_La France a Peur_, le kidnapping du petit Philippe

  • il y a 8 mois
"Patrick Henry, prisonnier d'une vie" / Le 30 janvier 1976, le petit Philippe Bertrand, 7 ans, disparaît à la sortie de son école, à Troyes, dans l'Aube. Les parents sont contactés par le ravisseur qui exige une rançon. La remise de l'argent vire au jeu du chat et de la souris. Le kidnappeur échappe à la police. Patrick Henry, un ami de la famille, est placé en garde à vue. Mais il sera relâché faute de preuve...
Transcript
00:00 Il a commis l'irréparable,
00:02 que personne ne peut se mettre à sa place,
00:06 parce que c'est quelque chose
00:08 avec lequel il vit en permanence.
00:11 C'est irrémédiable, ce qu'il a commis.
00:14
00:41 Je suis la maman de Philippe.
00:43 Je vous en supplie, rendez-le-moi.
00:47
00:50 C'est irrémédiable, ce qu'il a commis.
00:53 Pour moi, c'est un salopard.
00:55
00:57 Il y a eu des coïncidences qui ont fait
01:00 que c'est pourquoi la police s'est adressée à moi.
01:02 Cet homme n'est pas un tueur. Je ne vois pas retuer.
01:05
01:08 Il prend conscience de son échec.
01:10 Il est une image, un symbole, un modèle, un repoussoir.
01:15 Il a dit, "On a voulu faire de moi un super-héros,
01:18 "mais je ne suis qu'un pauvre type."
01:20
01:30 - 1976, la France a peur.
01:33 Un petit garçon de 8 ans a été enlevé à la sortie de l'école
01:37 par un homme qui voulait soutirer de l'argent à sa famille.
01:41 Cet enfant s'appelait Philippe Bertrand.
01:44
01:46 Son ravisseur, Patrick Henry, l'a tué.
01:48 Un an plus tard, l'homme échappe à la peine de mort.
01:51 Il écope de la réclusion criminelle à perpétuité.
01:54
01:56 Patrick Henry va rester 25 ans en prison
01:59 et devenir malgré lui un emblème.
02:02 Celui des longues peines, de la réinsertion,
02:06 celui de l'échec.
02:08 Avec Imen Gouali, nous avons décidé
02:11 de retrouver les protagonistes de l'affaire Patrick Henry
02:15 et d'analyser avec eux les répercussions de ce dossier hors norme.
02:19
02:22 - C'est un peu une condamnation symbolique.
02:25 4 ans de prison ferme pour avoir transporté en voiture 10 kg de hachiches.
02:29 Le meurtrier du petit Philippe Bertrand devra payer une amende de 20 000 euros.
02:33 Patrick Henry doit purger une peine de réclusion à perpétuité,
02:37 mais la justice a quand même eu la main lourde.
02:40
02:42 - 30 janvier 1976. Il est midi.
02:45 Philippe Bertrand, un garçon de 8 ans, sort de l'école à 3.
02:50
02:52 À 12h20, le téléphone sonne chez ses parents.
02:55 Sa maman décroche. Au bout du fil, un homme.
02:59 Il a enlevé Philippe. Il veut de l'argent.
03:02 Beaucoup d'argent. 1 million de francs.
03:05 La famille Bertrand prévient aussitôt la police.
03:09 C'est la PJ de Reims qui prend l'enquête.
03:12 - La façon dont les gens nous racontaient
03:15 comment ils sentaient cette disparition du petit Philippe Bertrand
03:19 nous a fait quand même prendre l'affaire très au sérieux.
03:22
03:24 - La police recherche des témoins de l'enlèvement et interroge les proches.
03:28 Le domicile de la famille Bertrand est placé sur écoute.
03:32 18h16. Le téléphone sonne à nouveau.
03:36 C'est le ravisseur.
03:38 Les policiers demandent à M. Bertrand
03:41 de prolonger l'appel le plus longtemps possible.
03:44 - Au bout de 7 minutes, les services techniques chargés des téléphones
03:48 avaient repéré l'endroit d'où partait la communication téléphonique,
03:52 à savoir une cabine de bréviande.
03:55
03:57 - Toutes les équipes foncent vers la cabine
04:00 et ne veulent pas intervenir.
04:02 Les policiers veulent prendre le ravisseur en filature
04:05 pour qu'il les mène jusqu'à l'enfant.
04:07 Il faut faire vite. L'homme est toujours en ligne.
04:10 18h28.
04:12 Une première équipe de policiers arrive enfin en vue de la cabine.
04:16 La voiture se gare discrètement.
04:18 Le piège est tendu. Le ravisseur n'est qu'à quelques mètres.
04:22 - Tout le monde était en place, tous les acteurs,
04:25 quand, brutalement, est arrivée une estafette de gendarmerie
04:28 à bord qui faisait fonctionner leur gyrophare.
04:31 L'individu qui était dans la cabine a sauté dans le ravin à côté,
04:35 traversé un ruisseau et a disparu dans le noir.
04:38
04:40 - Les gendarmes viennent de faire une énorme bourde.
04:43 Le ravisseur s'est envolé
04:45 et avec lui, les espoirs de retrouver le petit Philippe.
04:49
04:52 La vie de l'enfant est en danger.
04:54 Les hommes de l'office central de répression du banditisme
04:58 sont appelés en renfort.
05:00
05:03 - Charles Pellegrini, vous arrivez dans cette enquête
05:06 après un gros raté. Quelle est l'ambiance ?
05:09 - Les gendarmes, un peu traumatisés par ce qui s'est passé,
05:13 se mettent un peu en retrait.
05:15 Et là, tout le monde est quand même un peu... un peu mal à l'aise.
05:19 - Quelles sont les priorités ?
05:21 - La priorité, c'est de retrouver l'enfant.
05:24 C'est à la fois simple et compliqué.
05:26 Qu'est-ce qu'on fait dans une enquête comme ça ?
05:29 On interroge tout le monde.
05:31 Évidemment, on met de côté tous les ragots et les racontards
05:35 d'une ville de province.
05:37 "Ah, mais oui, ça allait pas dans le coup,
05:40 "mais il y avait des problèmes d'argent."
05:43 Qui connaissait le gosse, qui va le chercher ?
05:46 Et donc, on est quand même encore un peu dans le bleu
05:49 sur la personnalité du ravisseur.
05:51
05:53 - L'affaire de la cabine téléphonique nous aura permis
05:56 d'en parler à ces jeunes, puisqu'il avait quand même
05:58 dévalé une pente et traversé assez rapidement le ruisseau.
06:01 On retenait aussi dans cette opération que le gars connaissait bien,
06:05 d'ailleurs, le coin, parce qu'il avait vite disparu.
06:08 De notre côté, être resté aussi longtemps au téléphone
06:11 démontrait une certaine maladresse, si vous voulez,
06:14 et ce que n'aurait pas fait un professionnel
06:17 ou des professionnels du kidnapping.
