Le Bestiaire des armoiries médiévales.
Par Michel PASTOUREAU, historien des couleurs et des
symboles, directeur émérite de l’Ecole pratique des hautes
étude
Par Michel PASTOUREAU, historien des couleurs et des
symboles, directeur émérite de l’Ecole pratique des hautes
étude
Category
📚
ÉducationTranscription
00:00 -Tout le monde vous connaît, Michel. Tout le monde vous a lu.
00:03 Au-delà du cercle des spécialistes,
00:05 puisque vous êtes aussi un auteur à succès
00:08 et que vous avez contribué à diffuser ces sujets merveilleux
00:13 auprès d'un large public, un public plus large,
00:15 moi, la 1re fois que je vous ai vu, c'était "Apostrophe",
00:18 dans les années 4e, j'étais petit.
00:20 Pas si petit que ça, mais j'étais petit.
00:22 Et j'ai vu "Apostrophe" dans les années 50,
00:25 et j'ai vu "Apostrophe" dans les années 60,
00:28 et j'étais petit, pas si petit que ça, mais j'étais petit.
00:31 Et dès cet âge-là, j'ai été émerveillé
00:33 par votre talent de conteur, et je crois que c'est compliment
00:36 de vous dire que vous savez raconter les histoires
00:38 et vous nous en portez toujours,
00:40 grâce à votre goût pour l'anecdote et votre sensibilité,
00:43 dans des mondes que nous ignorons souvent beaucoup
00:47 et que vous nous faites découvrir.
00:49 Alors, vos sujets de prédilection sont considérables,
00:53 les animaux, les couleurs, nous le savons tous.
00:56 L'héraldique imaginaire vous a occupé.
00:58 Il y a des périodes dans votre carrière, dans votre oeuvre
01:03 où des sujets sont particulièrement étudiés.
01:05 Depuis quelques années, on apprécie beaucoup
01:07 cette égo-histoire merveilleuse que vous nous faites partager
01:10 avec vos souvenirs, vos souvenirs de couleurs.
01:14 Vous êtes un auteur.
01:16 Et lors que vous avez commencé, je vous ai déjà entendu nous dire
01:19 que lorsque vous aviez proposé votre sujet
01:22 sur le bestiaire héraldique médiéval,
01:24 vous aviez vu quelques préventions,
01:26 en face de vous, une sorte de réticence
01:28 car le sujet était très neuf.
01:30 Et c'est bien ce qui vous caractérise.
01:31 Vous vous saisissez de sujets qui sont là, qui attendent.
01:35 Vous avez une expression.
01:36 Je ne sais pas si vous vous en êtes rendu compte.
01:38 Vous dites souvent que tel sujet attend son historien.
01:41 C'est une expression à vous.
01:42 Et je crois qu'avec beaucoup de sujets,
01:44 l'historien est arrivé et vous les avez décrits.
01:48 Donc j'arrête ce panégyrique et honté, mais mérité.
01:53 Et je vais vous laisser la parole
01:54 pour nous parler de ce sujet merveilleux
01:56 que sont les animaux à travers le monde de l'héraldique,
02:01 que vous avez contribué avec certains autres,
02:03 mais contribué à faire sortir d'une certaine ornière
02:06 pour nous en montrer tout l'intérêt historiographique
02:09 et tout le caractère merveilleux.
02:11 Je vous laisse la parole, Jean-Luc.
02:13 -Merci beaucoup, Clément.
02:22 Quand j'ai pris ma retraite,
02:24 mes étudiants et auditeurs
02:27 ont fait un relevé de mes thèmes de langage
02:30 au cours de 40 ans d'enseignement
02:33 à l'école pratique des hautes études et ailleurs.
02:35 Et parmi les thèmes, il y avait en effet l'expression
02:38 "Tel sujet attend encore ses historiens".
02:41 Je disais ça assez souvent.
02:43 Bien. Bonjour à toutes, bonjour à tous.
02:48 Moi, j'ai pris l'expression "Retour aux sources,
02:50 "aux sens propres".
02:53 C'est le titre de cet après-midi
02:54 et de ces séances d'une demi-journée.
02:58 Donc je vous propose un retour aux sources
03:00 qui ont été les miennes quand j'ai travaillé
03:02 à ma thèse d'école d'Eschart,
03:05 pour l'essentiel ici, aux archives nationales.
03:08 Donc je vous propose un regard 55 ans en arrière,
03:12 qui aura surtout valeur historiographique,
03:16 autour de mon sujet de thèse,
03:19 qui avait pour titre "Le bestiaire héraldique au Moyen Âge".
03:23 Et comme Clément vient de le dire,
03:25 j'ai eu quelques difficultés
03:27 pour imposer ce sujet de thèse à l'école d'Eschart.
03:31 Ca ne semblait pas sérieux.
03:32 C'était juste après mai 68,
03:35 et l'école d'Eschart avait très, très peur
03:38 de paraître ringarde par rapport à tout ce qui était
03:41 en train de se transformer.
03:43 Et alors, un sujet de thèse pareil s'assemblait
03:47 à la fois ringard et réactionnaire,
03:50 l'héraldique, vous pensez,
03:52 et puis les animaux,
03:54 c'est-à-dire un sujet, un objet d'histoire
03:57 qui n'avait pas sa place dans le monde universitaire.
04:01 C'était donc à la fin des années 60.
04:04 Et l'animal, c'était même pas la petite histoire,
04:08 c'était la petite, petite histoire.
04:11 C'était donc vraiment un sujet ridicule.
04:13 Et alors, mais qui venait de moi,
04:16 je voulais me faire plaisir avec un tel sujet.
04:19 Et mes maîtres, qui m'aimaient bien,
04:21 ont cherché à me faire changer de sujet.
04:25 Et j'ai failli céder,
04:27 j'ai failli partir sur un sujet sur les termes de couleur
04:31 en latin classique, puisque j'aimais bien la philologie latine.
04:35 Et finalement, c'est le directeur de l'école qui m'a appuyé.
04:39 Et ce qui a emporté le morceau, c'est quand j'ai expliqué
04:42 que ma source principale pour un tel sujet
04:45 seraient les sceaux médiévaux.
04:47 Alors là, ça semblait plus sérieux.
04:50 Les armoiries, c'était grotesque,
04:52 mais les sceaux, oui, ça avait valeur juridique.
04:56 Donc j'ai emporté le morceau.
