• il y a 10 mois
Notre débat du jour : Elections américaines : les ressorts du vote Trump. Avec Christine Ockrent, journaliste et essayiste et Thomas Piketty, économiste, directeur d’études à l’EHESS et professeur à l’École d’économie de Paris.

Retrouvez le débat du 7/10 sur https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/le-debat-du-7-10

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Transcription
00:00 Débat ce matin sur l'hypothèse Trump et peut-être l'élection la plus importante de l'année 2024.
00:06 Le coup d'envoi de la présidentielle américaine a été donné ce début de semaine avec le caucus de l'IOA.
00:12 Et comme on s'y attendait, Trump a plié la première manche cette nuit en arrivant largement en tête.
00:17 La route est encore longue, évidemment, jusqu'au 5 novembre, date de l'élection.
00:22 Mais il y a chez une partie des américains un désir de Trump dont on va parler tout de suite avec Christine O'Krenn,
00:31 journaliste, productrice de l'émission "Affaires étrangères" sur France Culture.
00:36 Et avec Thomas Piketty, économiste, directeur d'études à l'école des hautes études en sciences sociales
00:42 et professeur à l'école d'économie de Paris.
00:45 Bonjour à tous les deux.
00:46 Bonjour.
00:46 Merci d'être là.
00:48 Merci.
00:49 Donald Trump a donc nettement emporté cette nuit dans l'IOA face à ses deux adversaires,
00:54 Ron DeSantis et Nikki Haley.
00:56 Trump a recueilli 51% des voix.
00:59 Le rouleau compresseur Trump s'est mis en marche, Christine O'Krenn ?
01:03 Il est en marche, ce rouleau compresseur, depuis qu'il a nié sa défaite, il y a trois ans maintenant.
01:13 Et ce qui est remarquable dans la prouesse de Trump dans l'IOA,
01:18 même si l'IOA n'a jamais annoncé la victoire d'un président, sauf peut-être deux fois et presque par hasard,
01:25 parce que c'est très étrange l'IOA.
01:28 Vous voyez des groupes de gens dans des écoles qui, sur un bout de papier, indiquent leur préférent.
01:33 Ce n'est pas du tout scientifique.
01:36 Mais c'est symbolique parce que c'est toujours le premier état, l'élection américaine commence toujours dans l'IOA.
01:40 Et dans ce cas précis où Trump dépasse la barre des 50%,
01:45 cela veut dire que son emprise sur le parti républicain, ou plus exactement ce qu'il en a fait,
01:52 c'est-à-dire, il faut bien dire, une secte, c'est une secte.
01:56 Pour avoir assisté à des meetings, ça n'a plus rien à voir avec un parti politique.
02:03 Vous êtes davantage proche des évangéliques, c'est-à-dire cette forme de protestantisme
02:09 où les gens hurlent leur foi.
02:11 Dans les meetings de Trump, ils hurlent leur foi.
02:15 Et le fait qu'il ait atteint 51%…
02:17 La moitié des Américains font partie d'une secte quasiment ?
02:20 Non, ce n'est pas la moitié des Américains d'abord.
02:23 C'est au sein du parti républicain qui était quand même le parti de Ronald Reagan,
02:29 le parti des Rockefellers.
02:32 Trump a métamorphosé ce parti.
02:34 Et je crois que la première leçon du score de l'IOA, c'est ça.
02:37 C'est l'emprise totale de Trump sur un parti républicain, écrasant les deux ou
02:43 trois candidats, notamment Nikki Haley, parce qu'aucun des autres n'ose s'en prendre
02:50 à Trump.
02:51 Et donc on va voir dans le New Hampshire, ça c'est le 23 janvier prochain, on va voir
02:56 ce qui va se passer.
02:57 Ce sera une formalité pour lui de remporter ses primaires, Thomas Piketty.
03:00 Est-ce que vous pouvez imaginer que Trump ne soit pas le candidat républicain ?
03:04 Après, tout peut arriver, mais c'est vrai qu'avec 50% de l'IOA, il est deux fois
03:10 au-dessus de son score lors des primaires de 2016, qu'il a fini par remporter.
03:15 Donc là, il part très favori.
03:16 Ce sur quoi je voudrais insister, c'est qu'il ne faut pas diaboliser à l'extrême le cas
03:22 de Trump et des électeurs de Trump en particulier.
