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00:00 Alors on va écouter Laetitia Biscara.
00:05 Voilà c'est vous, Université Côte d'Azur et David Ducan ensemble de l'INA.
00:15 Vous allez nous présenter "The Love Story au Marseillais à Dubaï
00:20 20 ans de téléréalité, 20 ans de sexisme.
00:24 Apport des méthodes d'analyse automatique pour une approche comparative".
00:29 Merci beaucoup. Ça risque d'être passionnant.
00:31 On vous écoute.
00:32 D'accord.
00:33 Merci beaucoup.
00:34 Merci à l'ARCOM pour l'organisation de ces belles journées d'études.
00:37 On a beaucoup parlé d'information.
00:39 Tout au long de la journée, nous, on va vous parler un petit peu
00:41 de divertissement et de téléréalité.
00:44 Alors c'est un travail qui est en cours de réalisation et on va vous présenter
00:50 d'abord rapidement le cadre de l'étude.
00:53 Nous commençons à travailler sur ce corpus en 2021.
00:56 2021, c'est les 20 ans de la téléréalité française puisque
01:00 "Love Story" première saison, c'est 2001.
01:03 On s'en souvient.
01:04 Et 2021, c'est également le lancement du hashtag #MeTooTéléréalité
01:10 sur les réseaux qui, comme toutes ces vagues #MeToo, dénoncent des
01:15 violences sexistes et sexuelles dans l'industrie de la téléréalité.
01:18 Le corpus sur lequel on travaille plus spécifiquement ici, dans ce
01:23 étage or de la téléréalité, ce sont deux émissions de vie en
01:28 collectivité qui ont pour dénominateur commun d'être des
01:32 émissions qui sont souvent qualifiées d'émissions de l'amour
01:35 de par leur ligne éditoriale et qui sont aussi, puisque la télévision
01:40 est une technologie de genre, une instance de socialisation forte
01:43 au genre, mais aussi à l'hétérosexualité, dont le sexisme a
01:47 d'ailleurs été montré du doigt à plusieurs reprises, notamment dans
01:50 les rapports du Haut Conseil à l'égalité, mais aussi plus récemment
01:54 de l'Arccom.
01:54 Alors, au niveau du cadre théorique mobilisé, l'idée ici, c'est de
01:58 réinjecter une critique féministe matérialiste pour analyser ces
02:04 contenus et donc saisir les participants et les participantes,
02:08 non pas au travers des représentations, mais comme des travailleurs
02:12 et des travailleuses.
02:13 Donc, en fait, on s'intéresse au travail et notamment à la division
02:16 sexuelle du travail qui opère dans ces émissions.
02:20 Pour cela, on a mobilisé un ensemble de méthodes qui vont
02:23 des méthodes manuelles jusqu'à des méthodes automatiques d'analyse
02:27 de corpus.
02:28 Et je te laisse présenter le corpus.
02:32 Ok, dans le cas de cette étude, on a comparé deux corpus de
02:39 téléréalité.
02:40 Le premier corpus, c'est la première saison de "Love Story" qui a été
02:44 diffusée sur M6 en 2001 et qui a été une des premières émissions
02:48 de téléréalité diffusées en France.
02:51 Le deuxième corpus, c'est la dixième saison des "Marseillais à Dubaï",
02:55 un programme diffusé sur W9 en 2021, soit 20 ans après.
02:59 Donc, déjà, de manière un peu neutre, on a pu observer des évolutions
03:04 du format télévisuel entre ces deux corpus.
03:07 Par exemple, dans les "Marseillais", on voit des plans beaucoup plus
03:11 courts.
03:12 On voit aussi énormément de musiles de fond.
03:14 Et ça, pour les analyses automatiques, ça complique un peu tout ce qui
03:19 va à l'analyse de la parole.
03:21 Dans les "Marseillais", il y a quasi tout le temps de la musile de fond.
03:25 Donc, on a mobilisé un certain nombre d'outils d'analyse automatique
03:32 pour décrire ces corpus.
03:34 Alors, certains sont fondés sur l'analyse de la vidéo, des images.
03:39 Parmi ceux-ci, il y a le logiciel open source qu'on fait à l'Inafes
03:44 Analyzer, qui permet de repérer les différents visages, de dire s'il
03:48 y a des images d'hommes, de femmes, de mettre des âges sur ces visages.
03:51 On utilise aussi ce que j'appelle des intelligences artificielles jetables.
03:58 On fait des programmes un peu sur mesure pour repérer certains éléments,
04:04 donc, exclure la publicité, par exemple, la repérer pour l'exclure
04:08 des analyses.
04:09 On fait ça aussi pour repérer les temps de passage au confessionnal.
04:15 Pour tout ce qui est audio, analyse du son, on mobilise aussi plusieurs
04:20 outils.