04:59 Je n'ai pas dit que plus d'un sceau sur deux,
05:01 au Moyen Âge, était orné d'armoiries, mais bon.
05:05 Et donc j'ai pu conduire cette thèse tout seul,
05:08 parce qu'on m'avait précisé...
05:10 Evidemment, il n'y aura personne pour vous diriger,
05:12 vous n'aurez pas de directeur de thèse.
05:14 C'est exactement ce que je cherchais.
05:15 Je n'ai jamais compris à quoi servait un directeur de thèse.
05:18 Et donc j'ai pu faire ma thèse tout seul, à ma façon.
05:22 Mais évidemment, je n'avais personne avec qui discuter.
05:24 Et surtout, je n'avais pas de prédécesseur,
05:26 je n'avais pas de modèle.
05:28 Donc j'ai dû inventer mes méthodes.
05:31 L'air était au quantitatif et à la statistique.
05:36 Donc je me suis lancé dans une étude quantitative
05:39 et statistique des animaux dans les armoiries médiévales,
05:43 à partir de documents variés,
05:45 les sceaux, principalement, je n'avais pas menti.
05:48 Et l'essentiel, la moitié au moins,
05:51 étant conservé aux archives nationales, ici,
05:55 où j'ai travaillé pendant 4 ans.
05:59 J'avais la chance, c'était le hasard,
06:01 mais j'habitais aux 48 rues des Francs-Bourgeois
06:04 et les archives sont aux 60.
06:07 Donc je venais travailler à ma thèse tous les jours.
06:12 C'était une époque où, aux archives nationales,
06:14 l'usage du personnel était d'arriver assez tard
06:18 et de rester assez tard.
06:20 Donc je me suis plié à cette façon de faire qui a changé,
06:25 mais ce n'était pas rare qu'il y ait encore
06:28 du personnel, divers, d'ailleurs, à 8h du soir.
06:32 Comme moi, j'habitais à 30 m,
06:35 je ne savais pas loin aller pour rentrer chez moi.
06:38 Et je dois dire que j'ai eu un accueil merveilleux
06:42 au service des Sceaux des archives nationales
06:45 grâce à Yves Mettmann, le responsable,
06:47 grâce aussi à M. Giroud, dont j'ai oublié le prénom,
06:52 et à M. Monnerie, qui m'ont accueilli,
06:56 qui ont facilité mon travail.
06:58 Il y avait une très bonne ambiance au service des Sceaux,
07:00 qui était un lieu de passage où on discutait.
07:03 Je me souviens que Robert-Henri Bautier
07:06 venait assez souvent.
07:08 Jean-Fabier, même, plus tard, venait aussi.
07:11 Ça le détendait de venir regarder des Sceaux.
07:13 Bref, il y avait de la conversation.
07:15 Moi, j'étais jeune, j'écoutais, bien sûr.
07:18 Donc j'ai fait des études statistiques.
07:21 Je vais vous donner quelques chiffres,
07:22 mais je ne vais pas vous abreuver.
07:24 Je vais surtout vous montrer des images.
07:29 Et puis, grâce à cette thèse,
07:32 j'ai ouvert un certain nombre de sujets
07:35 qui m'ont occupé par la suite.
07:38 J'en avais tiré un certain nombre de conclusions,
07:40 soit que j'ai creusé, soit que j'ai laissé en plan
07:43 pour plus tard.
07:46 Parmi les principaux sujets,
07:49 il y avait d'abord un sujet méthodologique
07:52 qui m'est apparu en cours de thèse,
07:54 que j'ai essayé de conseiller à mes élèves ensuite,
07:57 mais je n'y suis jamais arrivé.
07:59 L'exhaustivité ne sert à rien quand on construit un corpus.
08:05 Il y a un moment à partir duquel on tourne en rond.
08:08 Mais quand est apparu l'ordinateur,
08:10 les banques de données, à leur suite, à sa suite, etc.,
08:15 il y a cette obsession de l'exhaustivité,
08:17 la peur d'oublier quelque chose, c'est les étudiants.
08:21 Alors, moi, je peux vous prouver que ça ne sert à rien.
08:26 Je pourrais même dire, d'ailleurs,
08:27 que quand on a bien pataugé dans un sujet,
08:30 on acquiert une sorte de flair
08:33 qui peut parfois dispenser de compter,
08:35 parce qu'avec un peu de flair et d'intuition,
08:38 on arrive à peu près au même résultat
08:41 que des enquêtes de 5 ou 10 ans
08:43 avec des comptages extrêmement précis.
08:46 J'exagère un peu, mais il y a quand même de cela.
08:49 En tout cas, moi, j'ai compté, beaucoup compté,
08:53 donc en travaillant au service des Sceaux d'une archive nationale,
08:57 à la British Library à Londres,
09:00 c'était le British Museum à l'époque,
09:03 au département des manuscrits,
09:05 il y a environ 100 000 empreintes de Sceaux,
09:08 dans un état parfois dramatique,
09:10 à peu près autant au cabinet des manuscrits
09:13 de la Bibliothèque nationale.
09:15 Il y a plus d'empreintes de Sceaux
09:17 à la Bibliothèque nationale qu'aux archives nationales,
09:20 mais à la Bibliothèque nationale, malheureusement,
09:22 personne ne s'en occupe,
09:23 et les Sceaux sont dans un état dramatique.
09:27 Avec François Avril, on avait reçu la mission
09:32 de faire une estimation à la louche, comme ça,
09:36 du nombre d'empreintes de Sceaux originales
09:38 conservées au cabinet des manuscrits.
09:40 C'était au début des années 70.
09:43 On était arrivé à 120 000 à peu près,
09:46 120 000 empreintes,
09:48 dont les trois quarts à l'état de fragments
09:51 ou de fragments de fragments.
09:53 Et puis, j'avais travaillé
09:56 au Musée national suisse à Zurich,
10:00 aux archives générales du Royaume à Bruxelles,
10:04 très bon accueil,
10:05 et puis aux archives de l'archevêché de Cologne,
10:08 très riches en scie géographique.
10:10 Et pour les dépôts de province,
10:12 je m'étais consacré à l'un des plus riches,
10:16 celui des archives départementales du Haut-Rhin,
10:19 qui a une orgie de Sceaux,
10:21 mais plutôt de la fin du Moyen Âge.