03:24 Je pense que les démocrates ont besoin de se remettre en cause eux aussi, de se poser
03:28 des questions de pourquoi ils ont perdu une partie importante de l'électorat populaire,
03:34 notamment dans les petites villes, dans les territoires périphériques, comme on dit
03:38 en France.
03:39 Et il y a des points communs d'ailleurs par certains côtés avec la situation française.
03:42 Et de la même façon qu'on ne peut pas juste diaboliser les électeurs RN, il faut essayer
03:47 de s'interroger sur le sentiment d'abandon économique.
03:51 Et alors Trump a réussi, déjà dans la campagne de 2016 face à Hillary Clinton, à se présenter
03:58 finalement aux yeux d'électeurs, notamment très touchés par la désindustrialisation,
04:03 par la concurrence commerciale internationale.
04:04 Il a réussi à se présenter comme un meilleur défenseur par rapport à un parti démocrate
04:10 qu'il a tenté de caricaturer comme un parti des grandes villes, des élites.
04:14 Et de fait, je veux vraiment dire qu'au-delà du cas de Trump, si on regarde sur long terme,
04:19 vous savez moi j'aime bien regarder l'évolution des structures, des électorats, qui votent
04:22 pour qui, parce que ça nous révèle toujours des choses.
04:23 Il y a quelque chose quand même de très frappant, c'est que les endroits les plus
04:27 riches d'Amérique et les électeurs les plus aisés, historiquement, votaient pour
04:30 le parti républicain jusqu'aux années 80-90 de façon massive.
04:34 Par exemple, à l'époque de Reagan, tous les endroits les plus riches aux Etats-Unis
04:37 votaient pour les baisses d'impôts de Reagan.
04:39 Depuis le début des années 2000, vous avez une transformation graduelle, où finalement
04:43 les plus aisés passent graduellement au parti démocrate.
04:46 Et pour la première fois, en 2016-2020, donc les deux dernières présidentielles, vous
04:51 prenez tous les quartiers, les bureaux de vote les plus riches des Etats-Unis, ont voté
04:55 davantage démocrate que républicain.
04:57 Et donc la caricature que les républicains donnent des démocrates, comme le parti des
05:01 Unes et des Grandes Villes, elle n'est pas si fausse que ça.
05:04 C'est ça ce que vous dites.
05:05 Non, elle est réelle.
05:06 Oui, mais il faut se poser la question, parce que cette transformation, elle a commencé
05:09 bien avant Trump.
05:10 Donc si vous voulez, les personnes dans tout ça sont importantes, mais il faut aussi
05:13 essayer de regarder.
05:14 Pour moi, l'explication de fond, c'est quand même que le parti démocrate a tourné
05:18 le dos aussi aux politiques de redistribution sociale qui étaient celles du parti démocrate,
05:23 depuis le New Deal de Roosevelt jusqu'à Kennedy, Johnson, jusqu'aux années…
05:26 Non, non, mais le parti démocrate a à répondre.
05:29 Mais Biden, pour le coup, on connaît la grande phrase de Clinton "It's the economy,
05:33 stupid", qui dit que c'est l'économie qui fait l'élection.
05:36 Biden, pour le coup, a fait le grand plan d'investissement, il a mis des milliards
05:40 sur la table.
05:41 Je vais donner la parole à Christine O'Brien.
05:42 On va en parler.
05:43 Ce que je veux dire, c'est qu'il a fait du bien aux classes moyennes et on ne le
05:46 voit pas dans les sondages.
05:47 Avec une hausse… Enfin, je ne vais pas me hasarder face à Trump et Kennedy sur le
05:51 terrain de l'économie.
05:52 Biden a très bien compris qu'il fallait que le parti démocrate, devenu un parti
05:57 des grandes villes et des élites, en tout cas en termes de niveau d'éducation…
06:02 Il y a aussi des plus pauvres des grandes villes, d'ailleurs.
06:03 C'est les deux côtés des grandes villes.
06:04 Mais en tout cas, les grandes villes.
06:06 C'est très important dans la manière dont le système électoral américain fonctionne.
06:11 Parce que pour des raisons historiques, les États ruraux, avec moins de population,
06:16 ont au Sénat en tout cas le même poids que les États très peuplés.
06:21 Et pour en revenir à Biden, il avait tellement bien compris cette nécessité de reconquérir
06:27 la classe moyenne blanche, se sentant abandonnée dans les zones de désindustrialisation, qu'il
06:34 a lancé cet énorme programme d'investissement, qui d'ailleurs, à nous autres, européens,
06:38 coûte très cher parce que c'est du protectionnisme sans aucun fard.