04:21 On utilise le logiciel Splitter qui est fait par un de nos partenaires
04:24 Deezer, qui permet de séparer la parole de la musique.
04:28 De cette manière, vu que notamment dans les Marseillais, il y a
04:33 énormément de musiques de fond, on arrive à obtenir de la parole
04:37 beaucoup plus propre et plus facilement exploitable.
04:41 On utilise aussi le logiciel Open Source In A Speech Segmenter,
04:45 également fait à l'INA, qui permet de compter automatiquement le temps
04:48 de parole des femmes et des hommes dans les documents.
04:53 Ensuite, on utilise des outils de transcription automatique en utilisant
04:59 l'outil de nos partenaires du DUME, l'Université du Mans.
05:02 Et on a appliqué aux transcriptions automatiques le lexique.
05:10 On les a annotées à l'aide du lexique Emotex.
05:12 Emotex, c'est un lexique d'émotion catégorisée en termes de valence.
05:17 La valence, ça veut dire des émotions négatives ou positives et elles
05:22 sont aussi organisées sous forme d'ontologie, donc du concept d'émotion
05:27 le plus général au concept d'émotion le plus précis.
05:31 Et enfin, on a effectué, à partir des retranscriptions automatiques
05:38 dont parlait David, on a effectué aussi une opération sous Iramutex
05:44 d'analyses lexicométriques, c'est-à-dire que c'est de l'analyse
05:47 statistique de données textuelles à partir des retranscriptions qui
05:50 nous donnent à lire les lignes éditoriales des deux programmes.
05:53 Et donc, on a utilisé ici la comparaison.
05:55 La comparaison, elle sert à valider des observations, mais aussi,
05:59 elle sert une visée contrastive.
06:01 Cette comparaison, pour citer le principal résultat, il y en a
06:05 plusieurs, mais pour des raisons de temps, on va se restreindre à ça.
06:08 Sur les univers lexicaux, en fait, qui témoignent des lignes éditoriales
06:12 des deux émissions, ce qu'on voit, c'est qu'à plus de 20 ans,
06:15 entre les deux émissions, on a un renforcement très fort
06:18 d'une socialisation à l'hétérosexualité qui est très
06:24 traditionnaliste, voire réactionnaire.
06:26 Alors, ça se traduit notamment par des arcs narratifs et une mise
06:30 en discours qui est très marquée sur tout un protocole très classique
06:33 de rites amoureux, de la rencontre jusqu'à la formation d'un foyer,
06:38 etc.
06:39 - Donc, en termes de métriques obtenues automatiquement et de
06:47 comparaisons entre ces deux corpus, on voit un certain nombre de choses.
06:50 En ce qui concerne les visages, donc la quantité de visages à l'écran
06:54 d'hommes et de femmes, ce qu'on voit, c'est qu'il s'agisse du Loft ou
06:57 des Marseillais, dans ces deux corpus, on voit à peu près autant
07:01 les femmes que les hommes.
07:02 Donc, en termes de quantité de représentation des deux sexes,
07:05 les deux sont à peu près équilibrés.
07:07 Là où ça devient intéressant, c'est pour le temps de parole,
07:12 le temps de parole des femmes et des hommes.
07:14 Ce qu'on voit, c'est que ça a évolué.
07:17 Donc, du temps du Loft, les femmes avaient moins d'un tiers du temps
07:21 de parole, tandis que dans les Marseillais, 51%, c'est à peu près
07:26 idéal.
07:27 Donc, on passe d'une situation en termes de temps de parole assez
07:31 déséquilibrée à une situation à peu près équilibrée.
07:34 Donc, il y a plusieurs choses qui permettent d'expliquer ça, notamment
07:39 dans le Loft, il y avait un présentateur, Benjamin Castaldi.
07:41 Il y avait aussi une voix off, qui était une voix d'homme et il y avait
07:45 un certain nombre d'intervenants en plateau qui étaient le plus souvent
07:49 des hommes.
07:50 Dans les Marseillais, il n'y a pas de présentateur, mais il y a une
07:52 voix off de femme.
07:54 Il y a aussi une bouqueuse qui donne des missions aux participants,
07:56 qui est une femme aussi.
07:57 Donc, ça peut expliquer ce déséquilibre.
08:00 Donc, on est passé d'une situation déséquilibrée à plus équilibrée.
08:04 En ce qui concerne le temps passé dans le confessionnal, là aussi,
08:08 c'est intéressant de voir que c'est exactement l'inverse.
08:12 C'est-à-dire que dans le Loft, du temps du Loft, c'était principalement
08:17 les femmes qui parlaient dans le confessionnal et qu'on y voyait.