10:23 Avec Lille, ça doit être les deux départements
10:27 les plus riches en Sceaux
10:28 dans leur dépôt d'archives départementales.
10:31 Donc, je m'étais aperçu que, en fin de parcours, bien sûr,
10:38 que je m'étais épuisé à faire des comptages et des statistiques.
10:41 J'aurais pu peut-être en faire un petit peu moins,
10:45 mais enfin, c'était la mode à l'époque.
10:48 J'avais constaté également
10:50 qu'il y avait un certain nombre de sujets
10:52 qui m'attiraient beaucoup,
10:54 que j'avais gardés pour la suite,
10:55 notamment tout ce qui concernait l'origine des armoiries,
10:58 sur lequel je travaille depuis environ 50 d'années,
11:02 sans avoir trouvé de solution.
11:06 J'avais surtout mis en valeur deux choses
11:10 avec mes enquêtes statistiques.
11:13 Le remplacement de l'ours par le lion
11:17 comme roi des animaux dès les débuts de l'Héraldic,
11:20 un sujet sur lequel je suis revenu très, très souvent par la suite.
11:25 L'ours est le roi des animaux dans tout l'hémisphère nord,
11:28 depuis peut-être le paléolithique jusqu'au-delà de l'an 1000.
11:34 Et puis, l'église médiévale
11:37 qui déclare de bonheur la guerre à l'ours,
11:39 animal dont elle a très peur
11:41 parce que c'est celui des traditions orales,
11:43 elle impose finalement le lion, animal des traditions écrites,
11:48 et qui n'est pas indigène en Plesson d'Europe,
11:50 donc il n'y a pas de culte de lion possible.
11:54 Donc l'Héraldic arrive au moment où cette affaire est entendue,
11:57 mais j'avais trouvé quand même du côté des armoiries parlantes,
12:02 à la fois dans le monde britannique
12:03 et dans le monde germano-scandinave,
12:06 des possesseurs de sceaux ou d'armoiries
12:08 avec un ours pour figure
12:11 parce que leur nom était Königskönig,
12:14 King quelque chose, Künz quelque chose.
12:17 Donc un jeu de mots entre l'idée de roi et la figure de l'ours.
12:21 C'était un reliquat de traditions antérieures.
12:24 Un témoignage intéressant.
12:27 Mais mes chiffres avaient surtout mis en valeur une opposition
12:32 entre armoiries à l'aigle et armoiries au lion.
12:36 Et comme j'avais fait beaucoup de cartes et de tableaux
12:38 dans ma thèse,
12:40 les cartes montraient très bien qu'en Europe,
12:43 mes enquêtes portées sur l'Europe occidentale,
12:46 du XIIe au XVe siècle,
12:49 en Europe, les régions riches en lions sont pauvres en aigles
12:52 et inversement.
12:53 Ca apparaissait vraiment très, très nettement,
12:56 comme si ces deux animaux étaient en lutte
12:59 pour s'emparer du trône laissé vacant par la chute de l'ours.
13:04 Ca va durer longtemps, d'ailleurs,
13:05 parce que quand on ouvre le dossier,
13:09 absolument passionnant,
13:11 2804, quand Bonaparte s'apprête à fonder le Premier Empire,
13:15 l'Etat le recherche d'un emblème pour ce nouveau régime.
13:19 Et il prend conseil autour de lui.
13:21 Alors, on propose le chêne, on propose l'éléphant,
13:25 on propose le retour aux fleurs de lys,
13:28 on propose qu'Ambassadresse propose les abeilles.
13:32 Puis, finalement, le sort se joue entre le lion et l'aigle.
13:36 Duroc était pour le lion, vivant de nom pour l'aigle.
13:40 Et il fait remarquer que tous les empires ont eu l'aigle
13:43 pour emblème depuis des temps très reculés.
13:46 Ca emporte le morceau.
13:47 Donc, c'est un combat de longue durée
13:49 que celui du lion et de l'aigle.
13:52 J'avais également mis en valeur par mes chiffres,
13:57 je vais vous le montrer en image,
13:59 une Europe germanique où le bestiaire héraldique
14:03 est très fort.
14:05 Presque 40, 45 % des armoiries
14:09 ont un animal pour figure principale,
14:12 alors qu'il y a le monde anglo-français,
14:17 en quelque sorte, où on tombe à 25 %, à peu près,
14:21 et puis le monde plus latin, Péninsule Ibérique et Italie,
14:25 où on est parfois au-dessous de 20 %.
14:28 Donc, il y a une cartographie à faire,
14:30 mais il faudrait la faire décennie par décennie,
14:33 parce que plus on avance vers l'époque moderne,
14:38 plus la part du bestiaire
14:40 par rapport à l'ensemble des armoiries va en diminuant.
14:45 Pour l'ensemble de l'Europe occidentale
14:47 et de la période médiévale,
14:50 environ une armoirie sur trois a pour figure un animal.
14:55 Si on fait des enquêtes du même genre
14:57 pour le XVIIIe siècle européen,
15:00 on tombe entre 20 et 25 %,
15:04 donc ça diminue quand même.
15:08 Et en même temps, la faune représentée va en s'élargissant.
15:13 De plus en plus d'espèces entrent dans les armoiries,
15:17 alors qu'au Moyen Âge,
15:19 le nombre des espèces principales,
15:22 disons celles qui ne sont pas rarissimes,
15:24 est assez réduit.
15:25 L'aigle et le lion, bien sûr,
15:28 puis ensuite, les vedettes du bestiaire central européen,
15:32 l'ours, détroné, mais qui est encore là,
15:35 le sanglier, le cerf, le loup,
15:39 le corbeau, le coq, le cygne,
15:43 les animaux domestiques étant beaucoup plus rares,
15:47 et insectes, serpents plus rares encore,
15:52 poissons également rares,
15:55 et contrairement à une idée reçue
15:57 qui plaît en général au grand public,
15:59 les animaux imaginaires,
16:02 imaginaires pour nous,
16:04 dragon, licorne, griffon, phénix, etc.,
16:09 c'est infime, le nombre de ces espèces
16:12 qu'on trouve dans les armoiries médiévales.
16:15 Un petit peu plus peut-être à l'époque moderne,
16:18 mais ça ne présente pas grand-chose à l'époque médiévale.
16:23 Dans les culs, en cimier, c'est-à-dire au-dessus de l'aiguille,
16:26 sur le casque, un petit peu davantage.
