• il y a 6 mois
Ouverture
Par Clément BLANC, responsable du centre de
sigillographie et d’héraldique des Archives nationales
Transcription
00:00Merci d'être venus si nombreux dans cet endroit absolument magnifique.
00:18On a échappé à l'albâtre pour les ors du Palais de Souvis,
00:22un endroit magnifique, plein de plantes et d'animaux.
00:24J'en vois quelques-uns, donc ça correspond à peu près au sujet.
00:27Donc d'être venus pour cette nouvelle journée des sources consacrées
00:32aux deux règnes de l'Issy-Bas, celui des animaux et des plantes,
00:35aux règnes traités sous l'angle de la pensée symbolique et plus
00:39largement sous celui des images.
00:41Avant de commencer mon propos, je voudrais rendre à César ce qui
00:45lui appartient et remercier Christel Tabus qui vient de disparaître
00:48pour ce qui a imaginé et mis en oeuvre cette séance et puis tous
00:51ceux qui ont contribué à son organisation, sans oublier notre
00:54collègue Valérie de Vulf qui, dans le vestibule du Caran,
00:57nous a rassemblés un certain nombre d'images de sceaux qui
01:02prolongeront les propos qui vont être tenus ici.
01:05Je vous rappelle que le principe de ces demi-journées est lié au fait
01:08de convier des auteurs dont les travaux ont exploité les sources
01:11conservées dans ces murs.
01:13Cette séance offre toutefois un cas particulier puisqu'elle ne
01:16coïncide pas tout à fait avec ce principe car si nous avons
01:18invité notre collègue Pierre Mureau pour le livre qu'il vient
01:21de faire paraître, nous aurons aussi le plaisir d'écouter
01:24Michel Pastoureau qui est aimablement accepté, avec les talents
01:27de conteur qu'on lui connaît, de venir nous parler de ses premiers
01:30travaux sur les animaux, un de ses thèmes de prédilection.
01:33Et puis, nous aurons aussi le plaisir d'écouter Madame Anis
01:36Blaisbois, jeune chercheuse, émergée dans son travail de recherche
01:39de thèse consacrée au très beau sujet du verger.
01:42Ainsi, l'œuvre du maître, un livre de Pierre et un work in
01:46progress nous réussit, réunissent cet après-midi.
01:49Alors, j'aime, parfaitement, j'aime dire cette sentence que
01:54j'ai entendue plusieurs fois dans la bouche de notre ami Jean-Luc
01:56Chassel, ici présent.
01:57Il n'existe pas de petite source.
01:59Je ne sais pas si la sentence est de lui, mais je la trouve
02:02excellente.
02:03J'ajoute toutefois que s'il n'existe pas de petite source,
02:05auquoi je souscris pleinement, force est de reconnaître que
02:09longtemps, certaines d'entre elles furent négligées.
02:11Et à tout vous dire, je ne suis pas persuadé qu'une journée
02:14comparable ait pu être organisée ici, il y a encore 40 ans.
02:17Michel Pastoureau nous dira, j'en suis sûr, combien le sujet
02:20qu'il avait choisi pour sa thèse consacrée aux bestiaires avait
02:23pu apparaître incongru aux yeux de certains de ses professeurs.
02:26C'est que les sujets qui nous rassemblent ici manifestent,
02:30à leur mesure, les changements importants d'une approche
02:33historienne qui a su se saisir d'une multitude de sources.
02:37Pensez peut-être à l'origine petite, pensez à tout le
02:39mois auxiliaire.
02:40Je pense aux sceaux, bien sûr, je pense à l'héraldique,
02:43je pense aux devises, mais je pense plus globalement
02:45aux images.
02:46Les médiévistes ont été sans doute les premiers à se saisir
02:49de cette question centrale en dépassant souvent les catégories
02:52académiques, parfois aux grandes dames des historiens de l'art.
