• il y a 11 mois
Pierre Bellemare comme vous ne l’avez jamais entendu ! C’est la promesse de ce nouveau podcast imaginé à partir des archives exceptionnelles du Service Patrimoine Sonore d’Europe 1.
Affaires criminelles, true crime, crimes, enquêtes, crimes historiques ou plus récents, crimes crapuleux, crimes familiaux, crimes inexpliqués surtout : Pierre Bellemare est le pionnier des grands conteurs de récits radiophoniques. Dans les années 70, cette voix culte d’Europe 1 a tenu en haleine les auditeurs avec ses histoires extraordinaires. Des histoires vraies de crimes en tout genre qui mettent en scène des personnages effrayants, bizarres ou fous. Des phrases à couper le souffle, des silences lourds de suspense, un univers de polar saisissant et puissant.
Avec un son remasterisé et un habillage modernisé, plongez ou replongez dans les grands récits extraordinaires de Pierre Bellemare.

[ARCHIVE EUROPE 1 - Les récits extraordinaires de Pierre Bellemare] Dans la nuit du 1er au 2 mai 1885, les quatre enfants de Jeanne Lombardi sont retrouvés égorgés dans leur chambre de leur appartement de Genève. Un seul est encore en vie… Sur les petits lits, des bouquets de lilas, disposés soigneusement. 
Jeanne est une femme qui n’a que très rarement connu l’amour. Enfant, sa mère meurt et son père, alcoolique, s’occupe très peu d’elle. En 1876, elle fait la rencontre de Joseph Lombardi. C’est le coup de foudre immédiat ! Pour la première fois de sa vie, Jeanne Lombardi est heureuse. Ensemble, ils vivent une magique lune de miel, ils ont des projets communs et rachètent même le magasin des parents Lombardi. Mais très vite, les conflits éclatent et l’homme devient violent. Enceinte, Jeanne Lombardi subit les coups réguliers de son mari et l’humiliation constante de sa belle-mère. De cette union naît quatre enfants, qui n’échappent pas aux frappes incessantes de leur père. Plus le temps passe et plus les excès de violence se font réguliers. Jeanne Lombardi va de plus en plus mal, elle souffre d'atroces migraines, d’angoisse, et tombe alors dans un profond chagrin. Pour Joseph Lombardi, sa femme est folle, elle doit se faire interner !  Un soir, elle songe à en finir avec ce cauchemar mais elle ne peut pas laisser ses quatre enfants à ce tortionnaire… Alors, la mère de famille élabore un plan : éliminer ses enfants avant de se suicider. Pourtant, Jeanne Lombardi n’est pas morte lorsqu’elle est transportée à l'hôpital. La mère de famille a-t-elle commis ces crimes en pleine possession de ses moyens ? Était-elle réellement folle, comme le prétendait son mari ? Pierre Bellemare raconte cette incroyable histoire dans cet épisode du podcast "Les récits extraordinaires de Pierre Bellemare", issu des archives d’Europe 1 et produit par Europe 1 Studio.

Retrouvez "Les Récits extraordinaires de Pierre Bellemare" sur : http://www.europe1.fr/emissions/les-recits-extraordinaires-de-pierre-bellemare

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Transcription
00:00 Bienvenue dans les récits extraordinaires de Pierre Belmar, un podcast issu des archives d'Europe 1.
00:10 Pendant un an, de mai 1885 à mai 1886, les plus éminents psychiatres vont se presser au chevet de Mme Émilie Lombardi, internée à l'hôpital Saint-Antoine de Genève.
00:28 Pendant un an, ces sommités de la médecine et de la psychiatrie vont tenter de répondre à une question à une seule question.
00:40 Mme Lombardi est-elle folle, oui ou non? Et plus précisément, était-elle folle dans la nuit du 1er au 2 mai 1885, ou jouissait-elle, comme on dit, de toutes ses facultés mentales?
00:59 Pour établir un diagnostic, psychiatres et médecins vont multiplier les interrogatoires et les examens de toutes sortes.
01:08 On note les réflexes de Mme Lombardi. On mesure sa sensibilité à la température, ses réactions à la douleur. On prend les dimensions de son crâne.
01:18 On examine attentivement ses pupilles. On ira même jusqu'à faire des recherches sur son hérédité.
01:23 Une minutieuse enquête du Dr Koss, professeur de médecine légale à l'université, portera sur 212 personnes ascendant direct de la famille de Mme Lombardi.