06:19 - Un profil se dessine, mais toujours aucune piste.
06:24 Malgré des fouilles minutieuses, l'enfant reste introuvable.
06:27 La maman du petit Philippe lance un appel.
06:30 - Je suis la maman de Philippe.
06:33 Je vous en supplie, rendez-le-moi.
06:36 Ne nous laissez plus souffrir encore.
06:39
06:47 - Trois jours plus tard, le ravisseur se manifeste enfin.
06:52 Un gant de l'enfant est déposé dans la boîte aux lettres
06:54 d'un proche de la famille.
06:56 A l'intérieur, ses instructions.
06:58 Les parents de Philippe doivent réunir 1 million de francs
07:01 en grosses coupures.
07:03 Pour remettre la rançon, M. Bertrand doit suivre
07:06 un itinéraire imposé. Direction Brienne-le-Château,
07:09 à 40 km de Troyes.
07:11 La famille a prévenu la police.
07:13 Les enquêteurs suivent le père de loin.
07:16 - C'est ici, au pied du panneau de Pinay,
07:21 que Gérald Bertrand, le père du petit Philippe,
07:24 a trouvé une boîte appartenant à son fils
07:27 dans laquelle se trouvait un message lui demandant
07:30 de suivre les instructions qui devaient l'amener
07:33 au village suivant, où il trouverait un autre indice.
07:37 C'était le début du jeu de piste.
07:39 - Un jeu de piste macabre.
07:41 A chaque relais, Gérald Bertrand découvre un vêtement
07:44 de son fils. Après 2 heures de route,
07:47 dernière étape, le parking d'un restaurant.
07:50 M. Bertrand dépose l'argent et repart vers Troyes.
07:54 Les enquêteurs restent en planque, l'œil rivé sur la rançon.
07:59 De son côté, le commissariste Bertrand
08:02 investit le restaurant. Le ravisseur est peut-être
08:05 à l'intérieur. Le patron lui signale qu'un client
08:08 est en train de partir au volant d'une déesse blanche.
08:12 - Immédiatement, je chargeais une équipe de fonctionnaires
08:16 de partir derrière cette voiture et d'interpeller l'individu.
08:20 - L'ADS est trop rapide et sème les policiers,
08:23 mais ils ont le temps de relever son immatriculation.
08:26 Elle appartient à un certain Patrick Henry,
08:29 un jeune homme de 23 ans, un ami de la famille Bertrand.
08:34 Le lendemain matin, les policiers l'interpellent chez lui, à Troyes.
08:40 Ils sont persuadés de tenir le coupable.
08:43 Patrick Henry est placé en garde à vue.
08:46 - Il parle pas, il est retour.
08:49 Il se défend pied à pied, il nie même quasiment l'évidence.
08:54 Il a une explication à tout. C'est pas lui et voilà.
08:58 - Pas d'aveu. Des charges insuffisantes.
09:01 Après 48 heures de garde à vue, Patrick Henry est libéré.
09:06 ...
09:22 - Nicole, vous êtes la sœur de Patrick Henry.
09:25 Il a été libéré. Vous êtes soulagée, à ce moment-là ?
09:29 - Oui, parce que... Tout à fait.
09:32 Donc, il est repassé à la maison.
09:35 Je me disais, c'est pas possible, pourquoi ils m'ont gardé en garde à vue ?
09:40 Je lui disais, tout le monde peut faire des erreurs.
09:44 C'était logique, je le soutenais.
09:47 On n'a jamais, jamais, jamais soupçonné,
09:50 un seul instant, que ça pouvait être lui.
09:53 C'était pas possible. C'était pas possible.
09:56 - Parlez-nous de lui, à l'époque. Quel genre de jeune homme ?
10:00 - Quel genre de jeune homme ? Nous avons déjà 9 ans de différence.
10:04 Donc, pour moi, c'était vraiment...
10:07 C'était mon petit frère, certes, mais c'était mon baigneur,
10:11 mon fils, c'était tout.
10:13 Et donc, il était toujours gentil, il travaillait bien à l'école.
10:18 Quand il est arrivé à Stranda, voilà, c'est...
10:22 J'en reviens toujours pas.
10:25 - Les jours suivants, Patrick Henry mène une vie normale.
10:29 Aux nombreux journalistes venus l'interviewer,
10:32 il répète la même chose, il est innocent.
10:35 - Il y a eu des coïncidences qui ont fait que...
10:38 C'est pourquoi la police s'est adressée à moi.
10:41 C'est des coïncidences.
10:43 - Retour à la case départ.
10:48 Les policiers n'ont plus aucune piste jusqu'à ce témoignage anonyme.
10:53 - L'homme qui disait être Patrick Henry
10:56 et que les journaux présentés à la télévision
10:59 et dans la presse écrite étaient un garçon
11:02 qui avait été vu dans une rue de Troyes
11:05 devant une pension de famille, l'écharmie.
11:09 - Les enquêteurs foncent sur place.
11:12 Ils présentent une photo du suspect au gérant.
11:15 - Le patron dit "Oui, ce garçon, je le connais,
11:18 "mais il ne s'agit pas de Patrick Henry.
11:21 "Il s'assit un monsieur Van Der Mecht,
11:24 "à qui j'ai loué l'appartement qui se trouve derrière
11:27 "à une entrée indépendante. Il est ici en ce moment."
11:30 - Les policiers se ruent dans la chambre
11:33 et arrêtent Patrick Henry, qui tente de s'enfuir.
11:36 Lorsqu'ils fouillent le 2 pièces loué par le jeune homme...
11:40 - Sous le lit, ils ont vu comme un tapis roulé.
11:44 Et Patrick Henry, qui était à côté d'un inspecteur,
11:48 me notait, a dit "C'est l'enfant."
11:51 - Le petit Philippe Bertrand est mort.
11:54 Cette fois, Patrick Henry ne peut plus nier.
11:58 C'est bien lui qui l'a enlevé et qui l'a tué.
12:02 Il l'a étranglé le lendemain de son enlèvement.
12:05 Les pleurs de l'enfant en réclamant ses parents
12:08 lui ont fait perdre la tête, dit-il.
12:11 Il ne voulait pas le tuer. Il n'a rien prémédité.
12:14 Quant à son mobile, il est sordide.
12:17 - Il dit qu'il avait besoin d'argent
12:20 et qu'il a enlevé l'enfant pour l'argent.
12:23 - C'est une banalité écœurante.
12:26 Un mec minable, qui mal fera, même pas mal fera.
12:30 Petit délinquant de bac à sable qui a besoin d'argent.
12:34 Il n'a pas d'idée. Il ne va pas braquer une banque.
12:38 Il va simplement enlever un gosse
12:41 parce qu'il a dû voir ça quelque part
12:44 sans penser que ça allait mal se terminer.
12:47 - Des aveux terribles, insoutenables pour la famille Bertrand.