16:31 Je vais mieux m'exprimer à partir de projections.
16:35 Donc je vous montre des images.
16:39 Donc mes deux sources principales ont été les sceaux,
16:42 et pour l'essentiel, des moulages de sceaux,
16:46 puisque à Paris, à Londres et à Bruxelles,
16:49 on avait déjà la chance,
16:52 donc entre 1968 et 1972,
16:56 période où j'ai travaillé,
16:58 de pouvoir avoir accès à des séries de moulages
17:03 beaucoup plus lisibles que les originaux.
17:05 La cire, non seulement, n'arrête pas la photographie,
17:11 c'est difficile à photographier un seau de cire,
17:14 mais même l'œil du spectateur est parfois gêné
17:16 pour lire les détails.
17:18 Donc mieux vaut un moulage,
17:20 mieux vaut encore un bon dessin, c'est ce qu'il y a de mieux,
17:23 mais on ne peut pas dessiner 100 000 ou 200 000 empreintes de seaux.
17:28 Je crois que pour l'ensemble de la période médiévale,
17:32 à la louche, pour l'Europe occidentale,
17:34 on peut évaluer environ autour d'un million
17:37 le nombre d'armoiries différentes,
17:40 alors que si on passe à la période 16e, 18e siècle,
17:44 on est autour de 25 millions, je pense.
17:46 Donc ça devient exponentiel.
17:48 Mais ça oblige l'éraldiste à travailler sur des grands nombres,
17:51 donc à utiliser toutes les méthodes possibles
17:54 pour faire du comptage, de l'analyse factorielle, etc.
17:59 Moi, mon travail était très artisanal.
18:02 J'ai travaillé à la main, bien sûr.
18:05 J'ai fait environ 12 000 fiches sérieuses,
18:08 prenant en compte 40 000 armoiries différentes,
18:11 ayant vu peut-être 120 000 armoiries
18:14 pour faire mon tri, mon premier tri.
18:16 Donc les seaux, spécialement les moulages,
18:23 et puis les armoriaux,
18:27 qui ont l'avantage de présenter les couleurs.
18:31 Et les armoiries sont d'abord des emblèmes en couleurs
18:35 parce qu'il y a bien des armoiries sans figure,
18:39 mais il n'y en a pas sans couleurs.
18:41 Simplement, il y en a énormément
18:43 dont nous ne connaissons pas les couleurs,
18:45 soit nous sont conduits par des seaux,
18:47 soit par des monnaies, par des jetons,
18:49 par des médailles, par d'autres types de documents.
18:53 Voilà un exemple qui est conservé au National Archives,
18:57 où il y a des armoriaux utiles pour le chercheur.
19:01 Armorial presque exclusivement consacré
19:05 au royaume de France sous Philippe le Bel,
19:07 l'armorial Le Breton.
19:09 Et puis voilà un exemple d'armorial germanique sur rouleau.
19:13 Ce n'est qu'un fragment du rouleau, ici.
19:16 Mais la proportion d'armoiries animalières ou zoomorphes
19:22 n'est pas du tout la même dans les deux recueils,
19:24 qui sont séparés par une génération, simplement.
19:27 Dans l'armorial Le Breton, royaume de France,
19:30 environ 25-26 % d'armoiries animalières.
19:35 Dans le rôle d'armes de Zurich,
19:37 un des plus beaux documents, non seulement éraldiques,
19:39 mais tout court, que le Moyen Âge nous a laissés,
19:42 qui recense des armoiries de Suisse du Nord,
19:45 d'Armenie Méridionale et d'Autriche Occidentale,
19:50 on est près de 45 % d'armoiries animalières.
19:53 Alors, voyons l'évolution générale.
19:58 Sur la broderie de Bayeux,
20:00 qu'on date avec une relative précision aujourd'hui,
20:03 entre 1067 et 1077,
20:08 on voit des écus, on voit des dragons,
20:11 mais on les voit dans les deux camps,
20:12 chez les Saxons et chez les Normands.
20:15 C'est trop tôt pour qu'on parle d'armoiries
20:17 en cette fin du XIe siècle.
20:19 Ca va venir, mais c'est trop tôt.
20:22 Et là, avec cet émail,
20:24 le plus grand que le Moyen Âge nous a laissés,
20:27 la plaque funéraire de Geoffroy Plantegenet,
20:30 qui était faite pour la cathédrale du Mans,
20:33 on voit un écus avec des lions.
20:37 Il est probable que l'émail a été fait
20:39 après la mort de Geoffroy Plantegenet,
20:43 le duc de Normandie, comte d'Anjou, père d'Henri II.
20:47 On a un sceau de lui,
20:48 mais sur son sceau, il n'y a pas d'armoirie.
20:51 C'est probable que Geoffroy,
20:53 quoiqu'aient dit les chroniqueurs,
20:56 n'a pas eu d'armoirie.
20:58 Mais sa veuve, Mathilde, ou son ami, l'évêque du Mans,
21:02 Guillaume de Passavant,
21:03 qui ont fait faire la plaque funéraire pour le tombeau,
21:07 ont voulu mettre des lionceaux
21:10 sur le grand bouclier qu'ils portent.
21:13 Les armoiries sont déjà là dans ces années 1150.
21:18 Ici, un objet extrêmement important
21:25 et une date absolument essentielle
21:27 dans l'histoire culturelle de l'Europe médiévale,
21:31 1166, Henri le Lion, duc de Saxe et de Bavière,
21:37 fait ériger sur la place devant la cathédrale de Brunswick,
21:42 en Saxe, un énorme lion de bronze
21:46 qui est en quelque sorte son totem personnel
21:50 et l'animal héraldique de sa famille, la maison Guelph,
21:56 et un animal tout seul.
21:58 C'est la première fois depuis la chute de l'Empire romain
22:01 qu'en Europe, un animal,
22:04 non pas intégré à une scène, mais représenté tout seul,
22:08 a droit à une statue.
22:10 Et l'Eglise n'a rien dit.
22:12 A l'époque carolingienne ou otonienne,
22:15 on aurait qualifié un tel acte d'idolâtrie.
22:19 Eh bien, après l'an 1000, ça s'atténue,
22:21 et l'héraldique étant en l'air du temps,
22:25 en 1166, ça ne cause plus aucun scandale.
22:29 C'est une date vraiment importante.
