Jean Durry - membre fondateur du Musée National du Sport : “38 années de recherches et quelques anecdotes
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00:00 Je vous invite à notre dernier intervenant du jour, M. Jean Durie, fondateur du Musée
00:09 national du sport, que j'ai le plaisir de croiser dans ma thèse et donc dans des procès
00:14 verbaux du comité olympique français des années 60.
00:17 Donc je pense que vous avez un grand regard à nous apporter pour refermer ce dense programme
00:23 avant les conclusions du jour.
00:25 M. Durie, la parole est à vous pour 15 minutes.
00:28 Oui, alors sur le programme, j'ai vu comme chapeau pour finir alors qu'en fait il s'agit
00:50 des commencements en des temps plus ou moins héroïques.
00:54 Alors vous vous doutez bien que je suis conscient qu'au terme de ces deux journées extrêmement
01:03 pleines, je suis la 46e communication et bravo aux jusqu'au boutistes qui seront restés
01:16 jusqu'à maintenant.
01:17 Et en même temps, c'est tout de même la dernière intervention qui vous sépare de
01:23 la synthèse finale.
01:25 Alors s'il y a une activité qui se joue avec toute l'intensité du moment présent, c'est
01:37 bien le sport.
01:38 Pour ses acteurs, pour ses spectateurs, qu'ils soient devant le petit écran ou à côté
01:46 du stade, pour les médias.
01:49 Et il y a peu de gloire aussi éphémère que la gloire sportive.
01:54 Mais en même temps, le sport, inévitablement, il s'inscrit dans le temps qui s'écoule.
02:02 Il a son histoire, il exige et il mérite une réflexion, une analyse.
02:09 Ça veut dire que dans ce domaine, comme dans tout autre domaine de l'activité humaine,
02:14 il nous faut capter les traces de ce qui fut.
02:18 Il faut absolument regrouper les documents témoins.
02:24 C'est indispensable.
02:27 Alors, cette trajectoire du musée qui allait devenir Musée national du sport, on va y venir
02:37 dans un instant.
02:38 On va y venir dans un instant.
02:40 Il était indiqué qu'il y aurait quelques anecdotes.
02:43 Je ne pense pas qu'on aura beaucoup de temps à y consacrer.
02:48 Mais en tout cas, ce qu'il faut comprendre, c'est que tout est nécessaire à garder.
02:57 Et bien entendu, la mission et les processus d'un musée sont différents de ceux des archives.
03:06 Mais ces deux institutions, elles n'en sont pas moins extrêmement proches par le triple
03:13 objectif qui est le leur, sauvegarder, préserver et présenter au public et aux chercheurs
03:22 les fonds réunis.
03:24 Pour ce qui est du musée, ce qui a paru intéressant aux organisateurs, ou en tout cas avoir quelques
03:33 intérêts, c'est d'évoquer les débuts de la constitution des collections de ce qui
03:40 allait devenir le Musée national du sport, soit la collecte d'environ 100 000 documents
03:49 et objets que j'ai eu le bonheur de réunir entre 1963 et 2001.
03:57 Et il y aura quelques coups de projecteur, quelques exemples, parce qu'il y a eu une
04:05 obstination têtue et persévérante.
04:09 Il y a eu la chance.
04:10 Il y a eu des intuitions, sans doute.
04:14 Mais alors, c'est le communiqué numéro 104, en date du 29 novembre 1963.
04:24 Et quand je me suis aperçu en pensant à ces journées que 1963 c'était il y a 60
04:33 ans, je dois vous dire que sur le plan personnel, j'ai trouvé ça assez ahurissant.
04:39 Mais donc, il annonçait la création de ce musée par le secrétariat d'État, par le
04:47 Haut commissariat à la jeunesse et au sport, en liaison, ça c'est capital, avec le ministère
04:53 des Affaires culturelles et la nomination d'un responsable du projet.
04:58 Alors évidemment, j'ai le vertige, comment vous résumer, comment s'insister en 15 minutes
05:05 et j'ai déjà consommé environ 180 secondes, ce qu'ont été les 40 années qui ont suivi.
05:12 Parce que, soyez-en bien conscients, les collections n'existaient pas.
