• il y a 5 mois
Pierre Bellemare comme vous ne l’avez jamais entendu ! C’est la promesse de ce nouveau podcast imaginé à partir des archives exceptionnelles du Service Patrimoine Sonore d’Europe 1.
Affaires criminelles, true crime, crimes, enquêtes, crimes historiques ou plus récents, crimes crapuleux, crimes familiaux, crimes inexpliqués surtout : Pierre Bellemare est le pionnier des grands conteurs de récits radiophoniques. Dans les années 70, cette voix culte d’Europe 1 a tenu en haleine les auditeurs avec ses histoires extraordinaires. Des histoires vraies de crimes en tout genre qui mettent en scène des personnages effrayants, bizarres ou fous. Des phrases à couper le souffle, des silences lourds de suspense, un univers de polar saisissant et puissant.
Avec un son remasterisé et un habillage modernisé, plongez ou replongez dans les grands récits extraordinaires de Pierre Bellemare.

À l’aube du 26 mai 1828, à Nuremberg, deux hommes découvrent un mystérieux adolescent de 16 ans dans la rue. Son nom est Kaspar Hauser. Sa mère, faute de pouvoir s’en occuper, l’a abandonné. Le jeune garçon erre seul, sans éducation et ainsi, à l’intellect d’un jeune enfant.

Très vite, une quête est menée pour découvrir sa véritable identité.

L’origine de ce mystérieux inconnu est devenue l’énigme du XIXème siècle. Une thèse est même lancée jusqu’en Europe. On suppose qu’il serait l’héritier de la famille princière de Bade et qu’il serait le fils de la cousine de Joséphine, la femme de Napoléon.

En octobre et en avril 1829, Kaspar est victime de plusieurs agressions. Des enquêtes sont menées mais aucun élément n’en ressort… Rapidement, le jeune garçon devient une véritable bête curieuse, une attraction pour les femmes. Tout le monde parle de lui comme une légende.

En 1833 Kaspar Hauser subit à nouveau une agression, bien plus violente cette fois. Un drame qui pourrait enfin révéler sa véritable identité…

Pierre Bellemare raconte cette histoire légendaire dans cet épisode du podcast "Les récits extraordinaires de Pierre Bellemare", issu des archives d’Europe 1 et produit par Europe 1 Studio.


Retrouvez "Les Récits extraordinaires de Pierre Bellemare" sur : http://www.europe1.fr/emissions/les-recits-extraordinaires-de-pierre-bellemare

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Transcription
00:00Bienvenue dans les récits extraordinaires de Pierre Bellemare, un podcast issu des archives d'Europe 1.
00:10Le 26 mai 1828 à Nuremberg. C'est le petit matin. Cinq heures viennent de sonner à la cathédrale,
00:19il fait déjà clair et il fait beau. Nuremberg qui est restée en cette première moitié du
00:2519e siècle, une ville musée avec ses magnifiques maisons du moyen-âge aux toits en pente, dort
00:31encore. Car il faut vous dire que le 26 mai 1828 est un lundi de Pentecôte. Hier c'était la fête,
00:39les bourgeois, les artisans, les ouvriers ont veillé tard chez eux ou dans les tavernes et
00:44aujourd'hui c'est encore fête alors tout le monde est au lit. Oh, pas tout le monde bien sûr. Rue de
00:52la fosse aux ours, deux cordonniers, Weichmann et Beck rentrent péniblement chez eux. Ils titubent
01:00sur les mauvais pavés, ils chantent, bref pour eux la nuit a été joyeuse. En bas la rue débouche sur
01:06une place. Soudain Weichmann s'arrête et agrippe son compagnon par le bras. Eh Franz, t'as vu ?
01:15Oh ben ça alors, c'est pas ordinaire. Ce n'est pas ordinaire en effet. Debout au milieu de la place
01:28il y a un jeune homme qui doit avoir environ 16 ans. Il est vêtu d'une chemise grise, d'une culotte
01:36courte avec des bretelles à la mode allemande et d'une veste d'étoffe noire. De la main droite il
01:43tient un grand chapeau bien poliment le long du corps. Dans sa main gauche tendue devant lui,
01:49comme dans un geste d'offrande, il y a une lettre. Mais ce qui frappe c'est l'immobilité absolue du
01:58jeune homme. On dirait une statue à mannequins de cire. Ses yeux grands ouverts regardent fixement
02:05devant lui. Son visage n'a aucune expression. Les deux hommes s'approchent. Eh l'ami ! Eh l'ami !