01:34 Des commissions d'experts sont nommées, des mémoires contradictoires paraissent, on en comptera huit en tout. Mais les psychiatres n'arriveront pas à se mettre d'accord.
01:45 Du fond de son lit, Mme Lombardi remarque à peine toute cette attention dont l'est l'objet.
01:53 Elle répond aux questions. Elle se prête d'assez bonnes grâces aux examens. Mais visiblement, elle est ailleurs, très loin, dans son passé.
02:07 Elle revoit son enfance et deux mariages, et puis cette fameuse nuit du 1er au 2 mai 1885.
02:19 [Musique]
02:38 Les premiers souvenirs qui se pressent dans la mémoire de Mme Lombardi, alors qu'elle est allongée sur son lit d'hôpital, sont des souvenirs d'enfance.
02:48 Une enfance difficile. Elle a sept ans à la mort de sa mère. Je vois encore cette affreuse journée. Je vois mon père, mes grands-mères, toutes ces femmes désespérées.
03:03 Tristes souvenirs. Je ne me souviens d'aucune caresse maternelle, encore moins de caresse paternelle, car mon père a fait ce que font tous les hommes seuls.
03:15 Il s'est mis à fréquenter la bouteille. À sept ans déjà, on comprend que l'on est abandonné.
03:25 Émilie, la future Mme Lombardi, est élevée par sa grand-mère. Les fils de celle-ci la maltraitent. Alors elle vient travailler à Genève, où elle passe son adolescence.
03:37 Elle trouve une place chez un oncle qui la paie peu, mais la bat souvent. Elle s'en va. Elle trouve d'autres places, travaille comme domestique.
03:46 Elle a à peine vingt ans quand elle fait la connaissance de Balédier, son premier mari. Il est beaucoup plus âgé qu'elle. Veuf, il a déjà deux enfants. C'est un mariage de raison.
03:57 Elle l'épouse parce que de tous les hommes qu'elle a connus, c'est le seul qui ne la bat pas. En plus, il est sobre. Ce sera une vie à deux, sans drame, mais sans passion.
04:08 En 1875, Balédier meurt. Émilie se retrouve seule. Elle a vingt-deux ans.
04:16 Un an plus tard, en 1876, elle fait la connaissance de Joseph Lombardi. Et là, c'est le coup de foudre. Il est grand et énergique, bien de sa personne. C'est un tailleur. Il a un magasin dans le Vieux Genève, rue de Coutances, et le mariage est célébré le 27 janvier 1877.
04:33 Un long voyage de noces à Paris, une lune de miel sans nuages. Pour la première fois de sa vie, Émilie est heureuse.
04:41 En mars, elle s'aperçoit qu'elle est enceinte. Son bonheur ne connaît plus de borne, d'autant qu'elle croit lire dans les yeux de son époux une joie égale à la sienne qui l'aide à supporter les nombreuses petites souffrances de la grossesse.
04:55 Mais cette entente idyllique entre les deux époux ne va pas durer très longtemps. Oh, ce sont d'abord des petits incidents, des disputes banales qui émaillent le quotidien. Mais tout cela dégénère. Car la véritable nature de Joseph Lombardi se révèle au fil des semaines.
05:12 C'est un violent, un brutal. Pour un rien, il frappe, surtout quand il a bu. Et c'est qu'il boit beaucoup, le Lombardi. Alors, pour un rien, les soufflets, les gifles, les coups s'abattent sur la pauvre Émilie.
05:26 De plus, la mère de Lombardi, la belle-mère donc d'Émilie, suit de très très près les affaires du ménage. Et elle prend en toutes circonstances le parti de son fils, bien sûr. Elle a difficilement accepté ce mariage avec une fille du peuple qui n'apportait pas un centime dans sa dote. Alors, maintenant que le mariage est fait, elle se venge. Elle jette de l'huile sur le feu. Elle excite encore davantage la colère de son fils.
05:53 Le 11 janvier 1878. Madame Lombardi met au monde un fils. Le souhait de toute la famille. En ces jours de fête, le bonheur semble à nouveau régner dans la maison de la rue de Coutances. Mais il dure peu. Les conflits reprennent. La belle-mère veut confier l'enfant à une nourrice. Émilie veut le nourrir elle-même. Elle a gain de cause.