06:42 À tous les étages.
06:43 Mais le parti démocrate continue de souffrir de son extrême éparpillement idéologique
06:51 entre une aile gauche de plus en plus radicale et au fond un centre assez mou, un parti d'experts,
07:00 un parti de think tankers, etc.
07:03 Mais avec des résultats remarquables dans certains États comme la Géorgie, où on
07:08 voit que les grandes villes ont été conquises par le parti démocrate dans le Sud, ce qui
07:14 n'était pas le cas depuis longtemps.
07:15 Mais je crois qu'il ne s'agit pas de diaboliser l'électorat de Trump.
07:19 Il s'agit de comprendre que la magie de Trump, c'est que c'est d'abord un amuseur,
07:26 c'est un remarquable battleur.
07:28 Il fait le show et à un moment où les gens se sentent engloutis dans un tel torrent d'informations,
07:37 ils viennent au spectacle et il a ce sens-là.
07:41 Il est extraordinaire.
07:42 Il faut quand même se souvenir que lorsqu'il était à la Maison-Blanche, sa porte-parole
07:54 avait forgé cette formule qui est devenue tristement réelle, les faits alternatifs.
08:00 C'est-à-dire qu'il n'y a pas de réalité, il n'y a pas de fait.
08:03 Il raconte une histoire, il l'a encore fait la nuit dernière et il a ce talent qui véritablement
08:10 transporte l'antisémitisme doublé d'un sens inné du spectacle.
08:16 Un sens du spectacle formidable.
08:18 Tout ça est vrai, évidemment, mais il faut aussi un peu se réinterroger sur le bilan
08:23 économique de Biden.
08:25 Il faut bien voir qu'il y a eu une inflation aux Etats-Unis extrêmement forte en 2021,
08:31 2022, 2023.
08:32 On s'est approché de 10% par an.
08:35 Au total sur ces trois années, les prix aux Etats-Unis ont augmenté de 20% environ.
08:40 On n'avait pas vu ça depuis 40 ans.
08:42 On n'avait pas vu ça depuis le début des années 80.
08:44 - Ils sont à 3,7.
08:45 - Là, ça descend à 3,7.
08:46 Mais sur le mandat 2021, 2022, 2023, 2024, les prix ont augmenté de 20%.
08:52 On a eu des pointes à presque 10% par an.
08:54 On s'approche de 10% par an.
08:56 On n'avait pas vu ça depuis le début des années 80.
08:59 Donc vous arrivez aux élections avec la plus forte inflation depuis 40 ans, c'est une
09:04 situation compliquée.
09:05 On a vu ça aux élections argentines, c'était encore plus extrême l'inflation.
09:08 Mais vous avez besoin quand même d'expliquer.
09:10 - Vous pensez que ça compte, vous ?
09:11 - Je pense que oui.
09:12 La question de l'inflation et du pouvoir d'achat, oui, bien sûr.
09:15 - Et puis c'est le ressenti, comme on dit en météo.
09:17 - Oui, c'est le ressenti.
09:18 Quand vous avez des prix qui ont augmenté de 20%, c'est vrai qu'en moyenne, d'après
09:22 les données qu'on a, les salaires ont à peu près suivi.
09:25 Sauf que ça, c'est une réalité.
09:27 - Et l'emploi et la croissance, l'économie américaine va bien.
09:30 - Non mais Léa, c'est plus compliqué que ça.
09:34 Sinon, les résultats électoraux et ce qu'on voit dans les sondages seraient différents.
09:37 - L'explication de la chute de Biden est peut-être à aller voir ailleurs, dans l'âge, dans
09:43 ses décisions politiques étrangères.
09:44 - Oui, mais simplement, si on regarde exactement qui va voter pour Biden, par exemple, le scrutin
09:48 d'hier soir, si vous allez sur le site du New York Times, il y a beaucoup d'autres
09:51 endroits, vous aurez les résultats par bureau de vote qui sont analysés de façon très
09:54 fine.
09:55 Et vous verrez que Trump fait par exemple un bien meilleur score dans les endroits de
09:59 l'Iowa avec les revenus les plus faibles, avec les pertes d'emploi les plus importantes,
10:04 alors que Nikki Haley et Ron DeSantis sont pratiquement à jeu égal avec lui.
10:08 C'est-à-dire concrètement, il est à 51% en moyenne, mais vous verrez que dans les
10:11 bureaux de vote les plus pauvres, il monte à 65 ou 70.