02:19L'ami ne répond pas, ne bouge pas, ne les regarde pas. Alors Weichmann, brusquement dégrisé,
02:29prend la lettre et l'ouvre. Ce qu'il y a dans cette lettre, c'est l'énigme du 19e siècle et
02:41cette énigme porte un nom. Elle s'appelle Gaspar Hauser.
02:59La lettre du jeune homme est adressée à monsieur le capitaine commandant le quatrième escadron de
03:11chevaux légers. Elle est rédigée dans un très mauvais allemand et en voici la traduction.
03:17Très honoré monsieur le capitaine, je vous envoie un garçon qui voudrait servir fidèlement son roi.
03:24Ce garçon m'a été confié en 1812, le 7 octobre. Je suis moi-même un pauvre journalier, j'ai dix
03:34enfants. Sa mère m'a confié l'enfant pour son éducation mais je n'ai pas pu la questionner et
03:41je n'ai pas dit au tribunal que le garçon m'a été remis. Aucun homme ne sait où il a été élevé et
03:48lui-même ne sait pas comment ma maison s'appelle. Vous pouvez toujours lui demander, il ne peut pas
03:53le dire. Je lui ai appris à lire et à écrire. Très honoré monsieur le capitaine, vous ne devez pas
04:00vous tracasser, il ne sait pas mon endroit où je suis. Je l'ai conduit au milieu de la nuit, il ne
04:06sait pas le chemin de la maison, il n'a pas un centime sur lui. Si vous ne le gardez pas, vous
04:13pouvez le pendre dans la cheminée. Il n'y a bien entendu pas de signature mais il y a un autre
04:23billet d'une écriture différente. Le petit a été baptisé sous le nom de Gaspard. Donnez-lui le nom
04:30de famille que vous voudrez et daignez prendre soin de lui. Il est né le 30 avril 1812. Je suis
04:38une malheureuse fille et je ne peux le garder. Son père est mort. C'est le billet le capitaine
04:47von Weissenig les regarde d'un air maussade. Qu'est-ce que veut dire cette plaisanterie de
04:52mauvais goût ? Deux pochards qui viennent lui amener un vagabond qui porte une lettre à son
04:56nom. C'est un comble et un indite pentecôte par-dessus le marché. Il appelle deux de ses
05:01hommes. Conduisez-le à la tour. La tour est un donjon du moyen-âge au centre de la ville. C'est
05:08la prison municipale. Elle a d'ailleurs miraculeusement survécu aux destructions de la
05:13dernière guerre. Elle est toujours là et c'est à Nuremberg le dernier vestige de notre histoire.
05:18Gaspard reste plusieurs jours dans la tour. Il s'installe dans un coin et il s'amuse tout seul.
05:27Il se promène à quatre pattes, il pousse de petits cris, il se sent à l'aise en prison. Il a même
05:34l'air d'y retrouver de vieilles habitudes. Le geôlier qui est un brave homme vient le voir.
05:39Il lui pose des questions. Comment t'appelles-tu ? D'où viens-tu ? Gaspard ne répond pas. Il sourit d'un
05:45bon sourire gentil et enfantin mais quand le geôlier lui tend une feuille de papier et un
05:49crayon, alors là la figure du jeune homme s'illumine. On dirait qu'un déclic se fait en lui.
05:56Il prend le crayon et en s'appliquant bien, en tirant la langue, il écrit deux mots et rend tout
06:05fier sa feuille de papier. Il a écrit Gaspard Hauser. Pourtant l'aventure intrigue les autorités,
06:14au point que le bourgmestre de Nuremberg en personne se rend à la tour pour interroger le
06:19mystérieux inconnu. L'interrogatoire de Gaspard Hauser est long, difficile, un chef-d'oeuvre de
06:27patience. Le malheureux a toutes les peines du monde à répondre aux questions et son vocabulaire
06:32est terriblement limité, une centaine de mots à peine. Après une semaine d'efforts, le bourgmestre
06:38rend public le résultat de l'interrogatoire. Gaspard Hauser a toujours vécu enfermé dans
06:44une petite pièce étroite, basse, sans plancher sur la paille et la terre battue. Les deux fenêtres ne
06:51laissaient passer qu'un peu de soleil. Il restait assis par terre et jouait avec deux chevaux blancs
06:57en bois et un chien blanc en bois également. Dans un endroit creusé dans le sol, il y avait
07:05un vase pour ses besoins. Non loin, un sac de paille qui lui servait de lit, c'est tout. Faute
07:12d'exercice, il pouvait à peine marcher. Le matin, en se réveillant, il trouvait près de son lit du
07:18bain noir de l'eau et son vase était vidé. Un homme habillé de noir lui a appris à lire et à
07:24écrire. Un soir, l'homme est venu et lui a dit « je vais te conduire à la grande ville ». En pleine
07:32nuit, il l'a pris sur ses épaules, ils sont partis à travers bois. Après trois nuits et trois jours
07:38de marche, l'homme l'a laissé sur la place où on l'a trouvé, lui a remis la lettre et il est parti.
