• il y a 10 mois
Pierre Bellemare comme vous ne l’avez jamais entendu ! C’est la promesse de ce nouveau podcast imaginé à partir des archives exceptionnelles du Service Patrimoine Sonore d’Europe 1.
Affaires criminelles, true crime, crimes, enquêtes, crimes historiques ou plus récents, crimes crapuleux, crimes familiaux, crimes inexpliqués surtout : Pierre Bellemare est le pionnier des grands conteurs de récits radiophoniques. Dans les années 70, cette voix culte d’Europe 1 a tenu en haleine les auditeurs avec ses histoires extraordinaires. Des histoires vraies de crimes en tout genre qui mettent en scène des personnages effrayants, bizarres ou fous. Des phrases à couper le souffle, des silences lourds de suspense, un univers de polar saisissant et puissant.
Avec un son remasterisé et un habillage modernisé, plongez ou replongez dans les grands récits extraordinaires de Pierre Bellemare.

[ARCHIVE EUROPE 1 - Les récits extraordinaires de Pierre Bellemare] Dans le 18e arrondissement de Paris, vit une dame aux yeux noirs et à la bouche tombante : Jeanne Weber. Dans le quartier, tout le monde plaint cette pauvre femme qui a récemment perdu ses deux petites filles ; il ne lui reste que son fils, Marcel. Jeanne Weber adore les enfants et pour la consoler, les mères du quartier n’hésitent pas à lui confier leurs petits. Mais l’horreur se produit à nouveau. Les deux fillettes que lui avait confiées sa belle-sœur pour la journée, viennent de décéder dans l’appartement des Weber. Les traces violettes sur le cou des petites n’ont pas alerté les médecins, la petite Georgette avait aux poumons un abcès et la petite Suzanne portait une lésion congénitale au larynx. Mais lorsque Jeanne Weber garde ensuite le bébé d’un autre couple, le petit à son tour, ne respire plus. Puis c’est maintenant Marcel, son dernier fils, qui suffoque. La nounou du 18e arrondissement est enfin soupçonnée. Pourtant en 1906, lorsqu’elle est jugée, Jeanne Weber est blanchie. En revanche, le peuple, lui, la condamne et “l’ogresse de la Goutte d’Or” fuit Paris. Elle disparaît jusqu’en 1907 où une certaine “Madame Blaise” constate la mort d’un garçon dont elle avait la garde. Cette étrange femme, c’est en réalité Jeanne Weber. Mais cette fois encore, sur le banc des assises, Jeanne Weber est acquittée. L’ogresse peut ainsi encore recommencer ses sordides rituels jusqu’au jour où elle est prise en flagrant délit… Pierre Bellemare raconte cette incroyable histoire dans cet épisode du podcast "Les récits extraordinaires de Pierre Bellemare", issu des archives d’Europe 1 et produit par Europe 1 Studio.
Retrouvez "Les Récits extraordinaires de Pierre Bellemare" sur : http://www.europe1.fr/emissions/les-recits-extraordinaires-de-pierre-bellemare

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Transcription
00:00 Bienvenue dans les récits extraordinaires de Pierre Belmar, un podcast issu des archives d'Europe 1.
00:10 Il y a bien longtemps que les petits-enfants n'ont plus peur de l'ogre, car les mamans n'ont plus le temps le soir à la veillée de raconter des histoires à dormir debout pour endormir justement leur progéniture.
00:25 Mais le dossier que nous allons ouvrir ensemble aujourd'hui, chers amis, raconte une histoire à dormir debout, celle non pas d'un ogre, mais d'une ogresse.
00:38 Oh, rassurez-vous, si la légende populaire affubla à Jeanne Weber du surnom extraordinaire de "ogresse de la goutte d'or", elle ne mangeait pas les enfants pour autant.
00:52 Cela précisé, je ne vous conseille tout de même pas de raconter ce soir à votre petit dernier les aventures de l'ogresse de la goutte d'or. Je ne suis pas sûr qu'il dormirait tranquille, et vous non plus, d'ailleurs.
01:08 Écoutez-la quand même, et d'une oreille attentive, car c'est l'un de nos dossiers les plus extraordinaires, l'un de nos personnages les plus extravagants, et une série de crimes que l'on a rarement l'occasion de voir, heureusement, d'ailleurs.
01:25 [Musique]
01:43 Il était, dans la bonne ville de Paris, un quartier bien célèbre où l'un de nos romanciers, Émile Zola, trouva de quoi alimenter nombre de ses romans, "La goutte d'or".