10:13 Il est à 35 dans les plus riches.
10:15 Il n'y a pas d'endroits très très riches dans l'Iowa de toute façon.
10:17 - Ah non, c'est vraiment…
10:18 - Oui, mais si vous graduez à l'intérieur de l'Iowa, vous avez un effet qui est très
10:21 clair.
10:22 Donc après, il faut essayer d'expliquer.
10:23 Et donc, à nouveau, sur la question de l'inflation et du pouvoir d'achat, vous savez le plan
10:27 de réindustrialisation de Trump.
10:29 - Biden, mais décidément, le Trump.
10:32 - Biden, oui, excusez-moi.
10:34 Quand on le regarde d'Europe, on a tendance à dire « Ah, c'est formidable, quel volontarisme
10:38 politique ». En fait, en pratique, ce sont beaucoup des subventions à l'accumulation
10:43 de capital privé par des grandes entreprises étatsuniennes qui sont subventionnées par
10:47 le contribuable sans que vous financiez ces dépenses.
10:51 Et ça contribue finalement aussi à l'inflation.
10:53 Donc, vu du point de vue d'électeurs étatsuniens plutôt en bas ou au milieu bas de l'échelle,
11:01 ce plan-là, ils n'en voient pas forcément les retombées pour l'instant.
11:04 Donc, s'il vous plaît, il y a une certaine injustice dans la façon dont est jugé Biden.
11:07 Je ne vais pas dire que tout ça est parfaitement justifié.
11:10 Mais il faut quand même aussi s'interroger sur les limites de ce qui a été fait.
11:13 Et pour moi, une des grandes limites, c'est que la sortie de la pandémie et le plan de
11:18 réindustrialisation ont été quand même financés à crédit.
11:21 C'est-à-dire qu'au lieu de mettre à contribution les franges les plus aisées des États-Unis
11:28 qui maintenant financent le Parti démocrate et votent pour le Parti démocrate, on le
11:33 fait financer par l'inflation, ce qui retombe aussi sur les plus modestes.
11:37 Donc là, il y a quand même une vraie question par rapport à la stratégie économique.
11:39 La question de l'âge de Joe Biden, Christine O'Krent, n'est-elle pas plus prosaïquement
11:45 le plus gros handicap pour les démocrates aujourd'hui ?
11:48 Bien évidemment.
11:49 Et l'image est cruelle.
11:51 Et toute la propagande de la machine républicaine consiste, avec les ressources de l'intelligence
12:00 artificielle, à fabriquer des clips de campagne qui sont effrayants parce qu'évidemment
12:06 ils font tomber Biden trois fois d'un escalier quand il essaye de monter dans l'avion.
12:10 Ils le font bredouiller encore plus qu'il ne le fait depuis toujours.
12:15 Biden a toujours bredouillé, mais il est un fait que son grand âge est un désavantage
12:21 et ressenti comme tel, évidemment par son propre entourage.
12:27 Trump n'a jamais que trois ans de moins, mais à force de boire du coca et de bouffer
12:33 des McDo, manifestement, ça lui réussit.
12:36 Cela étant dit, le problème de Biden est aggravé aussi par le choix d'une vice-présidente.
12:43 Certes, femme, certes, noire et indienne, donc c'est évidemment beaucoup d'atouts
12:50 dans une société devenue obnubilée par l'identité et en particulier l'identité raciale.
12:56 Mais le moins que l'on puisse dire, c'est qu'elle ne conquiert pas les foules.
13:00 Elle n'a aucun talent, elle n'a pas d'empathie, etc.
13:04 Cela a été un raté.
13:05 Il ne lui a pas laissé beaucoup de place non plus.
13:08 Non, et surtout il lui a confié le problème de l'immigration et de la frontière mexicaine,
13:13 c'était François Trump un cadeau.
13:14 Il y a quand même une responsabilité de Biden, c'est de ne pas l'avoir du tout laissé
13:16 monter.
13:17 Biden est bien placé pour avoir été lui-même vice-président.
13:20 Il sait que c'est le pire job dans le système américain.
13:23 Elle n'a pas brillé.
13:25 Et donc là, leur système politique est coincé parce qu'aucun candidat démocrate
13:32 ne peut se présenter contre le président en exercice, sauf à lui couper les ailes
13:36 complètement et moins aussi contre une femme noire, etc. vice-présidente.
13:42 présidente. Eh bien on vous réinvite pour en parler parce qu'on va en parler pendant neuf mois.

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