07:43Dans Nuremberg, ville de la vieille Allemagne en pleine période romantique, l'histoire de cet enfant
07:53de la nuit, de cet inconnu venu du mystère fait sensation, en flamme les imaginations. Qui est
07:58Gaspard Hauser ? Le bourgmestre fait placarder des avis donnant le signalement du jeune homme et
08:05invitant la population à donner des renseignements. Mais personne n'a jamais vu, personne ne connaît
08:12Gaspard. En attendant, on le confie à un professeur de la ville, Georges Daumer, qui entreprend son
08:19éducation. Et Gaspard fait de rapides progrès. C'est un élève appliqué, doux, consciencieux, doué.
08:25Il est là chaque matin à Salson, il apprend l'alphabet, il apprend à compter, on lui raconte des choses
08:31extraordinaires, la géographie, l'histoire, les hommes, la civilisation. Il écoute émerveillé, un peu
08:35inquiet, il se fait répéter, il pose des questions. Le soir, il se redit ses leçons. Nuremberg, 30 000
08:43habitants, l'Allemagne, l'Europe, la Terre est ronde, nous sommes en 1828. Il a du mal, et il faut le
08:50comprendre, ce n'est pas si facile à imaginer toutes ces choses quand on a cru pendant 16 ans que
08:54le monde comprenait seulement deux chevaux de bois, un chien de bois et un homme en noir. Mais le
09:02professeur Daumer est aussi un adepte fervent des sciences occultes et il s'intéresse aux rêves de
09:08Gaspard. Quand un jour il lui dit qu'il a rêvé d'un grand château avec des pièces magnifiques et des
09:15gens merveilleusement habillés, pour Daumer c'est une preuve. Gaspard est bien né dans un château, il
09:22y a vécu quelques jours avant d'être mystérieusement conduit dans sa sinistre prison. Gaspard Hauser
09:28est enfant de prince ou de roi, on l'a séquestré pour l'empêcher de régner. Et Daumer n'est pas le
09:35seul à le penser. L'énigme de Gaspard Hauser s'est rapidement répandue dans toute l'Europe et l'Europe
09:42romantique recherche elle aussi avec passion de qui, de quel puissant de ce monde, Gaspard peut
09:49bien être le fils. Il faut donc trouver quelle famille princière aurait perdu un enfant en bas âge
09:55dans les années 1811-1813. Il n'y en a qu'une, la famille de Bade. Stéphanie de Bade a eu une destinée
10:07romantique. Née Stéphanie de Beauharnais, cousine de Joséphine, la femme de Napoléon, elle est à la fin
10:13de la révolution orpheline et misérable mais quand le mari de sa cousine prend le pouvoir c'est au
10:18contraire un conte de fées. Napoléon l'adopte comme sa fille et lui fait épouser le prince de Bade.
10:24N'entrons pas dans le détail des intrigues de palais à la cour de Bade, disons seulement que le
10:29mari de Stéphanie appartenait à la branche aînée mais que l'autre branche avait tout intérêt à ce
10:33que Stéphanie n'est pas d'héritier mâle et c'est ce qui arriva. Le couple eut trois filles et deux
10:39garçons, morts tous les deux en bas âge dont l'un le 15 octobre 1812. Et si l'enfant n'était pas mort ?
10:49Si on l'avait enlevé à sa naissance et confié en secret à un paysan ? Si l'enfant était
10:54Gaspard Hauser ? Si Gaspard Hauser était l'héritier du grand-duché de Bade ? Et c'est bien sûr la thèse
11:02qu'adopte immédiatement le public. Dans toute l'Europe des historiens, des journalistes se
11:06penchent sur le problème, cherchent des preuves mais ont-ils songé que tout cela n'est pas sans
11:12risque pour Gaspard ? Que si on établissait qu'il est réellement l'héritier du grand-duché ?