02:55Ils ont su intégrer les corpus imagés à leurs travaux en
02:58considérant que les images ne peuvent pas être réduites aux
03:01seules utilités de l'illustration.
03:03Elles font désormais partie intégrante de la réflexion
03:05historienne parce qu'au-delà de leur nécessaire contextualisation,
03:08elles sont de manière intrinsèque, porteuses de connaissances.
03:12Cette connaissance n'est pas simplement iconographique.
03:15A la vérité, après deux siècles d'histoire de l'art,
03:17les questions d'identification des sujets du légendaire chrétien
03:20ne posent plus guère de difficultés.
03:22Jean Wirth nous a même appris que les grands cycles iconographiques
03:25des cathédrales gothiques ressortent davantage d'un remplissage
03:28que d'une pensée programmatique à haute visée.
03:31Cette connaissance va bien au-delà, elle y va par la prise en compte
03:35de l'univers intellectuel dont procèdent les images,
03:38mais aussi par ce dont elles témoignent et parfois presque
03:40malgré elles, en nous dévoilant une autre vision du monde.
03:43Ces historiens ont rendu, si je puis dire,
03:45toute leur dignité aux images.
03:47Pour ne prendre que l'essau, le corpus que je connais
03:49le moins mal, ils condensent sur leur petite surface une quantité
03:53d'informations remarquables, illustrant ou contribuant
03:56à illustrer des sujets allant du formalisme diplomatique
03:59aux problématiques de création artistique, en passant par
04:02l'histoire du droit, des institutions, de la politique,
04:05du discours idéologie, des représentations sociales
04:08et d'un certain nombre de pratiques culturelles.
04:09Il en va de même de l'héraldique qui, au bien au-delà des questions
04:12de preuves, illustre un pas entier de l'histoire des lignées
04:15et de leurs alliances dans le cadre des systèmes de parenté,
04:18sans parler du marquage politique d'un territoire.
04:21Je pourrais bien évidemment allonger la liste en citant
04:24l'héraldique imaginaire cher Michel et puis tout ce qui a trait
04:27à l'univers considérable de l'emblématique au sens le plus
04:30large du terme.
04:32Au XIXe siècle et peut-être encore tard dans le siècle
04:34suivant, le fait de traiter séparément le monde des images
04:37et celui du texte apparaît sûrement comme une erreur dont
04:40nous pâtissons peut-être encore de nos jours.
04:43Textes et images appartiennent au même univers mental,
04:45même s'ils connaissent évidemment des usages différentiels.
04:48Voilà bien un truisme, tant pis, je poursuis.
04:51La relation entre eux, entre l'image et le texte,
04:53est immédiate lorsque l'on songe au seau, combinant une image
04:55catégorisant les personnes et un texte qui les personnalise.
04:59Il est davantage encore lorsque l'on pense au beau sujet
05:01des chars ornés, mais aussi à l'immense corpulence
05:04enluminée où les images viennent parfois de manière facétieuse
05:07et désobligeante commenter le texte.
05:11Et puis les bestiaires, les lapidaires, tout ce que
05:13l'encyclopédisme médiéval a pu produire, sont presque
05:15nécessairement illustrés.
05:17N'oublions pas les armoriaux, véritables albums légendaires.
05:20N'oublions pas que si les cathédrales ne sont pas la Bible
05:22des ignorants, elles sont évidemment l'expression imagée
05:25de textes sacrés et légendaires.
05:27Alors aux archives, ces images sont nombreuses, elles sont
05:30même surabondantes.
05:31J'aime à dire que le corpus des sceaux, que je connais un peu
05:34mieux, forme l'un des plus abondants corpus d'images que nous
05:38allégait le Moyen Âge.
05:39En tout cas, si l'on songe que chaque seau de cire témoigne
05:42de la réalité d'une matrice métallique disparue,
05:45nous avons là, à tout le moins, le plus abondant corpus
05:47d'enfermerie médiévale préservé des malheurs des temps.
