horaires des séances, dans le nom du film. Les policiers commencent à avoir des doutes. Mais c'est pourtant vrai que j'étais au cinéma. Demandez à mes amis Jean-François et Renaud.
17:48 Bêtement, Lucien vient de lâcher les noms de ses deux complices. Les policiers, qui n'ont toujours que des présomptions, veulent interroger les deux copains. Et comme par hasard, ayant appris la découverte du cadavre par les journaux, ils se sont enfuis tous les deux depuis trois jours.
18:05 C'est pire qu'une accusation pour Lucien qui se sent cerné et il passe aux aveux. Il raconte son crime et refait tous ses gestes au cours d'une reconstitution de la nuit tragique.
18:17 La semaine suivante, on retrouve Jean-François. Il avait en poche un billet pour Dakar, mais comme il pensait que les ports étaient surveillés, il est allé s'engager à la Légion étrangère.
18:32 Huit jours plus tard, on retrouve Renaud. Mais Renaud est mort. Il s'est suicidé dans une sordide chambre d'hôtel près de Lyon. Avant de mourir, il a laissé une généreuse lettre dans laquelle il tente d'innocenter Lucien. C'est un pauvre gosse, dépassé par les événements, a écrit Renaud.
18:53 Pourtant, pendant son procès, Lucien ne va pas hésiter, pour sa défense, à essayer d'accabler la mémoire du suicidé. Mais ce stratagème, pas très reluisant, ne convaincra pas le jury. Pas plus que les admirables paroles de Papa Borelli. Ce sera lui, le plus ardent défenseur de ce fils qui a pourtant brisé son existence, mais rien n'y fera.
19:16 Lucien a maigri, affaibli, par une grève de la faim. Cent ans condamné à vingt ans de réclusion criminelle. Vingt ans. Mais au fait, cela se passait en 1956. Avec les remises de peine, Lucien doit être libre maintenant.
19:35 Moon est morte, assassinée. Renaud s'est suicidé. Et Lucien, c'est un homme de quarante ans. Libre.
19:48 Sous-titres réalisés para la communauté d'Amara.org
19:51 "Musique"
20:06 Vous venez d'écouter "Les Récits Extraordinaires" de Pierre Belmar. Un podcast issu des archives d'Europe 1 et produit par Europe 1 Studio.
20:15 Réalisation et composition musicale, Julien Taro. Production, Sébastien Guyot. Patrimoine sonore, Sylvaine Denis, Laetitia Casanova, Antoine Reclus.
20:27 Remerciements à Roselyne Belmar. Les Récits Extraordinaires sont disponibles sur le site et l'appli Europe 1.
20:34 Écoutez aussi le prochain épisode en vous abonnant gratuitement sur votre plateforme d'écoute préférée.
20:40 préféré.

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