La piste rouge

  • il y a 6 mois
Pierre Bellemare comme vous ne l’avez jamais entendu ! C’est la promesse de ce nouveau podcast imaginé à partir des archives exceptionnelles du Service Patrimoine Sonore d’Europe 1.
Affaires criminelles, true crime, crimes, enquêtes, crimes historiques ou plus récents, crimes crapuleux, crimes familiaux, crimes inexpliqués surtout : Pierre Bellemare est le pionnier des grands conteurs de récits radiophoniques. Dans les années 70, cette voix culte d’Europe 1 a tenu en haleine les auditeurs avec ses histoires extraordinaires. Des histoires vraies de crimes en tout genre qui mettent en scène des personnages effrayants, bizarres ou fous. Des phrases à couper le souffle, des silences lourds de suspense, un univers de polar saisissant et puissant.
Avec un son remasterisé et un habillage modernisé, plongez ou replongez dans les grands récits extraordinaires de Pierre Bellemare.

Le jeudi 17 décembre 1931, une Citroën C6 est retrouvée au beau milieu d’un carrefour du bois de Vincennes, encastrée dans un arbre. Le pare-choc est en piteux état. Sur les tapis, les portières et la banquette luisent d’énormes flaques de sang provoquant une odeur funèbre. Mais où sont passées les victimes ? Aucune trace aux abords du véhicule ne laisse penser qu’elles se sont enfuies ou ont été déplacées... Selon les premiers éléments de l’enquête, le véhicule a été dérobé la veille. Puis, on découvre que des vêtements tâchés de sang brûlent sur la route de Poissy, que le strapontin du véhicule accidenté est retrouvé à Magny-en-Vexin et qu’un témoin a vu un automobiliste jeter quelque chose par-dessus le pont de Triel… La scène de crime s’étend donc aux quatre coins de l’Île-de-France. L’enquête se révèle alors être un véritable puzzle : c’est le début de la piste rouge. L’indice qui va pourtant changer la donne est un petit bouton de culotte. Il permet aux enquêteurs de remonter la piste jusqu'à un Américain domicilié boulevard des Capucines à Paris et nommé Richard Wall. Reste à savoir si ce gangster, actuellement introuvable, est victime ou coupable… Pierre Bellemare raconte cette incroyable histoire dans cet épisode du podcast "Les récits extraordinaires de Pierre Bellemare", issu des archives d’Europe 1 et produit par Europe 1 Studio. 
Retrouvez "Les Récits extraordinaires de Pierre Bellemare" sur : http://www.europe1.fr/emissions/les-recits-extraordinaires-de-pierre-bellemare

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Transcript
00:00 Bienvenue dans les récits extraordinaires de Pierre Belmar, un podcast issu des archives d'Europe 1.
00:11 Il a fallu, chers amis, il a fallu aux policiers suivre une piste minutieuse pour découvrir d'une part un cadavre,
00:18 et d'autre part l'assassin dans l'affaire qui nous intéresse aujourd'hui.
00:22 Cette chance a mené effectivement vers un coupable, mais jamais cette affaire n'a reçu une totale explication,
00:31 comme vous vous en rendrez compte au moment de sa conclusion.
00:34 C'est le récit de cette enquête patiente que je vous invite à suivre,
00:39 "La Piste Rouge", tel est le titre que lui a donné Grégory Frank.
00:44 [Musique]
01:02 Eh bien, en voilà encore un qui a dû faire honneur au champagne cette nuit.
01:07 En faisant cette réflexion, le garde sagné saute prestement à bas de sa bicyclette, qu'il abandonne sur le bas-côté.
01:14 En effectuant sa tournée matinale ce jeudi 17 décembre 1931, il vient de découvrir un spectacle alarmant
01:21 dans l'allée des quatre carrefours, en plein bois de Vincennes.
01:25 Une automobile, une C6 Citroën, repose à 5-6 mètres de la route,
01:31 le train avant soulevé par un groupe d'arbustes couchés ou cassés sous elle.
01:37 D'après ce que je vois, s'ange le garde sagné, ils n'ont pas vraiment abouti à un arbre.
01:43 Ils n'ont pas dû se faire trop de mal.
01:46 Le garde approche de la voiture dont un phare brille encore faiblement.
01:50 Apparemment, il n'y a personne à bord, à moins que les passagers ne soient couchés sur les sièges ou sous le tableau de bord.