05:50Malgré de très grandes pertes, cette surabondance nous enseigne
05:53l'humilité en rendant parfois difficultueux le travail
05:56de synthèse.
05:57Il n'y a pas de source sans traitement documentaire et nous
06:01sommes encore très largement tributaires de l'effort
06:03considérable consenti par nos lointains prédécesseurs pour
06:06rassembler, décrire et organiser le matériau.
06:09L'hommage sincère que nous leur rendons ne doit pas nous éloigner
06:13de la nécessaire critique, critique des sources,
06:16critique des sources, mais surtout critique du traitement
06:18des sources.
06:19L'organisation des fonds et des collections nous enseignent
06:22tout autant que les mondes qui les ont conçus que sur les époques
06:25qu'elles sont censées décrire.
06:26Les sceaux n'échappent pas à cette règle et nous devons
06:29tant faire ce peu, nous extraire parfois de la grande
06:32machinerie documentaire pour tenter de regarder ces témoignages
06:35du passé avec des yeux sans écailles.
06:37Le principe même de la collection, ému par un discours que nous
06:41devons saisir pour ne pas tomber dans son piège.
06:43Progond garde à l'effet de liste, prenons garde au plan de classement,
06:47au cadre méthodique et à tout l'attirail savant qui nous empêche
06:50parfois de voir.
06:51Je me souviens de la conférence où Michel Pastoureau expliquait
06:56que les médiévaux ne représentaient pas l'arc-en-ciel tel
06:58qu'il est dans le ciel.
06:59Ce qui m'a alors le plus frappé, c'est que je ne m'en étais
07:02jamais rendu compte.
07:04Je n'avais pas vu ce qui désormais me saute aux yeux.
07:06L'histoire, c'est aussi une histoire du regard.
07:09Ce regard, c'est aussi celui du curieux.
07:12Le regard de celui qui se méfie de ses propres inclinaisons et de tout
07:15ce qui semble aller de soi pour essayer de s'approcher le plus
07:18de la manière dont nos ancêtres voyaient les choses au-delà
07:21du magnifique ordre régnant dans nos inventaires et nos catalogues.
07:24Retourner à la source, c'est bien souvent retourner à
07:27une source secondaire, c'est-à-dire se replonger dans
07:30les savants travaux de nos prédécesseurs.
07:32Et pour l'archiviste, lorsqu'il en a les moyens, d'enrichir
07:35ces mêmes travaux en introduisant tout ce qui est en logique.
07:38Tout ce qui est dans la logique documentaire d'une époque ne
07:40paraissait pas alors utile, car les images ne sont pas seulement
07:43des images.
07:44Elles sont aussi des objets.
07:46Elles s'inscrivent dans un environnement matériel.
07:48Elles sont faites de peau, de cire, de plomb, d'alliage, de pierre,
07:51de couleur, d'ivoire, de morse, que ces matériaux ont été
07:54transformés dans des ateliers, eux-mêmes inscrits dans des
07:57milieux, eux-mêmes soumis à des évolutions internes.
08:00Les beaux discours linéaires d'autrefois sont bien souvent la
08:03contrepartie paradoxale de la pénurie d'informations,
08:05englosent plus facilement sur l'absence.
08:07L'abondance des sources nous empêche avantageusement de
08:10tourner en rond et limite les effets d'une méthode comparatiste
08:13qui, de part en part, peut nous conduire fort loin de notre
08:16point de départ.
08:17Les Anglo-Saxons et leur goût pour les concepts ont forgé
08:20celui de matérialité.
08:21Employé à bon escient, il est très utile, ne serait-ce que
08:24pour contrecarrer une approche segmentée, encore teintée d'une
08:27certaine forme d'idéalisme.
08:29Le travail de Pierre Bureau en apporte une démonstration
08:31flagrante.