06:16 « Je voulais avec mon fils ramener la brebis qui s'égare, dira-t-elle plus tard. La brebis, c'est bien sûr le mari. Mais le mari, la bouteille le gagne lui aussi. Il passe toutes ses soirées au café. Mon Dieu, patience, tout cela va changer, se dit Madame Lombardi. »
06:40 En août 1878. Elle est de nouveau enceinte. Nouvelle dispute avec la belle-mère qui vient lui faire des remontrances. « Enfin, c'est stupide. Vous allez vous ruiner la santé et vous ruiner tout court. » La jeune femme répond. « Quand j'en aurais fait dix comme vous, je m'arrêterais. »
06:59 Le mari, furieux de cette réponse, lui fait une scène, la gifle. Le 12 avril, c'est le samedi de Pâques. Nouvelle scène, nouvelle violence. Il lui donne des coups de pied dans le dos et dans le ventre. Elle souffre quelques heures, comme pour mettre un enfant au monde, dit-elle.
07:15 Le 23 avril, elle donne naissance à un fils. Les scènes de brutalité continuent. « On dit que l'amour est aveugle, écrira plus tard Madame Lombardi. Il y avait devant mes yeux un voile qui m'empêchait de voir que cet homme, elle est une bête féroce. Non, je ne voyais rien. » Mais peu à peu, les yeux de Madame Lombardi vont s'ouvrir. Et malheureusement, les occasions ne vont pas manquer.
07:41 En septembre de la même année, elle trouve, en fouillant dans un tiroir, un acte de vente signé par son mari. Il concerne le magasin qui appartient aux parents de Lombardi et que les jeunes époux ont décidé de racheter. Elle s'aperçoit avec stupeur que le prix de vente est supérieur de 15 000 francs suisses à la somme convenue et que son mari a signé sans même lui en parler.
08:02 Je ne voulais pas lui faire le soir même des observations, mais je me sentais des frissons dans tout le corps. Le lendemain, elle tombe malade et se plaint à sa belle-mère. « Vous profitez de votre position pour influencer mon mari et pour nous soutirer de l'argent, avouez-le. »
08:21 Le mari entre dans la chambre. Il revient du café un peu éméché. Sa mère. « Dis donc, tu donnes tes clés à ta femme quand tu t'en vas, bouconde imbécile ! Alors c'est comme ça que tu te laisses mener ? Elle a osé me faire une scène, ta petite femme ! »
08:36 Elle en dit tant et tant que le mari s'approche de Milly avec à la main ses immenses ciseaux de tailleur. « Je vais t'ouvrir le ventre. » « Mais oui, vas-y, elle le mérite ! » hurle la belle-mère.
08:50 J'avais mon petit que je nourrissais sur mes genoux. Quand je l'ai vu approcher avec ses ciseaux, j'ai été prise de frissons. J'ai posé mon petit par terre, j'ai pris mon banc que j'avais sous les pieds et je l'ai lancé à la figure de mon mari. Et puis je me suis pendu à ses cheveux comme une bête féroce. Je ne me reconnaissais plus. Il a cru sans doute que j'avais un accès nerveux car il ne m'a pas donné le coup.
09:12 Sa mère lui disait « T'es trop bon ! Si j'étais à ta place, je lui couperais les reins en deux ! » Moi, j'ai repris mon petit et je suis monté à l'appartement.
09:23 Ce genre de scène se reproduit de plus en plus souvent. Dans la famille, Mme Lombardi n'a qu'un allié, le père de son mari. Jusqu'à présent, il l'a toujours défendu. « Tu bois trop ! » dit-il à son fils. « Tu as de beaux enfants, tu as une femme qui t'aime, elle fait bien marcher le commerce. Tu devrais rester chez toi plus souvent, ta femme te gâte. Tu ne t'en même pas compte ! »
09:48 Malheureusement, le vieux Lombardi ne fait que de rares apparitions au magasin et ses conseils resteront sans effet. Mme Lombardi tombe malade, une grande fièvre, elle délire. Elle a des accès de folie. C'est en tout cas ce que lui diront son mari et sa belle-mère.
10:06 « Vous êtes folle ! Le docteur a dit que vous étiez folle ! Un jour, il faudra vous interner. » À peine guéri, les scènes de violence reprennent. Le fils aîné, le petit Pierre, prend des coups lui aussi et est si violent qu'il tombe malade. On le place tout l'été en pension chez une tante.
