En 1967, Jay, 30 ans, qui est quartier-maître dans la Marine, fait la rencontre d’une très belle femme aux hasards des rues du quartier sud de San Diego. Entre cette orpheline et le marin, le coup de foudre est immédiat. Alors qu’ils ne savent rien l’un de l’autre, ils décident de se marier trois semaines plus tard seulement. Mais très vite, Jay doit retourner naviguer et son épouse, qu’on surnomme “Sue”, se sent bien seule… Afin de lui tenir compagnie, Jay a l’idée de faire appel à son meilleur ami, Tim, lui aussi marin, pour qu’il prenne soin de son épouse. Entre Tim et Sue, le courant passe très rapidement et les deux amis tombent amoureux à leur tour. Mais pour Sue, il est inenvisageable de tromper son mari. C’est à ce moment-là qu’elle décide d’appeler sa sœur jumelle, Pearl, et de la présenter à Tim. Pour l’homme, c’est du pareil au même : les deux femmes se ressemblent de manière troublante et leurs comportements sont parfois extrêmement semblables. Pourtant, peu à peu, le doute s’installe dans l'esprit des deux hommes qui n’ont jamais vu les deux sœurs en même temps… Lorsqu’ils souhaitent les tester en organisant un dîner à quatre, une des deux sœurs ne s’y rend pas. Que cachent les sœurs jumelles ? Sue et Pearl seraient-elles les mêmes personnes ? Jay mène alors l’enquête. Le marin est alors bien loin d’imaginer ce qu’il va découvrir… Pierre Bellemare raconte cette incroyable histoire dans cet épisode du podcast “Les récits extraordinaires de Pierre Bellemare”, issu des archives d’Europe 1 et produit par Europe 1 Studio.
Retrouvez "Les Récits extraordinaires de Pierre Bellemare" sur : http://www.europe1.fr/emissions/les-recits-extraordinaires-de-pierre-bellemare
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00:00 Bienvenue dans les récits extraordinaires de Pierre Belmar.
00:07 Un podcast issu des archives d'Europe 1.
00:11 L'affaire que nous traitons aujourd'hui pourrait vous paraître à la limite de la vraisemblance et aussi
00:16 parce qu'elle a déjà été utilisée comme point de départ pour un feuilleton, un scénario de film et une pièce de théâtre.
00:22 La version que nous en donne aujourd'hui Jacques-Antoine est la version strictement officielle
00:27 telle qu'elle ressort des enquêtes de police et des témoignages entendus au procès.
00:33 Mai 1967 à San Diego en Californie du Sud.
00:40 Le destroyer Knog du 11e district naval US rentre à son port d'attache après les manœuvres du Pacifique.
00:50 J. Benson, quartier maître, chef de pièce, 30 ans, regarde la ville. Il n'est pas très grand, cheveux chatets en brosse, les yeux bleus.
01:01 Il gagne ce que gagne en France un directeur de petite usine mais il s'ennuie.
01:07 Il était impatient de revoir la terre, dame, un mois en mer c'est long.
01:12 Mais maintenant il soupire, à terre c'est toujours la même chose, on se promet, monts et merveilles et puis rien.
01:19 La solitude, une cuite par-ci par-là. J. Benson est un homme timide.
01:24 Dans une ville de gens trop vieux, il y a 150 000 habitants à San Diego, 10% sont des amiraux dorés, des sous-officiers un peu raplapla.
01:32 Tous les retraités de la marine américaine de guerre se retirent ici.
01:36 Il ne peut tout de même pas passer son temps au musée d'anthropologie ou à l'auditorium en plein air
01:42 quand au musée aztèque des souvenirs de la conquête espagnole il connaît ça par cœur.
01:47 J. vient de passer au contrôle du port, son seul espoir que Tim soit là.
01:52 Il se renseigne au bureau, non, le quartier maître Tim Koenig est parti en manœuvre depuis deux jours.
01:59 Décidément, J. n'a pas de chance, Tim est son seul copain.
02:03 Mais ils sont quartier maître tous les deux et ne partent jamais en même temps.
02:07 J. espère qu'un jour ils auront bien la chance de passer ensemble un mois à terre.
02:13 J. se dirige vers le nord, quartier résidentiel, immeubles et villas pour Jean Huppé.
