Ouverture par Clément BLANC, responsable du centre de sigillographie et d’héraldique des Archives nationales
Les Archives nationales proposent, depuis 2015, Retour aux sources, un cycle de conférences où des lecteurs qui ont fréquenté nos salles de lecture présentent au public leurs réflexions et travaux issus de l’exploitation de fonds d’archives. La séance du mardi 26 mars 2024 qui s'est tenue dans les salons de l’hôtel de Soubise était consacrée « Aux sources du symbole au Moyen Âge. Le règne animal et végétal ».
Les Archives nationales proposent, depuis 2015, Retour aux sources, un cycle de conférences où des lecteurs qui ont fréquenté nos salles de lecture présentent au public leurs réflexions et travaux issus de l’exploitation de fonds d’archives. La séance du mardi 26 mars 2024 qui s'est tenue dans les salons de l’hôtel de Soubise était consacrée « Aux sources du symbole au Moyen Âge. Le règne animal et végétal ».
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ÉducationTranscription
00:00Merci d'être venus si nombreux dans cet endroit absolument magnifique.
00:18On a échappé à l'albâtre pour les ors du Palais de Souvis,
00:22un endroit magnifique, plein de plantes et d'animaux.
00:24J'en vois quelques-uns, donc ça correspond à peu près au sujet.
00:27Donc d'être venus pour cette nouvelle journée des sources consacrées
00:32aux deux règnes de l'Issy-Bas, celui des animaux et des plantes,
00:35aux règnes traités sous l'angle de la pensée symbolique et plus
00:39largement sous celui des images.
00:41Avant de commencer mon propos, je voudrais rendre à César ce qui
00:45lui appartient et remercier Christel Tabus qui vient de disparaître
00:48pour ce qui a imaginé et mis en oeuvre cette séance et puis tous
00:51ceux qui ont contribué à son organisation, sans oublier notre
00:54collègue Valérie de Vulf qui, dans le vestibule du Caran,
00:57nous a rassemblés un certain nombre d'images de sceaux qui
01:02prolongeront les propos qui vont être tenus ici.
01:05Je vous rappelle que le principe de ces demi-journées est lié au fait
01:08de convier des auteurs dont les travaux ont exploité les sources
01:11conservées dans ces murs.
01:13Cette séance offre toutefois un cas particulier puisqu'elle ne
01:16coïncide pas tout à fait avec ce principe car si nous avons
01:18invité notre collègue Pierre Mureau pour le livre qu'il vient
01:21de faire paraître, nous aurons aussi le plaisir d'écouter
01:24Michel Pastoureau qui est aimablement accepté, avec les talents
01:27de conteur qu'on lui connaît, de venir nous parler de ses premiers
01:30travaux sur les animaux, un de ses thèmes de prédilection.
01:33Et puis, nous aurons aussi le plaisir d'écouter Madame Anis
01:36Blaisbois, jeune chercheuse, émergée dans son travail de recherche
01:39de thèse consacrée au très beau sujet du verger.
01:42Ainsi, l'œuvre du maître, un livre de Pierre et un work in
01:46progress nous réussit, réunissent cet après-midi.
01:49Alors, j'aime, parfaitement, j'aime dire cette sentence que
01:54j'ai entendue plusieurs fois dans la bouche de notre ami Jean-Luc
01:56Chassel, ici présent.
01:57Il n'existe pas de petite source.
01:59Je ne sais pas si la sentence est de lui, mais je la trouve
02:02excellente.
02:03J'ajoute toutefois que s'il n'existe pas de petite source,
02:05auquoi je souscris pleinement, force est de reconnaître que
02:09longtemps, certaines d'entre elles furent négligées.
02:11Et à tout vous dire, je ne suis pas persuadé qu'une journée
02:14comparable ait pu être organisée ici, il y a encore 40 ans.
02:17Michel Pastoureau nous dira, j'en suis sûr, combien le sujet
02:20qu'il avait choisi pour sa thèse consacrée aux bestiaires avait
02:23pu apparaître incongru aux yeux de certains de ses professeurs.