12:52 Mais aussi un coup de massue pour les proches de Patrick-Henri.
12:57 - Je ne pouvais pas le croire encore.
13:00 Je ne pouvais pas le croire.
13:02 Si on avait été encore dans une famille
13:05 où on manquait de tout, où on était à l'abandon,
13:09 mais c'était pas le cas. On était aimés de nos parents.
13:13 Même s'ils avaient peut-être des soucis, des problèmes d'argent,
13:17 on en a jamais su. On a toujours été protégés.
13:20 On a jamais manqué de rien. Jamais, jamais, jamais.
13:24 Jamais. On était tellement heureux chez papa et maman
13:28 que jamais, jamais j'aurais pu...
13:31 Personne du reste aurait pu imaginer...
13:34 - Comprendre ce qui a pu lui passer par la tête.
13:38 - Ses aveux sont terribles, mais vous le soutenez.
13:42 - C'est évident. On n'a pas le droit de l'abandonner.
13:46 - Le 20 février 1976,
13:48 3 jours après la découverte du corps,
13:51 les obsèques du petit Philippe Bertrand
13:54 rassemblent des centaines de personnes
13:57 devant l'église de Pont-Sainte-Marie, à Troyes.
14:00 La France entière suit les funérailles à la télévision.
14:04 Le crime de Patrick Henry provoque colère et indignation.
14:08 Personne ne veut assurer la défense du meurtrier.
14:12 Un avocat va finalement accepter.
14:15 - J'ai reçu des lettres d'injures,
14:18 des coups de téléphone permanents,
14:21 des menaces de tous les côtés sur moi-même, sur mes enfants.
14:25 C'était quand même quelque chose de très particulier.
14:29 - C'est un grand-père qui vous cause.
14:32 Ne défendez pas un bandit !
14:34 - Et tous ces gens, c'était des justiciers
14:37 qui voulaient la peau de Patrick Henry.
14:40 A ce moment-là, c'est ce qui m'a, en réalité, incité
14:44 à dire "Non, j'assurerai ta défense."
14:47 - Patrick Henry risque la peine capitale.
14:50 L'avocat sait qu'il va avoir besoin d'aide.
14:53 Il contacte Robert Badinter, un pénaliste déjà célèbre
14:57 pour son combat contre la peine de mort.
15:00 Va-t-il accepter de défendre Patrick Henry ?
15:03 - Je m'étais juré
15:06 que tout accusé qui risquerait sa tête
15:11 et qui demanderait de le défendre,
15:14 quel que soit le crime, je le défendrai.
15:18 J'ai donc répondu "Oui" tout de suite.
15:21 - La tâche s'annonce colossale pour les deux avocats.
15:24 Rien dans son parcours n'excuse ou n'atténue
15:27 le crime abject de Patrick Henry.
15:30 - Sa personnalité était sans relief, sans intérêt.
15:35 Il n'y avait rien dans son passé auquel s'accrocher.
15:38 C'était pas une victime de la société.
15:41 C'était un jeune homme terne, fallot,
15:45 sans aucun rapport avec son crime.
15:48 Cette identité même le rendait peut-être plus odieux.
15:53 Il était celui que l'on pouvait rencontrer partout.
15:57 - Le 18 janvier 1977,
16:04 presque un an après la mort du petit Philippe,
16:07 le procès de Patrick Henry s'ouvre à trois.
16:10 L'accusé cristallise la haine et le désir de vengeance.
16:14 Seul un miracle peut lui éviter la guillotine.
16:17 Avec une plaidoirie qui va marquer l'histoire,
16:22 Robert Badinter prend la parole.
16:25 - Vous avez, vous,
16:28 et vous seul, à cette minute,
16:31 et vous liez tous ce qui vous entoure,
16:34 vous avez seul le droit de bien voir sur quelqu'un,
16:38 à croire que tant on aura liquidé un criminel,
16:43 on en aura fini avec la faillite,
16:47 alors que ce n'est pas vrai.
16:50 À cet égard, dites-vous bien,
16:53 si vous le coupez en deux,
16:56 eh bien, ça ne dissuadera rien ni personne.
17:00 - Après une heure et demie de délibéré,
17:07 les jurés reviennent dans la salle d'audience.
17:10 Patrick Henry est déclaré coupable d'enlèvement,
17:13 coupable de séquestration et coupable de meurtre.
17:16 À la surprise générale, il échappe à la peine de mort.
17:20 Patrick Henry est condamné à la réclusion criminelle à perpétuité.
17:25 - Ça a été un tollé général,
17:28 des cris, des hurlements, à mort,
17:31 les jurés des salauds, etc., etc.
17:34 Ça a été un tollé,
17:36 mais personne n'avait approuvé le verdict.
17:40 - Patrick Henry a sauvé sa tête.
17:43 Une stupéfaction pour tout le monde, y compris pour sa famille.
17:47 - Nicole, lorsque le verdict tombe,
17:53 vous vous y croyez, est-ce que vous entendez ?
17:56 - Non. Honnêtement, non.
17:59 Et il y avait une personne derrière moi que je ne connaissais pas
18:03 qui m'avait préparé un petit papier pour me soutenir,
18:07 parce que pensant, elle aussi, elle pensait
18:10 qu'il allait être condamné à mort.
18:13 Et après, elle a rajouté "ouf, et je prierai toujours pour lui".
18:17 Elle me l'a mis dans mon sac,
18:20 et il est là, dans mon sac, depuis plus de 30 ans.
18:24 - Vos parents, comment est-ce qu'ils réagissent ?
18:28 - Ben, eux, ils sont...
18:31 Ils réagissent...
18:34 Ils sont "contents", mais bon, c'est sûr.
18:38 Bon, ben, Patrick, il a pu sauver sa tête, mais...
18:42 - Mais à ce moment-là, quand il est condamné à la perpétuité,
18:46 vous êtes prête à le soutenir tout le long de sa vie ?
18:50 - Absolument, absolument.
18:52 - Perpétuité.
18:54 La détention de Patrick Henry débute dans l'isolement total
18:58 des quartiers de haute sécurité de la prison de Chaumont.
19:02 Transféré au centre de détention de Caen,
19:05 il reprend ses études au niveau 6e, passe un bac scientifique,
19:09 un diplôme d'informatique et une licence de maths.
19:13 Petit à petit, Patrick Henry, l'homme le plus détesté de France,
19:17 se reconstruit.
19:19 A ses côtés, sa famille,
19:25 mais aussi une visiteuse de prison.
19:28 - Martine Weiss, quand rencontrez-vous Patrick Henry ?
19:35 - En 1992, au centre de détention de Caen.
19:38 - La première fois que vous le voyez, vous savez qui il est ?
19:42 - Bien sûr.
19:44 Oui, parce qu'il était, même avant de le voir,
19:47 il était "célèbre", malheureusement.
19:50 Dans le centre de détention de Caen, où il y avait 420 détenus,
19:54 il était le seul à être en prison.
