"Moitoiret / Hego : la folie derrière les barreaux" / Stéphane Moitoiret et Noëlla Hégo forment un couple de marginaux navigant dans une autre dimension. Elle se fait appeler "sa Majesté", il est son serviteur. Pendant vingt ans, ils ont mené ensemble une vie vagabonde jusqu'à ce que leur chemin croise tragiquement celui du petit Valentin, qu'ils ont assassiné un soir de l'été 2008. Au-delà de son aspect spectaculairement dramatique, cette affaire pose la question de la place de la maladie mentale dans le système judiciaire français. Le jour de leur procès, nombreux sont ceux à avoir pensé que l'on jugeait des fous.
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00:00 Vous vous rendez compte ce que ça veut dire de savoir qu'un homme ou qu'une femme a tué votre fils ?
00:08 Et qu'il n'y a pas de responsabilité, que c'est un robot, une chose irresponsable,
00:18 qui n'a rien à articuler, qui n'a rien à dire, qui n'a rien à expliquer,
00:24 qui n'a rien à expliquer, qui a tué votre enfant. C'est insupportable, quoi.
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01:04 Noël à égaux, Stéphane Moitoiret. Un couple itinérant aux croyances délirantes.
01:10 Madame se faisait appeler sa majesté, quant à monsieur il était son serviteur.
01:17 On pouvait se dire qu'on avait affaire à des doudingues, mais qui ne feraient pas de mal à une mouche.
01:23 Pendant 20 ans, ils ont erré à travers la France, sans que leur divagation n'inquiète personne.
01:29 Jusqu'à ce que leur chemin croise celui d'un petit garçon de 11 ans.
01:33 Valentin a été tué de 44 coups de couteau.
01:36 C'est un voyage dans une autre dimension où cohabitent la folie et la raison.
01:41 La folie, mais à quelle dose ?
01:44 Noël à égaux et Stéphane Moitoiret sont-ils fous ?
01:49 Quels sorts faut-il leur réserver ? Les punir ou les soigner ?
01:53 Quand notre justice s'amuse à juger les fous, il faut être inquiet pour ceux qui ne le sont pas.
01:59 Avec Imen Gouali, nous avons décidé de retrouver les protagonistes de cette affaire
02:06 et d'analyser avec eux les conséquences et les répercussions de ce dossier hors normes.
02:12 France Inter.
02:15 Le temps de libérer aura été long aux Assises du Rhône.
02:17 En toute fin de journée, hier soir, la sentence tombe.
02:20 30 ans de prison à l'encontre de Stéphane Moitoiret, coupable du meurtre du petit Valentin.
02:25 Coupable en toute conscience car les jurés n'ont pas suivi ses avocats qui avaient plaidé la folie.
02:31 Tout commence à Lagneux, une petite ville près de Bourg-en-Bresse, dans l'Ain.
02:39 Il est minuit quand les pompiers sont alertés.
02:44 Un enfant vient d'être retrouvé à quelques mètres de son vélo, grièvement blessé et inconscient.
02:50 On arrive dans une petite ruelle pas très éclairée.
03:01 Là, on aperçoit un corps à terre.
03:06 C'est un enfant qui est en arrêt cardio-respiratoire.
03:13 On lui ôte son t-shirt et là, on s'aperçoit tout de suite d'une blessure assez grave au niveau de la gorge.
03:18 Malgré tous les efforts des secouristes, l'enfant succombe à ses blessures.
03:24 Il s'appelait Valentin, il avait 11 ans.
03:28 Ce soir-là, Valentin avait été confié à des amis.
03:32 Ses parents sont réveillés en pleine nuit.
03:38 Là, j'ai vu beaucoup de képis.
03:40 Beaucoup de képis à travers mon portail.
03:43 Et je me suis dit, il y a quelque chose qui se passe, mais quoi ?
03:48 Je dis, c'est ma maman, personne ne me répond.
03:50 Ils me disent, non, madame Crémeau, c'est votre petit.
03:55 Votre petit Valentin, mais...
03:57 Votre petit Valentin est mort.
03:59 Et là, sur le moment, je réalise pas.
04:06 Valentin, pour moi, il est en sécurité.
04:08 C'est pas possible, c'est pas Valentin.
04:10 Les gendarmes pensent que Valentin a été victime d'un accident.