02:26C'est que les sujets qui nous rassemblent ici manifestent,
02:30à leur mesure, les changements importants d'une approche
02:33historienne qui a su se saisir d'une multitude de sources.
02:37Pensez peut-être à l'origine petite, pensez à tout le
02:39mois auxiliaire.
02:40Je pense aux sceaux, bien sûr, je pense à l'héraldique,
02:43je pense aux devises, mais je pense plus globalement
02:45aux images.
02:46Les médiévistes ont été sans doute les premiers à se saisir
02:49de cette question centrale en dépassant souvent les catégories
02:52académiques, parfois aux grandes dames des historiens de l'art.
02:55Ils ont su intégrer les corpus imagés à leurs travaux en
02:58considérant que les images ne peuvent pas être réduites aux
03:01seules utilités de l'illustration.
03:03Elles font désormais partie intégrante de la réflexion
03:05historienne parce qu'au-delà de leur nécessaire contextualisation,
03:08elles sont de manière intrinsèque, porteuses de connaissances.
03:12Cette connaissance n'est pas simplement iconographique.
03:15A la vérité, après deux siècles d'histoire de l'art,
03:17les questions d'identification des sujets du légendaire chrétien
03:20ne posent plus guère de difficultés.
03:22Jean Wirth nous a même appris que les grands cycles iconographiques
03:25des cathédrales gothiques ressortent davantage d'un remplissage
03:28que d'une pensée programmatique à haute visée.
03:31Cette connaissance va bien au-delà, elle y va par la prise en compte
03:35de l'univers intellectuel dont procèdent les images,
03:38mais aussi par ce dont elles témoignent et parfois presque
03:40malgré elles, en nous dévoilant une autre vision du monde.
03:43Ces historiens ont rendu, si je puis dire,
03:45toute leur dignité aux images.
03:47Pour ne prendre que l'essau, le corpus que je connais
03:49le moins mal, ils condensent sur leur petite surface une quantité
03:53d'informations remarquables, illustrant ou contribuant
03:56à illustrer des sujets allant du formalisme diplomatique
03:59aux problématiques de création artistique, en passant par
04:02l'histoire du droit, des institutions, de la politique,
04:05du discours idéologie, des représentations sociales
04:08et d'un certain nombre de pratiques culturelles.
04:09Il en va de même de l'héraldique qui, au bien au-delà des questions
04:12de preuves, illustre un pas entier de l'histoire des lignées
04:15et de leurs alliances dans le cadre des systèmes de parenté,
04:18sans parler du marquage politique d'un territoire.
04:21Je pourrais bien évidemment allonger la liste en citant
04:24l'héraldique imaginaire cher Michel et puis tout ce qui a trait
04:27à l'univers considérable de l'emblématique au sens le plus
04:30large du terme.
04:32Au XIXe siècle et peut-être encore tard dans le siècle
04:34suivant, le fait de traiter séparément le monde des images
04:37et celui du texte apparaît sûrement comme une erreur dont
04:40nous pâtissons peut-être encore de nos jours.
04:43Textes et images appartiennent au même univers mental,
04:45même s'ils connaissent évidemment des usages différentiels.
04:48Voilà bien un truisme, tant pis, je poursuis.
04:51La relation entre eux, entre l'image et le texte,
04:53est immédiate lorsque l'on songe au seau, combinant une image
04:55catégorisant les personnes et un texte qui les personnalise.
04:59Il est davantage encore lorsque l'on pense au beau sujet
05:01des chars ornés, mais aussi à l'immense corpulence
05:04enluminée où les images viennent parfois de manière facétieuse
05:07et désobligeante commenter le texte.
05:11Et puis les bestiaires, les lapidaires, tout ce que
05:13l'encyclopédisme médiéval a pu produire, sont presque
05:15nécessairement illustrés.
05:17N'oublions pas les armoriaux, véritables albums légendaires.
05:20N'oublions pas que si les cathédrales ne sont pas la Bible
05:22des ignorants, elles sont évidemment l'expression imagée
05:25de textes sacrés et légendaires.
05:27Alors aux archives, ces images sont nombreuses, elles sont
05:30même surabondantes.