19:57 - Il vous a déjà parlé de son crime. Qu'est-ce qu'il en dit ?
20:01 - Qu'il a commis l'irréparable,
20:04 que personne ne peut se mettre à sa place,
20:08 parce que c'est quelque chose avec lequel il vit en permanence.
20:13 C'est irrémédiable, ce qu'il a commis.
20:16 Il a la haine de ses mains.
20:19 Il m'a mis ses mains sous le nez en me disant que...
20:23 "Arrête d'être gentille,
20:26 "arrête d'être mon amie, arrête d'être conciliante,
20:30 "parce que regarde mes mains."
20:33 Si on avait dit qu'elles tueraient un enfant,
20:36 je l'aurais dit. Mes mains feront jamais ça.
20:39 - Et ce qu'il a fait, ça ne vous rebute pas ?
20:42 - Quand on choisit d'être visiteuse de prison,
20:45 on part du principe qu'on n'est pas jugeant.
20:48 Autrement, on n'y va pas.
20:50 - Une amitié solide, une confiance aveugle.
20:54 Martin Weiss n'est pas le seul soutien de Patrick Henry.
20:58 En prison, le détenu est devenu responsable de l'imprimerie.
21:02 C'est là qu'il a fait la connaissance de Charles Corlay,
21:06 un imprimeur de la région, un homme franc et généreux
21:10 avec lequel il tisse des liens.
21:12 - Et puis, un jour, il me demande, "M. Corlay,
21:15 "si un jour, j'étais en sortie, est-ce que vous pourriez m'embaucher ?"
21:19 "Je ne sais pas où, comment,
21:21 "mais je sais que je créerai un emploi pour vous."
21:24 - S'il est libéré un jour,
21:26 Patrick Henry a désormais un emploi assuré à sa sortie.
21:30 Condamné à la perpétuité,
21:32 il est en droit de demander une libération conditionnelle
21:36 au bout de 15 ans.
21:38 Mais 20 ans après son crime, l'homme suscite toujours la haine.
21:45 Toutes ses demandes de sortie sont refusées.
21:49 Il commence à douter et se voit finir sa vie derrière les barreaux.
21:54 Pourtant, selon les psychiatres,
21:56 il ne présente plus aucun danger pour la société.
22:00 - Dr Coutenceau, vous avez vu Patrick Henry en prison.
22:04 - Oui, tout à fait, à la fin des années 1990,
22:07 alors qu'il était en 2e passage
22:09 au Centre national d'observation des prisons de Fresnes.
22:13 La question était, est-ce qu'il peut sortir ou pas
22:16 en libération conditionnelle ?
22:18 A l'époque, pour faire très simple, on a dit, à priori,
22:22 "Cet homme n'est pas un tueur, je ne vois pas retuer."
22:26 Par contre, ce qui était l'essentiel de ce qu'il voulait faire à l'époque,
22:31 c'est-à-dire l'argent facile,
22:33 une escroquerie, un braquage, une affaire d'argent rapide,
22:38 là, j'étais plus pondéré.
22:41 Voilà quelle était un peu l'évaluation.
22:44 J'essayais de comprendre qui est l'homme indépendamment de l'acte.
22:48 Donc, au fond, il a réfléchi sur lui-même,
22:51 il est conscient de la chance qu'il a eue.
22:54 - A l'époque, c'est le ministre de la Justice
22:57 qui accorde seul la liberté conditionnelle.
23:00 En 2001, la loi change.
23:02 C'est désormais un collège de magistrats qui décide.
23:06 Devant eux, le détenu peut défendre son dossier
23:09 et se faire représenter par un avocat.
23:12 Patrick Henry en profite pour déposer une nouvelle demande.
23:16 Une demande qui aboutit enfin.
23:18 Le 15 mai 2001, après 25 années d'enfermement,
23:22 Patrick Henry est libre, il a 48 ans.
23:25 - On était ravis. On est allés tout de suite à Caen,
23:30 avec maman et mon mari.
23:32 On s'est retrouvés tous les quatre et tout.
23:35 On a passé vraiment des bons moments, heureux comme tout.
23:39 On a passé des week-ends sensationnels et tout.
23:43 On l'a emmené partout pour...
23:46 pour qu'il puisse manger des bonnes choses, revivre un peu.
23:51 - Quand j'ai appris sa libération conditionnelle,
24:04 je me suis souvenu de ses dernières paroles.
24:08 Dernière parole à la cour d'assise.
24:11 Patrick Henry, qui avait beaucoup de mal à parler,
24:15 a dit en réponse, une voix blanche, autant encore,
24:20 "Je vous remercie, vous n'aurez pas à le regretter."
24:24 C'est cet engagement-là, je pense, qu'il a tenu
24:27 au long du quart de siècle écoulé.
24:30 C'est ça qui a amené la libération conditionnelle.
24:34 Il a tenu sa parole.
24:36 ...
24:45 - En liberté conditionnelle, Patrick Henry doit respecter
24:49 certaines règles.
24:51 Ne pas quitter le territoire sans autorisation,
24:54 travailler et se soumettre à des mesures de contrôle.
24:57 S'il viole ses obligations, il peut retourner en prison
25:01 pour purger la fin de sa peine, perpétuitée.
25:04 Patrick Henry le sait, il n'a pas droit à l'erreur.
25:07 Mais l'homme veut rattraper le temps perdu.
25:10 Il est bien décidé à se faire plaisir.
25:13 Il achète un 4x4 à crédit,
25:16 il s'achète un scooter, une 2e voiture.
25:19 Oui, il a envie, on peut le comprendre,
25:22 après avoir passé 25 ans en prison,
25:25 de profiter de la vie, mais il est embêté
25:28 parce qu'il n'a pas les moyens de le faire.
25:31 - Profiter de la vie et voyager.
25:34 Le rêve de Patrick Henry, partir au bout du monde
25:37 et découvrir le Brésil.
25:39 Il demande à son juge d'application des peines
25:42 pour l'autorisation de sortir du territoire.
25:45 - Après tout, il se dit, je suis en liberté,
25:48 certes conditionnelle, mais pourquoi est-ce que moi,
25:51 Patrick Henry, qui ai payé ma dette à la société,
25:54 pourquoi n'aurai-je pas le droit d'aller m'amuser
25:57 au carnaval de Rio ?
25:59 Quelques mois après sa sortie, c'était évidemment assez maladroit.
26:03 Ça aurait été un peu choqué.
26:05 Donc, sa demande a été immédiatement refusée.
26:10 - Patrick Henry comprend donc qu'il n'est pas tout à fait libre.
26:14 Il réalise qu'après 25 ans, personne ne l'a oublié.
26:17 - Il a voulu lui louer une place de parking à Caen
26:23 quand il était sorti de prison et que tout s'était bien passé,
26:27 qu'au moment de remplir les papiers,
26:29 lorsqu'il a donné son nom,
26:31 la personne qui voulait lui louer le parking s'est mise à hurler.
