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Le 13 octobre dernier, Dominique Bernard (57 ans), professeur de Français dans un collège-lycée de Arras (Pas-de-Calais) était poignardé à mort par Mohammed Mogouchkov, originaire du Caucase russe, ayant grandi en France. Fiché pour radicalisation islamiste, il se revendique de l'organisation État islamique. L'assaillant, son jeune frère et un de leurs cousins ont été mis en examen le 17 octobre.
Regardez L'invité de RTL du 07 décembre 2023 avec Amandine Bégot.

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00:02 RTL matin
00:06 RTL 7h42, excellente journée à vous tous qui nous écoutez. Amandine Bégaud, vous recevez donc ce matin l'avocat Richard Malca.
00:12 Richard Malca, nos auditeurs, j'allais dire nos avocats, nos auditeurs
00:16 vous connaissent bien. Vous êtes notamment depuis des années l'avocat de Charlie Hebdo et ce matin pour la première fois vous prenez donc la parole
00:22 au nom de la famille de Dominique Bernard, ce professeur de français assassiné le 13 octobre dernier à Arras.
00:29 Son épouse et ses filles, dont vous êtes donc désormais l'avocat, ont été très discrètes depuis cet attentat. On ne les a pas du tout
00:36 entendues. Comment vont-elles aujourd'hui ?
00:38 Alors votre question est légitime mais j'y répondrai pas et je n'y répondrai jamais parce qu'il ne m'appartient pas d'y répondre.
00:47 Ce que j'ai pu percevoir de cette famille c'est que c'est une famille d'une infinie discrétion,
00:53 d'une
00:55 immense dignité, d'une grande retenue. Elles ne souhaitent pas
00:59 apparaître sur quelques photos que ce soit, dans quelques interviews que ce soit. Elles veulent être protégées.
01:04 C'est mon rôle de le faire. Donc ce n'est pas à moi de dire comment elles vont. Elles le feront à un moment si elles le
01:10 souhaitent. Mais c'est certainement pas à moi de le faire. Mais après je crois que chacun
01:14 d'entre nous et chacun de vos auditeurs
01:17 peut imaginer comment cela peut aller
01:19 après avoir perdu dans de telles conditions
01:24 terrifiantes un père, un fils, un frère, un mari. Puisque je représente effectivement
01:29 l'épouse, celle qui était l'épouse de Dominique Bernard, ses enfants, sa soeur et sa mère.
01:35 Et on respecte bien sûr leur volonté de rester extrêmement discrète. J'ai cru comprendre que l'épouse, la veuve de Dominique Bernard avait hésité à
01:43 se porter partie civile. Pourquoi ?
01:45 Ça je ne sais pas. J'ai été contacté et désigné assez récemment.
01:53 Je crois qu'elles avaient conscience qu'il allait y avoir un procès qui sera d'ailleurs fort intéressant. Puisque
02:00 le terroriste est vivant. Ce n'est pas toujours le cas. Il est vivant et qu'il parle et qu'il assume
02:06 et qu'il revendique son geste. Et que dans ce cadre là, vous avez bien évidemment besoin d'un avocat.
02:12 Mais quelle est la démarche, l'état d'esprit
02:15 aujourd'hui de cette démarche ? De faire appel à vous ? Qu'est ce qu'elle veut faire justement ?
02:21 J'allais dire de ce procès qui de toute façon aura lieu puisque vous le disiez, il est vivant.
02:25 Bah écoutez, ce procès ce sera l'occasion, je crois, en tout cas je le
02:29 ressens comme cela, je le conçois comme cela. Et il y avait une adéquation
02:34 de réflexion avec la famille de Dominique Bernard. Ce sera le moment de faire vivre les convictions pour lesquelles
02:43 Dominique Bernard a été poignardé.
02:45 De donner,
02:47 de redonner le sens de ce crime atroce. Et parmi ces convictions, il y a le fait que les enseignants,
02:56 lui, et puis des dizaines de milliers d'autres d'enseignants dans ce pays, ont un devoir, une responsabilité.