05:31J'aime à dire que le corpus des sceaux, que je connais un peu
05:34mieux, forme l'un des plus abondants corpus d'images que nous
05:38allégait le Moyen Âge.
05:39En tout cas, si l'on songe que chaque seau de cire témoigne
05:42de la réalité d'une matrice métallique disparue,
05:45nous avons là, à tout le moins, le plus abondant corpus
05:47d'enfermerie médiévale préservé des malheurs des temps.
05:50Malgré de très grandes pertes, cette surabondance nous enseigne
05:53l'humilité en rendant parfois difficultueux le travail
05:56de synthèse.
05:57Il n'y a pas de source sans traitement documentaire et nous
06:01sommes encore très largement tributaires de l'effort
06:03considérable consenti par nos lointains prédécesseurs pour
06:06rassembler, décrire et organiser le matériau.
06:09L'hommage sincère que nous leur rendons ne doit pas nous éloigner
06:13de la nécessaire critique, critique des sources,
06:16critique des sources, mais surtout critique du traitement
06:18des sources.
06:19L'organisation des fonds et des collections nous enseignent
06:22tout autant que les mondes qui les ont conçus que sur les époques
06:25qu'elles sont censées décrire.
06:26Les sceaux n'échappent pas à cette règle et nous devons
06:29tant faire ce peu, nous extraire parfois de la grande
06:32machinerie documentaire pour tenter de regarder ces témoignages
06:35du passé avec des yeux sans écailles.
06:37Le principe même de la collection, ému par un discours que nous
06:41devons saisir pour ne pas tomber dans son piège.
06:43Progond garde à l'effet de liste, prenons garde au plan de classement,
06:47au cadre méthodique et à tout l'attirail savant qui nous empêche
06:50parfois de voir.
06:51Je me souviens de la conférence où Michel Pastoureau expliquait
06:56que les médiévaux ne représentaient pas l'arc-en-ciel tel
06:58qu'il est dans le ciel.
06:59Ce qui m'a alors le plus frappé, c'est que je ne m'en étais
07:02jamais rendu compte.
07:04Je n'avais pas vu ce qui désormais me saute aux yeux.
07:06L'histoire, c'est aussi une histoire du regard.
07:09Ce regard, c'est aussi celui du curieux.
07:12Le regard de celui qui se méfie de ses propres inclinaisons et de tout
07:15ce qui semble aller de soi pour essayer de s'approcher le plus
07:18de la manière dont nos ancêtres voyaient les choses au-delà
07:21du magnifique ordre régnant dans nos inventaires et nos catalogues.
07:24Retourner à la source, c'est bien souvent retourner à
07:27une source secondaire, c'est-à-dire se replonger dans
07:30les savants travaux de nos prédécesseurs.
07:32Et pour l'archiviste, lorsqu'il en a les moyens, d'enrichir
07:35ces mêmes travaux en introduisant tout ce qui est en logique.
07:38Tout ce qui est dans la logique documentaire d'une époque ne
07:40paraissait pas alors utile, car les images ne sont pas seulement
07:43des images.
07:44Elles sont aussi des objets.
07:46Elles s'inscrivent dans un environnement matériel.
07:48Elles sont faites de peau, de cire, de plomb, d'alliage, de pierre,
07:51de couleur, d'ivoire, de morse, que ces matériaux ont été
07:54transformés dans des ateliers, eux-mêmes inscrits dans des
07:57milieux, eux-mêmes soumis à des évolutions internes.
08:00Les beaux discours linéaires d'autrefois sont bien souvent la
08:03contrepartie paradoxale de la pénurie d'informations,
08:05englosent plus facilement sur l'absence.
08:07L'abondance des sources nous empêche avantageusement de
08:10tourner en rond et limite les effets d'une méthode comparatiste
08:13qui, de part en part, peut nous conduire fort loin de notre
08:16point de départ.
08:17Les Anglo-Saxons et leur goût pour les concepts ont forgé
08:20celui de matérialité.
08:21Employé à bon escient, il est très utile, ne serait-ce que
08:24pour contrecarrer une approche segmentée, encore teintée d'une
08:27certaine forme d'idéalisme.