01:58 Mais quand même un peu d'appréhension, le garde ouvre la portière.
02:03 Il passe la tête à l'intérieur de la voiture, et c'est alors qu'une odeur le prend aux narines,
02:10 une odeur que le garde connaît bien, celle qui vous environne quand vous ramassez un lapin ou un chat errant tué au coin d'un fourret.
02:18 L'odeur du sang.
02:20 Effectivement, toute la banquette, les portières et le plancher sont hachés de sang qui achève de sécher.
02:27 « Eh bien, ils ont dû quand même se faire plus de mal que je ne le pensais, murmure le garde.
02:34 Quelqu'un a dû pour le moins se cogner la tête contre le pare-brise.
02:38 M. Sagné regarde bien entre les sièges, sous le volant.
02:43 Personne.
02:45 Le ou les occupants de la voiture auront dû retrouver leur conscience, s'extraire du véhicule accidenté
02:51 et regagner, ou au moins essayer de regagner la capitale par leurs propres moyens.
02:56 Il faut dire qu'il ne passe pas grand monde la nuit par cet endroit et qu'en restant sur place,
03:01 on ne pouvait pas espérer de secours avant que le jour ne se lève.
03:04 Par acquis de conscience, le garde Sagné explore un peu les alentours au cas où le conducteur
03:10 et les éventuels passagers auraient senti leur force les abandonner.
03:15 Les recherches s'avèrent négatives.
03:18 Alors le garde n'a rien de plus à faire que reprendre sa bicyclette et rentrer prévenir le poste de police.
03:23 Le car est bientôt sur place pour une constatation de routine avec quelques agents, mais aussi un inspecteur.
03:29 Or ce qui l'inquiète l'inspecteur, c'est quand même tout ce sang dans le véhicule.
03:35 Il doit avoir eu au moins un blessé sérieux et si ce n'est plusieurs, et il va falloir regarder cela d'assez près.
03:43 La première chose qui a frappé le policier en descendant du car, ce sont les traces laissées par la voiture.
03:48 À cet endroit, l'allée des quatre carrefours est bien droite et la citoyenne n'a pas fait une brusque embardée sur le côté
03:54 comme lorsqu'un conducteur s'endort ou perd le contrôle du volant sous l'effet de l'alcool et heurte le talus.
03:59 La trajectoire au contraire est longue, forme une courbe régulière, comme si on l'avait guidée.
04:05 Mais qui, qui, je vous le demande, irait se jeter par plaisir contre un arbre?
04:10 Quoique ce n'est pas contre un arbre qu'elle s'est cognée, mais contre une futée d'arbriceaux néanmoins.
04:16 La voiture est sérieusement endommagée par chocs brisés, phares tordus, cassés, à l'exception d'un seul qui finit d'épuiser les batteries.
04:25 Que révèle l'intérieur?
04:27 Les manquettes sont tachées, mais aussi les portières.
04:30 Cela va jusque sur le marchepied côté passager à l'avant.
04:33 Mais cela est également logique dans le cas où une personne blessée par accident sort de la voiture.
04:39 Par contre, le terrain autour ne comporte aucune tache de sang.
04:44 Mais là non plus rien de certain, nous sommes en décembre, en plein bois.
04:48 L'huidité de la nuit a pu dissoudre les taches et les entraîner à l'intérieur du sol.
04:52 Autre détail, l'un des strapontins fixés au dos du siège avant manque.
04:57 Mais est-ce bien suspect? On a bien le droit d'enlever un strapontin dans sa voiture.
05:01 Ah par contre là, une petite chose pas très régulière.
05:05 La plaque sur laquelle doit figurer le nom du propriétaire ainsi que son adresse, cette plaque a été dévissée.
05:13 Contre cela, que peut-on relever?
05:15 L'immatriculation de la voiture, c'est le numéro 71 97 RE 3.
05:20 Et puis il y a également divers morceaux de chiffon sans importance, comme il entraîne dans toutes les voitures.
05:26 Les policiers retournent à leur commissariat.
05:28 L'inspecteur fait son rapport et un stagiaire est chargé de retrouver le propriétaire de la 71 97 RE 3 et de faire le nécessaire auprès de lui.