02:19 Dans une belle résidence rose, J. habite un appartement de trois pièces,
02:24 plus petite cuisine et salle de bain le tout climatisé.
02:27 Il s'habille en civil, au cravate ? Non, ne pas pillant.
02:31 Il sort, le voilà dans la rue, que faire ? Il est 5 heures.
02:37 Se promener au parc Balboa, oh zut, monter au nord-ouest vers Holton,
02:43 la vieille ville espagnole, oh beaucoup de fleurs et puis après.
02:46 Ce qu'il lui faudrait c'est un bon coup de jazz.
02:49 Pour cela, il faut aller au sud de la ville et poser là-bas la première pierre
02:55 de ce dossier extraordinaire de la police.
02:58 [Musique]
03:17 J. traverse donc les marchés de fruits et de légumes de ce quartier de San Diego.
03:22 Oranges, pommes, melons, grenades en pyramide revissolantes de couleurs.
03:27 Après, la deuxième avenue devient une espèce de Saint-Germain-des-Prés à la mode US.
03:32 Petits hôtels, mauvais garçons en blue jeans, stands de tir, éventaire à hot-dog, bistrots.
03:38 Plus loin, la population devient mexicaine.
03:41 Noir.
03:42 Ici, une petite explication.
03:44 Comme beaucoup d'Américains de cette région, J. est un peu raciste sur les bords.
03:49 Les J. méprisent des Dargots.
03:52 En Argot, ce sont les Moricots, les bâtards, les malblanchis, etc.
03:56 Mais s'il n'est pas assez lucide pour se rendre compte qu'il s'ennuie parce qu'il a peur de vivre,
04:02 J. est attiré et impressionné par la vitalité des Dargots, leur joie de vivre.
04:07 Le voilà donc hésitant, arrêté devant un stand de tir.
04:10 Machinalement, il pose 10 scènes sur le comptoir.
04:13 Un gros Mexicain, sale, lui donne un fusil.
04:16 Il tire sur une pipe et la brise.
04:19 Recharge et va tirer à nouveau lorsqu'un coup de feu éclate.
04:22 La pipe qu'il visait s'est brisée.
04:24 J. qui entend un éclat de rire se retourne.
04:27 Une très jolie fille en robe blanche imprimée, encre marine et petit papeille,
04:32 le regarde, se détourne, charge son fusil, ferme les deux yeux et tire encore.
04:37 J. rit car elle a raté.
04:40 Ce doit être une Dargot, les cheveux noirs, trop noirs, mais bon sang.
04:45 C'est tout de même une bien belle fille.
04:48 Posez-mangez, tire, casse une pipe et entend un sifflet d'admiration.
04:53 C'est elle qui a sifflé.
04:55 J. se demande si elle se moque de lui.
04:57 Désolé pour la pipe, je l'ai cassée par erreur, dit-elle.
05:00 Oh, ce n'est rien.
05:02 Il pense qu'elle n'a pas l'accent des Mexicains.
05:05 Le Mexicain de la baraque sourit à son tour.
05:08 J. gêné, regarde les beaux cheveux noirs, la somptueuse queue de cheval et s'enhardit.
05:15 Vous êtes américaine ?
05:17 Il lui tac au tac.
05:18 Vous êtes marin ?
05:20 Vous me trouvez trop brune ?
05:23 Vous n'êtes pas trop brune ?
05:25 Elle rit.
05:26 Un rire frais, liquide.
05:28 J'ai été mu par ce rire, il dit.
05:30 Je suis très maladroit.
05:32 Puis il lui demande pourquoi elle pense qu'il est marin.
05:35 Oh, la démarche.
05:37 Et puis, ici, il n'y a que des marins.
05:40 Il regarde la petite robe avec des paupelles et des encres marines.
05:43 Vous savez, ce n'est pas par amour des gens de mer, c'est parce qu'elle était dans mépris.
05:47 Et elle rit encore, de ce rire qui émet tant le brave J.
05:51 Alors il l'emmène prendre un verre, puis dîner, puis danser au Hell's Step, les marges de l'enfer.
05:58 Un bruit-bruit, mais un bon quartet, celui du puissant Mike.
06:02 Il est minuit passé et tout à coup, il s'aperçoit qu'il ne sait même pas le nom de la fille.
06:08 Je m'appelle Suzanne Brookmiller, mais on m'appelle Sue.