22:31 C'est l'époque, presque exactement la même époque
22:35 où les animaux, pour la première fois,
22:38 ont droit à des livres qui leur ont sont entièrement consacrés
22:42 et où on voit des grandes peintures
22:45 où le sujet de l'image, c'est l'animal et uniquement l'animal,
22:49 les bestiaires enluminés.
22:51 Il y a une même chronologie.
22:53 Et ça n'est pas du tout un hasard, bien sûr.
22:56 Donc, le lion est la vedette du bestiaire héraldique.
23:01 Je vous en montre quelques-unes à la suite.
23:03 On peut en rencontrer partout,
23:04 avec des dessins formels de toutes sortes,
23:09 puisque ce qui fait qu'un lion est un lion,
23:12 dans l'image héraldique,
23:14 c'est que c'est un fauve relativement agressif
23:17 qui a la tête de profil.
23:19 S'il avait la tête de face, ce serait un léopard.
23:23 Mais le lion peut être vertical,
23:26 c'est la position la plus fréquente,
23:28 horizontale, oblique, assis, couché, tout est possible.
23:31 Donc, on a des armoiries au lion très, très tôt.
23:36 Et sur l'ensemble des armoiries médiévales,
23:40 environ 15 % des armoiries sont chargées d'un lion,
23:44 d'où le proverbe ou l'adage plutôt bien attesté
23:48 dès le XIIIe siècle,
23:50 "Qui n'a pas d'armes porte un lion",
23:52 tellement c'est banal.
23:56 Très tôt, même les personnages imaginaires, littéraires,
24:00 reçoivent des armoiries,
24:02 à l'image des personnages des familles véritables.
24:06 Et Yvain, le héros de "Chrétien de Troyes",
24:11 l'autre neveu du roi Arthur,
24:13 il en a beaucoup, mais Gauvain et Yvain
24:16 sont les deux principaux.
24:17 Yvain, c'est vraiment l'honnête homme,
24:19 c'est le parfait de la légende arthurienne.
24:22 Et il a un lion.
24:25 Il l'a, non pas chez Chrétien, on ne décrit pas ses armoiries,
24:30 mais dans la génération suivante.
24:32 Donc on est dans les années 190-1200.
24:36 Dans cette vallée perdue du Tyrol italien,
24:40 il est déjà représenté avec un écu au lion,
24:43 et il aura le même écu au lion
24:45 dans les tapisseries pré-raphaélites
24:49 de l'Angleterre victorienne vers 1860-1880.
24:53 Donc un phénomène de très longue durée.
24:57 Nous avons très peu conservé d'écus originaux
25:01 datant du Moyen Âge.
25:02 Ce sont des objets assez fragiles
25:05 qui disparaissent dans la mêlée des tournois
25:08 ou l'engagement des joutes.
25:10 Et ce que nous avons conservé, en général,
25:12 ce sont des écus d'apparat.
25:14 Voilà un exemple pour le XIIIe siècle.
25:17 Il est suisse.
25:18 Chaque fois qu'on a un objet intéressant conservé,
25:21 en général, il est suisse,
25:22 parce qu'en Suisse, on conserve tout.
25:24 Et on voit très bien comment est construit un écu d'apparat,
25:29 un assemblage de planches, généralement verticales,
25:33 recouverts de parchemin, de cuir
25:37 ou d'une couche de plâtre peint.
25:40 Ici, c'est le cuir qui a été peint et modelé
25:43 avec cette figure de lion, énorme figure de lion.
25:47 Le bon dessin héraldique du XIIIe siècle
25:50 veut qu'on remplace toute la surface de l'écu,
25:53 qu'on ne fasse pas des petits chiens savants
25:56 comme dans l'héraldique du XVIIe siècle,
25:58 où ils flottent dans un immense écu de petites figures animales.
26:03 Et puis, naturellement,
26:06 les seaux avec énormément d'armoiries au lion,
26:09 soit sur un écu, soit sur une housse de cheval,
26:14 comme ici, avec le problème de la double ou de la triple inversion,
26:18 selon le sens où galope le cheval,
26:22 par rapport à l'œil du spectateur,
26:25 plus le problème de la gravure à l'envers de la matrice,
26:28 qui fait que, pour avoir l'empreinte dans le bon sens,
26:31 la matrice doit être gravée à l'envers,
26:33 avec parfois des graveurs qui se trompent,
26:36 plus fréquemment pour les lettres de la légende
26:38 que pour les figures héraldiques, mais enfin, tout est possible.
26:42 Et puis, des recueils, des armoriaux,
26:48 avec beaucoup de lions.
26:49 Et à la fin du Moyen Âge, déjà, des armoiries,
26:52 des armoriaux où les armoiries sont classées par figure,
26:56 donc des pages entières de lions, d'aigles, de sangliers,
27:01 de serfs, etc.
27:03 Le léopard, je vous l'ai dit, ça ressemble à un lion,
27:12 mais ça n'est pas un lion.
27:13 Et pour la culture médiévale, ce sont deux animaux différents.
27:18 Le léopard, disent les bestiaires, c'est l'animal bâtard,
27:23 fruit des amours coupables de la lionne,
27:25 femelle très lubrique, avec le mâle de la panthère.
27:29 Ça donne le léopard.
27:32 C'est un animal qui a très mauvaise réputation
27:35 dans les bestiaires et dans l'encyclopédie,
27:37 et que pourtant, Richard Cur de Lion a adopté
27:41 au mois d'avril 1994, quand il revient de captivité,
27:47 après sa croisade, il est fait prisonnier en Autriche,
27:51 transféré d'Autriche dans la région de Cologne.
27:55 On paye pour le libérer la plus forte rançon jamais payée
27:59 pour la délivrance d'un roi.
28:01 Il arrive en Angleterre en 1194, au printemps,
28:05 et ayant perdu son grand seau en Terre sainte,
28:08 sur lequel il y avait, au revers,
28:11 ses armoiries avec deux lions affrontés,
28:13 il en change et il adopte un nouvel écu avec trois léopards,
28:19 que porte encore le roi Charles III d'Angleterre aujourd'hui.
28:24 Donc, ça va être là encore de la très longue durée.
28:26 Pourquoi cet écu aux trois léopards ?
28:29 Ça, nous n'en savons rien.
28:31 Dire que Richard Cur de Lion aimait la chasse
28:35 et qu'on chassait avec des léopards...
28:38 C'est pas complètement faux, bien sûr,
28:40 mais c'est certainement pas la bonne explication.