01:58 Dans ce quartier du 18e arrondissement de Paris, près de la gare du Nord, on ne trouvait en 1905 que voies ferrées, usines, ateliers, maisons basses et noires de fumée, rien de bien touristique.
02:12 Les habitants pour la plupart, ouvriers, y vivaient surtout le soir, envahissant les bistrots sordides, le caf' con sans fumée de la Fauvette, et le samedi soir, le théâtre Montmartre.
02:25 Les rues y portent des noms évocateurs, le passage de la goutte, la rue du Pré-Maudit.
02:31 Au imbice de la goutte, justement, vit un ménage, les Weber. Lui est ouvrier au salaire confortable, 10 francs par jour, à l'époque c'est une bonne paye. Elle, elle tient la maison.
02:45 Les voisins les connaissent bien, tout le monde se connaît bien d'ailleurs dans ce quartier où l'on vit autant sur le pas de la porte qu'à l'intérieur.
02:53 Les voisins surtout connaissent bien Jeanne et la plaignent un peu. Pensez donc sur trois enfants, deux sont morts en bas âge, un seul lui reste, un petit Marcel de 7 ans, malingre et souffreteux.
03:06 Oh, une bien grande misère.
03:09 Ou évidemment, on voit souvent à la Jeanne une bouteille de rouge sous le bras et des fois le soir, elle a bien l'air un peu égarée. Oh, que voulez-vous, on se console comme on peut.
03:20 Et puis, un petit coup par-ci, par-là, ça n'a jamais fait de mal à personne, pas vrai, au contraire, ça console de bien des malheurs.
03:29 De sa fenêtre souvent, la Jeanne regarde dans la rue les enfants qui jouent, qui courent. Elle regarde les tout-petits surtout.
03:38 Oh, c'est si beau un tout-petit qui tremble sur ses jambes et marche en biais, les mains en avant, les yeux rieurs en cherchant les jupes de sa mère.
03:48 On le voit bien par moments, Jeanne a des envies irrésistibles de tendre les bras, de saisir le poupon pour l'embrasser sûrement.
03:59 Ça lui rappelle trop sa petite dernière, morte à 20 mois. C'est dur pour une femme qui aime tant les enfants.
04:05 Elle les aime tellement qu'elle est toujours prête à les garder. Oh, pour ça, elle est bien serviable et on peut avoir confiance.
04:11 C'est vrai, Jeanne est toujours prête à rendre service et à garder les bambins encombrants, ceux de sa belle-sœur par exemple.
04:20 Et aujourd'hui justement, c'est jeudi, jour de la voir, et la belle-sœur a forte affaire avec la lessive de deux bébés. Elle a deux petites filles, Suzanne, 3 ans, et Georgette, 18 mois.
04:32 Jeanne, veux-tu les garder ? J'ai deux corbeilles pleines à laver. J'en ai au moins pour deux heures. Jeanne veut bien.
04:38 Prends ton temps, ne t'inquiète pas, je m'en occuperai. Sois tranquille, j'ai l'habitude.
04:45 Rassurée, la mère s'en va jusqu'au la voir des deux amis, une corbeille sur chaque hanche. En ton hypothèse, la lessive, elle rentrera à la nuit, juste à temps pour la soupe.
04:54 Jeanne a refermé sur elle la porte du logis de sa belle-sœur, rue du Prémaudit, et s'est installée dans la cuisine, près du poêle à charbon. Pour mieux les surveiller, elle garde les deux enfants dans la pièce.
05:06 La plus grande, Suzanne, dont les trois ans arrivent à peine au niveau de la table de la cuisine. Elle joue avec une poupée de chiffon multicolore. Elle la couche, l'aborde, l'habille, la déshabille sans relâche.
05:15 Elle ressemble déjà à une petite bonne femme, avec son air sérieux et sa tranquillité silencieuse.
05:20 Georgette, le bébé, gazouille dans son berceau d'osier. C'est une enfant gaie, au sourire plein de faussettes, dont les rondeurs et le teint rose attirent l'œil. Elle gigote, tirant avec obstination sur l'un de ses chaussons.
05:34 Jeanne est assise, immobile, le dos droit. Elle n'a pas amené d'ouvrage. Ses mains sont posées sur sa robe, la peau en l'air, comme des instruments inutiles.
05:45 Elle a l'air attentive et bête à la fois. On pourrait dire qu'elle a l'air bonnace. Jeanne n'est pas belle. Un front rectangulaire, des sourcils minces, aux arcades gonflés, des yeux noirs écartés, un nez épaté, une bouche tombante, un menton lourd.