05:18 Le lieu d'implantation n'avait pas été déterminé.
05:22 Il n'y avait pas le moindre personnel.
05:25 Et surtout, l'idée même de mettre le sport en musée, elle était loin d'être prise
05:34 au sérieux.
05:35 Mais pourtant, il allait falloir se mettre en route.
05:39 Se mettre en route, mais il a fallu attendre 25 années de dur combat, parce qu'on imaginait
05:47 bien que sur tous les fronts, il y aurait des batailles innombrables et c'est bien ce
05:51 qui s'est passé. Il a donc fallu attendre 25 ans pour qu'en février 1988, soient inaugurées
05:59 les premières galeries permanentes du musée au stade du Parc des Princes, ce qui n'était
06:05 pas sans inconvénients, mais au moins le musée avait désormais un lieu, un site dédié.
06:11 Et le 5 novembre 1990, une décision de Roger Bambu, qui était à l'époque ministre des
06:20 sports, avec l'accord de Jack Lang, ministre de la Culture, faisait du musée le musée
06:30 national du sport officiellement.
06:33 Et ensuite, il est devenu un des musées de la direction des musées de France, bien
06:37 entendu.
06:38 J'ai dit que, parce qu'il faut comprendre que la constitution d'une mémoire et d'une
06:48 histoire du sport, conçue pas du tout comme un mausolée des champions et de leur performance,
06:54 ça ce sont les Halls of Fame. Mais comme la saisie d'un phénomène culturel global,
07:01 c'était bien entendu l'ambition dès le début.
07:05 Alors il avait été question d'un musée des sports, mais il était clair qu'il fallait
07:11 dépasser la juxtaposition, l'accumulation des diverses disciplines. Ce qui était important,
07:18 c'est la saisie d'un fait social en plein développement, en constante évolution,
07:24 d'où l'affirmation dès le début de la conception d'un musée du sport.
07:30 Alors j'ai dit que les collections n'existaient pas. Or, l'essence d'un musée, ce qui rend
07:38 tangible le sujet qui est sa raison d'être, ce sont les collections. Il n'y avait rien.
07:45 Ce qui avait été rassemblé par l'école de Joinville entre les deux guerres avait,
07:50 on l'a rappelé, été pillé durant la seconde guerre mondiale. Donc, il fallait prendre
07:57 la route, il fallait se mettre en chasse, prendre son bâton de pèlerin pour rassembler
08:04 des objets significatifs, mais ça ce n'est pas notre propos, et une documentation spécifique
08:13 est multiple qui pourrait être le corpus, le matériau de travail pour les chercheurs
08:22 et pour le public. Et c'est cet aspect-là sur lequel j'aurais voulu insister et en
08:29 vous donnant quelques exemples. Oui, parce que tant de visages et de circonstances me
08:35 viennent à l'esprit, est-ce que je peux parler d'une méthode qui fut la nôtre ? Eh bien
08:42 non. Ce qu'il fallait c'est être à l'affût et chaque fois qu'il y avait une chance, essayer
08:48 de la saisir. Alors, je pense par exemple à un petit bonhomme, Roger Despagna, vers
08:57 lequel nous aiguilla Marie-Thérèse Eckem, et qui se trouvait avoir été avant la guerre
09:02 de 14 le très jeune secrétaire de Pierre de Coubertin qui avait en lui et pour cause
09:08 beaucoup de confiance. Alors Roger Despagna, que je rencontrais, nous remit un certain
09:15 nombre de manuscrits originaux de Coubertin, une partie des 137 manuscrits de Coubertin
09:22 que nous allions rassembler. Je pense à un coup de téléphone que je reçois un jour
09:27 d'un monsieur qui se présente comme Jean Dommard, président du comité de Paris de
09:32 la gymnastique, et qui me tient le discours suivant "la fédération de gymnastique change
09:40 la disposition de ces comités, il faut que dans les 8 jours j'ai quitté notre local
09:46 près de la rue Bergère et nous allons nous débarrasser d'un grand nombre de documents,
09:53 est-ce que ça vous intéresse ? Vous parlez ? Bien entendu, je n'avais rien comme moyen,