04:15 Mais dès le lendemain, le médecin légiste écarte immédiatement cette hypothèse.
04:26 A l'autopsie, on a dénombré les 44 plaies qui étaient situées dans trois régions essentielles.
04:34 La face intérieure du cou, la partie haute du thorax gauche et au niveau de l'hémoplate gauche.
04:42 Les plaies ont été perpétées par une arme blanche dont la lame est piquante et tranchante.
04:54 Les coups ont été portés de façon très anarchique et avec une certaine rage.
05:02 Les coups de couteau d'une violence extrême.
05:04 Un acharnement sur un enfant de 11 ans.
05:08 Pourquoi ?
05:09 Un assassinat, mais un assassinat, mais...
05:11 C'est improbable pour moi.
05:13 On voit ça dans les faits divers.
05:15 Mais ensuite, je me dis, mais qui a pu faire...
05:17 Qui a pu tuer mon enfant ?
05:19 On n'a jamais fait de mal à personne, jamais personne nous a fait du mal.
05:22 Donc là, c'est le mystère.
05:24 Tandis que la famille tente de réaliser,
05:28 gendarmes et techniciens en identification criminelle s'activent sur la scène de crime.
05:33 Une agitation qui ne passe pas inaperçue dans cette commune de 7000 habitants.
05:38 En début d'après-midi, on est plusieurs journalistes à essayer de trouver des témoignages.
05:43 Et il y a un riverain qui nous indique, sur un mur de l'agneux,
05:47 assez loin de l'endroit où Valentin a été retrouvé mort,
05:51 il nous indique une traînée de sang.
05:53 On va retrouver une abondance de sang sur la place principale de l'agneux,
05:57 qui va se poursuivre jusqu'à 750 mètres de la scène de crime numéro 1.
06:02 Je vais appeler tout cet itinéraire la scène de crime numéro 2.
06:06 Et on peut constater sur cette scène de crime numéro 2
06:09 que quelqu'un se déplace en perdant du sang, manifestement de la main gauche.
06:14 30 mètres de l'agneux, on a une image de la tête de quelqu'un
06:22 qui est en train de se déplaçer.
06:24 On peut voir que la tête de quelqu'un est en train de se déplacer.
06:27 Et on peut voir que la tête de quelqu'un est en train de se déplacer.
06:30 Et on peut voir que la tête de quelqu'un est en train de se déplacer.
06:33 Et on peut voir que la tête de quelqu'un est en train de se déplacer.
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08:14 Il est en train de se déplacer.
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09:18 - La nouvelle actualité de ce dimanche est marquée par la nouvelle piste très sérieuse
09:21 dans l'affaire du meurtre du petit Valentin.
09:24 Deux suspects sont désormais officiellement recherchés et voici leur portrait robot.
09:29 - Moins d'une heure après la diffusion de ces portraits, les gendarmes sont contactés.
09:40 Noël Aégo et Stéphane Moitoiret sont localisés et interpellés au Chellard, à 200 km de la
09:48 Nièvre.
09:49 L'ADN de Moitoiret est immédiatement prélevé pour comparaison.
09:56 Placé en garde à vue, le couple est interrogé séparément.
10:08 Noël Aégo s'exprime sans réserve.
10:12 - Nous avons voulu cerner un peu la personnalité de Noël Aégo et dès la première audition,
10:18 on lui demande quel travail elle fait dans sa vie et elle nous déclare qu'elle est présidente
10:22 des grandes obligations divines.
10:23 A ce titre, on m'appelle Sa Majesté, Son Excellence.
10:27 Chaque jour, les gens se pointent dans mon bureau à 8 heures.
10:30 Ils ont des dossiers à faire pour la sauvegarde de l'humanité.
10:32 Au travers de ces délires, les gendarmes comprennent que Noël A et Stéphane sont ensemble depuis
10:40 une vingtaine d'années.
10:41 Sans domicile fixe, ils se déplacent de village en village et vivent de la charité.
10:47 Mais dernièrement, le couple semblait battre de l'aile.
10:50 - Il lui a retiré sa carte d'identité pour pas qu'elle ne puisse partir d'elle-même.
10:54 Donc elle n'attendait qu'une seule chose, c'est finir sa mission divine et ensuite que
10:59 leur chemin se sépare.