03:02 Et c'est leur gloire. Et ce devoir c'est
03:06 de faire vivre, de former les esprits à la libre pensée. De former des
03:13 individualités pensantes, pour reprendre les mots de Ferdinand Pant, buisson, qui a fondé l'école laïque en
03:18 1882. Et c'est pas une date au hasard,
03:22 1882 à Naudine, c'est un an après la loi sur la liberté d'expression.
03:25 Tout ça est lié, ce sont les piliers de notre république. Et cette conviction
03:31 qu'il faudra faire passer lors de ce procès, ce qu'il faudra faire vivre, c'est que les enseignants sont les architectes
03:37 de la république, de la liberté de conscience, de l'émancipation,
03:43 face aux dogmes, et en particulier face aux dogmes religieux. - C'est pas un parti, les terroristes s'en prennent à eux.
03:48 - Et précisément,
03:50 cette affaire, ce meurtre, c'est une allégorie
03:55 quasi parfaite du combat de l'ombre contre la lumière.
04:00 Puisque ce qu'on a voulu poignarder, c'est un enseignant. Et il le dit, le terroriste, c'est-à-dire c'est la raison,
04:08 c'est la connaissance, encore une fois, c'est la libre pensée. Et que dit ce terroriste ? Il le dit très clairement.
04:14 On ne les écoute jamais assez, il dit,
04:18 dans un enregistrement vidéo,
04:21 "Vous m'avez appris ce que sont la démocratie et les droits de l'homme", c'est-à-dire que c'est ce qui était censé, ce sont les mots,
04:28 ce qui était censé remplacer l'enseignement religieux, à partir de 1882, un enseignement
04:35 du citoyen, des droits de l'homme, de la liberté de conscience et de la démocratie. Et donc il dit, "Vous m'avez appris ce que sont
04:41 la démocratie et les droits de l'homme, et vous m'avez poussé vers l'enfer." Pour lui, l'enfer, c'est quand on apprend
04:48 la démocratie et les droits de l'homme. Et il dit que les Français sont un peuple de
04:54 mécréants, il ne fait pas la différence entre les Français de droite ou de gauche ou de quelque opinion que ce soit. Les Français
04:59 sont des mécréants parce qu'ils croient aux droits de l'homme et à la démocratie.
05:04 Ça ne peut pas être plus clair. - Il y a plein de choses qui interpellent dans ce que vous dites, Richard Malka.
05:08 Et puis après Arras, il y a eu cet
05:11 attentat samedi à Paris, tout près de la tour Eiffel.
05:14 Bien sûr, ces deux affaires, elles sont très différentes, mais on retrouve un certain nombre de points communs des individus fichiers, suivis par les
05:21 services de renseignement. Vous dites, on ne les écoute jamais assez. C'est là qu'on rate.
05:25 - Ah, on rate quelque chose quand on ne regarde pas la réalité, quand on ne veut pas l'entendre. Le déni de réalité,
05:34 ça mène effectivement toujours à des ratages. - C'est un ratage collectif ? C'est de la société ? C'est politique ?
05:39 - En tout cas, c'est un ratage de l'élite.
05:42 Clairement.
05:45 Oui, on a attendu beaucoup trop longtemps avant de les prendre au sérieux, avant de comprendre qu'il y avait un terreau idéologique.
05:53 - Mais on a sous-estimé cette menace, c'est ce que vous nous dites ce matin. - Mais bien sûr, depuis des décennies.
05:57 - Et pourtant, il y a eu un nombre d'attaques. - On a relâché depuis des décennies notre méfiance
06:03 à l'égard des religions. Et les enseignants, ce sont des vigis de cette méfiance-là,
06:09 de l'esprit laïque, évidemment, les hussards de la République.
06:14 Bien sûr, on a été naïfs à l'égard d'une idéologie religieuse hyper structurée,
06:21 conquérante,
06:23 et on a laissé faire.
06:25 Or, la liberté aussi, c'est un combat et une conquête qui s'opposent à ces dogmes. C'est l'un ou l'autre, en fait.
06:31 On ne peut pas avoir les deux. - Avant Dominique Bernard, il y a eu Samuel Paty. Entre les deux, il ne s'est rien passé ?
06:36 - Je ne dis pas qu'il ne se passe rien.