26:35 Il lui a dit "Monsieur, sortez d'ici tout de suite".
26:38 Il a vu qu'il n'était pas un homme comme les autres.
26:41 - Un rejet que Patrick Henry subit également au travail.
26:45 A l'imprimerie Corlay, ça se passe mal.
26:48 - Le personnel de l'imprimerie se révolte.
26:51 M. Corlay trouve une issue,
26:54 une espèce de palliatif,
26:57 en disant "Vous n'avez qu'à travailler chez vous.
27:01 "On vous donne du travail et vous ramenez."
27:04 - Les autres employés n'ont pas voulu travailler avec lui ?
27:08 - Non. Donc il y a eu une menace de grève.
27:11 Enfin, bon, pour apaiser le tout,
27:14 il se retrouve à travailler isolé dans son logement.
27:18 - Isolé, frustré, Patrick Henry rumine.
27:22 Son salaire de 1 200 euros lui semble dérisoire.
27:26 Il s'inquiète pour sa retraite.
27:28 Avec plus d'argent, sa vie serait meilleure, il en est sûr.
27:32 Il décide d'écrire un livre au titre prometteur.
27:36 "Avez-vous à le regretter ?"
27:39 En avril 2002, il négocie un gros contrat
27:42 avec une maison d'édition parisienne.
27:45 - Il a négocié avec l'éditeur Calman Levy,
27:48 qui lui a proposé 40 000 euros.
27:50 Mais ils ont monté un deal avec Paris Match.
27:53 Paris Match a rajouté 50 000 euros au contrat,
27:56 pour avoir l'exclusivité et des bonnes feuilles du livre,
28:00 c'est-à-dire les meilleurs extraits.
28:03 C'est ça qui a intéressé Match.
28:05 Les premières photos en liberté de Patrick Henry.
28:08 Il a touché 90 000 euros.
28:10 - Patrick Henry est de nouveau sous le feu des projecteurs.
28:18 C'est lui qui l'a choisi.
28:20 Son livre est un flop, mais son nom est sur toutes les lèvres.
28:24 Sa démarche est violemment critiquée.
28:27 - Je vois pas l'intérêt, et pour lui, et pour la société,
28:31 de produire 200 pages de discussions sur son état.
28:36 Tout le monde s'en fout de Patrick Henry.
28:39 - Avec le livre, il a pas conscience qu'il va choquer du monde.
28:43 Il pense qu'il a besoin de le faire.
28:45 - Vous avez essayé de l'en dissuader ?
28:47 - Oui, je lui avais dit "Est-ce que tu crois que c'est malin de faire ça ?"
28:51 Et il m'avait répondu que ça allait le regarder.
28:54 - Patrick Henry n'a pas fini de choquer ni de faire parler de lui.
28:58 Le 26 juin 2002, il est arrêté pour un vol à l'étalage
29:02 dans un magasin de bricolage.
29:04 - Il a acheté des vis, des choses comme ça.
29:07 Et puis, c'était l'été, je crois, il faisait chaud.
29:10 Et à la sortie, il a vu un ventilateur.
29:13 Il a voulu acheter ce ventilateur.
29:15 Et en arrivant à la caisse, il s'est aperçu qu'il avait pas assez d'argent.
29:19 Sa voiture était garée un peu plus loin sur le parking.
29:22 Il a dit qu'il avait la flemme de retourner dans sa voiture
29:26 et qu'il avait dans ses poches des petits objets
29:29 pour quelques dizaines d'euros,
29:31 en espérant passer et payer uniquement le ventilateur.
29:34 Et puis, il y a un vigile, comme quoi il est peut-être pas très habile.
29:38 Il y a un vigile qui l'a vu, qui l'a surpris, il s'est fait arrêter.
29:42 - Le vol est dérisoire.
29:44 Des outils pour un montant de 76 euros.
29:47 Problème, Patrick Henry est toujours en liberté conditionnelle
29:52 et cet écart peut lui valoir un retour à la case prison.
29:56 Pourtant, la justice va lui donner une nouvelle chance.
30:00 Le 22 août, Patrick Henry est condamné à une amende de 2 000 euros
30:04 par le tribunal correctionnel de Caen et échappe à la prison.
30:08 Une chance qu'il ne mesure pas.
30:10 - Il ressassait ça. Il m'a dit "Vous vous rendez compte ?
30:13 "Je vais voler pour 80 euros et on met une amende à 2 000 euros.
30:17 "Je m'en sortirai jamais."
30:19 C'est quelqu'un qui a beaucoup de mal à faire son mea culpa,
30:23 à mesurer vraiment un peu les conneries qu'il peut faire.
30:27 - Déçu, l'imprimeur Charles Corlay menace de le renvoyer.
30:31 Une catastrophe pour Patrick Henry.
30:34 Sans travail, la commission peut le renvoyer en prison.
30:38 Finalement, l'affaire se tasse, son employeur passe l'éponge.
30:42 Mais Patrick Henry va aller plus loin, beaucoup plus loin.
30:48 Dans la nuit du 5 au 6 octobre 2002,
30:51 2 hommes de la guardia civil arrêtent un gros 4x4
30:55 du côté de Valence, en Espagne.
30:57 - Ils ont fait descendre le conducteur.
31:00 Ils ont été étonnés parce qu'il était en bermuda et en t-shirt
31:04 alors qu'il faisait plutôt frais.
31:06 Ils lui ont demandé pourquoi.
31:08 Il leur a expliqué qu'il revenait du Maroc, qu'il s'était pas arrêté.
31:13 - L'homme est nerveux.
31:15 Les douaniers fouillent la voiture.
31:17 Dans le coffre, à la place de la roue de secours,
31:20 il y a un paquet suspect, 10 kg de hachiches.
31:23 Le conducteur, c'est Patrick Henry.
31:26 Après 16 mois de liberté, il est de retour derrière les barreaux.
31:32 - C'est Patrick qui m'a appelée.
31:36 Il me dit "T'inquiète pas, t'inquiète pas, c'est pas grave,
31:40 "je suis en Espagne, je suis arrêtée."
31:43 J'ai dit "Mais attends, qu'est-ce qu'il y a ?
31:46 "On s'est quittés 3 jours."
31:48 Il m'a dit "T'inquiète pas, t'inquiète pas,
31:51 "c'est pas possible, il va plus jamais s'en sortir."
31:55 - Vous vous sentez trahie par votre frère ?
31:58 - Vous me demandez cette question-là, et honnêtement, j'y pense pas.
32:05 Pas trahie, c'est...
32:07 C'est quelque chose, quand même. Je le protège.
32:11 - C'est votre petit frère. - Oui.
32:14 - Et toi qui fasses... - Oui.
32:18 - Entendu par les autorités espagnoles,
32:21 Patrick Henry explique avoir quitté la France 10 jours plus tôt.