11:17Cela ne ferait pas plaisir à tout le monde, en tout cas pas à l'héritier officiel.
11:22Le 17 octobre 1829 est un samedi. Il y a maintenant près d'un an et demi que Gaspard
11:31est sorti de sa nuit et il s'est peu à peu habitué aux hommes. Gaspard qui avait le droit de maudit
11:39à l'humanité entière, est un modèle de douceur, de gentillesse, de modestie. Il est toujours
11:44souriant, toujours prêt à rendre service, à se dévouer. En le voyant, qui se douterait
11:50qu'il est l'enfant du mystère, l'énigme de son siècle ? Oui, pour un peu, on penserait que
11:57Gaspard Hauser est un homme comme les autres. Et pourtant, en ce samedi 17 octobre 1829,
12:04son destin va prendre un tour nouveau, celui de la tragédie.
12:14Les récits extraordinaires de Pierre Belmar, un podcast européen.
12:19Le matin de ce 17 octobre 1829, Gaspard est allé faire le marché pour monsieur et madame Daumer.
12:24Il devait rentrer à 11 heures. À midi, il n'est toujours pas là. On le cherche dans la maison, au jardin, personne.
12:32C'est dans la cave qu'on le découvre, évanoui, une plaie béante à la tête.
12:38On appelle le médecin. Ce n'est pas très grave, c'est superficiel, Gaspard peut parler.
12:45Un homme, dans la cave, il m'a dit tu ne sortiras pas vivant d'ici. Alors il m'a frappé. Et puis, et puis je ne sais plus.
12:57L'enquête de police ne donna rien. Aucun indice ne permet d'identifier le mystérieux inconnu.
13:06Gaspard se rétablit. Alors on décide de le confier au conseiller municipal, Biberbach, chez qui, pense-t-on, il sera mieux protégé.
13:15Pourtant, six mois plus tard, un coup de feu éclate dans la chambre du jeune homme. Les Biberbach se précipitent.
13:22Gaspard est là, hébété, les bras ballants, blessé à la tempe. Il affirme qu'il est monté sur une chaise, qu'il est tombé et qu'il a accroché dans sa chute
13:30un des deux revolvers qu'on lui avait donnés pour se défendre. Pourtant, ce n'est pas vrai, ce ne peut pas être vrai.
13:37La blessure de Gaspard n'est pas causée par une arme à feu, sinon il y aurait eu des traces de brûlure.
13:44Alors pourquoi Gaspard ment-il ? A-t-il été attaqué par quelqu'un ? Et s'il ne dit pas la vérité, est-ce parce qu'il connaissait son agresseur ?
13:56C'est un mystère nouveau qui vient s'ajouter aux autres.
14:00A partir de ce moment, la vie de Gaspard Hauser est vagabonde. Il passe d'un foyer à un autre.
14:06Il est recueilli pendant un an chez le baron von Thüker. Et puis, un riche excentrique anglais, Lord Stanhope, le prend sous sa protection.
14:14Il a fait spécialement le voyage d'Angleterre pour découvrir le mystérieux jeune homme dont tout le monde parle.
14:20Il décide de prendre Gaspard à sa charge, il lui donne 500 florins et il promet 500 autres florins à qui découvrira ses origines.
14:28Pendant quelques temps, sous la conduite de son protecteur, Gaspard fréquente les salons à la mode, il fait sensation.
14:35Les belles dames veulent le toucher, le caresser. Chaque fois, il est l'attraction, la bête curieuse.
14:41Gaspard sourit aux belles dames, aux beaux messieurs, si bien habillés, avec ce sourire qui a toujours été le sien.
14:49Un bon sourire d'enfant.
14:52Lord Stanhope se lasse assez vite de Gaspard. Il le confie à des amis, le professeur Meyer et sa femme, qui habitent la petite ville d'Ansbach et leur laissent de quoi payer sa pension.
15:08Gaspard quitte donc les mondanités, les papotages, la curiosité des gens bien, pour se retrouver enfin pour la première fois dans un foyer qu'il accueille vraiment.
15:19Là, dans cette ville de province, auprès de ce couple uni, il se sent bien, car Gaspard est un garçon tout simple, il joue avec les enfants et les enfants l'adorent car ils sentent tout de suite qu'il leur ressemble, qu'il est comme eux.
