Proviseur menacé de mort à Paris, professeur d'histoire-géographie dans un collège de Seine-Saint-Denis, Iannis Roder est le co-auteur de "Préserver la laïcité".
Regardez L'invité de RTL du 06 mars 2024 avec Amandine Bégot.
Regardez L'invité de RTL du 06 mars 2024 avec Amandine Bégot.
Category
🗞
NewsTranscription
00:00 Vous êtes sur RTL.
00:02 RTL matin
00:06 RTL 7h44
00:09 "Préserver la laïcité" c'est le titre de son nouveau livre publié aujourd'hui aux éditions de l'Observatoire.
00:13 Amandine Bégaud vous recevez ce matin le professeur d'histoire-géographie
00:15 Yanis Roder.
00:16 Yanis Roder je rappelle que vous enseignez en Seine-Saint-Denis et vous dirigez également l'Observatoire de l'éducation à la Fondation
00:22 Jean Jaurès. Nicole Belloubet, la ministre de l'éducation nationale, s'est rendue hier au lycée Maurice Ravel dans le 20e arrondissement de Paris.
00:29 C'est ce lycée où le proviseur a été menacé de mort après avoir demandé à trois élèves d'ôter leur voile la semaine dernière.
00:35 L'une d'elles qui est majeure étudiante en BTF a refusé ce qui a provoqué une altercation.
00:41 Est-ce que vous avez été surpris vous par cette affaire ?
00:43 Non je n'ai pas été surpris parce que c'est pas la première affaire de ce type.
00:47 Il faut quand même dire que ce sont des affaires qui restent rares.
00:50 Qui dégénèrent par la viralité des réseaux sociaux jusqu'à des menaces de mort.
00:56 Ça reste rare mais on a déjà eu ce type de cas, notamment il y a deux ans dans un lycée parisien,
01:01 deux jeunes filles qui ne voulaient pas enlever ce qu'on appelle une abaya et qui s'en sont prises à une CPE,
01:07 laquelle a été ensuite menacée par le biais des réseaux sociaux.
01:10 Donc non, pas de surprise, même si ça reste quand même heureusement rare.
01:15 Ça reste rare, dites-vous. Il y a 150 chefs d'établissement de collèges et de lycées parisiens qui ont manifesté à Paris lundi soir
01:22 pour apporter leur soutien à ce proviseur mais aussi pour exprimer leur ras-le-bol.
01:26 Ce n'est pas tous les jours que des chefs d'établissement descendent dans la rue, c'est même extrêmement rare.
01:30 Ça veut quand même dire qu'il se passe quelque chose ?
01:33 Oui, ça veut dire que, il me semble qu'en tout cas c'est le témoignage d'une ambiance,
01:38 d'une atmosphère qui est lourde, où les proviseurs et principaux de collèges sont obligés de faire cette police
01:49 face à des élèves qui, pour certains, viennent provoquer, viennent tenter, viennent essayer de trouver des failles
01:56 pour absolument afficher ce qu'ils pensent être absolument nécessaire pour eux.
02:01 Et les menaces qui derrière apparaissent, notamment sur les réseaux sociaux, ça c'est nouveau ? Enfin récent ?
02:07 Ça fait quelques années maintenant, mais c'est vrai qu'il y a cette viralité et ça s'emballe extrêmement vite.
02:12 C'est ça qui est frappant, c'est que très très vite, on arrive à des extrémités, et notamment à des menaces de mort.
02:16 On a eu l'assassinat terrible de Samuel Paty, celui de Dominique Bernard également, ça veut dire qu'on n'a pas su tirer les leçons ?
02:24 Je ne crois pas, je pense qu'on tire les leçons aujourd'hui de ce qui s'est passé.
02:30 En revanche, je crois qu'il y a tout un travail de pédagogie, de formation d'abord, qui doit être continué, à la laïcité.
02:37 Pourquoi cette loi du 15 mars 2004 sur les signes ostensibles religieux à l'école ?
02:43 A destination des enseignants, à destination des personnels de direction, mais ça, ça a été fait.
02:48 Il faut continuer, et surtout il faut que les enseignants se saisissent de ces questions-là en classe,
02:53 pour expliquer combien la laïcité est un socle de notre République, et nous permet justement de vivre dans la paix sociale.