06:14 Sue est originaire des collines du Nord.
06:16 Orpheline aux cheveux noirs, un de ses ancêtres a peut-être fauté il y a un siècle avec une Mexicaine.
06:22 Elle est secrétaire au centre civique.
06:25 Mais une belle jeune fille américaine, un peu blagueuse, c'est chouette.
06:30 Quand J. se lève pour danser, il n'ose pas trop la serrer, car ce n'est déjà plus une simple aventure.
06:37 Trois semaines plus tard, J. et Sue sont mariés.
06:40 Il ne sait rien d'elle, elle ne sait rien de lui.
06:43 Ils ne parlent pas d'hier ni de demain, ils parlent d'eux et du présent.
06:47 La lune de miel dure depuis huit jours lorsqu'on sonne.
06:50 J. quitte Sue à regret pour ouvrir.
06:53 C'est Tim, son meilleur ami, un grand brin au nez pâté aux yeux vifs et rieurs.
06:58 Ils ont tant de choses à se raconter qu'ils parlent ensemble et qu'ils ne s'entendent pas.
07:02 Sue apparaît à la porte en pyjama, les cheveux dans la figure, la conversation s'arrête.
07:07 J. prend une grande respiration et se frotte le torse pour dire fièrement "je te présente ma femme".
07:14 Quand une semaine plus tard, la lune de miel est interrompue par le départ de son mari, Sue pleure beaucoup.
07:19 J. décide qu'il ne peut pas la laisser un mois se morfondre toute seule dans une ville où elle ne connaît personne.
07:25 Tim s'occupera d'elle, la sortira, en prendra soin.
07:30 "C'est comme si je te confiais à mon frère, car Tim, c'est mon frère."
07:35 Très emprunté, Tim joue en effet les grands frères.
07:38 Il se creuse la tête chaque jour pour savoir comment la distraire.
07:41 Ce mois de juin 1967, il fait très chaud et souvent, après une visite au musée ou un dîner dans une auberge, Tim emmène Sue à la plage.
07:50 Ils ne se parlent pratiquement pas. Sue se rend compte qu'une gêne s'établit entre eux, mais elle ne sait pas pourquoi.
07:57 Quand le soir, Tim l'emmène au bout de la jetée, dans un petit restaurant, manger du poisson frais.
08:02 Elle ne comprend pas pourquoi elle est là avec Tim. Ce devait être la place de G.
08:07 Et puis un jour, qu'ils sont allongés sur la plage, elle s'endort profondément sous le soleil de plomb.
08:13 Un contact la réveille. Elle sent le corps de Tim contre le sien. Maintenant, elle comprend.
08:19 Elle comprend la gêne qu'il y a entre eux, mais elle est attirée elle aussi.
08:24 Ils s'enlacent et leurs lèvres se rencontrent.
08:28 Quand Tim raccompagne Sue, tous deux sont silencieux.
08:33 "Je suis très croyante, je ne peux pas tromper mon mari", dit Sue. "Passez me voir demain matin, j'aurai trouvé une solution."
08:42 La nuit que passe, Sue est atroce. Elle doit bien se l'avouer, elle est amoureuse de Tim.
08:49 Le lendemain matin, plein d'appréhension, Tim sonne à la porte de l'appartement de ses amis.
08:56 Sue ouvre et elle a retrouvé sa gaieté.
09:00 "Sue, je suis un ami indigne, ne vous inquiétez pas, j'ai trouvé la solution.
09:05 J'ai décidé qu'en attendant le retour de Jay, j'irai soigner ma tante Livia. Par contre, je vais dire à Pearl de venir ici."
09:14 "Qui est Pearl ?" "Ma soeur jumelle."
09:18 Tim a beau protester, Sue n'en démord pas. Et dès le surlendemain, Tim viendra rendre visite à Pearl et la sortira.
09:26 "Vous verrez, elle est bien plus jolie que moi."
09:29 Le regard de Sue est plein d'humour et son sourire ironique intimide Tim et l'empêche de protester.
09:43 Le lendemain, Pearl, la femme qui apparaît à Tim dans l'encadrement de la porte, insigne.
09:48 C'est bien la seule chose qui la différencie de Sue. Il la détaille, il est renversé par la ressemblance.
09:53 Il fait avec Pearl les mêmes sorties qu'avec Sue, pizzeria, musée, promenade en mer.