28:43 C'est plus scientifique d'avouer que nous ne savons pas.
28:48 Le moment, d'ailleurs, le plus important,
28:51 ce n'est pas quand Richard change d'armoirie en 1194,
28:55 c'est quand il meurt en 199
28:58 et que son frère Jean XIII, devient roi d'Angleterre
29:02 et adopte les armoiries de Richard,
29:04 alors que Jean XIII, avant d'être roi,
29:06 avait d'autres armoiries en tant que seigneur d'Irlande
29:10 et il change d'armoiries et il adopte celles de son frère.
29:15 Ça, c'est un coup de génie, parce que ça ne va plus changer.
29:19 Ensuite, ce sera toujours les armoiries
29:22 des rois et reines d'Angleterre qui vont suivre.
29:24 Donc la date importante, c'est pas tellement 1194,
29:28 c'est 1199.
29:30 Donc quelques témoignages sur ce léopard.
29:36 Ici, vous voyez un léopard rampant.
29:39 Ce serait une erreur de dire que c'est un lion.
29:42 Chaque fois que le fauve a la tête de profil, c'est un lion.
29:48 Quand il a la tête de face, c'est un léopard,
29:51 quelle que soit sa position,
29:53 la façon dont le panache de la queue est tournée, etc.
29:57 Les héraldistes cuistres du XVIIe puis du XIXe siècle
30:01 ont inventé toutes sortes de cas,
30:05 d'une casuistique pour distinguer le lion du léopard.
30:09 Une seule particularité suffit, tête de face ou tête de profil.
30:13 La facialité, d'ailleurs, dans l'iconographie médiévale,
30:17 étant à double sens, soit elle est très laudative,
30:20 soit elle est très péjorative.
30:23 Un dossier qui m'avait beaucoup occupé pour ma thèse
30:28 et que j'ai laissé tomber, puis que j'ai repris plus récemment,
30:33 mais ce n'était qu'une hypothèse, maintenant, je me sens mieux assuré,
30:37 c'est la naissance de l'aigle impérial
30:41 du Saint-Empire romain germanique.
30:44 Cette aigle, elle est bizarre.
30:47 Elle a le corps de face et la tête de profil,
30:50 un peu comme une figure de l'Égypte pharaonique.
30:53 C'est assez curieux, en héraldique.
30:57 Corps de face, tête de profil.
31:00 Je l'avais senti, mais je ne comprenais pas pourquoi.
31:02 Quand j'étais jeune, j'avais fait ma thèse,
31:04 j'avais entre 21 et 25 ans, j'étais tout jeune.
31:08 Et j'avais quand même constaté que,
31:12 avant la naissance du Saint-Empire romain germanique,
31:16 l'animal vedette dans toute l'Europe du Nord
31:18 et dans tout le nord de l'Allemagne, c'était le corbeau.
31:21 C'est l'oiseau vénéré, comme l'ours.
31:24 Deux animaux contre lesquels l'Église médiévale, de bonheur,
31:28 part en guerre, justement, parce qu'ils sont trop vénérés.
31:32 Et font concurrence à la religion du Christ, bien sûr.
31:36 Mais on a quand même beaucoup de témoignages
31:39 archéologiques et iconographiques qui soulignent
31:43 cette espèce de royauté désert du corbeau.
31:46 Tous les autres oiseaux ont peur, d'ailleurs.
31:49 On le voit sur des monnaies,
31:51 on le voit même sur la broderie de Bayeux.
31:54 Dans les deux camps, d'ailleurs, les Normands et les Saxons,
31:58 qui sont tous des Nordiques,
32:02 vouent encore un culte au corbeau.
32:03 Il faut absolument éradiquer cela aux yeux de l'Église.
32:08 Et elle impose l'aigle au lieu du corbeau
32:11 comme elle a imposé le lion au lieu de l'ours.
32:15 Mais j'ai l'impression qu'il s'est opéré, en Héraldique, en tout cas,
32:19 une fusion entre le corbeau germano-scandinave,
32:24 le corbeau d'Odin, au fond,
32:26 et puis l'aigle romaine,
32:29 l'expression d'ailleurs le dit pleinement,
32:31 le Saint-Empire romain germanique.
32:34 Il est les deux.
32:35 Il est à la fois aigle et corbeau.
32:38 Et ça donne la figure héraldique qu'on va trouver
32:41 dès Frédéric Barberousse dans la seconde moitié du XIIe siècle.
32:46 Pas très stable, mais bien stable sous Frédéric II
32:50 dans la première moitié du XIIIe siècle.
32:54 Et on va même voir apparaître les premiers aigles bicéphales,
32:58 les premières aigles bicéphales.
33:00 Voilà un exemple de seau de cire original et pas de moulage
33:11 avec des armoiries à l'aigle, celle des Comtes de Joigny.
33:16 Donc aigle contre lion.
33:20 Voilà un autre exemple d'aigle dans le fameux Codex Manesse,
33:25 le plus célèbre de tous les manuscrits enluminés médiévaux.
33:28 Un chevalier qui part au combat et qui est devenu aigle,
33:33 en quelque sorte.
33:34 On sent bien qu'il y a un reliquat de quelque chose de totémique
33:39 dans le choix d'une figure animale héraldique.
33:41 Je prends ce mot dans un sens très galvaudé, bien sûr.
33:45 Mais enfin, ce chevalier qui part au combat avec des têtes d'aigle
33:50 sur les culs, sur la houte du cheval, sur la bannière et sur
33:53 son casque, il est un peu devenu aigle.
33:55 Le but étant, bien sûr, de s'investir des forces de l'animal,
34:00 au moins symboliquement.
34:02 Et puis, vers la fin du Moyen Âge, les formes de l'aigle héraldique
34:09 se compliquent, le dessin des ailes, le dessin des plumes,
34:13 le dessin des pattes s'écartant du corps de l'animal.
34:17 Ça devient très tourmenté dans cette héraldique pré-baroque qu'on
34:20 trouve dans le monde germanique méridional.
34:24 J'avais fait des cartes pour ma thèse.
34:28 Voici deux exemples.
34:29 La carte de la fréquence du lion dans les armoiries médiévales.
34:34 Les régions les plus riches en aiguilles au lion, c'est celle en rouge.
34:39 On voit ce que nous appelons le Benelux, c'est la zone vedette.