03:00 Sauf qu'on sait que les professeurs s'auto-censurent pour beaucoup d'entre eux sur certaines questions.
03:05 Est-ce que ces questions-là, elles en font pas partie justement ?
03:07 Oui, elles en font partie bien évidemment, mais justement par manque de solidité, on va dire, sur ces questions.
03:12 Il faut outiller intellectuellement et pédagogiquement les enseignants, pour que justement on comprenne,
03:18 que nos élèves comprennent que la laïcité c'est la condition de la paix sociale.
03:22 Et d'ailleurs, je trouve que l'affaire de Maurice Ravel le montre exactement, c'est la démonstration par l'absurde.
03:27 Quand vous n'avez plus la règle de la laïcité qui s'applique, vous avez une confrontation.
03:32 Non, la laïcité, le principe de la laïcité doit s'appliquer parce que c'est la condition de la paix sociale.
03:37 Vous rappeliez cette loi du 15 mars 2004, ça fera 20 ans la semaine prochaine qu'a été votée cette loi interdisant le port de signes ou de tenues
03:45 manifestant une appartenance religieuse à l'école, une loi qu'on a souvent appelée "contre le port du voile à l'école".
03:50 Et vous y revenez très largement dans ce livre, donc "Préserver la laïcité".
03:54 Comment expliquez-vous que 20 ans après, on en soit encore là ?
03:58 Ça veut dire qu'on a fait une loi et puis on s'est dit "bon ben la loi, elle suffit".
04:02 Vous savez, la loi, quand elle est entrée en application à la rentrée, quand elle a été votée le 15 mars 2004 et qu'elle est rentrée en application ensuite,
04:11 elle a très bien fonctionné.
04:13 Et elle a très bien fonctionné jusqu'à il y a deux ans.
04:16 Et il y a deux ans, on a vu arriver de nouvelles tenues, qu'on appelle les abaya, dont on a essayé de nous faire croire qu'elles n'étaient pas religieuses.
04:23 Quand on sait qu'elles sont poussées par les militants islamistes, on comprend très bien ce que cela signifie.
04:29 Mais la circulaire d'application de la loi du 15 mars 2004, du 18 mai 2004, prévoyait cela.
04:36 Elle disait "la loi est prévue pour s'appliquer à l'apparition de nouveaux signes".
04:41 Donc tout était déjà dans la loi.
04:43 Il suffisait exactement ce qu'a fait l'actuel Premier ministre quand il a été mis en éducation, de rappeler que c'était interdit.
04:49 Et il l'a fait et ça a été interdit.
04:51 En fait, en réalité, à partir du moment où la République, l'État, est droit dans ses bottes, ça fonctionne.
04:56 L'école, écrivez-vous, est une cible pour les islamistes.
04:59 Vous reprenez ces propos, vous expliquez que l'islamisme progresse à l'école.
05:03 C'est téléguidé par qui ?
05:05 Ce n'est pas à moi de le dire, il y a des chercheurs qui travaillent là-dessus, il y a des grands spécialistes.
05:09 Je pense notamment à Gilles Kepel, Bernard Rougier ou Hugo Michron.
05:14 Mais ce que l'on sait, en tout cas, et ce que disent les chercheurs, c'est que l'école est une cible.
05:21 Vous savez, j'étais en Sorbonne le 13 octobre 2020, trois jours avant l'assassinat de Samuel Paty.
05:26 Et Bernard Rougier disait "l'école est une cible pour les islamistes".
05:30 Trois jours, je pense que tous ceux qui étaient avec moi s'en souviennent.
05:33 Pourquoi l'école est une cible pour les islamistes ?
05:36 Et bien tout simplement parce que l'école française de la République, elle ouvre les esprits,
05:42 elle permet l'accès à l'autonomie de chacun, à l'émancipation.
05:47 On propose l'émancipation.
05:49 Les islamistes ne veulent pas de l'émancipation pour les jeunes qu'ils voient comme des musulmans,
05:53 ou les jeunes musulmans qu'ils ne voient que comme cela.
05:56 Ils veulent garder absolument dans la manière dont ils pensent le monde, dans cet islam rigoriste.
06:01 Et donc ils essayent de séparer.
06:03 C'est une manière de séparer.
06:05 L'école, elle, émancipe et justement construit du commun,
06:09 permet de construire du commun, peu importe les obédiences, peu importe la croyance ou non.