09:59 mais deux jours après avec une camionnette, j'étais devant le local en question et j'ai
10:06 engrangé une somme de documents sur les âges héroïques évoqués il y a un instant de
10:12 la gymnastique qui était un véritable bonheur. Alors des exemples comme ça j'en aurais
10:18 beaucoup. En 1978, au musée des arts et traditions populaires, ce musée inventé par celui qui
10:27 fut mon maître et ce même zoologiste, ce génie qui s'appelait Georges-Henri Rivière,
10:32 Paul Dijoux annonçait une exposition du musée qui s'appelait "Naissance du musée du sport
10:38 français". Vous vous rappelez que j'ai dit qu'en fait l'inauguration aura eu lieu 10
10:43 ans plus tard. Et nous avons eu droit au trésor de Georges de Cône. Et deux jours après,
10:51 j'ai vu apparaître un monsieur aux cheveux blancs et des lunettes qui s'est présenté
10:57 comme Robert Marcadet, fils de Jules Marcadet, l'un des grands pionniers du sport français
11:05 avec Georges de Sinclair et qui nous a fait don tout en en laissant une partie pour le
11:11 stade d'un ensemble de documents tout à fait prodigieux dont les registres des toutes
11:16 les premières compétitions de l'USFSA. Bon, je prends un dernier cas, c'est celui
11:23 de 5 télégrammes que j'ai trouvé dans une boîte à chaussures. C'était au premier
11:31 étage dans un appartement désaffecté au-dessus d'un garage à Lens où je me trouvais avec
11:41 une belle soeur de Maurice Garin, le vainqueur du premier tour de France, soeur de sa cinquième
11:47 femme car ce petit bonhomme avait évidemment beaucoup de vitalité. Or, ces 5 télégrammes,
11:53 un petit peu mangés par les souris, étaient absolument passionnants parce qu'ils avaient
11:59 été envoyés à Lens à l'époque par le correspondant de l'auto et de contrôle en
12:08 contrôle, ils indiquaient le déroulement de la première étape, le dernier télégramme
12:15 étant Maurice Garin seul à Lyon. Alors j'arrête là parce que bien entendu chaque objet et
12:23 chaque document du musée aurait son histoire. Mais le fait est là, nous étions partis
12:30 de zéro et maintenant nous avons sauvé, préservé un patrimoine national qui est
12:38 conservé avec tout le sérieux nécessaire et très bien exploité par le musée national
12:45 du sport qui est actuellement à Nice. Quand en 1993, Éliane Barozo et Émilie Vaillant
12:54 ont publié un volume qui était "Musée et société" et qui regroupait les actes du
13:06 colloque de Mulhouse 1991 et un répertoire analytique des musées avec leurs rôles et
13:14 leurs objets, leurs projets de 1980 à 1993. Eh bien, le musée national du sport, il y
13:23 a tout naturellement trouvé sa place avec son concept ainsi libellé "insertion et évolution
13:33 du phénomène sportif dans la vie de la société française". Alors j'en ai terminé. J'ai
13:42 terminé et bien sûr je voudrais que vous me permettiez de prendre ma part de l'absolue
13:52 nécessité des archives de leur puissance intellectuelle et pratique et j'aurais aussi
14:03 deux questions pour l'avenir et ça je ne peux pas m'en empêcher. Au moment où les
14:09 outils de saisie, de transmission, de diffusion connaissent une obsolescence galopante et
14:22 de plus en plus croissante, comment va-t-on imaginer de préserver à travers les siècles
14:30 des siècles un disque dur dont un noyau, dont d'ailleurs les clés d'accès auront
14:39 évidemment un jour disparu ? On se pose la question. Et puis, ça a été souvent évoqué
14:45 ici, comment va-t-on dans ce monde virtuel qui s'impose à nous et où nous vivons déjà,
14:54 comment est-ce qu'on va archiver la myriade des mails qui se multiplient à l'infini,
15:03 comment va-t-on pouvoir en garder la trace ? Je vous remercie beaucoup de votre attention.
15:10 Merci beaucoup.
15:11 [Applaudissements]
15:13 [Silence]