06:03 Le tout est posé sur une absence de cou et des épaules boulettes. Totalement disproportionnées, sur deux grandes oreilles minces, pendent deux petits anneaux d'or. Seul le regard noir et dure tranche sur ce visage mou.
06:18 Ce regard bouge. Il fait le tour de la pièce, objet par objet, il scrute, lentement, puis se pose à nouveau. Pour la énième fois, la petite Suzanne habille sa poupée. Jeanne l'observe un moment.
06:34 Le robinet de lévier lâche, une à une, des gouttes d'eau dans une bassine en émail. Cela fait un bruit mat et agaçant dans le silence, qui est soutenu par le ronronnement du poire.
06:52 Dans son berceau, le bébé a cessé de s'agiter. Quelques gazouillis de plus en plus vagues annoncent le sommeil. Alors Jeanne se lève, tire sa chaise près du petit lit. Tout près, elle surveille l'enfant qui dort.
07:13 Pendant ce temps au lavoir, dans la fraîcheur de l'eau courante et le claquement des patoires, la mère s'active de la langue et du bras. Un monticule de linge blanc, vigoureusement tordu, emplit déjà l'une des corbeilles, une bonne heure a passé.
07:28 Soudain, un appel retentit résonne en écho sous la voûte. — Madame Weber ! Madame Weber ! Essoufflée par la course tenant ses jupes à pleine main, Mlle Pouche, une voisine, est entrée en courant, faisant se redresser d'un seul coup les dos courbés sur l'ouvrage.
07:44 — Qu'il y a ? Le feu ? Reprenant péniblement son souffle, la messagère explique d'une voix entrecoupée. — C'est la petite. Elle est malade. Elle étouffe. Jeanne vient d'appeler au secours. Dépêchez-vous !
07:57 Pendant ce temps-là, s'étorchant, la mère s'élance à foller et remonte en courant la rue de la chapelle, suivie par une horde de femmes curieuses de l'événement et qui envahissent derrière elle le logement. La petite fille est étendue sur le grand lit de la chambre, blanche d'étouffement, ses grands yeux fixant le plafond. Penchée sur elle, la tante Jeanne, une main glissée sous la petite chemise, épit les battements de son coeur.
08:21 La mère se précipite, s'empare de l'enfant qu'elle arrache littéralement à son birceau et se met à secouer désespérément cet enfant en criant « Mais elle est morte ! Elle est morte ! » Soudain l'enfant a un hoquet, le petit visage se crispe, la bouche s'ouvre, cherchant désespérément de l'air, quelques râles, puis les pleurs libérateurs. Elle respire à nouveau difficilement, s'étrangle, mais elle vit.
08:43 Aussitôt, un brouhaha de soulagement monte du groupe des voisines accourues. « C'est la première fois qu'elle a des convulsions, » dit la mère, pâle d'émotion. Silencieuse, Jeanne ne dit rien, mais en y regardant de plus près, « elle a un air bizarre. Elle fixe l'enfant comme si... Mais non, c'est sûrement l'émotion. »
09:06 Et bientôt, elle se mène naturellement à la conversation des comères qui se sépare sur le pas de la porte. Interrompue dans sa lessive qu'elle a laissée sur place, la mère doit retourner au lavoir. Après s'être assurée que l'enfant est bien calmé, elle la confie de nouveau à Jeanne et repart à demi rassurée.
09:26 Trois quarts d'heure après, un nouvel appel retentit sous la voûte du lavoir. « Mme Weber ! » C'est la même Mlle Pouche, en larmes cette fois, et qui, toute tremblante, n'ose pas en dire plus. D'une voix blanche, la mère demande. « Georgette ? » Accablée, Mlle Pouche fait un signe de tête.
09:53 À nouveau, la mère s'élance comme une folle et pénètre en trombe dans la maison pour s'arrêter pile devant le berceau. Le bébé est étendu sur le dos, poing crispé, tête en arrière, le visage et le cousson violets. Cette fois, il est mort. Jeanne est toujours là, effondrée sur une chaise, le front couvert de sueur, l'œil agarre. Il n'y a plus rien à faire.
10:20 Une bonne semaine après le drame de la mort de la petite Georgette, les parents Weber, qui ne sont toujours pas remis de leurs émotions, surveillent avec inquiétude leur fille aînée. Ils viennent de la surprendre jouant avec une bouteille de sirop d'éther à moitié pleine. La mère remet le flacon en place. Il ne manquerait plus qu'elle s'empoisonne.