10:24 Le 21 septembre 1880, Mme Lombardi accouche d'une fille, Joséphine. Nouvelle grossesse en 1880, naissance d'un garçon eugène. La famille s'agrandit, mais les rêves de bonheur s'éloignent de plus en plus.
10:48 Le 10 avril 1882, un certain Dimier est jugé et condamné à Genève. Il avait tué sa femme d'un coup de revolver. Les journaux parlent abondamment de l'affaire.
11:02 Quelques jours plus tard, Joseph Lombardi rentre chez lui, furieux comme d'habitude. Il appelle sa femme. Devant elle, il verse un cornet de munitions dans un revolver qu'il fait tourner dans ses mains. « Regarde ! Tu vois ? Je le charge. »
11:20 « C'est pour faire le Dimier. » La pauvre Mme Lombardi est paralysée d'épouvante. « Je ne savais que faire. J'étais en train de donner le sein, mon petit Eugène. Je me suis senti des frissons des cheveux jusqu'au-dessous des pieds. J'étais blotti sur ma chaise comme une hébété. Il s'avança. J'allais, je crois, m'évanouir. »
11:44 Les scènes de revolver, comme on les appellera, durent plusieurs jours pendant lesquelles Mme Lombardi, plus morte que vive, n'ose plus venir coucher à la maison. Une voisine intervient. Lombardi promet qu'il ne tuera pas sa femme. Mais les menaces, les injures et les coups continuent.
12:02 « J'ai à peine le temps de descendre l'escalier, mon petit Eugène, dans les bras, qu'ils me placent le revolver sous le menton. Ah ! Les ciseaux ne t'épouvantent pas, les coups ne te font rien. Eh bien au moins, il faut ça pour te faire marcher ou crever. »
12:18 En 1883, Lombardi parle de divorcer. Elle lui répond qu'elle y est disposée quand il le voudra. Mais attention ! « Je suis la mère et je veux les quatre enfants. » Alors on en reste là.
12:34 En mars 1884, elle découvre que son mari entretient une maîtresse. Il lui écrit des lettres en cachette. Au mois de juin, comme chaque année, il y a un bal sur la place Grenu. Émilie veut danser. Son mari la chasse à la maison. Elle redescend bien vite et elle le voit danser avec Adèle B, sa maîtresse.
12:53 Quelques jours plus tard, à bout de nerfs, épuisée, découragée, elle se rend chez son beau-père pour lui demander aide et protection. Et c'est un échec. C'est pire qu'un échec. Car le vieux Lombardi ne l'écoute pas, sans qu'on sache pourquoi, il a pris le parti de son fils et il bat Émilie lui aussi. C'est plus que la jeune femme n'en peut supporter.
13:14 Quelques jours après, elle fait une fausse couche dans d'affreuses souffrances. Je n'ai jamais su avec quoi il avait pu me battre. Car j'avais été battu pendant toutes mes grossesses. Mais ça ne m'avait jamais mis dans un état pareil.
13:31 Pendant que sa femme est au lit, malade, le mari néglige son commerce. Il ne pense qu'à courir au rendez-vous que lui donne sa maîtresse. Dans le magasin, les traites s'accumulent et ne se paient pas. On ne trouve le patron nulle part quand il y a un client à servir. C'est encore Mme Lombardi qui doit se lever et s'occuper des clients, ce qui provoque une hémorragie, huit jours après sa fausse couche.
13:52 Le médecin l'envoie à la campagne pour se remettre. Elle revient au mois d'août. Elle va immédiatement chez sa rivale et se fait rendre les cadeaux et les lettres que Lombardi lui avait envoyées. Quand elle rentre chez elle, elle trouve son mari effondré, qui pleure à chaudes larmes. Pardonne-moi, je t'en supplie. C'est elle qui est une coquine.
14:12 Mais les jours suivants, Mme Lombardi s'aperçoit que les lettres et les rendez-vous continuent. Le 27 janvier, c'est l'anniversaire de leur mariage. Le soir, il lit son journal. Elle lui demande en plaisantant ce qu'il va lui offrir. Elle essaie de l'embrasser. Lombardi la repousse essèchement. « Oh, il y en a d'autres qui se sont mariées depuis nous. »
14:34 D'autres. Lombardi pense sûrement au mariage d'Adèle B, sa maîtresse. Ce mariage le rend encore plus violent. Il ne se contente plus de battre le petit Pierre ni de l'insulter quand il revient de l'école en le traitant de bon à rien maintenant. Il bat indistinctement sa femme et ses quatre enfants.