32:26 C'est au Maroc qu'il a acheté la drogue avant de rentrer par l'Espagne.
32:31 - Il était obsédé par l'argent. Il pensait qu'il n'aurait pas de retraite,
32:36 qu'il allait toujours être payé au SMIC,
32:39 et que le seul moyen de se payer des voyages, une belle voiture,
32:44 c'était... Il ne pourrait le faire que d'obtenir de l'argent illégalement.
32:49 - Son arrestation fait la une des journaux et provoque une vive polémique.
32:54 Fallait-il faire confiance à Patrick Henry ?
32:57 Pour tous ceux qui ont contribué à sa sortie, la déception est immense.
33:02 - Il a trahi tout le monde. C'est extrêmement grave.
33:06 Extrêmement grave. Le meurtre qu'il avait commis était...
33:10 Honteux. Et celui qui vient de commettre, pour moi, le transport de drogue,
33:15 m'a choqué profondément, car c'est encore pour tuer des enfants.
33:20 Et pour de l'argent.
33:22 - Charles Pellegrini, Patrick Henry rechute.
33:29 Vous vous êtes surpris quand vous apprenez ça ?
33:32 - Non. Parce que l'argent, je pense que c'est pas estupéfiant pour l'estupéfiant.
33:37 C'était un moyen de se faire vite et de façon...
33:41 Un stock d'argent considérable.
33:44 Il a même pas calculé les risques.
33:47 Ou à un moment, à force de fréquenter des voyous dans les prisons de camp,
33:52 il s'est vu capable de faire ça.
33:55 Mais c'est quand même... Il n'est que Patrick Henry.
33:59 Il s'est fait prendre sur l'enlèvement de l'enfant, sur la drogue.
34:04 - Si tout le monde l'attend, vous comprenez que ça peut être compliqué,
34:09 la vie pour lui, dehors, en liberté ?
34:12 - On s'en fiche un peu, si sa vie est compliquée ou pas.
34:16 Il y a quelques personnes qui sont capables de se réinsérer.
34:20 Elles sont pas nombreuses, mais avant, elles ont fait preuve
34:24 de réelles capacités, de volonté et d'aptitude à se réinsérer.
34:28 Patrick Henry ne l'a jamais fait.
34:31 Musique douce
34:34 - Pour Thierry Lévy, son avocat depuis l'année 2000,
34:38 celui qui l'a fait sortir de prison,
34:41 la problématique n'est pas celle de la réinsertion.
34:45 ...
34:48 - Maître Thierry Lévy, faire un truc pareil, ça n'a pas de sens.
34:52 - Ça n'a aucun sens pour nous, vu de l'extérieur.
34:56 Mais nous sommes bons parce que nous sommes incapables
35:00 d'éprouver, de vivre ce que vit quelqu'un
35:04 qui est libre et qui a des comportements et des réflexes
35:08 que nous ne pouvons pas imaginer.
35:11 Et pour Patrick Henry, ce trafic de cannabis
35:15 est un fait mineur, un fait insignifiant.
35:19 Il sait bien que c'est un risque, mais il se dit que ce risque,
35:23 compte tenu qu'il est pris dans une espèce d'étau social,
35:27 il doit le prendre.
35:29 C'est un risque, mais c'est le risque de quelqu'un
35:33 qui reste encore vivant, qui cherche à échapper
35:37 à cet espèce de mort intérieure à laquelle il sent bien
35:41 qu'il risque d'être condamné.
35:44 - Patrick Henry a commis 2 infractions,
35:47 la drogue et la violation de sa conditionnelle
35:50 en quittant le territoire français.
35:53 La France demande son extradition, il refuse,
35:56 pour être jugé et condamné en Espagne.
35:59 Le 16 avril 2003, il est finalement extradé.
36:03 3 mois plus tard, il compare à quand ?
36:07 - Il sait qu'il va être condamné à quelques années de prison
36:13 pour ce fait-là.
36:15 Est-ce qu'il imagine que sa conditionnelle va tomber
36:19 et qu'il est de nouveau condamné à perpétuité ?
36:23 - On a fait 25 ans de prison, se dire qu'on repart
36:26 pour la perpétuité, je pense que psychologiquement,
36:29 c'est insoutenable. On se suicide si on se dit ça.
36:32 - Patrick Henry est condamné à 4 ans de prison
36:35 et 20 000 euros d'amende.
36:37 Plus grave encore, sa libération conditionnelle est révoquée,
36:41 sa perpétuité court de nouveau.
36:44 - Il est dans un état d'effondrement pour la 1re fois,
36:49 comme je l'ai jamais vu.
36:51 La 1re fois que je le revois, il est à Val-de-Reuil,
36:54 en détention, près de Rouen.
36:56 Il est parloir.
36:58 Il est en larmes, presque à temps plein.
37:01 Il prend conscience de son échec,
37:03 de l'échec de sa libération conditionnelle, évidemment.
37:07 Pour la 1re fois, il parle de la honte qu'il éprouve...
37:12 de ne pas savoir gérer sa vie correctement.
37:20 Pour la 1re fois, il a plus d'orgueil.
37:23 - Les années passent.
37:27 Patrick Henry reste en prison et rêve toujours de liberté.
37:31 En 2011, maître Lévy dépose une 3e demande de libération
37:35 après celles de 2006 et 2007.
37:38 Demande rejetée, comme les précédentes.
37:41 - Chaque fois, je le vois...
37:44 descendre un peu plus profondément,
37:48 à l'intérieur de cette carcasse
37:50 qui se vide de sa personnalité.
37:53 Et...
37:56 grâce à certains, peu nombreux, qui l'entourent,
37:59 il remonte, mais il remonte avec moins de force,
38:03 moins d'énergie, moins de vitalité.
38:06 - Des refus successifs qui entament son moral.
38:09 Patrick Henry doute de pouvoir sortir un jour.
38:13 Le 14 novembre 2011, à la prison de Saint-Maur,
38:17 il entame une grève de la faim.
38:20 - Je le voyais à ce moment-là, très, très fréquemment.
38:24 Il arrivait à un stade de dégringolade physique
38:27 où j'ai commencé à avoir peur, oui.
38:29 Oui, oui, c'est impressionnant, oui.
38:31 Donc j'ai pas l'habitude de ça, quand même.
38:34 - Il était vraiment désespéré ?
38:37 - Oui. Il était désespéré
38:40 et puis, en plus, il était déterminé aussi.
38:46 - Ce combat contre les longues peines,
38:49 d'autres l'ont mené avant lui.
38:51 En 2006, 10 détenus de la centrale de Clairvaux
38:54 signent un texte percutant.
38:56 Quelques lignes largement reprises dans la presse.
38:59 Les condamnés réclament le rétablissement de la peine de mort.
39:03 Assez d'hypocrisie.
39:05 Dès lors qu'on nous voue en réalité à une perpétuité réelle,
39:09 nous préférons encore en finir une bonne fois pour toutes
39:13 que de nous voir crever à petit feu.