05:37 La routine en somme, la routine pour l'inspecteur qui appelle l'employé du registre de la préfecture,
05:42 la routine pour l'employé du registre qui sort instantanément la fiche correspondante,
05:47 et la surprise par contre pour le propriétaire de la 71 97 RE 3.
05:53 Écoutez, cessez donc cette farce stupide et puis dites-moi qui vous êtes.
05:58 Mais je vous le répète monsieur, je suis inspecteur de police.
06:01 Je vous téléphone parce que votre voiture est accidentée dans le bois de Vincennes.
06:05 Écoutez, je vous dis que ça ne prend pas.
06:08 Vous auriez pu choisir un canular un peu plus solide.
06:10 Je sais parfaitement que la voiture n'est pas en morceaux dans le bois de Vincennes,
06:13 puisque pendant que je vous parle, je la vois là, juste sous ma fenêtre.
06:18 Et il ne mentait pas.
06:20 Il la voyait vraiment sa voiture le brave homme.
06:23 Du coup, surprise aussi pour l'inspecteur à qui on transmet la nouvelle et qui se rend presquement au fichier de la préfecture,
06:29 dans lequel il plonge gaillardement sur les fiches de toutes les automobiles C6 Citroën.
06:35 Entre temps, la nouvelle du faux numéro d'immatriculation de la voiture accidentée
06:39 a rendu celle-ci beaucoup plus intéressante et digne d'être examinée,
06:43 mais cette fois avec beaucoup plus de soin.
06:46 Entre les coussins des sièges et sous les banquettes,
06:48 on trouve des objets ou plutôt des fragments d'objets que l'on recueille avec perplexité.
06:53 Un morceau de tissu noir, une doublure de vestant, un élastique de cravate.
06:59 Ces débris de vêtements semblent avoir été découpés avec des ciseaux ou un rasoir.
07:03 Ils portent également des traces de sang.
07:06 Et puis, il y a surtout une couverture dans laquelle est enroulée une trousse
07:10 contenant un minuscule matériel tout à fait spécialisé,
07:14 destiné à court-circuiter les contacts électriques, à ouvrir les cadenas, à maquiller les plaques d'immatriculation.
07:19 En somme, un matériel complet de professionnels de la carambouille, le vol de voiture.
07:24 Justement, l'inspecteur revient du fichier.
07:26 Le numéro a bien été truqué.
07:27 L'auto accidentée était le véhicule 797 RF3.
07:33 Numéro très facile à transformer en 71 97 RE 3.
07:38 Sous son numéro exact, 7 C6, et bien celle d'un certain monsieur Gaulier.
07:43 Cette fois, ce propriétaire-là ne croit pas du tout à une farce.
07:46 Son véhicule lui a bien été dérobé trois jours plus tôt, boulevard Malzherbe.
07:51 Grâce à son témoignage, il est établi que le voleur a dû parcourir 400 kilomètres.
07:55 Mais pour quoi faire?
07:57 Une tournée en province avec sa petite amie?
07:59 Un cambriolage?
08:00 Non, car extraordinaire, il n'y a pas eu de hold-up depuis le début de la semaine.
08:04 Alors, s'agit-il d'une virée entre copains qui se termine dans le décor la nuit au bois de Vincennes,
08:09 après avoir un peu trop foncé sur le champagne?
08:11 Dans ce cas, même s'il y a un blessé qui saigne abondamment,
08:14 il est explicable que les occupants ne se soient pas attardés auprès du véhicule.
08:18 Ou bien s'agit-il de quelque chose de plus grave?
08:22 Déjà, l'automobile du bois de Vincennes suscite l'intérêt des policiers de la préfecture
08:26 et c'est grâce à cela que l'enquête va pouvoir démarrer.
08:29 En effet, d'autres trouvailles vont avoir lieu ce même jeudi matin, 17 décembre.
08:33 Mais elles vont avoir lieu dans des endroits très éloignés les uns des autres.
08:37 Ils auraient pu continuer à poser longtemps des problèmes à des gendarmeries locales
08:40 qui n'auraient jamais eu l'occasion de recouper ces événements entre eux.
08:44 Et il faut bien dire que, comme les pièces d'un puzzle,
08:47 chaque chose prise à part n'avait pas beaucoup de sens.
08:50 Et centralisées à la préfecture, ces pièces vont s'adapter les unes aux autres
08:54 et permettre de constituer le départ de ce qui fut appelé la « piste rouge ».