08:29Le travail de Pierre Bureau en apporte une démonstration
08:31flagrante.
08:33Sous le vocalble d'images se dissimulent de nombreuses
08:35catégories d'items, symboles, emblèmes, attributs, certains
08:39diagrammes, des schémas, des imagos, illustrations, ornements,
08:43représentations, j'en oublie sans doute.
08:45Ces vogapes définissent des usages, mais ces usages souvent
08:48se recoupent.
08:49Notre goût pour la catégorisation, ou plutôt notre conception
08:52des catégories, est très sensiblement éloigné de celui
08:55des médiévaux.
08:56Un seau est produit par un outil, une matrice, lui-même inscrit
09:00dans des chaînes opératoires propres allant de l'extraction
09:03du métal à sa fonte et à sa gravure.
09:05Un seau est aussi un outil juridico-diplomatique, un outil
09:08de représentation sociale, un objet de cire ou de plomb
09:11appendu à un acte de peau.
09:12Dans certains cas, l'image qu'il porte confère protection
09:15à son propriétaire.
09:16Il est aussi un objet physique dont la forme fournit des informations
09:20sur la nature sociale de son propriétaire.
09:22Il est un objet de cire dont les couleurs, à leur tour,
09:24peuvent posséder une valeur diplomatique, symbolique
09:27ou emblématique.
09:29Je pourrais poursuivre en vous parlant des graveurs de seaux,
09:31de l'archivage des actes et, bien entendu, du traitement
09:33sigilographique et aussi, peut-être, de la journée
09:36qui nous réunit aujourd'hui.
09:38Pour fourbir ces armes, l'historien qui s'empare
09:40d'une notion comme le verger peut, si j'ose dire, se contenter
09:44de décrire un lieu de production agricole.
09:46Mais il peut aussi enrichir sa réflexion en passant l'objet
09:49de son étude à la question, en le replaçant dans le large
09:52champ de la symbolique chrétienne et de l'univers courtois.
09:55Sans parler de l'emblématique des seigneurs de Vergy.
09:58Voilà donc les pistes que nous allons suivre cet après-midi
10:01autour des deux règnes du monde sensible.
10:04L'univers foisonnant des animaux, source de matières premières,
10:08peau aussi, ivoire, animaux auxquels la pensée médiévale confère
10:11un statut de créature munie d'une âme, statut sans doute plus
10:15enviable que celui que nous infusions aux bêtes de nos jours.
10:17Au Moyen Âge, les animaux sont parés de vertus et de vices.
10:20Ce sont même des êtres envoyés à autre chose qu'à eux-mêmes.
10:23Mais ce sont aussi des animaux emblématiques exprimant les vices
10:26et les vertus des hommes.
10:28Il en va de même des plantes, les arbres des forêts inquiétantes,
10:31peuplées de créatures bien réelles, ceux des Vergers exploités
10:34pour leurs fruits, eux aussi parés de vertus, images terrestres
10:38du paradis, lieux palissadés propices aux émois courtois.
10:42Sans plus attendre, je vais laisser la parole à notre collègue
10:45Pierre Bureau.
10:46Pour le présenter rapidement, Pierre a déçu des intérêts
10:49d'une très grande diversité.
10:50Je ne vais pas lister, c'est tout à fait considérable.
10:53Il possède bien le regard du curieux.
10:55Après des travaux sur la symbolique vestimentaire débutés
10:58dans ses jeunes années universitaires, il a publié,
11:00il y a quelques années, une dizaine d'années, déjà aux éditions
11:03du Léopard d'Or, maison qui, grâce au très regretté Patrice
11:07de Laperrieur, a tant oeuvré pour nos disciplines, une étude
11:09consacrée à un chirographe dont la devise est constituée
11:12du corps du crucifié, corps partagé en deux au moment
11:16de la distribution des parties de l'acte et dans deux parties
11:19pas tout à fait égales.
11:20Il poursuit cette fois-ci avec un ouvrage consacré à certains
11:23sourds, mais je lui laisse la parole.