39:15 Nous, les emmurés vivants à perpétuité
39:18 du centre pénitentiaire le plus sécuritaire de France,
39:22 nous en appelons au rétablissement effectif
39:25 de la peine de mort pour nous.
39:27 - Je pense que cet appel était légitime,
39:32 que l'usage rhétorique de la comparaison
39:37 entre la peine perpétue et la peine de mort
39:40 était également légitime
39:42 et que c'était un moyen de faire comprendre
39:48 que la peine perpétuelle,
39:51 par bien des côtés,
39:54 était comparable à la peine de mort
39:57 et par certains côtés, était pire que la peine de mort.
40:00 ...
40:21 - Maître Leclerc, quelle question de fond
40:24 soulève cet appel des détenus de Clairvaux ?
40:27 - La question de fond, c'est celle des longues peines.
40:31 Le problème est de savoir comment on traite les longues peines.
40:36 Les longues peines ont ceci de particulier
40:39 qu'elles devraient préparer à la réinsertion,
40:43 et qu'elles ne préparent pas à la réinsertion.
40:46 On n'a pas les moyens de faire cela.
40:49 On n'a pas assez de surveillants.
40:51 La façon dont on traite les surveillants
40:54 n'est pas aussi très supportable.
40:56 Les surveillants aspirent à autre chose.
40:59 Ils sont aussi un contact humain.
41:01 Malheureusement, il en faudrait beaucoup
41:04 dans des conditions ailleurs.
41:06 Il faudrait plus d'argent.
41:08 On va mettre encore plus d'argent dans les prisons.
41:11 Le problème n'est pas de construire plus de prisons,
41:14 mais de mieux organiser celles que nous avons.
41:17 Malheureusement, le problème est d'avoir une conception
41:20 de la longue peine qui prépare mieux à la réinsertion.
41:23 - Une longue peine, c'est combien ?
41:25 - Je pense qu'il n'y a pas...
41:27 La longue peine est quelque chose de subjectif.
41:30 La longue peine, c'est ce que ressent celui qui l'a.
41:33 C'est une peine...
41:35 qui désespère les gens.
41:37 C'est une peine où on n'a pas d'espoir.
41:40 La longue peine, c'est la trop longue peine.
41:43 C'est la peine qui est infligée à des gens
41:47 qui ne comprennent plus ce qu'ils font en prison.
41:51 - Dont on ne peut pas se remettre.
41:53 On ne peut pas vivre seul éternellement.
41:56 La longue peine coupe les personnes de leurs racines.
42:00 Combien de compagnes sont partis ?
42:03 Combien d'enfants se sont détournés de leur père
42:07 pendant qu'il était en prison ?
42:09 Combien d'amis ont disparu ?
42:11 Alors, qu'est-ce qui reste ?
42:13 Il reste les amis qu'on a connus en prison
42:16 ou ceux avec lesquels on a fait des coups.
42:19 - Entre 1984 et 2004,
42:21 la durée des peines de prison a été multipliée par 3.
42:25 Les lois sont de plus en plus sévères.
42:28 Les condamnations de plus en plus lourdes
42:31 et de plus en plus fréquentes.
42:33 On a en France un arsenal législatif
42:36 toujours plus répressif,
42:38 avec des mesures de plus en plus dures.
42:41 - On a un code pénal qui prévoit des peines très lourdes.
42:45 On augmente toujours la sanction
42:48 en croyant qu'on va réduire le crime.
42:51 On a supprimé la peine de mort,
42:54 mais on a créé une peine de 30 ans.
42:57 Avant, on pouvait être condamné à un maximum de 20 ans.
43:01 Perpétuité ou 20 ans.
43:03 Vous avez cette augmentation.
43:05 Vous avez la peine de sûreté,
43:07 qui a été mise en place en 1978.
43:10 La peine de sûreté,
43:12 c'est le fait que pendant une période de prison,
43:15 c'est le désespoir absolu.
43:18 - Pendant cette période,
43:20 le détenu ne peut bénéficier d'aucun aménagement de peine,
43:24 quel que soit son comportement.
43:26 Une mesure éminemment politique.
43:28 - Ca a été le prix à payer
43:30 pour obtenir à l'unanimité
43:32 l'abolition de la peine de mort.
43:34 La peine de sûreté.
43:36 Et c'était une lâcheté,
43:38 parce qu'on pouvait très bien se passer
43:41 de ces peines de sûreté dont on s'était passé avant.
43:45 Et on ne les a créées que pour remplacer
43:48 le prétendu vide créé par l'abolition de la peine de mort.
43:52 - En 2008, la loi va encore plus loin.
43:56 C'est la rétention de sûreté.
43:58 Une mesure qui prévoit à l'issue de sa peine
44:01 de retenir le condamné pour une année encore,
44:04 renouvelable indéfiniment.
44:06 Une peine après la peine.
44:08 - Je considère que c'est une abomination.
44:11 Parce que tout le droit pénal,
44:14 est fondé sur quelque chose qui est
44:17 une fiction ou une réalité.
44:19 Mais c'est le fondement du droit pénal,
44:22 la responsabilité individuelle.
44:24 La responsabilité individuelle, c'est "je fais quelque chose,
44:28 "je réponds, je n'ai pas fait quelque chose,
44:31 "on n'a rien à exiger de moi."
44:33 Quand un délinquant a purgé sa peine,
44:36 il a donc terminé
44:38 ce qui lui a été imposé.
44:40 Ca lui a été imposé,
44:42 en réponse au délit ou au crime qu'il a commis
44:46 et dont il a subi la responsabilité.
44:49 Et maintenant, on lui dit "non,
44:52 "votre responsabilité personnelle ne nous intéresse plus.
44:56 "Ce qui nous intéresse, c'est l'opinion
44:59 "que les psychiatres ont de votre personnalité.
45:02 "S'ils jugent que vous êtes dangereux,
45:05 "nous avons le droit de vous garder en prison."
45:08 - En Europe, la France est l'un des pays
45:11 qui condamne aux plus longues peines.
45:14 Obtenir une libération conditionnelle
45:17 est un combat long et difficile.
45:19 Davantage, peut-être, depuis Patrick Henry.
45:22 - Malgré l'échec Patrick Henry,
45:26 pour vous, la libération conditionnelle
45:29 reste une vraie solution ?
45:31 - La libération conditionnelle n'est pas une solution,
45:35 c'est la solution.
45:37 La libération conditionnelle a été votée
45:40 au XIXe siècle à la demande d'un sénateur,
45:43 dont on dit assez le nom, M. Béranger,
45:46 qui a eu cette idée de la libération conditionnelle
45:50 en même temps que celle du sursis.
45:53 Ca a fait régresser la récidive de façon positive.