08:59 Sur la route de Poissy, un poseur de fil télégraphique
09:03 aperçoit un petit tas d'objets qui se consument avec difficulté.
09:06 Par curiosité, il étale les flamèches et étale ce qui semble être des chiffons.
09:11 En fait, il s'agit d'un complet bleu à moitié calciné, d'une chemise blanche,
09:15 d'un caleçon, d'une cravate à raies blanches et rouges assez voyantes.
09:20 Le tout a été découpé en plusieurs morceaux, comme au ciseau ou au rasoir.
09:25 Sur les vêtements, un bidon d'essence a été rapidement abandonné.
09:28 Le poseur de fil télégraphique n'aurait pas songé une seule seconde
09:31 à signaler cette trouvaille à la gendarmerie si, en rejoignant la route,
09:34 il n'avait aperçu de gros stages de sang,
09:37 comme si les vêtements en étaient gorgés
09:39 et avaient laissé cette trace pendant le transport vers le champ.
09:43 Les gendarmes n'ont aucun mal à suivre cette piste rouge, bien visible sur le bitume.
09:47 À quelques centaines de mètres, ils trouvent un par-dessus, un mouchoir,
09:52 une chaussette de fil noir et sa jartelle, ainsi qu'un deuxième bidon d'essence vide.
09:58 La piste rouge repart encore sur quelques dizaines de mètres
10:01 pour mener cette fois à une chaussure abandonnée au bord de la route.
10:06 À la même heure, exactement à Magny-en-Vexin, non loin de Mantes,
10:09 un représentant de commerce trouve sur son chemin
10:12 un strapontin d'auto recouvert de velours et lui aussi trempé de sang.
10:17 C'est le strapontin qui manque dans la voiture accidentée du bois de Vincennes.
10:21 Là aussi, il faut un hasard extraordinaire pour que le représentant
10:24 prenne la peine de ramasser ce strapontin pour le porter aux gendarmes,
10:28 puis pour que l'information passe en quelques heures
10:30 des gendarmes de Mantes aux policiers de la préfecture de Paris.
10:34 Parallèlement, plusieurs groupes d'inspecteurs se rendent sur les routes
10:37 jalonnées par ces indices et interrogent sans perdre un instant
10:40 tous les riverains des abords de la piste rouge.
10:43 Les premières flammes montant du tas d'habits consumés
10:46 ont été aperçues mercredi soir à 20h30.
10:48 On peut donc supposer que le crime, car c'est maintenant presque une certitude,
10:52 que le crime a été commis aux alentours de 20h
10:54 et que si l'assassin a mis une telle hâte maladroite
10:57 à se débarrasser des objets tachés puis de la voiture,
10:59 c'est qu'il était inquiet.
11:01 Pourquoi inquiet ?
11:03 Parce qu'il a pu être vu commettant son geste
11:05 ou bien juste avant ou bien juste après.
11:08 Existe-t-il donc des témoins du meurtre ?
11:11 Oh, il pouvait avoir 25 ans environ, taille moyenne, rasé de très près,
11:17 un bon costume mais pas très bon genre, si vous voyez ce que je veux dire.
11:21 C'est M. Lalanne qui parle.
11:23 M. Lalanne habite Triel.
11:25 Il est gérant des docs de l'Union commerciale Place de la Mairie.
11:27 Il se souvient très bien de cet automobiliste
11:30 qui lui a acheté mercredi soir deux bidons d'essence.
11:32 Il était tellement pressé qu'il a même déchiré en deux
11:35 un billet de 50 francs en le retirant de son portefeuille.
11:38 Il venait de menthe.
11:40 Mme Sang, elle, habite Garch.
11:43 Elle traversait le bois de Saint-Cucufa en promenant ses chiens
11:47 lorsqu'elle entendit deux coups de feu étouffés se succédant à quelques secondes.
11:51 Les chiens se précipitèrent
11:53 et Mme Sang découvrit derrière un groupe d'arbres
11:56 une voiture, une Citroën, à l'arrêt.
11:58 Le conducteur, surpris, ne réagit pas immédiatement.
12:01 Et la dame eut tout le temps de le dévisager.
12:04 25 ans, cheveux noirs et lisses, visage fin et imberbe.
12:08 Un autre homme était près de lui, appuyé sur son épaule,
12:11 le visage incliné vers le tableau de bord.