09:58 Tim a transféré son amour pour lui. Aimer Sue ou aimer Pearl, c'est la même chose.
10:02 Mais avec Pearl, c'est permis car elle est libre et Pearl a du goût pour lui. Il en est sûr.
10:08 Tellement sûr que, huit jours plus tard, quand Jay débarque, qu'il trouve son appartement vide et se précipite chez son meilleur ami,
10:14 Tim lui présente sa femme.
10:17 Jay n'en revient pas. Il ne savait pas que Sue avait une soeur jumelle. Il est vrai qu'ils n'ont jamais parlé de leur famille.
10:23 Mais quelle ressemblance ! Même démarche, même voix !
10:27 Puis Pearl explique. Pour toute famille, il ne reste à Sue et à elle que Tante Livia.
10:33 Elle n'en parlait pas car la pauvre femme est infirme. Jusqu'à présent, c'est Pearl qui la soignait.
10:38 Mais maintenant qu'elle s'est mariée à son tour, elle et sa soeur ont décidé de se relayer.
10:43 D'ailleurs, c'est simple. Puisque leur mari ne sont jamais là ensemble,
10:47 elles se succéderont au chevet de Tante Livia suivant l'absence de leur mari respectif.
10:52 Jay trouve l'idée formidable. Il est tellement attendri par le récit de Pearl.
10:57 Très jolie, moins pétulante peut-être que sa femme, mais plus rassée.
11:03 N'empêche que Sue est la plus belle. Et puis, n'est-ce pas extraordinaire ?
11:07 Les deux meilleurs amis du monde mariés avec les deux plus belles jumelles du monde.
11:13 Six mois vont passer. Sue, au volant de la voiture que Jay lui laisse toujours en son absence,
11:19 quitte San Diego et se rend à La Salinas, à peine à 30 kilomètres.
11:23 Elle entre dans un immeuble. Dans un appartement, elle sort de l'armoire les vêtements de Pearl.
11:28 Elle change de lingerie entièrement, se fait un chignon.
11:32 Si elle le pouvait, elle changerait même de peau.
11:35 Car bien entendu, il n'y a pas de Pearl. Il n'y a pas de Tante Livia.
11:39 Il n'y a que Sue qui aime Jay et qui aime Tim.
11:44 Pour se simplifier la vie, elle a imaginé de se dédoubler. Elle a inventé la soeur jumelle.
11:49 Ainsi, la morale est sauve. Elle a deux maris, mais personne ne le saura, surtout pas les maris.
11:55 Pour le moment, elle se trouve bien ainsi.
11:57 Quand elle sort de l'appartement, elle n'est plus la même femme.
11:59 Pas seulement au niveau du physique, mais même les attitudes.
12:02 Elle change de mentalité tout naturellement.
12:04 Avec Jay, elle est Sue la pétulante, joyeuse, blagueuse.
12:07 Avec Tim, elle est Pearl, plus posée, un peu plus languide, moins bavarde.
12:11 Elle entre facilement dans la peau de son rôle, car, comme toutes les femmes amoureuses,
12:15 elle se modèle à l'humeur de son mari.
12:17 Jay est fruste, d'une intelligence peu vive. Il veut être dominé.
12:21 Tim est plus vif, plus impérieux, un brin romantique.
12:25 Sue est le pôle positif de Jay. Pearl est le pôle négatif de Tim.
12:30 Moralement, Sue ne se rend pas compte de sa duplicité.
12:33 Elle est en paix avec sa conscience. Il est vrai que, pour le moment, elle ne fait de mal à personne.
12:37 Après avoir laissé par précaution la voiture de Jay dans un garage de San Diego,
12:41 Sue, devenue Pearl, va rejoindre son mari Tim à la Galerie des Beaux-Arts.
12:46 Greco, Murillo, Rubens, Goya, Azurbaran, Corot, Matisse.
12:49 Belle salle lumineuse, conçue comme une clinique blanche.
12:53 Tout au long de la visite, Tim parle du peu de goût que Jay a pour les arts.
12:56 Quel dommage pour Sue. Mais Pearl prétend que Sue non plus n'aime pas les arts.