14:52 En face de ses persécutions quotidiennes, Mme Lombardi va de plus en plus mal. Elle souffre d'atroces migraines, une douleur si violente qu'elle ne peut plus porter de chapeau, avec parfois la sensation d'une boule qui la serre au cou et qui l'étouffe. Mais quand elle se plaint, il la traite de folle et menace de la faire interner.
15:14 Et dans cette famille qui va à la dérive, le chagrin, la mélancolie de Mme Lombardi gagne du terrain jour après jour. Elle dit « J'ai commencé à prendre du noir avec une telle rapidité. C'était comme une brûlure sur laquelle on verse du vinaigre et du sel. »
15:38 Depuis le mois de février, nous sommes en 1885, Mme Lombardi ne travaille pratiquement plus. Moi qui gagnais auparavant 70 francs par mois en cousant pour le magasin, je ne peux plus toucher une aiguille. Je parviens à peine en me forçant à recoudre par-ci par-là un bouton aux habits de mes enfants. Chaque fois que je suis seul, un moment je pleure. J'ai de l'ennui, un noir affreux. Je ne peux plus tenir en place.
16:05 Je sors souvent sur le trottoir. Je me promène sans but devant le magasin. On a dû le remarquer. La nuit, je fais des cauchemars. Je rêve que je suis morte. Ces idées de mort, elles reviennent de plus en plus souvent, le jour aussi, après chaque scène de violence.
16:30 Comme tous les matins, j'essuye l'extérieur et l'intérieur du magasin dans des réflexions impossibles. La mort. À tout prix la mort.
16:44 Je prise une caisse pour l'épouster. Et puis, derrière cette caisse, je vise une corde. J'attire cette corde à moi. Ah, voilà le bonheur pour ton mari. Tu l'embarrasses. Les enfants embarrassent parce qu'ils coûtent trop cher.
17:04 Alors ce soir, tu vas sur Saint-Jean. Tu les attaches tous les quatre avec toi au milieu. Tu t'enfonces dans le Rhône comme une vraie reine d'abeilles avec son rucher.
17:17 À ce moment-là, les enfants descendient à l'escalier. Je les serrais contre moi. J'avais honte de ce que je venais de me dire.
17:31 Le bombardier s'enivre maintenant à tel point qu'il faut le coucher chaque jour à midi. Et nous arrivons à la journée fatidique du vendredi 1er mai 1885.
17:42 Dès le matin, le mari va au café. Il rentre pour faire des scènes aux enfants et à sa femme. Il donne un soufflet aux petits-pierres. Il tempête. Il récrimine sur les dépenses.
17:51 Il fait le compte de tout ce que coûtent les enfants, ce qu'ils boivent, ce qu'ils mangent, ce qu'ils usent. L'après-midi, il continue. Il se plaint d'être seul pour entretenir un pareil ménage.
18:02 Mme Lombardi se sent prise de mots de queue. Le soir épuisée, elle s'assied au fond du magasin et pleure abondamment. J'étais là, souffrante. Je me disais que vraiment moi et les enfants nous embarrassions mon mari.
18:19 Elle soupe avec ses enfants et puis elle les couche. Nouvelle dispute avec le mari, qui repart au café. Elle reste seule. Elle va et vient dans le magasin désert.
18:33 J'ai pensé à ce moment-là que mieux valait mourir que de continuer à embarrasser mon mari. Mais les enfants, elle ne peut pas les lui laisser. Il serait capable de les abandonner, de ne pas les nourrir. Non, seul, il sera mieux. Et nous aussi, se dit-elle.
18:58 Lombardi rentre, ivre mort. Il l'insulte. « En dehors de Dias, espèce de traîné ! » Elle est prise de convulsion. « Ah, cette fois, je vois ce que tu cherches. Tu as envie que je te débarrasse, autant ce soir qu'une autre fois.
19:19 Tu coucheras seul, tu vivras seul. Et demain matin, tu seras débarrassé au complet. Vous allez profiter de ma peau, mais vous n'en profiterez plus ! » Le mari. « Tu peux faire ce que tu veux, ça m'est égal. »
19:41 Il y a dans la cuisine des Lilas que les enfants ont cueilli le jour même au cours d'une promenade. Mme Lombardi prend les fleurs et le monte dans leur chambre. Elle dépose un bouquet sur chacun des petits lits.