45:57 Parce que celui qui sort de prison
46:00 avec un projet qui a été fait dans la prison
46:03 et qui est sous la contrainte de ce projet de libération conditionnelle
46:08 a fait que l'on aide à se réinsérer d'une certaine façon.
46:12 Toutes les statistiques sont claires.
46:15 Les sorties sèches,
46:17 c'est-à-dire les sorties avec la peine accomplie
46:20 sans libération conditionnelle,
46:22 offrent plus de perspectives à la récidive.
46:25 Quand il y a une libération conditionnelle,
46:28 la réinsertion dans la société est prévue.
46:31 Le fait que celui qui va sortir se trouve seul, désemparé,
46:35 sans travail et sans rien, a été organisé
46:38 dans la prison.
46:40 La libération conditionnelle, c'est indispensable.
46:44 Je crois vraiment qu'il faut en sortir de la prison.
46:48 Les gens en sortiront.
46:50 Ils en sortiront un jour.
46:52 Même ceux qui sont condamnés à des longues peines.
46:56 Quelqu'un qui est condamné à 20 ans quand il a 25 ans,
47:00 il en sort à 45 ans.
47:02 Qu'est-ce que ça peut faire qu'il en sorte à 40 ?
47:07 Musique pesante
47:09 -Sortir de prison.
47:11 En 2014, après 36 années de détention,
47:14 Patrick Henry demande la grâce présidentielle.
47:18 Le dossier est déposé par sa nouvelle avocate.
47:22 Maître de l'Abiphor, pourquoi ce recours en grâces ?
47:28 -Parce que quand je dépose ce recours en grâces
47:31 en février 2014, j'ai vraiment l'impression
47:34 que c'est tout ce qui me reste.
47:36 Patrick Henry est détenu au CD de Caen depuis septembre 2012.
47:40 Ça fait un an qu'on essaie de mettre en place
47:43 une demande de libération conditionnelle qui ne bouge pas.
47:47 Tous les recours ont été épuisés.
47:49 Patrick Henry a même fait un recours
47:51 auprès de la Cour européenne des droits de l'homme.
47:54 C'est peut-être à ce moment-là, en février 2014,
47:57 notre dernière chance.
47:59 Je le fais parce que j'entends le garde des Sceaux,
48:02 Christiane Taubira, qui dit son aversion pour les longues peines.
48:06 -Vous êtes pleine d'espoir ? -Oui.
48:09 On est toujours pleine d'espoir quand on dépose un recours en grâces.
48:13 -Vous demandez le soutien de Robert Badinter. Pourquoi ?
48:17 -Je me voyais mal faire une demande de recours en grâces
48:20 pour Patrick Henry sans y associer mon ministre confrère.
48:23 Ça me semblait être la moindre des choses.
48:26 Nous allons avoir une longue conversation téléphonique.
48:29 Je vais essayer de le convaincre. Je ne vais pas y arriver.
48:33 Robert Badinter va m'exposer
48:36 pourquoi il en veut à Patrick Henry
48:39 de cette rechute,
48:41 d'avoir desservi la cause de l'abolition de la peine de mort
48:45 et d'avoir desservi aussi la cause
48:48 de tous les détenus à des longues peines
48:51 qui demandent à être libérés.
48:53 -Résultat de ce recours ?
48:55 -Eh bien, un écopli qui va arriver
48:58 aux alentours du 14 juillet.
49:00 Vous imaginez que la date me faisait espérer le meilleur.
49:04 Le pire a été d'ouvrir ce écopli
49:09 et de voir trois lignes en réponse à mes 17 pages de recours
49:13 me disant que mon recours avait été étudié avec beaucoup d'attention
49:17 mais qu'il était rejeté. -François Hollande a refusé.
49:20 -Oui. Oui. Et je ne sais pas pourquoi.
49:23 Mais les recours doivent être motivés.
49:26 Les rejets ne l'ont pas.
49:28 Ce n'est pas une décision de justice.
49:31 -Manque de courage politique ?
49:33 -Bien sûr. C'est une évidence.
49:35 Quoi d'autre ?
49:37 -Patrick Henry ne désarme pas.
49:41 Si le président de la République a refusé,
49:44 les magistrats, eux, lui donneront peut-être une nouvelle chance.
49:48 Karine Delaby-Fort, vous avez déposé
49:51 une demande de libération conditionnelle.
49:54 -Oui, et très solide.
49:56 Patrick Henry s'est bien comporté en détention.
49:59 Il a démontré qu'il avait suivi une psychothérapie,
50:03 qu'il avait réfléchi à sa rechute.
50:06 Il n'a jamais eu d'incident en détention.
50:09 Il a un projet de sortie.
50:11 Il a un hébergement.
50:13 Il a, je pense, dans son dossier,
50:16 des expertises psychiatriques et psychologiques
50:19 qui ne sont pas un obstacle à ce qu'il sorte
50:22 puisque personne ne dira qu'il est dangereux.
50:25 Il a entamé une véritable réflexion sur ce qui s'est passé.
50:29 Je pense qu'aujourd'hui, Patrick Henry a un parfait dossier.
50:33 J'ai envie de vous dire qu'il est encore meilleur qu'en 2007.
50:37 Et en 2007, les juges ont déjà dit oui.
50:40 -Un dossier solide, étayé par sa visiteuse de prison et amie
50:45 qui lui offre de sérieuses garanties.
50:48 -Martin Weiss,
50:50 qu'avez-vous proposé si Patrick Henry sortait demain ?
50:55 -J'ai la chance de disposer d'un peu d'immobilier,
50:59 donc un appartement, oui, un T2.
51:02 -Et là, vous l'aidez financièrement ?
51:05 -Je l'aide financièrement, assez régulièrement, oui.
51:08 Je me suis engagée à l'aider d'une façon mensuelle régulière.
51:12 -Pour ses proches, tout est désormais réuni
51:17 et il faut que cesse enfin la détention de Patrick Henry.
51:21 -Bien sûr que j'y crois. Ah bah, tout à fait.
51:26 Tout à fait.
51:28 -Il a les garanties, il a... -Il a tout.
51:31 Tout, tout, tout, absolument tout. -Oui ?
51:34 -Oh oui. Non, son avocate s'en occupe bien,
51:37 nous, on est là, il y a...
51:40 Il y a rien qui puisse se faire qui ne sorte pas.
51:44 Honnêtement...
51:46 Honnêtement, je vois pas ce qui viendrait entraver cette sortie.
51:51 Vraiment, là, on comprendrait plus.
51:55 Musique douce
51:58 ...
52:01 -Le 7 janvier 2016, le tribunal d'application des peines
52:05 accepte la libération conditionnelle de Patrick Henry.
52:09 Le parc de Melun fait immédiatement appel de cette décision.
52:13 C'est désormais à la cour d'appel de Paris de trancher.
52:17 Après 40 années passées derrière les barreaux,
52:21 Patrick Henry bénéficiera-t-il d'une nouvelle chance ?
52:25 Réponse dans quelques jours.

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