06:13 Les islamistes, eux, ils veulent séparer.
06:16 Yanis Roder, vous êtes spécialiste de l'idée de ces questions de laïcité,
06:21 et vous enseignez en Seine-Saint-Denis.
06:23 Tous les jours, vous êtes confronté à ces questions-là ?
06:25 Non, pas tous les jours.
06:27 Ce serait caricaturé que de le dire.
06:29 C'est pour ça que je vous pose la question.
06:30 Pas du tout, pas tous les jours, mais ce sont des questions qui reviennent régulièrement.
06:33 Et ce qui est vrai, et d'où la nécessaire pédagogie,
06:36 c'est que le premier mot qui vient souvent dans la bouche des élèves
06:40 quand on parle de laïcité, c'est "interdiction".
06:42 Ça devrait être "liberté" en réalité.
06:44 Et donc il y a toute une pédagogie à construire,
06:46 qu'on est en train de construire, sur laquelle on n'avait pas nécessairement réfléchi,
06:49 parce qu'on a longtemps pensé que la laïcité était une évidence.
06:51 On se rend compte qu'aujourd'hui, ça ne l'est plus.
06:53 Et donc il faut réfléchir à une pédagogie qui nous permet de comprendre
06:55 que la laïcité, c'est d'abord la liberté.
06:57 C'est une arme contre l'islam, pensent beaucoup d'entre eux,
07:01 beaucoup de ces jeunes, et vous l'évoquiez.
07:05 Quand vous dites "changement de pédagogie", Emmanuel Macron a dit,
07:08 début janvier lors de sa conférence de presse, vouloir renforcer l'enseignement civique.
07:11 Ça suffit, ça, vraiment ?
07:13 Non, je ne pense pas.
07:15 Ce qu'il faut, c'est que chaque enseignant, me semble-t-il,
07:18 rappelle, quand il le peut, dans les interstices que permettent les cours,
07:22 pourquoi il enseigne ce qu'il enseigne.
07:24 Parce qu'à l'école, on enseigne en se basant sur la raison et sur la science,
07:27 et pas sur la croyance.
07:29 Et rappelez cela quand on est prof de sciences et vie de la Terre,
07:31 quand on est prof d'anglais, quand on est prof de philo,
07:33 quand on est prof d'histoire géo, bien sûr.
07:35 À chaque fois, rappelez pourquoi on enseigne ce qu'on enseigne, et pas autre chose.
07:39 Mais sur le papier, j'allais vous dire, c'est très beau ce que vous dites,
07:42 mais on les entend, ces enseignants qui disent que,
07:45 oui, aujourd'hui, on enseignait certaines matières et on l'évoquait,
07:48 et vous êtes prof d'histoire, vous le saviez mieux que moi.
07:50 C'est compliqué, il y en a plus de 50% qui disent aujourd'hui,
07:53 s'auto-censurer régulièrement.
07:55 Comment on adapte votre discours, je vais dire, à la réalité ?
07:59 Vous savez, je crois que c'est un tout, ça fait système.
08:01 C'est-à-dire, d'abord, vous avez la nécessaire formation des enseignants,
08:04 il faut les assurer sur base...
08:06 Donc ça, ils ne sont pas formés, ça ne va pas ?
08:08 Voilà. Ce n'est pas qu'ils ne sont pas formés,
08:10 c'est-à-dire qu'il faut travailler sur ces formations.
08:12 Mais il faut aussi que l'école connaisse une vraie cohésion,
08:16 c'est-à-dire que la hiérarchie directe et la hiérarchie plus loin
08:20 soutiennent les enseignants, qu'ils puissent s'adosser à l'institution
08:24 et que tout ça soit cohérent, qu'on n'agisse pas d'une manière
08:27 dans un établissement, et à 500 mètres dans un autre établissement,
08:30 qu'on agisse d'une autre manière.
08:31 Vous savez, il faut cette cohérence, il faut cette cohésion,
08:33 et il faut cette formation.
08:34 Et vous êtes plutôt optimiste ?
08:36 Moi, j'ai toujours été optimiste, sinon je ne ferais pas ce boulot.
08:39 Merci beaucoup Yanis Roder d'être venu pour nous parler ce matin de ce livre
08:44 "Préserver la laïcité, les 20 ans de cette loi de 2004".
08:47 ce sera donc la semaine prochaine.