13:00 « Comment ? » dit Tim. « Mais vous avez toutes les deux les mêmes goûts, au point que c'en est stupéfiant. »
13:05 Mais Pearl proteste. « Sue est une esservelée. »
13:08 Tim, en la défendant, provoque sa colère. « Si tu me la préfères, pourquoi ne l'as-tu pas épousée ? »
13:13 Un peu plus tard, Sue, qui, rappelons-le, est ce jour la Pearl,
13:17 commet une imprudence en refusant violemment que son mari l'accompagne chez la tante Livia.
13:21 Or Pearl n'est pas violente. Elle se rend compte de sa maladresse et pourquoi elle se radoucit bien vite.
13:26 Mais Tim reste perplexe.
13:29 Pearl, redevenue Sue, ne peut s'empêcher de rendre visite à Tim.
13:32 Elle explique que Jay n'est pas encore arrivé. Elle trouve Tim triste.
13:37 « Qu'est-ce qu'il y a ? »
13:39 Tim rougit la regarde longuement. « Je suis laide ? »
13:42 « Oh non, dit-il, très belle, plus belle que... que qui ? »
13:46 « Que peur, l'avoue Tim. »
13:49 Sue devient blême.
13:51 « Oh, ne vous méprenez pas, dit Tim, ce qui est fait est fait. Mais c'est vous que j'ai toujours aimé.
13:57 Pearl n'est qu'un produit de remplacement. Vous êtes plus vivante que Pearl, plus passionnée. »
14:02 La vertueuse indignation de Sue se transforme en mépris quand elle se trouve seule.
14:07 Dire que cette idiote de Pearl n'est pas capable de garder son mari.
14:10 Et soudain, elle éclate de rire.
14:13 Un mois plus tard, prise à son propre jeu, Sue veut savoir ce que Jay pense de Pearl.
14:18 Pearl la douce, la tranquille. Devant son mari, il se rend gégé.
14:22 Ils boivent un verre. Pearl se fait plus douce, plus languide que jamais.
14:25 Jay ne cesse de la regarder et soupille.
14:28 « Qui y a-t-il ? » lui demande-t-elle. « Pourquoi regardez-vous ce chignon avec tant d'insistance ? »
14:33 « Il vous va bien, Pearl. En un jour, je laisserai tromper mes cheveux et Sue se fera un chignon.
14:38 Vous ne nous reconnaîtrez pas. »
14:40 « Si, » dit gravement Jay, « vous, je vous reconnaîtrai toujours. Vous êtes plus calme, plus douce que Sue.
14:47 Voyez-vous, Pearl, ce qui est fait est fait. Mais c'est dommage que je ne vous ai pas connue la première. »
14:53 Pearl la douce serre les dents et gifle Jay à toute volée.
14:57 « Comme vous vous aimez toutes les deux. Comme vous défendez votre sœur.
15:01 On aurait presque dit Sue dans des moments de colère. »
15:04 Pearl se radoucit. « Qu'il ne soit plus question de cela. »
15:07 Mais Sue ne sait plus où elle en est. Serait-elle jalouse d'elle-même ?
15:13 Quand Tim revient, il est soucieux. Pendant un mois, toutes les nuits, sous le ciel du Pacifique, il a rêvé de Sue.
15:19 Il veut en avoir le corps net. Il veut comparer les deux sœurs. Il ne les a jamais vues ensemble.
15:24 Il frissonne en pensant qu'il rêve au fond de lui-même d'avoir les deux femmes.
15:28 Quand il frappe à la porte de Jay, Sue s'apprête à partir, puisque Jay embarque le lendemain soir.
15:33 N'est-ce pas l'occasion, jamais, de déjeuner tous les quatre ?
15:35 Jay est emballé par cette idée. Sue est en pleine panique.
15:38 Jay suggère que l'on confie la tante Livia pour quelques heures à la garde d'une voisine.
15:42 Sue objecte qu'il n'y a pas de voisin.
15:44 Quand Tim propose d'envoyer une infirmière de la marine, qui acceptera sûrement de rendre ce service,
15:49 elle ne peut refuser sans éveiller des soupçons. La seule chose à faire est de gagner du temps.
15:54 Au petit restaurant, les deux hommes sont attablés avec Pearl, qui est arrivée la première.
15:59 Sue arrivera plus tard. Elle a, paraît-il, eu du mal à convaincre la tante Livia de se faire garder par une voisine.