10:49 Mme Weber est inquiète. Le médecin n'a pas précisé de quoi était mort la petite Georgette. Les traces violettes sur le cou du bébé ne l'ont pas inquiétée. Il a parlé de mauvaise bronchite, de convulsions.
11:01 La mère a peur pour Suzanne, l'aînée, qui sait si une mauvaise maladie ne rôde pas dans la maison. Mais la petite fille, insouciante, semble en bonne santé. Comme d'habitude, elle joue avec sa poupée assise par terre sur une vieille couverture.
11:15 Cet après-midi, la tante Jeanne doit venir la garder. Lorsqu'elle arrive, la mère fait ses recommandations. « Surveille-la bien. Elle a pris goût à ce sirop d'éther. J'ai peur qu'elle ne l'attrape, si tu as le dos tourné. » Puis les parents sortent et Jeanne se retrouve seule avec l'enfant.
11:37 Une demi-heure après, la camarade de Pierre Weber vient le chercher à l'établi. « Il faut que tu rentres chez toi, ça ne va pas. La gosse est malade. » C'est au tour du père de regagner la maison en courant pour découvrir sa fille souffrant apparemment des mêmes symptômes que la cadette. Membre contracté, dents serrées, visage violé, elle étouffe.
11:59 M. Weber pense immédiatement au sirop d'éther et tente de faire vomir la petite fille. Il y réussit et l'enfant se calme. Au bout d'une demi-heure, Jeanne le rassure et le renvoie à son travail. « Ah, les heures coûtent cher et la petite va mieux. » Alors le père se laisse convaincre et repart.
12:20 Une heure après, on revient le chercher et il arrive juste à temps pour voir mourir Suzanne dans les bras de Jeanne. En une semaine, les deux enfants Weber sont morts d'une étrange maladie dont le seul indice visible semble être ses taches violettes à la base du cou.
12:41 Mme Weber n'en peut plus. Le chagrin l'écrase. Mais un soupçon lui vient qu'elle confie à son mari. C'est bizarre quand même. Le cou de la petite était tellement marqué que Jeanne lui a mis un foulard.
12:57 « Si le médecin n'a pas délivré le permis d'inhumer, c'est bien pour quelque chose. On aurait dû le dire au policier qui est venu. Il n'a pas regardé sous le foulard et il n'a rien demandé à Jeanne. Mais tais-toi donc. Cette femme a déjà eu suffisamment de malheurs comme ça. De quoi veux-tu la soupçonner ? Elle adore les enfants. »
13:19 Mme Weber se tue et d'ailleurs, elle ne revit presque plus Jeanne qui semblait léviter depuis la mort des enfants. Elle sait que Jeanne avait proposé ses services à un autre couple de la famille dont le mari et son beau-frère, embarrassés lui aussi d'une petite germaine de sept mois, ils se nomment les Léons.
13:39 Mme Léon, ravie de pouvoir aller faire ses courses les bras libres, s'absente pour l'après-midi et Jeanne s'installe. Il y a deux semaines, chez les Weber, elle s'était installée de la même façon, droite sur une chaise, tout près du berceau.
13:54 Tout à coup, la grand-mère qui habite à l'étage au-dessous entend des cris perçants. Elle monte, aussi vite que ses vieilles jambes lui permettent. Le bébé congestionné respire à peine et ne crie plus lorsqu'elle arrive.
14:05 Inquiète, la grand-mère s'installe à bon moment aux côtés de Jeanne qui lui explique calmement que ce n'est pas grave, qu'elle a déjà vu des enfants faire ce genre de crise. Une mauvaise digestion sans doute, ce n'est rien, rien du tout.
14:17 Et comme la grand-mère se lève de sa chaise, elle la reconduit gentiment en lui conseillant d'aller chercher un médecin. Le docteur arrive, perplexe. Il constate des échymaux autour des oreilles, examine l'enfant, ne trouve rien. Par acquis de conscience, il ordonne une potion et dit qu'il reviendra le lendemain.
14:37 Le lendemain, l'enfant est en pleine forme. Décidément, ce n'était pas grave. Dans l'après-midi, Jeanne s'envoie confier de nouveau la garde. Le soir, le bébé est mort, enfoui sous les couvertures.
14:53 L'enterrement a lieu deux jours après. Jeanne y assiste. Et le soir même, c'est son propre fils, Marcel, qui meurt brusquement de suffocation. En moins d'un mois, quatre enfants de la même famille, quatre enfants que Jeanne connaît, sont morts.