15:33Gaspard adopte Mme Meyer, il la considère comme sa mère et il ose quelquefois l'appeler maman.
15:40M. Meyer se charge de lui trouver une place, grâce à lui, Gaspard a un petit emploi, il fait des écritures au tribunal de la ville.
15:48Gaspard va souvent aussi chez le pasteur qui entreprend son éducation religieuse et là encore, il est un bon élève, attentif, plein de bonne volonté.
15:57Les années 1832 et 1833 passent tranquillement dans un climat familial et paisible, l'immense vague de curiosité qui avait entouré Gaspard Hauser s'est apaisée.
16:06Oh, on ne l'a pas oublié, mais il est devenu un mythe, dont les écrivains et les poètes se sont emparés, mais l'homme lui-même, ben on le laisse tranquille, on ne se soucie plus de lui.
16:19Noël 1833 approche, Gaspard passe maintenant inaperçu dans les rues d'Ansbar, on ne se retourne plus sur lui, on ne le montre plus du doigt, il s'est intégré parmi les hommes.
16:32Et d'ailleurs c'est bientôt Noël, tout le monde ne pense qu'à préparer cette fête.
16:39Gaspard a passé toute la matinée du 14 décembre 1833 chez le pasteur.
16:45Gaspard est très habile de ses mains, il aide les enfants du pasteur à découper et à coller sur du carton des images pour faire la crèche.
16:52Le pasteur s'en va, Gaspard reste seul avec les enfants et quand la crèche est terminée, il s'en va à son tour.
16:59« Je vais au jardin public, au revoir les enfants. »
17:03Il est trois heures de l'après-midi.
17:06À trois heures et demie, Gaspard arrive chez les Meillers, il est tout pâle, il a un pauvre sourire, il agrippe le bras de M. Meillers.
17:14« Le jardin. Un homme. La couteau. Donnez une bourse. Blessé, j'ai couru. La bourse est restée là-bas. »
17:33On l'allonge, on le déshabille, il a une plaie au côté gauche, un peu au-dessous du cœur.
17:42Le médecin et la police arrivent en même temps, Gaspard sue à grosses gouttes, il a du mal à parler.
17:47« Un homme. Ce matin, il m'a donné rendez-vous à trois heures. C'était pour me dire ma naissance.
17:58Et quand j'arrive, il me donne une bourse. Je la prends et il me donne un coup de couteau. »
18:14Un policier se rend au jardin public. Il y a effectivement par terre une petite bourse violette.
18:20À l'intérieur, un texte écrit à l'envers, qu'on peut lire en le plaçant devant un miroir.
18:28« Hauser pourra vous le raconter très exactement comment je suis et d'où je suis. Pour épargner la peine à Hauser, je veux vous le dire moi-même d'où je viens.
18:39Je viens de la frontière de Bavière, sur le fleuve. Mon nom est M. L. O. »
18:50Malgré les soins, l'état du blessé s'aggrave. Le 17 décembre, il délire, il réclame sa mère, c'est-à-dire Mme Meilleur.
18:59Le pasteur est appelé. « Comment allez-vous, Gaspard ? »
19:05« Bien, M. le pasteur, mais je suis si fatigué. »
19:09« Ça valait mieux, Gaspard. Faudra encore continuer la grèche ? Elle n'est pas tout à fait finie. »
19:16« Je veux bien, M. le pasteur, mais je ne sais pas si je pourrais. »
19:21« Gaspard, y a-t-il quelque chose dans votre conscience que je peux soulager ? »
19:30« Rien. Je suis tranquille et j'ai demandé pardon à tout le monde. »
19:35Le pasteur ne comprend pas. « Voyons, vous voulez dire que vous pardonnez à ceux qui vous en fait du mal ? »
19:44Gaspard avale péniblement sa salive. « Pourquoi pardonner ? »
19:52« Personne ne m'a rien fait. »
19:56Le 17 décembre 1833, quand l'horloge de la cathédrale sonne à 10 heures du soir,
20:01le pasteur qui était penché auprès du lit se redressa et fit le signe de la croix.
20:06Gaspard Hauser était mort.
20:09L'enquête qui suivit fut sans précédent pour l'époque.
20:12Le roi de Bavière promit une prime de 10 000 florins pour la découverte de l'assassin.