16:05 Pearl est nerveuse et se retourne tout le temps. L'arrivée d'un télégraphiste la soulage.
16:10 "Impossible de venir, tante Livia, grosse crise subite. Désolé, amusez-vous bien, Sue."
16:16 Mais Tim remarque qu'au lieu d'être affectée, Pearl semble être soulagée.
16:21 Un mois plus tard, c'est au tour de Tim d'embarquer. Les deux maris parlent de la ressemblance des deux sœurs.
16:27 Elle va si loin que l'autre jour, quand Pearl s'est coupée aux petits doigts, Sue s'est coupée presque au même endroit.
16:34 Sue leur raconte qu'enfant, un jour elle s'était cassée la jambe. On l'a ramenée chez sa mère.
16:40 Lorsqu'une demi-heure plus tard, on a amené Pearl à son tour, elle s'était cassée la jambe aussi.
16:45 "Ah, des fois, mon vieux, on dirait que c'est la même femme." Cette réflexion de jetouche, Tim.
16:51 Il lui reste 24 heures avant de reprendre la mer et il veut en avoir le cœur net. Tout cela ne tourne pas rond.
16:57 Au fait, où habite exactement tante Livia ? Il ne l'a jamais su. Il rentre et fouille dans les tiroirs de Pearl.
17:04 Il trouve son agenda. Une adresse le frappe. La Salinas, 62 Main Street.
17:11 Or, la Salinas est à 30 kilomètres. Cela correspond autant que May Pearl pour aller chez sa tante.
17:17 Il fonce vers le nord. Dans les collines, il ne voit pas le paysage, ni les champs d'arbres fruitiers, ni les éoliennes qui tournent doucement.
17:24 Arrivé à la Salinas, il trouve la bourgade endormie. 62 Main Street, un immeuble. Bizarre.
17:32 Un immeuble, il croyait, tante Livia dans une villa. Il regarde les noms sur les interphones.
17:37 Sue Brookmiller. Il sonne. La porte ne s'ouvre pas. Il entre à côté dans un bar, commande une bière.
17:46 Il y a là le patron, un gros homme endormi, un client, un petit vieux, tout seul, l'air retraité.
17:52 Tim demande au patron. « Je cherche une amie. Sue Brookmiller. » « On ne connaît pas, dit le patron. »
17:59 « Moi, oui, dit le petit vieux. Je l'ai connue autre comme ça. Son père et moi étions copains. Une amie à vous ? »
18:06 « Je la connais depuis peu. Elle m'avait donné rendez-vous ici. » « Pas souvent là. »
18:11 « Mais elle vit qu'elle doit travailler dans une agence de détective. » « Pourquoi ? »
18:16 « On la voit de temps en temps. Elle vient juste pour changer. » « Changer ? » « Oui. »
18:23 « Mon épouse, elle pense que Sue doit être détective. Avec tous ces changements de frusques. »
18:30 Tim paie un verre au vieux. « Et sa tante Livia, vous la connaissez ? » « Bien sûr, dit le petit vieux. »
18:36 Tim se sent soulagé. « Une brave fille, Livia. Dommage. » « Dommage de quoi ? »
18:42 « Dommage qu'elle soit morte comme ça, aussi brusquement. » « Elle est morte ? » « Oui. »
18:48 « Peut-être que Sue est à l'enterrement. » « M'étonnerait, dit le vieux. » « Pourquoi ? »
18:53 « Elle est morte l'été 56, ça fait 11 ans. M'étonnerait qu'on enterre seulement maintenant. »
18:58 Il rit de sa plaisanterie et Tim manque de renverser son verre avant de poser une dernière question, la pire.
19:04 « Et la sœur de Sue, Pearl, vous la connaissez ? » « Bien sûr, dit le petit vieux. »
19:15 Tim est complètement perdu. « Deux jumelles frappantes, hein ? » « Ouais. »
19:22 Le petit vieux secoue la tête et soupire. « Ah, une si jolie gosse. Bien plus douce que Sue. »
19:28 « Quand je pense qu'il n'a eu que six mois, ce salaud de Los Angeles. »
19:32 Son père était bien malheureux. Ça l'a mené à la tombe. « Mais comment ça, balbutie Tim, qui a peur d'avoir compris ? »
19:39 « Sue vous a pas dit ? » « Non. » « À l'âge de 8 ans, à une rue traversée en courant, la cadiac qui fonce, elle a été tuée sur le cou. »
19:49 « Qu'est-ce qui vous arrive ? » Tim n'entendait plus. Comme un fou, il est sorti.