15:18 Réunis dans le malheur, chaque branche de la famille trouve encore le courage de consoler cette pauvre Jeanne, qui semble plus atteinte que les autres par la mort de son propre fils. C'est ainsi qu'une cousine, Mme Charles Weber, vient lui rendre visite avec son petit Maurice, un bébé de dix mois, potelé bien rose, beau comme un Jésus.
15:37 Jeanne est lugubre. Elle se confie. « Le commissaire me fait des ennuis, il veut exhumer les petites. Mais je n'ai rien fait, défendez-moi ! » Les deux femmes discutent un moment et la cousine rassure Jeanne. Entre gens de la même famille, il faut bien s'aider.
15:53 À un moment de l'après-midi, Jeanne qui tricote casse une aiguille et qu'elle ennuie. Elle n'en a pas de rechange. « Au cas cela ne tienne, la cousine va lui en chercher. » Et Jeanne reste seule avec le gros bébé rieur.
16:11 Lorsque la cousine revient avec l'aiguille, son fils est sur le lit, violé comme ses cousines, convulsé comme ses cousines, il étouffe comme ses cousines. Pour la mère, c'est un choc et une révélation en même temps. « Malheureuse ! Celui-là aussi, hein ! Tu veux qu'il te passe dans les mains, comme les autres ! »
16:36 Mon corps cherchait le médecin qui découvre une tâche noirâte tout autour du cou que Jeanne a dissimulé sous un foulard. Le commissaire de la goutte d'or fait enfin arrêter Jeanne.
16:49 Alors tout le monde se met à parler et l'on découvre qu'une petite Lucie et une petite Marcelle de deux ans chacune sont mortes bien bizarrement alors que Jeanne les gardait. Le commissaire, lui, attend prudemment les rapports du médecin légiste sur chaque enfant mort et qui portait tous des équimaux suspects autour du cou.
17:08 Mais le petit Maurice venait d'avoir la coqueluche, la petite Georgette avait au poumon un abscès tuberculeux, la petite Suzanne portait une lésion congénitale au larynx. Alors, alors impossible de dire avec certitude de quoi sont mortes les quatre enfants.
17:24 Le médecin légiste, le professeur Toineau de la faculté de Paris, qui estime être un expert dont on ne peut pas discuter la compétence, affirme donc la mort naturelle.
17:37 Et comme l'affaire fait grand bruit et que certains de ses collègues tentent de le contredire, il se fâche plus encore et fait paraître dans les archives d'Anthropologie Criminelle un article dans lequel il affirme que les constatations faites par des non-professionnels sont sans valeur.
17:51 Il va même jusqu'à affirmer que les équimaux suspects n'ont jamais existé que dans l'imagination des mères de famille.
17:59 Mais les mères de famille ne l'entendent pas de cette oreille et la rumeur publique non plus. On réclame la tête de Logres de la Goutte d'Or que les revues décrivent folle, alcoolique et jalouse des enfants des autres.
18:10 Les aliénistes ne la trouvent pas folle du tout. Et le 29 janvier 1906, devant les assises de la Seine, Jeanne Weber butait, ne cesse de répéter "je ne sais pas, je suis innocente".
18:25 Et bien que l'on ne s'explique pas tout dans cette singulière affaire, le jury déclare Jeanne Weber relevé de l'accusation portée contre elle.
18:34 La foule gronde de colère et une femme s'écrit "elle recommencera".
18:40 Rendue à la liberté, Logres de la Goutte d'Or doit quitter son quartier car si la justice l'a blanchie, le peuple de Paris, lui, la condamne. Deux ans passent et nous devrions refermer notre dossier car Jeanne Weber a disparu.
19:00 Pourtant, un soir d'avril 1907, dans le bourg de Ville-Dieu, près de Châteauroux, une étrange femme veille un petit garçon de 12 ans qui semble bien malade.
19:15 Elle s'appelle Madame Blaise.
19:19 A côté d'elle, la sœur du petit garçon. Elles sont seules, le père est au champ. La mère est morte il y a bien longtemps.
19:28 "Va chercher le médecin", dit Madame Blaise à la petite fille.
19:34 Mais le docteur arrive trop tard. Il ne peut que constater la mort et un large sillon sombre sur le cou du petit garçon.
19:46 Méfiant, il avertit le parquet de Châteauroux. Et l'on apprend que Madame Blaise, c'est Jeanne Weber, recueillie par le père du petit garçon un mois auparavant.