08:33Sous le vocalble d'images se dissimulent de nombreuses
08:35catégories d'items, symboles, emblèmes, attributs, certains
08:39diagrammes, des schémas, des imagos, illustrations, ornements,
08:43représentations, j'en oublie sans doute.
08:45Ces vogapes définissent des usages, mais ces usages souvent
08:48se recoupent.
08:49Notre goût pour la catégorisation, ou plutôt notre conception
08:52des catégories, est très sensiblement éloigné de celui
08:55des médiévaux.
08:56Un seau est produit par un outil, une matrice, lui-même inscrit
09:00dans des chaînes opératoires propres allant de l'extraction
09:03du métal à sa fonte et à sa gravure.
09:05Un seau est aussi un outil juridico-diplomatique, un outil
09:08de représentation sociale, un objet de cire ou de plomb
09:11appendu à un acte de peau.
09:12Dans certains cas, l'image qu'il porte confère protection
09:15à son propriétaire.
09:16Il est aussi un objet physique dont la forme fournit des informations
09:20sur la nature sociale de son propriétaire.
09:22Il est un objet de cire dont les couleurs, à leur tour,
09:24peuvent posséder une valeur diplomatique, symbolique
09:27ou emblématique.
09:29Je pourrais poursuivre en vous parlant des graveurs de seaux,
09:31de l'archivage des actes et, bien entendu, du traitement
09:33sigilographique et aussi, peut-être, de la journée
09:36qui nous réunit aujourd'hui.
09:38Pour fourbir ces armes, l'historien qui s'empare
09:40d'une notion comme le verger peut, si j'ose dire, se contenter
09:44de décrire un lieu de production agricole.
09:46Mais il peut aussi enrichir sa réflexion en passant l'objet
09:49de son étude à la question, en le replaçant dans le large
09:52champ de la symbolique chrétienne et de l'univers courtois.
09:55Sans parler de l'emblématique des seigneurs de Vergy.
09:58Voilà donc les pistes que nous allons suivre cet après-midi
10:01autour des deux règnes du monde sensible.
10:04L'univers foisonnant des animaux, source de matières premières,
10:08peau aussi, ivoire, animaux auxquels la pensée médiévale confère
10:11un statut de créature munie d'une âme, statut sans doute plus
10:15enviable que celui que nous infusions aux bêtes de nos jours.
10:17Au Moyen Âge, les animaux sont parés de vertus et de vices.
10:20Ce sont même des êtres envoyés à autre chose qu'à eux-mêmes.
10:23Mais ce sont aussi des animaux emblématiques exprimant les vices
10:26et les vertus des hommes.
10:28Il en va de même des plantes, les arbres des forêts inquiétantes,
10:31peuplées de créatures bien réelles, ceux des Vergers exploités
10:34pour leurs fruits, eux aussi parés de vertus, images terrestres
10:38du paradis, lieux palissadés propices aux émois courtois.
10:42Sans plus attendre, je vais laisser la parole à notre collègue
10:45Pierre Bureau.
10:46Pour le présenter rapidement, Pierre a déçu des intérêts
10:49d'une très grande diversité.
10:50Je ne vais pas lister, c'est tout à fait considérable.
10:53Il possède bien le regard du curieux.
10:55Après des travaux sur la symbolique vestimentaire débutés
10:58dans ses jeunes années universitaires, il a publié,
11:00il y a quelques années, une dizaine d'années, déjà aux éditions
11:03du Léopard d'Or, maison qui, grâce au très regretté Patrice
11:07de Laperrieur, a tant oeuvré pour nos disciplines, une étude
11:09consacrée à un chirographe dont la devise est constituée
11:12du corps du crucifié, corps partagé en deux au moment
11:16de la distribution des parties de l'acte et dans deux parties
11:19pas tout à fait égales.
11:20Il poursuit cette fois-ci avec un ouvrage consacré à certains
11:23sourds, mais je lui laisse la parole.

Recommandations