20:17Le dossier de l'instruction compta, quand il fut terminé, 3300 pages.
20:21On fouilla à l'Allemagne une partie de l'Europe.
20:23L'affaire eut des implications politiques, la cour du grand-duché de Bade ne fut pas épargnée,
20:27mais pourtant on ne trouva rien, absolument rien.
20:32Et deux ans plus tard, on referma définitivement le dossier.
20:36Et on en resta là pendant plus d'un siècle.
20:40Que savons-nous aujourd'hui ?
20:43D'abord que la légende romantique qui fait de Gaspard Hauser le fils du prince de Bade est sans fondement.
20:48En 1875, on procéda à l'exhumation du corps du bébé mort en 1812.
20:53Il n'y a aucun doute possible, c'était bien lui l'héritier du grand-duché de Bade.
20:59Mais alors, qui a tué Gaspard ?
21:03Eh bien, voyez-vous, il faut revenir aux faits.
21:05D'abord, dans les trois agressions, à aucun moment,
21:08et malgré les enquêtes qui ont été faites, on n'a jamais pu découvrir la moindre trace d'agresseur.
21:13Les seules indications, en ce sens, étaient les déclarations de Gaspard lui-même.
21:19Ensuite, il y a cette phrase du billet de la bourse trouvée dans le jardin où Gaspard Hauser a rencontré la mort.
21:26« Je veux vous le dire moi-même d'où je viens ».
21:31Or, cette phrase plutôt curieuse se retrouve à deux reprises textuellement dans le journal intime que Gaspard Hauser tenait en secret.
21:40Enfin, souvenez-vous de ces dernières paroles.
21:44« Je demande pardon. Personne ne m'a rien fait ».
21:50Oui, il faut sans doute les prendre à la lettre.
21:54Personne n'a rien fait à Gaspard Hauser, ou plutôt, personne ne l'a tué.
22:00C'est lui-même qui, à trois reprises, a tenté de mettre fin à ses jours.
22:05« Mais alors pourquoi il fait cela, me direz-vous ? »
22:08« Sans doute parce que les hommes ont bâti autour de lui un mythe, qu'il est devenu un objet de curiosité et que cela lui a tourné la tête.
22:15Il était le mystère vivant. On lui posait des questions, on lui demandait d'où il venait.
22:19Pendant un moment, les belles dames, les beaux messieurs se le disputaient, et puis ils l'ont oublié.
22:25Alors il a voulu se rappeler à eux, entretenir de nouveau le mystère, et en inventant cet inconnu qui le poursuivait pour le tuer, rester jusqu'au bout, Gaspard Hauser.
22:34Gaspard Hauser s'est pris au jeu qu'on voulait lui faire jouer, et il a tenu son rôle jusqu'à la fin.
22:42Mais les questions demeurent, car Gaspard a bien été séquestré jusqu'à l'âge de seize ans, dans des conditions épouvantables. Et pourquoi ?
22:50Si nous sommes sûrs qu'il n'était pas l'héritier du grand duché de Bade, nous ne savons toujours pas aujourd'hui qui était Gaspard Hauser.
22:58Ou plutôt, si, nous le savons. Enfin, c'est un mythe, un des grands mythes romantiques.
23:07Gaspard est l'homme venu de la nuit et retourné à la nuit.
23:11Il a connu un moment la civilisation des hommes, mais il n'était pas fait pour elle, et il s'en est allé d'où il venait, sans bruit, discrètement.
23:23Mais toute une génération a chanté Gaspard Hauser s'est identifié à son destin tragique, et c'est sans doute Verlaine qui lui a dédié le plus beau des adieux.
23:34Suis-je né trop tôt ou trop tard ? Qu'est-ce que je fais dans ce monde ?
23:42Oh, vous tous, ma peine est profonde. Priez pour le pauvre Gaspard.
24:04Vous venez d'écouter les récits extraordinaires de Pierre Belmar, un podcast issu des archives d'Europe 1 et produit par Europe 1 Studio.
24:19Réalisation et composition musicale, Julien Tharaud. Production, Lisa Soster.
24:25Patrimoine sonore, Sylvaine Denis, Laetitia Casanova, Antoine Reclus.
24:31Remerciements à Roselyne Belmar. Les récits extraordinaires sont disponibles sur le site et l'appui Europe 1.
24:38Écoutez aussi le prochain épisode en vous abonnant gratuitement sur votre plateforme d'écoute préférée.