19:58 Il raconte qu'il a recueilli cette femme par charité, elle semblait pauvre mais brave et elle aimait tant les enfants.
20:04 Cette fois-ci, vous pensez à juste titre que Logres de la Goutte d'Or va se retrouver sur le banc des assises et que cette fois, c'en est bien fini.
20:12 Ça n'est pas fini. Par une coïncidence bizarre, c'est au même médecin légiste, le célèbre professeur Toineau, que le parquet va confier l'autopsie du petit garçon.
20:23 Ce professeur Toineau, qui par ses affirmations a déjà sauvé la tête de Jeanne Weber il y a deux ans.
20:28 Que va-t-il faire cette fois-ci ? Un nouvel exploit ? Allant à l'encontre de ses collègues de Châteauroux qui parlent d'étranglement, il conclut avec ses assistants un décès par typhoïde ambulatoire.
20:42 La bagarre d'experts est déclarée. Tant est si bien que le malheureux juge d'instruction qui ne sait plus à quel enfer se vouer, nomme une troisième commission pour départager les deux premières.
20:52 Oh, la fâcheuse idée ! La bagarre dégénère en bataille rangée et comme le professeur Toineau crie plus fort que tous les autres, Jeanne retrouve les assises et les assises la remettent dehors. C'est devenu une habitude.
21:09 Bien entendu, après ce deuxième scandale, il se crée d'un côté les partisans de Jeanne Weber et de l'autre les tenants de l'ogresse de la Goutte d'Or.
21:19 Jouant les persécutés, Jeanne se réfugie dans un asile de province dirigé par l'un de ses partisans qui lui confie en toute sécurité l'infirmerie des enfants abandonnés.
21:30 Quinze jours après son arrivée, on la surprend serrant d'un peu trop près le coup d'un miséreux d'une dizaine d'années que la fièvre avait amené à l'infirmerie.
21:40 Le directeur, partisan, ravale son opinion et, désireux d'éviter le scandale, la jette à la rue sans rien dire à personne.
21:50 Et Jeanne ne sait plus où aller. Sans argent, de plus en plus à garde, après une tentative de suicide manquée, elle regagne Paris et va se jeter dans le bureau du chef de la Sûreté.
22:00 "Arrêtez-moi, mais arrêtez-moi, je suis une criminelle, c'est vrai. J'ai étranglé les petites filles Weber."
22:07 Oh, elle ne risque rien d'avouer, la chose étant jugée. Mais un mois de prison ou deux ferait un refuge agréable au point où elle en est. On y a au moins le gîte et le couvert.
22:19 Le directeur de la Sûreté tend de sa chance.
22:21 "Et le petit garçon de Châteauroux?"
22:25 "À lui, non. Non, non, seulement les petites."
22:28 Puis, pressé de question, Jeanne tout à coup se rétracte. Elle avoue qu'elle voulait simplement qu'on la mette en prison. Et alors?
22:37 "Et bien alors, on la rejette à la rue."
22:39 Ah, décidément, la justice ne voulait pas d'elle.
22:43 Alors Jeanne repart sur les routes, s'accoquine avec un vagabond et atterrit dans un estaminé sordide où le couple loue une chambre.
22:52 C'est là qu'enfin elle commettra son dernier crime, sa cinquième victime, officiellement ne parlons pas de ses propres enfants.
23:00 C'est là qu'enfin elle fut surprise en flagrant délit par la patronne de l'estaminé dont elle venait d'étrangler le fils avec son mouchoir.
23:10 Le célèbre professeur Toineau, ridiculisé, ne fit pas de commentaire et Jeanne Weber, soumise à l'examen de deux aliénistes, fut enfin considérée comme folle, folle alliée.
23:23 Elle mourut peu de temps après dans un asile où il n'y avait fort heureusement que des fous et des vieillards à portée de ses mains.
23:32 [Musique]
23:50 Vous venez d'écouter les récits extraordinaires de Pierre Belmar, un podcast issu des archives d'Europe 1 et produit par Europe 1 Studio.
24:00 Réalisation et composition musicale, Julien Taro.
24:04 Production, Sébastien Guyot.
24:07 Direction artistique, Xavier Joli.
24:10 Patrimoine sonore, Sylvaine Denis, Laetitia Casanova, Antoine Reclus.
24:15 Remerciements à Roselyne Belmar.
24:18 Les récits extraordinaires sont disponibles sur le site et l'appli Europe 1.
24:22 Écoutez aussi le prochain épisode en vous abonnant gratuitement sur votre plateforme d'écoute préférée.

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