34:44 Et là où il y en a le moins, c'est en bleu.
34:47 La hiérarchie, c'est rouge, orangé, jaune, vert, bleu.
34:51 Donc, dans toute l'Europe centrale et plus orientale, il y a beaucoup
34:56 moins de lions et inversement, il y a des aigles, beaucoup d'aigles.
35:02 Et en revanche, regardez le Benelux, il y a des lions, bien sûr,
35:06 mais proportionnellement, il y en a moins qu'ailleurs.
35:09 Donc, ça m'avait conduit à émettre cette hypothèse.
35:15 Les régions riches en lions sont pauvres en aigles et inversement.
35:18 Bien sûr, il faut nuancer un peu et surtout, chaque fois qu'on fait
35:21 des statistiques et qu'on apporte des chiffres, ne pas s'arrêter là.
35:25 Essayer de comprendre, d'expliquer, de comparer.
35:28 Je l'avais fait pour ma thèse, j'ai continué de le faire par la suite
35:31 et surtout, comparer avec d'autres domaines.
35:36 Le plus facile pour les raldiques, c'est avec l'anthroponymie et la
35:40 place des animaux, des noms d'animaux dans les noms de personnes
35:46 ou bien dans les noms de lieux.
35:48 Et ça met en valeur très facilement, tout de suite,
35:52 l'extraordinaire importance des armoiries parlantes pour l'époque
35:57 médiévale, c'est-à-dire des armoiries dans lesquelles il y a un jeu
36:01 de mots entre le nom du possesseur de l'armoirie et le nom de la
36:05 figure principale que l'on voit.
36:07 Mais il y en a énormément.
36:09 Il y en a beaucoup plus qu'on croit parce que la relation parlante
36:14 se construit parfois sur des termes dialectaux, des mots qui ont
36:18 disparu, sur le latin ou sur des langues que le chercheur ne connaît
36:23 pas, avec des dérivations de toutes sortes.
36:28 Par exemple, dans les pays germaniques, le nom de l'ours,
36:31 c'est Ber.
36:33 Naturellement, tous les noms de familles connaissant par Ber
36:39 auront un ours dans leurs armoiries, mais ça s'étend à Per aussi,
36:42 avec un P. Et puis d'autres orthographes encore plus éloignées.
36:46 Il faut essayer de reconstituer par la pensée tout cela,
36:50 ce qui fait qu'on arrive presque à une armoirie sur deux,
36:53 qui est une armoirie parlante.
36:55 Des cartes, des tableaux, des statistiques de toutes sortes.
37:03 Pour le lion et l'aigle, pour également les principales
37:07 figures du blason, j'avais fait la même chose.
37:10 L'ours, qui est fortement dévalué, mais qui est quand même présent
37:15 dans les armoiries médiévales, assez abondamment.
37:19 Voici le célèbre Reginald Fierce, l'assassin de Thomas Becket,
37:24 un personnage épouvantable.
37:26 Voyez qu'on représente l'ours avec sa muselière.
37:32 Il est vraiment dégradé à tout point de vue, ce pauvre ours du
37:35 haut Moyen Âge qui était le roi des animaux.
37:37 Le cerf, l'éléphant également, dessiné un peu comme on peut,
37:47 dans le rôle d'arme de Zurich.
37:49 Deux armoiries parlantes, c'est presque du rébut.
37:52 Hirschberg avec un cerf, Hirsch monté sur un mont, Berg.
37:58 Ça donne la figure que vous voyez et pareil pour l'éléphant.
38:03 Mais là, ce n'est pas Berg, c'est Stein, un rocher.
38:06 Elfenstein, un éléphant sur un rocher.
38:09 Des cas comme ça, dans le monde germanique, il y en a énormément.
38:14 Soit la relation est directe, soit c'est un rébut, soit elle est
38:18 plus indirecte.
38:19 Ce sont les armoiries parlantes.
38:21 Le loup est également une armoirie parlante.
38:27 Il n'est pas aussi fréquent qu'on pourrait le croire dans les
38:31 armoiries médiévales.
38:32 C'est assez fascinant de voir que le trio de têtes du bestiaire
38:37 européen, le bestiaire central européen, a pour vedette pendant
38:41 des millénaires l'ours, le loup et le corbeau.
38:45 Trois animaux que la culture chrétienne dévalue fortement,
38:51 mais n'arrive pas à éradiquer.
38:55 En Héraldique, ce sont les armoiries parlantes qui arrivent à les
38:58 maintenir à flot, si je puis dire, notamment en Espagne du Nord,
39:02 spécialement en Navarre, avec toutes les familles Lopez
39:05 quelque chose.
39:06 Alors Lopez quelque chose, ça implique des armoiries avec
39:09 des loups.
39:10 C'est la zone d'Europe où il y en a le plus.
39:13 J'avais fait une carte, d'ailleurs, sommaire.
39:15 Je me déposais beaucoup de questions.
39:19 Je faisais des cartes à ma façon, bien sûr, et il n'y avait pas
39:23 les moyens, en tout cas, un étudiant n'avait pas les moyens
39:26 de s'offrir des moyens techniques et surtout pas informatisés pour
39:31 fabriquer des cartes.
39:32 Mais un des grands problèmes que je me posais, c'était comment
39:36 traduire sur une carte, sur la fréquence de tel ou tel animal,
39:42 un fief considérable comme le comté de Flandre, par exemple,
39:47 et puis tel ou tel petit seigneur non fiefé, un simple chevalier
39:52 en Picardie ou ailleurs.
39:53 Est-ce que je dois représenter chacun par un point ?
39:57 Mais c'est absurde quand on réfléchit du point de vue de
40:01 l'histoire sociale, entre le comte de Flandre et ce petit
40:04 chevalier anonyme.
40:05 Mais comment procéder autrement ?
40:07 Alors, aujourd'hui, on a tout ce qu'il faut pour faire de
40:11 l'analyse factorielle et grossir des points, les déformer, etc.
40:16 Je n'avais rien de tout ça.
40:18 Mais enfin, mes cartes donnaient quelques indications, par exemple,
40:21 de la fréquence du loup que l'on voit dans les armoiries médiévales
40:24 sur cette carte extrêmement sommaire.
40:27 J'avais également réussi à mettre en valeur le fait qu'il n'y a
40:36 pas beaucoup de rapports entre la faune locale et la faune
40:41 des armoiries.
40:42 Ce sont deux domaines assez différents.