19:58 Et puis, elle accomplit la promesse qu'elle vient de faire. Elle court prendre un rasoir et elle y gorge successivement chacun de ses quatre enfants en leur demandant pardon. Trois mourront. Un seul le cadet survivra à ses blessures.
20:27 Mme Lombardi lâche le rasoir. Elle tient à la main une bouteille de colire qu'elle a trouvée dans l'armoire à pharmacie. Sur l'étiquette, il y a marqué « Poison » en grosses lettres. C'est la fin qu'elle s'est choisie. Elle l'avale d'un trait et elle tombe dans le coma.
20:43 Une heure plus tard, le mari pénètre dans la chambre. Il est suffisamment lucide pour s'apercevoir de la situation et courir prévenir la police et les médecins. On parviendra à ranimer Mme Lombardi, mais c'est en pleine crise de délire qu'elle sera transportée à l'hôpital Saint-Antoine.
21:02 Dans cet hôpital, elle restera une année en attendant son procès. Elle retrouve assez vite sa lucidité. On lui apprend qu'un seul de ses enfants a survécu à ses blessures. Elle regrette qu'il ne soit pas mort comme elle regrette d'être elle-même toujours vivante. Que peut-elle espérer maintenant pour elle et son enfant ?
21:24 Elle est jugée en juin 1886. Pendant le procès, elle garde une attitude calme et indifférente. Jamais elle ne trahit la moindre émotion. La plupart des témoins confirment les misères qu'elle a subies. L'apparition de son mari à la barre, défaillant et bêté, abruti par l'alcoolisme, produit une impression pénible sur le public.
21:42 Comme je vous l'ai dit au début de ce dossier, les médecins et les psychiatres ne sont pas parvenus à se mettre d'accord sur le cas de Mme Lombardi. Les uns, et ce sont les plus nombreux, estiment qu'elle a commis son crime sous l'influence d'un état mental pathologique qui lui a enlevé son libre arbitre. En d'autres mots, elle était folle, donc irresponsable. D'autres experts, une minorité cependant, prétendent qu'elle jouit de l'intégralité de ses facultés intellectuelles, donc qu'elle est responsable.
22:07 Le tribunal penchera pour la première hypothèse, le jury admettra l'irresponsabilité de l'accusée, celle-ci sera acquittée, mais immédiatement internée dès la fin du procès dans un hôpital psychiatrique.
22:19 Oui, c'est finalement à l'asile que les persécutions de son mari et de sa famille devaient conduire Mme Lombardi. Rappelez-vous, il l'avait menacée de la faire interner comme folle quelques années auparavant.
22:30 Tant que l'on ne peut pas le faire, on ne peut pas le faire.
22:37 Pour conclure, je voudrais vous lire quelques lignes de la dernière lettre qu'a écrite Mme Lombardi quelques instants avant de tuer ses enfants et de tenter de se suicider. Cette lettre était adressée à une amie, sa seule amie. La voici.
22:49 Genève, 1er mai, 8h30 du soir.
22:55 Madame, Je regrette de vous avoir causé tant d'ennuis, mais vous en auriez davantage si cela n'avait pas une fin.
23:07 La journée a été si affreuse. Je ne puis y attendre. Je ne suis point folle mais rassasiée. Je me vois dans l'impossibilité d'aller plus loin. Et j'ai trop peur que mes enfants lui ressemblent.
23:28 Émilie, de l'Huermos, femme du bourreau, Joseph Lombardi. Postcriptum. S'il vous plaît, mettez sur ma tombe. Femme, Marty.
23:44 (Musique)
24:02 Vous venez d'écouter les récits extraordinaires de Pierre Belmar. Un podcast issu des archives d'Europe 1 et produit par Europe 1 Studio. Réalisation et composition musicale, Julien Taro. Production, Sébastien Guyot. Direction artistique, Xavier Joli. Patrimoine sonore, Sylvaine Denis, Laetitia Casanova, Antoine Reclus. Remerciements à Roselyne Belmar.
24:29 Les récits extraordinaires sont disponibles sur le site et l'appli Europe 1. Écoutez aussi le prochain épisode en vous abonnant gratuitement sur votre plateforme d'écoute préférée.