12:13 Revenu de sa surprise, le conducteur mit le contact
12:16 et démarra très vite.
12:18 Mais Mme Sang, pressentant quelque chose d'anormal,
12:20 releva le numéro de la voiture et l'inscrivit sur un papier.
12:24 71 97 R E 3.
12:27 Le numéro truqué.
12:30 C'est vraiment une enquête d'une extraordinaire rapidité.
12:33 La découverte de l'auto accidentée date du matin
12:36 et à peine au milieu de la journée, nous sommes déjà en possession
12:39 de tous ces éléments importants.
12:41 Ajouté à cela, le témoignage de M. Brun, garagiste à Nanterre,
12:45 qui s'est vu remettre en paiement dans la nuit de mercredi à jeudi
12:48 un billet de 1 000 francs taché de sang.
12:50 « J'espère au moins que vous n'avez pas fait un mauvais coup,
12:53 demanda-t-il à qui, à son client.
12:55 Vous en faites pas, si n'y a que moi pour commettre des crimes,
12:58 qu'on n'aura pas souvent, a répondu l'automobiliste en riant. »
13:01 Oui, après quelques heures seulement, les policiers sont déjà bien avancés
13:05 sur la piste rouge, mais la question essentielle reste posée.
13:09 Qui est la victime et qui est l'assassin?
13:12 C'est une réflexion curieuse, mais on ne peut manquer de cela faire
13:24 à propos de nombreuses enquêtes criminelles.
13:26 Quand on sait qu'un crime a été commis et qu'il y a quelque part
13:29 dans la nature une victime et un assassin, c'est en général
13:32 sur la piste de la victime que les policiers concentrent d'abord
13:35 leurs efforts. Vous me direz que ça n'est peut-être pas étonnant,
13:39 étant donné qu'il faut d'abord repérer le corps du délit et que celui-ci
13:42 risque, quoi qu'il en soit, d'être moins remuant que l'auteur du mauvais coup.
13:47 Ainsi, la piste rouge que nous suivons possède forcément
13:50 deux extrémités, d'un côté un cadavre encore inconnu
13:53 et de l'autre un assassin tout aussi anonyme.
13:56 M. Landroisini, ouvrier de son état, déclare avoir vu,
14:01 mercredi soir vers 8h, une automobile stationnée sur le pont de Triel
14:05 et un automobiliste qui avait l'air d'avoir jeté quelque chose
14:11 par-dessus le pont. L'examen révèle rapidement que la piste rouge
14:15 aboutit effectivement là en ce qui concerne la victime.
14:19 Le parapet porte côté rivière quelques taches de sang,
14:23 dernière trace laissée dans ce bas monde par quelqu'un qui ensuite a fait
14:27 un grand trou dans l'eau noire et doit être en train de voguer maintenant
14:31 vers une destination inconnue.
14:33 Déception pour les policiers, d'ici que l'on repêche le corps,
14:37 il risque de couler encore beaucoup d'eau sous le pont de Triel.
14:40 Quant à l'autre extrémité de la piste rouge, côté assassin,
14:44 elle s'arrête aussi brutalement à la voiture du bois de Vincennes.
14:47 Mais voici le petit détail, style Sherlock Holmes,
14:52 qui va faire repartir l'enquête perpendiculairement à la piste
14:55 si j'ose dire. Un bouton de culotte.
14:58 Non, non, chers amis, je ne plaisante pas.
15:00 C'est bien d'un bouton de culotte qu'un inspecteur trouve
15:03 dans la boue à côté du pont. Une fois nettoyé, ce bouton de culotte
15:06 porte un nom, celui d'un tailleur chic de la rue de la Pépinière.
15:10 Et ceci rappelle soudain aux policiers qu'il reste à tirer parti,
15:13 si c'est possible, des objets qui jalonnaient la piste rouge,
15:16 soit en se consumant au bord de la route, soit oubliés au fond de la voiture.
15:20 Voici donc le commissaire tendant au tailleur chic
15:23 un bouton de culotte chic en corne.
15:26 Ah oui, indiscutablement, ce bouton vient de chez moi,
15:29 mais avouez que c'est un peu vague.