40:45 Un exemple typique, c'est celui du lours, par exemple.
40:50 L'ours, qui, sous l'action de l'homme, disparaît de certaines
40:55 régions assez tôt dans le royaume de France.
40:59 Par exemple, après l'an 1000, il n'y a plus d'ours vivant à l'ouest
41:04 d'une ligne tirée de Strasbourg à Bayonne.
41:08 L'ours devient un animal de la montagne et il va le devenir de
41:13 plus en plus au fil des siècles et des décennies.
41:16 Ça n'empêche pas qu'il est présent dans l'emblématique et dans
41:20 les zones où il a disparu très tôt.
41:23 Par exemple, en Écosse, où il n'y a plus d'ours à partir
41:27 du 14e siècle vivant.
41:29 Le folklore et la mythologie de l'ours restent extrêmement forts
41:35 en Écosse jusqu'à aujourd'hui.
41:37 Donc, ce serait naïf de croire qu'il y a un lien direct entre
41:44 la faune présente sur tel ou tel tiroir et la faune présente dans
41:48 les armoiries de ce tiroir.
41:50 Ça ne marche pas comme ça.
41:51 Le chien, je ne sais pas pourquoi j'ai choisi cette image.
41:57 Ah si, d'une part pour vous montrer la différence entre un loup
42:02 et un chien qui ont à peu près le même aspect dans l'héraldique
42:07 zoologique, si je puis dire, sauf que le chien a toujours un
42:12 attribut, un collier.
42:13 S'il y a un attribut, s'il y a un collier, même si le chien a
42:18 l'air d'un loup féroce, c'est un chien.
42:21 Au passage, une parenthèse pour souligner que nous manquons
42:25 vraiment d'un travail ambitieux sur le chien à l'époque médiévale,
42:30 même à l'époque moderne.
42:31 D'ailleurs, on a tout ce qu'il faut pour le chat, mais nous
42:34 manquons de travaux sur l'histoire du chien, l'histoire des rapports
42:37 entre l'homme et le chien.
42:38 En Europe, c'est tellement riche que ça ne peut être qu'un travail
42:44 collectif.
42:45 Bien sûr, on a des travaux, parfois des bons travaux sur les
42:48 chiens de chasse, etc.
42:49 Mais ça manque quand même de hauteur de vue.
42:52 Je termine mon bestiaire pour souligner qu'il y a beaucoup de
42:56 coques dans l'héraldique médiéval.
43:01 Le coque est la vedette de l'anthropomie zoologique un peu
43:05 partout en Europe.
43:06 C'est l'animal le plus représenté avec le corbeau dans les noms
43:10 de personnes.
43:11 Un cas très étonnant, la grande famille des contes de
43:16 Tierschtein, dans la région de Bâle, en Suisse.
43:19 Tierschtein, un animal sur un rocher.
43:24 C'est ce qu'on voit seulement.
43:25 Tiersch, c'est animal, sans précision d'espèce.
43:28 Alors, selon les époques, qu'on soit au 13e siècle ou au 18e,
43:33 dans tel ou tel contexte, on va avoir tout un bestiaire propre
43:37 à cette famille, puisqu'elle a pour figure héraldique un tirs,
43:41 un animal.
43:43 Les graveurs, les peintres, les modeleurs, les maîtres verriers
43:48 vont mettre tantôt une biche, tantôt un éléphant,
43:51 tantôt un poisson.
43:52 Tout est possible, puisque c'est un animal qui doit être
43:57 sollicité pour faire une armoirie parlante.
44:00 Je voulais attirer attention sur ce retable attribué partiellement
44:05 à durée sur le nom de la femme, comme toujours dans les pays
44:09 aromaniques, dans la longue durée, la femme, même mariée,
44:13 reste la fille de son père et n'adopte jamais les armoiries
44:17 du mari, mais porte toujours les armoiries du père.
44:20 Et le nom de famille du père, c'est Mellem, c'est-à-dire un nom
44:25 qui peut se lire dans les deux sens, M-E-L, M-E-M,
44:29 comme Laval en France, par exemple.
44:33 Eh bien, la figure est très allusive.
44:36 La famille porte une écrevisse parce qu'une écrevisse,
44:39 dans les traditions médiévales et même modernes,
44:41 c'est l'animal qui avance dans les deux sens, vers l'avant
44:46 ou vers l'arrière.
44:47 C'est assez intéressant comme relation presque humoristique.
44:52 L'héraldique est assez souvent ludique.
44:54 Et je termine avec le bestiaire des animaux imaginaires,
45:00 la licorne, qui n'est pas un monstre.
45:03 Le bestiaire médiéval, la licorne, c'est un animal composite,
45:07 mais toutes ses parties sont empruntées à un quadruped,
45:10 corps de lion ou de taureau, tête de bouc, de biche, de serf,
45:17 de cheval, pattes d'éléphant, taureau parfois,
45:22 corne sur le front, bien sûr.
45:24 On y croit d'ailleurs au Moyen Âge.
45:27 C'est vraiment au 16e siècle qu'on commence à douter,
45:29 alors qu'on ne croit plus aux griffons,
45:32 on ne croit plus à la sirène assez tôt au Moyen Âge,
45:34 mais on croit à la licorne très longtemps.
45:36 Mais contrairement à ce qu'on pourrait croire,
45:38 c'est là où je veux en venir, ça n'est pas une figure fréquente
45:41 en héraldique, c'est même une figure rare.
45:44 Et j'avais cartographié la zone où elle est la plus ou la moins rare,
45:50 si je puis dire, en Europe, la licorne, c'est autour du lac
45:54 de Constance et dans le Tirole.
45:57 Je l'avais constaté, j'avais cherché pourquoi, pourquoi,
46:01 pourquoi je n'ai jamais trouvé d'explication pertinente,
46:06 pourquoi il y a plus de licornes dans ces régions-là qu'ailleurs.
46:10 L'autre zone, c'est l'Écosse, mais là, c'est à cause du support
46:14 des armoiries du roi d'Écosse à partir de la seconde moitié
46:17 du 15e siècle.
46:19 Voilà, je m'arrête là parce que je suis trop bavard,
46:22 mais je répondrai volontiers à vos questions.
46:25 Merci à tout le monde.
46:26 (Applaudissements)
46:27 (...)
46:32 (...)
46:37 Merci à tous !
46:39 [SILENCE]