06:39 On fait des choses, mais il y a une prise de conscience qui déjà
06:44 aurait dû avoir lieu bien avant Samuel Paty.
06:47 Depuis l'année 2000, les rapports dans l'éducation nationale se succèdent sur le recul de la laïcité.
06:54 Moi, j'attends une loi, et ça me semble assez urgent,
06:58 une loi qui
07:00 permettrait d'enseigner les bienfaits de la laïcité et les dangers de la religion. Parce que la religion, et c'est le sujet central,
07:07 il le dit le terroriste, c'est au nom d'une vision religieuse de la société
07:13 que cet enseignant a été poignardé, comme Samuel Paty l'a été, et toujours Samuel Paty, en lien direct avec la liberté d'expression.
07:22 Voilà, la religion, c'est admirable quand c'est une spiritualité
07:25 et une éthique personnelle,
07:29 mais c'est un poison mortel pour l'humanité, et depuis des siècles et des millénaires, quand c'est une revendication,
07:35 quand ça empiète sur l'espace public. Ça n'a rien à y faire, ni dans l'espace public, ni dans l'école publique,
07:42 ni lorsqu'il s'agit de limiter la liberté des hommes et encore plus des femmes. - Dans les deux cas, dans l'attaque contre
07:48 Dominique Bernard et ce qui s'est passé tout près de la tour Eiffel ce week-end, on est face à deux assaillants qui ont grandi sur le sol français.
07:55 Celui de Paris est né d'ailleurs en France à nuit.
07:59 Comment vous expliquez que des enfants qui ont grandi en France, qui ont été justement à l'école en France,
08:04 en viennent à haïr, à détester à ce point la France et les Français ? - Vous parliez de ratage. - Ça interpelle.
08:09 Mais c'est là où on rate, donc on rate à l'école ? - Mais c'est là que ça se passe.
08:12 D'abord, ça se passe dans les familles, évidemment. L'école ne peut pas tout.
08:17 Mais ça se passe aussi à l'école. L'école est là pour former les esprits à devenir des êtres libres,
08:24 mais libres à l'égard de tous les dogmes, et y compris de sa propre communauté, de sa propre religion,
08:31 quelle qu'elle soit, d'où que l'on vienne. - Mais quand vous entendez du coup... - C'est ça l'essence de l'école.
08:37 C'est le socle
08:38 des grandes lois de Jules Ferry, de Ferdinand Buisson de 1882. Ça a été pensé comme ça, une liberté face aux religions.
08:47 - Mais Richard Malca, quand vous entendez ces derniers jours le débat justement autour
08:50 du droit français, est-ce qu'il faudrait durcir ou pas la loi ? Et là je m'adresse à l'avocat.
08:56 Vous vous dites quoi ? On se trompe de sujet en fait ? - Non, mais il y a évidemment une infinité de réponses.
09:04 Alors il y a des réponses policières, judiciaires, mais ça, ça intervient.
09:07 Après, évidemment, il y a une réponse éducative à mener. Et là, il y a une réflexion à mener.
09:13 - Et la loi, il faut la changer ? Par exemple autour de la rétention de sûreté ?
09:16 - C'est pas ça qui... Peut-être qu'il faut la changer, peut-être qu'il faut la durcir, mais ça ne résoudra rien.
09:24 Si vous ne vous attaquez pas à l'idéologie,
09:27 vous ne ferez que du curatif. Ça sera a posteriori.
09:30 Moi, j'aimerais plutôt qu'on forme les esprits à ce rêve qui était
09:36 la laïcité,
09:38 qui était l'universalisme, qui était la défense des libertés, qui était la formation des esprits libres, des libres consciences.
09:45 - Et vous y croyez encore ? - Mais il y a toujours de l'espoir. Et si on arrête d'y croire, alors on a perdu.
09:50 Encore une fois, la liberté, c'est un combat et c'est une conquête.
09:54 Et en fait, c'est en combattant qu'on n'a pas peur. Quand on ne combat pas, on a peur.
09:59 - Merci beaucoup Richard Malka. - Le procès sera l'occasion de faire vivre les convictions de Dominique Berne.
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