15:32 Et cela, cher monsieur, est-ce que cela vous évoque plus précisément
15:35 l'un de vos clients ? fait le commissaire en sortant d'une boîte
15:38 un morceau de tissu brûlé. Ah oui, ah, cette doublure de soie
15:42 pour un gilet, ses caractéristiques, de même les supports-chaussettes
15:46 grande largeur qui sont à côté. C'était pour un Américain.
15:50 Oh, il n'y a que ces gens-là pour porter ce genre de choses.
15:54 Un certain Richard Wall, domicilé dans un hôtel du boulevard des Capucines.
15:59 Je me le rappelle d'autant mieux qu'il ne m'a pas payé sa commande.
16:03 La chaussure retrouvée au bord de la route mène chez un grand bottier parisien
16:08 spécialiste du sur-mesure, lui aussi, on se rappelle bien, l'Américain Richard Wall
16:13 et lui aussi court toujours après sa facture.
16:17 Richard Wall.
16:19 Ah, cette fois les policiers sont en terrain connu.
16:22 Voici moins d'un an, il fut la vedette d'un procès retentissant.
16:25 Il avait porté plainte contre son meilleur ami et sa propre maîtresse
16:28 qui étaient partis ensemble en lui dérobant, soit disant, une somme de 20 000 dollars
16:32 dont on ne peut d'ailleurs jamais prouver l'existence préalable.
16:35 Grâce à ce subterfuge, il avait réussi à mettre toutes les polices de France
16:39 sur la trace des fuyards et a fait retrouver plus efficacement que par un détective privé
16:43 la dame de son cœur.
16:45 L'Américain Richard Wall n'était d'ailleurs pas non plus un inconnu pour la police
16:49 mais cette fois non pas en tant que victime d'une indélicatesse
16:52 mais comme l'auteur de quelques autres.
16:55 Richard Wall avait fait une entrée remarquée en 1929 parmi les habitués
16:59 des boîtes de nuit, des bars et des cercles de jeux de Montmartre.
17:02 Il dépensait beaucoup et se disait « fils de milliardaires américains » en fait.
17:06 Il ne fallut pas fouiller beaucoup dans son passé pour déterminer que cet argent
17:10 facilement sorti de sa poche y était entré tout aussi facilement
17:13 alors qu'à l'âge de 29 ans il se livrait aux États-Unis,
17:16 en pleine période de prohibition, à un trafic d'alcool de grande envergure.
17:21 Pourchassé par les incorruptibles, il s'était réfugié un moment
17:25 auprès du tristement célèbre Al Capone dont il fut garde du corps,
17:29 les représentants de la loi se montrant décidément trop empressés sur sa personne,
17:33 il avait préféré venir en France où il vivait depuis d'expédients,
17:37 laissant de longues ardoises et de belles promesses d'héritage
17:40 en millions de dollars en guise de paiement.
17:43 Sa dernière trouvaille, pour faire entrer en caisse quelque argent,
17:46 c'était le trafic des voitures volées.
17:49 Tiens, tiens, tiens, voiture volée, la voiture accidentée du Bois-de-Vincennes,
17:54 n'était-elle pas un véhicule volé par un spécialiste
17:58 puisque le numéro a été maquillé et qu'une trousse complète
18:01 de professionnels de la carambouille a été retrouvée ?
18:04 Un instant, les policiers se posent la question.
18:06 Bien entendu, Richard Wall n'est pas rentré à son hôtel depuis le soir du crime,
18:09 bien entendu, ce sont ses vêtements qui jalonnaient la piste rouge,
18:12 mais est-ce forcément lui la victime ?
18:16 Ne s'agit-il pas d'une ruse ?
18:19 Et ne serait-il pas plutôt le criminel, lui, le gangster américain ?
18:23 Les enquêteurs sont bientôt établis au Topsy,
18:26 un café-bar du quartier des Terres,
18:28 où Richard Wall, à de notoriété publique, établit son quartier général.
18:32 En face d'eux, les compagnons du gangster, du moins,
18:35 ses compagnons des derniers temps.
18:37 Il y a là un riche monsieur d'une excellente famille de province
18:40 qui ne dédaigne pas de dépenser les économies familiales
18:43 en venant s'encanailler.
18:45 Et aussi le meilleur ami, mais oui, oui, vous savez,
18:48 celui qui s'était enfui avec la maîtresse du gangster
18:51 et qui avait fait l'objet de la plainte pour vol.
18:53 Et bien depuis le procès, Richard Wall et lui sont redevenus très copains.