08:20 Donc, alors que dans les Marseillais, c'est à nouveau à peu près
08:25 équilibré.
08:27 Donc, une hypothèse qui permet d'expliquer ce rééquilibrage, c'est
08:31 qu'à l'époque du Loft, le confessionnal, c'était vu comme le lieu
08:34 du travail émotionnel.
08:35 Qui dit travail émotionnel, il y a le travail de femmes.
08:39 Donc, de nos jours, le confessionnal, ça représente pas mal d'enjeux
08:45 en termes de buzz, de viralité.
08:48 Et ça peut expliquer que les hommes s'y prêtent davantage.
08:55 Alors, du coup, on a un petit peu creusé cette question du confessionnal.
08:58 Le confessionnal, c'est important parce que c'est vraiment le
09:00 dénominateur commun à tout le métageur de la téléréalité.
09:03 C'est-à-dire que tous les pouvoirs de téléréalité ont un confessionnal,
09:06 même tout ce qui est émission culinaire, etc.
09:08 Et c'est aussi un moment où on identifie deux types de tâches
09:13 effectuées, le travail de conversation et le travail émotionnel.
09:17 Donc là, à partir du lexique émotex, ce qu'on voit, en fait,
09:21 alors David a parlé des temps de parole, mais ce qu'on voit aussi,
09:24 c'est qu'il y a un investissement qui se fait par les hommes.
09:29 Donc, vous avez en haut à droite le loft et en bas à gauche
09:33 les Marseillais.
09:34 Et ce qu'on voit, en fait, dans les Marseillais,
09:36 c'est qu'on a un investissement du travail émotionnel qui est fait
09:40 par les hommes, par les participants masculins au confessionnal.
09:43 Donc, alors, comment expliquer ça ?
09:45 Est-ce que dans les Marseillais, on assisterait à une acculturation
09:48 vers des valeurs féminines et donc une téléréalité moins sexiste ?
09:52 Pas du tout, évidemment.
09:53 En fait, ce qui se joue ici, c'est plutôt le passage à plus 20 ans
09:57 d'une professionnalisation de la téléréalité.
09:59 Or, comme tu l'as dit, David, l'émotion, ça fait vente,
10:02 ça fait le buzz.
10:03 C'est une composante, ce travail, c'est une composante centrale,
10:05 en fait, pour cette industrie.
10:08 Et donc, elle est investie massivement par les participants hommes.
10:12 Alors, cette composante, elle est incarnée, en fait, par des scènes
10:16 qui sont des moments, en fait, qu'on qualifie souvent dans
10:20 la date d'art, dans l'analyse de ce type d'émission, de money shot.
10:24 Et les money shot, ce sont justement ces prises, ces moments où il va
10:29 y avoir un éclat, un clash, une montée en intensité émotionnelle.
10:34 Et donc, ce sont les prises qui font vendre, en fait, finalement.
10:37 Ce sont les images qui font vendre, notamment parce qu'elles créent
10:39 le buzz, etc.
10:40 Donc, en fait, le travail de téléréalité, il implique deux injonctions.
10:45 Il faut réaliser, performer des money shot, mais ensuite, il faut les
10:49 faire vivre, il faut les faire fructifier.
10:51 Et ça, ça passe par le commentaire, le commentaire qui se joue au
10:54 confessionnal, bien sûr, mais aussi en plateau, que ce soit...
10:57 C'est le dernier résultat.
10:58 Que ce soit en plateau interne à l'émission, comme c'était dans le
11:02 cas dans le loft, mais aussi en plateau externe à l'émission.
11:05 Et là, bien sûr, on se retrouve, touche pas à mon poste, mais aussi
11:08 les émissions de Sam Zira, etc.
11:10 pour des programmes plus récents.
11:12 Et là, en fait, ce qu'on voit, c'est que les coûts du travail
11:15 émotionnel, à nouveau, sont profondément inégalitaires et très
11:19 favorables aux femmes, puisqu'en fait, ces coûts très différenciés
11:23 se traduisent...
11:24 Là, ce que vous avez, c'est des verbatimes.
11:25 Donc, à gauche, bien sûr, le fameux épisode de la piscine qui est
11:28 commenté ici en plateau, et à droite, une affaire de tromperie
11:32 dans "Les Marseillais".
11:33 Et ce que vous pouvez lire dans ces deux petits extraits de
11:37 retranscription, c'est qu'on assiste à des mécanismes tout à fait
11:41 classiques et tout à fait récurrents qui vont condamner la gentilité
11:45 féminine, qu'il s'agisse de la gentilité sexuelle, dans le cas de
11:48 Joanna, ou de ce qui est jugé comme un échec de gestion de l'émotion
11:54 dans le cas de la participante trompée par son partenaire dans
11:59 "Les Marseillais", alors que se met en place tout un réseau de
12:02 solidarité masculine et de validation, en fait, de l'action
12:07 masculine dans ces émissions.