19:55 La scène d'explication entre Tim, J et Sue est indescriptible. On ne saurait dire si elle est comique ou tragique.
20:02 Tout d'abord, les deux hommes s'abattent comme des vautours sur leur proie. Sue a les yeux baissés. Elle se laisse tout dire.
20:08 Et puis soudain, elle relève la tête. Elle rit de colère et de honte. « Et vous ? Et vous qui faisiez la cour, l'un et l'autre, à la femme de votre meilleur ami ? »
20:17 Ils ne peuvent nier. Ils se regardent comme des étrangers. Tim s'en va en claquant la porte. J s'approche de Sue et lui dit « Dire que j'aimais Pearl et que Pearl, c'est toi. »
20:31 « Je t'aimais donc doublement, voilà tout. » Dans le procès pour Bigamy, attenté à Sue Brookmiller, celle-ci risque 20 ans de prison.
20:40 La magistrature locale s'en souvient encore. C'est Tim qui a porté plainte alors que J, lui, a choisi d'être témoin à des charges.
20:48 Au cours du procès, Sue refuse d'expliquer comment elle s'est procuré une double identité. Sans doute a-t-elle dû acheter de faux papiers.
20:54 Quand le juge dit « Mais enfin ! La supercherie devait fatalement être découverte un jour ou l'autre. Dans un an ou dans 20 ans, J et Tim cesseront de naviguer chacun leur tour.
21:05 Quant à la tante Livia, vous ne pouviez pas la faire durer éternellement. Il fallait bien qu'elle meure un jour ou l'autre. Alors... »
21:12 « Alors je me refusais à penser à l'avenir, répond Sue. » « Mais enfin ! Vous n'aviez pas songé à une issue ? »
21:18 « Si, elle y avait songé. Le jour où la situation serait devenue intenable, elle aurait fait disparaître l'une des deux sœurs.
21:25 Il suffisait d'une lettre d'adieu. J'en ai assez, je ne t'aime plus, je m'en vais au bout du monde. »
21:30 « Et quelle est la sœur que vous auriez fait disparaître ? Parle ou Sue ? »
21:35 « Comment savoir aujourd'hui le mari que j'aurais préféré demain ? »
21:40 « Il semble bien que J est choisi pour elle. »
21:43 « Il supplie le tribunal d'épargner sa femme. Il l'aime et refuse de divorcer car il oublie tout. Il a bien des choses à se faire pardonner lui-même.
21:51 Ce n'est pas la faute de Sue si elle aimait deux hommes. Elle a fait pour le mieux. Il supplie qu'on lui épargne la prison. »
21:57 « L'avocat n'a presque rien à dire. »
22:00 « Sue en larmes est condamnée à seulement six mois de prison. »
22:04 « Avant qu'on l'emmène, J lui dit ce que tout le monde attendait. »
22:09 « Je t'attendrai, Sue. »
22:11 L'épilogue.
22:14 Ministère de la Marine des États-Unis, 11e district, centre de subsistance de San Diego, au quartier maître Tim Koenig.
22:23 « Sommes informés. Avez indument perçu prime de logement accordée cadre sur malterne Marine mariée.
22:29 Au terme du jugement rendu par la cour, n'êtes pas légalement mariée.
22:33 Arriéré prime perçue retenue sur votre solde. »
22:36 Comme quoi, la curiosité est toujours punie.
22:39 [Musique]
22:57 Vous venez d'écouter les récits extraordinaires de Pierre Belmar.
23:01 Un podcast issu des archives d'Europe 1 et produit par Europe 1 Studio.
23:06 Réalisation et composition musicale, Julien Taro.
23:10 Production, Sébastien Guyot.
23:13 Direction artistique, Xavier Joli.
23:16 Patrimoine sonore, Sylvaine Denis, Laetitia Casanova, Antoine Reclus.
23:21 Remerciements à Roselyne Belmar.
23:24 Les récits extraordinaires sont disponibles sur le site et l'appli Europe 1.
23:28 Écoutez aussi le prochain épisode en vous abonnant gratuitement sur votre plateforme d'écoute préférée.