18:58 On a beau cuisiner ces deux messieurs,
19:00 il apparaît très vite qu'ils ne savent pas grand-chose.
19:03 Par contre, l'un d'eux lâche une phrase importante.
19:06 « Vous devriez demander à Robert Guy.
19:10 Il a peut-être une information, mais on ne l'a pas revue depuis mercredi. »
19:14 Le prénomné Robert Guy s'appelle Davin.
19:20 Et les policiers ont au fait de se présenter à son domicile.
19:23 En contemplant le superbe jardin qui s'étend derrière la grille
19:27 autour de cette audelle particulière de Neuilly,
19:29 le commissaire se remémore ce qu'il sait de Guy Davin.
19:32 Fils d'un riche garagiste, il a été très jeune attiré par le milieu.
19:36 Un de ces jeunes gens qui semblent avoir le démon dans la peau
19:39 et qui n'ont même pas l'excuse de la pauvreté.
19:41 Sa famille le maria à une dame russe fortunée
19:44 dont il dépensait l'argent en mille extravagances.
19:47 Pendant un temps, par exemple, il eut dans son jardin
19:50 un orang-outan adulte, deux ours et un lion
19:53 dont il s'occupa avec passion quelques semaines
19:56 pour les abandonner ensuite sans soin.
19:58 Sujet à des accès de violence incontrôlés,
20:01 il fut menacé d'internement, mais grâce à l'intervention de sa famille,
20:04 il resta en liberté.
20:06 Une liberté dont il usa sous couvert de placer des contrats d'assurance
20:09 pour participer à un trafic de drogue et enfin au commerce des voitures volées.
20:16 M. Guy Davin ?
20:18 Lui-même ?
20:20 C'est un grand jeune homme aux cheveux bras,
20:22 au visage lisse comme celui d'une fille,
20:25 qui ouvre maintenant la grille au policier.
20:27 Nous pensons avoir identifié la victime d'un crime.
20:30 C'est M. Richard Wall.
20:33 Vous êtes son ami, n'est-ce pas ?
20:35 Nous aimerions votre témoignage.
20:38 Volontiers, mais permettez-moi de me changer, répond Davin
20:41 en désignant la tenue de cheval qu'il porte.
20:44 Le policier le suit dans son appartement et le voit ouvrir son armoire.
20:47 À cette seconde, c'en est déjà pratiquement fait de Guy Davin.
20:51 Sur un rayonnage, le policier vient d'apercevoir une chemise et un pantalon de costume
20:55 qui correspondent exactement aux détails donnés par certains témoins
20:59 sur la tenue de l'assassin en automobile et à certains morceaux de vêtements
21:03 à moitié consumés trouvés sur le bord de la route à Triel au départ de la piste rouge.
21:08 Moi ? Je ne suis même pas un bon témoin.
21:11 Je connaissais à peine Richard Wall.
21:14 C'est la première réponse que fait Guy Davin quand il s'aperçoit
21:18 que son interrogatoire est en fait celui d'un suspect.
21:21 Je ne suis même pas un bon témoin.
21:24 Alors le commissaire tente un truc du métier tellement naïf,
21:27 penserait-on, qu'il n'a aucune chance de marcher.
21:30 Il exhibe brutalement, d'en dessous de son bureau,
21:33 un petit paquet de chiffon à moitié calciné.
21:36 Or ces débris, qui n'auraient aucun sens pour un innocent,
21:40 déclenchent contre toute attente l'effondrement de Davin.
21:43 Il pallie, se tasse sur sa chaise et cache sa tête dans ses mains.
21:48 Oui, c'est moi, vaut-il.
21:51 Je travaillais avec Richard, enfin. Les voitures volaient.
21:55 Mercredi matin, il m'a chargé d'aller changer pour lui 300 dollars.
21:59 Je suis allé à la banque et j'ai touché un peu plus de 7 600 francs.
22:03 J'ai d'abord eu la tentation de tout garder, puis j'ai eu peur des représailles.
22:07 Alors, pour me défendre, je suis allé acheter un broadway et 100 cartouches chez un armurier.
22:13 Je suis allé au bois de Boulogne essayer l'arme et je suis revenu chercher Richard.
22:18 Je lui ai donné 7 000 francs en lui disant que c'est tout ce que j'avais reçu.
22:21 Il n'a pas semblé étonné.