12:09 Donc, un coût du travail différencié, non seulement
12:12 inégalitaire en soi, par les tâches performées, mais aussi
12:15 différenciée pour les femmes et les hommes dans ces émissions.
12:18 Alors, quelques mots de conclusion peut-être sur les enjeux.
12:22 Les enjeux, en fait, il y a quatre types d'enjeux pour nous dans ce
12:26 travail et il nous semble déjà qu'il y a des enjeux épistémologiques,
12:30 puisque comme on disait, il s'agit d'injecter une certaine
12:34 forme de critique féministe dans l'analyse de ces programmes et donc
12:37 se déplacer un petit peu peut-être de ce qu'on fait plus
12:40 traditionnellement avec l'analyse des normes, des stéréotypes, etc.
12:43 Il y a des enjeux politiques très importants parce que ce sont
12:47 des programmes et notamment pour les Marseillais 2021, par exemple,
12:51 mais il y en a d'autres qui sont extrêmement réactionnaires et il
12:55 faut pas les sous-estimer au nom des audiences parce qu'en fait,
13:00 il y a une circulation culturelle énorme de ces contenus, notamment
13:03 par les autres émissions autour qui font du discours, qui commentent,
13:07 mais aussi par tout ce qui se joue sur les plateformes, etc.,
13:10 sur les réseaux sociaux.
13:11 Je te passe la parole pour les deux derniers.
13:14 - En termes d'enjeux méthodologiques, j'ai plusieurs nouvelles.
13:19 Il y en a des bonnes et des moins bonnes.
13:22 Bon, la première bonne nouvelle, ce qu'on a pu voir ici, c'est que
13:28 la présence des personnes dans les émissions de téléréalité n'est
13:32 plus déséquilibrée.
13:33 Et ça, qu'il s'agisse du décompte des personnes, du temps de parole,
13:37 des visages, on est désormais dans un monde où les femmes et les
13:42 hommes sont à peu près autant représentées en termes de nombre.
13:45 Et on voit ça dans la téléréalité.
13:47 Ce n'est pas le cas, par exemple, dans les autres programmes.
13:49 Et là, je vous renvoie au rapport annuel de l'Arkum sur la question.
13:53 La deuxième bonne nouvelle, c'est que ces mesures de présence,
13:59 elles sont automatisables et elles permettent désormais d'analyser
14:04 l'intégralité des programmes.
14:05 Bon, la mauvaise nouvelle, c'est que les biais de représentation
14:11 et les comportements sexistes, c'est des phénomènes plus subtils,
14:14 donc plus compliqués à mesurer et encore plus à automatiser.
14:19 Et ces biais de représentation, il semble ne pas avoir changé du tout,
14:23 voire avoir franchement empiré et qui sont au final plus problématiques
14:29 que tout ce qu'on fait en termes de décompte.
14:31 Donc, pour décrire plus finement ces phénomènes, il reste un certain
14:36 nombre d'enjeux technologiques, sont actuellement abordés par le consortium
14:42 du projet GEMM, qui inclut le Listen, le LUME, Deezer, le Charism,
14:47 le CMW, le LERAS et l'INA.
14:49 Donc, à savoir, là, un problème qu'on a rencontré, c'est qu'il faudrait
14:53 améliorer les technologies de transcription automatique de la parole.
14:57 Il faut voir que la plupart des systèmes de transcription qui existent
15:01 sont conçus pour analyser des programmes d'information ou des émissions
15:06 de dataux.
15:07 Le matériau de télé-réalité, c'est beaucoup plus délicat, même pour
15:11 des humains, en fait.
15:12 On a un certain nombre de collègues qui ont eu des difficultés à comprendre
15:17 ce que disaient précisément les participants de télé-réalité.
15:21 Alors, ce n'est pas forcément la faute aux participants.
15:25 Je pense que c'est entre autres car les collègues en question n'étaient
15:28 pas très familiers du parlé jeune et ils étaient encore moins familiers
15:32 du parlé marseillais.
15:34 Mais je vous laisse imaginer que pour les machines, c'est très compliqué.
15:37 Donc, on travaille également à la détection des zones de conflit,
15:43 que ce soit via l'émotion perçue dans la voix ou encore la détection
15:47 des interruptions.
15:48 Il y a une thèse en cours actuellement pour permettre de mieux décrire
15:51 la manière dont les gens interagissent entre eux.
15:53 Donc, pour conclure, j'espère que cette présentation vous a plu et
15:57 j'en profite pour vous dire que tout à l'heure, on sera très heureux
15:59 de répondre à toutes vos questions.
16:00 Merci.

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