22:23 Je lui ai alors proposé une promenade à la campagne.
22:26 Nous roulions dans la C6 Citroën, récemment volée avec le numéro maquillé.
22:30 Il me l'avait prêté pour la journée.
22:32 En traversant les bois de sa cucufage, je lâchais le volant d'une main
22:35 et il fit semblant de chercher mes gants dans la portière.
22:38 Je tenais le revolver.
22:40 J'ai arrêté la voiture et j'ai tiré sur Richard à bout portant.
22:44 Il a reçu la balle dans la nuque.
22:46 Il s'est redressé un peu.
22:48 Il avait l'air de ne rien sentir.
22:50 Et il a dit cette phrase étonnante, "All right, ouvre la fenêtre."
22:56 J'étais glacé d'horreur.
22:59 Il saignait déjà beaucoup, j'ai tiré une seconde fois.
23:02 Il est tombé contre mon épaule.
23:04 Cette fois, il y avait du sang partout.
23:08 C'est alors que j'ai aperçu une dame qui se promenait là, avec ses chiens.
23:11 Je me suis affolé car maintenant je pouvais être connu.
23:15 J'ai démarré en trombe.
23:17 À Mantes, j'ai acheté des ciseaux pour découper en morceaux les vêtements de l'Américain
23:20 et certains des miens qui étaient hachés.
23:22 Je me suis débarrassé du cadavre venu au pont de Trielles.
23:25 Et puis, tout au long de la route, j'ai fait ici et là des petits tas
23:28 avec les objets compromettants auxquels j'ai mis le feu.
23:31 J'ai laissé la voiture dans une rue près de chez moi, après avoir nettoyé les vitres.
23:35 Ma femme s'est étonnée de me voir rentrée sans veston et sans chemise,
23:38 alors je lui ai répondu que j'avais été pris dans une bagarre
23:41 et que l'on m'avait pris mes habits.
23:43 Mais je lui ai également remis 4000 francs sur les 7000 repris à Richard.
23:47 C'est le lendemain matin de très bonne heure que je suis allé jeter la voiture
23:51 contre les fourrés du bois de Vincennes.
23:54 Ensuite, je suis allé chez ma mère, je lui ai dit
23:58 « Maman, j'ai fait une grosse bêtise.
24:00 » Puis je lui ai raconté ce que j'avais fait.
24:03 Je lui ai donné mon revolver pour qu'elle puisse se défendre.
24:07 Les efférentes confessions de ce jeune homme de 20 ans racontent tout
24:12 et pourtant n'expliquent rien.
24:14 Il n'en était pas à son premier vol et aurait très bien pu ne pas commettre
24:20 ce crime pour garder l'argent.
24:22 C'est pourtant faute d'une autre explication,
24:25 ces aveux qui seront entendus lors du procès.
24:28 Un psychiatre dira que Guy Davin, au moment de son acte,
24:31 était peut-être moralement dérangé, mais saint d'esprit aux yeux de la loi.
24:35 Il sera condamné aux travaux forcés à perpétuité
24:38 et à cette époque, les travaux forcés, c'est Cayenne.
24:41 Mais certains ne se sont jamais contentés des explications officielles
24:45 et des aveux qui ont motivé la condamnation,
24:48 notamment à cause d'un petit détail, oui, un tout petit détail,
24:52 qu'un expert a témoigné devant le tribunal.
24:55 "J'ai examiné", a dit cet expert, le Brown Wing remis par Guy Davin à sa mère
24:59 et avec lequel il a avoué avoir assassiné Richard Wall.
25:02 "Je peux prouver scientifiquement qu'il est impossible
25:06 que les balles qui ont tué Richard Wall aient été tirées par cette arme."
25:10 [Musique]
25:28 Vous venez d'écouter "Les récits extraordinaires de Pierre Belmar",
25:32 un podcast issu des archives d'Europe 1 et produit par Europe 1 Studio.
25:37 Réalisation et composition musicale, Julien Taro.
25:41 Production, Sébastien Guyot.
25:44 Patrimoine sonore, Sylvaine Denis, Laetitia Casanova, Antoine Reclus.
25:49 Remerciements à Roselyne Belmar.
25:52 Les récits extraordinaires sont disponibles sur le site et l'appli Europe 1.
25:57 Écoutez aussi le prochain épisode en vous abonnant gratuitement
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