11:00 Dans le bureau d'à côté, Moitoiret ne parle pas de cette séparation.
11:06 Mais lui aussi tient d'étranges propos.
11:09 Maître Franck Berton, comment se comporte votre client en garde à vue ?
11:32 - Il n'arrête pas, il parle beaucoup, il parle énormément en garde à vue.
11:37 Il raconte des trucs incroyables.
11:39 Il dit par exemple qu'il n'a pas de carte bancaire parce qu'il devait en avoir une,
11:43 mais Nicolas Sarkozy a fait ce qu'il fallait pour qu'il n'en ait pas.
11:46 Voilà, il est avec sa princesse, la reine Noëlla, donc il est son serviteur, il est
11:52 son esclave et il fait ce qu'elle lui dit de faire.
11:55 Donc voilà, il est dans un autre temps, dans un autre monde.
11:58 Et il nous explique que d'abord il est en mission divine.
12:03 - C'est quoi cette mission divine ?
12:04 - C'est retrouver l'élu.
12:07 Alors l'élu prend la forme d'un enfant.
12:09 Il l'écrive sur les murs d'une grotte, il l'écrive dans des cahiers, il fait des
12:13 dessins, il le représente, il le cherche.
12:17 Et l'élu de cette quête, c'est Valentin.
12:29 Le résultat des expertises est indéniable.
12:34 L'ADN extrait du sang retrouvé sur le corps de l'enfant est bien celui de Stéphane Moitoiret.
12:43 Face à cette preuve indiscutable, le suspect nie.
12:49 Moitoiret a une explication.
12:51 Ce n'est pas lui qui a tué Valentin, mais l'un de ses clones.
12:54 De son côté, Noëlla Ego réagit à elle avec plus de lucidité.
13:06 Et elle parle.
13:07 - Maître Nasser Zadeh, votre cliente Noëlla Ego passe aux aveux.
13:18 Qu'est-ce qu'elle raconte aux gendarmes ?
13:20 - Elle explique que Stéphane Moitoiret, extrêmement en colère, a indiqué qu'il souhaitait accomplir
13:27 la mission.
13:28 Elle lui propose d'effectuer le retour en arrière, qui consiste à ce qu'il la tue,
13:36 lui torde le cou selon ses propres mots.
13:38 Stéphane Moitoiret ne souhaite pas tuer Noëlla Ego.
13:41 Et à ce moment-là, il sort en colère.
13:43 - Tente-t-elle de dissuader son compagnon ?
13:45 - Elle voit bien que Stéphane Moitoiret le chappe, fatiguée de son propre parcours de
13:51 vie.
13:52 Voyant le débordement de Stéphane Moitoiret, elle va lâcher prise à la fin et lui dire
13:56 "Va-t'en et fais ce que tu as à faire".
13:58 - Stéphane Moitoiret s'en va, accomplit sa mission.
14:01 Quand il revient, qu'est-ce qu'elle raconte, votre cliente ?
14:04 - Noëlla Ego va immédiatement questionner Stéphane Moitoiret sur ce qu'il a fait.
14:08 Stéphane Moitoiret va dire qu'il était possédé, que le diable l'a poussé à commettre quelque
14:13 chose de terrible et donc, selon ses propres mots, elle va disputer Stéphane Moitoiret
14:19 pour l'infraction qu'il a commise.
14:21 - Ensuite, Stéphane Moitoiret va s'atteler à cacher des éléments de preuve.
14:26 - Le lendemain du crime, il va vouloir se débarrasser des vêtements qu'il portait, qu'il leur
14:30 a pris le soin de placer dans un sac plastique auparavant, et également du couteau.
14:35 Un couteau que les gendarmes retrouvent et qu'ils expertisent.
14:44 - Les conclusions sont sans appel.
14:47 Il y a l'ADN de Stéphane Moitoiret et l'ADN du petit Valentin dessus.
14:52 Donc, il n'y a pas de doute.
14:54 C'est l'arme du crime.
14:55 - Maître Berton, Noëlla Ego a lâché son compagnon.
14:58 Comment Moitoiret réagit ?
15:01 - Il ne comprend pas, mais en même temps, Moitoiret, il est très respectueux de Sa Majesté.
15:05 Donc, c'est son serviteur.
15:07 Donc, il y voit quelque part aussi un sacrifice.
15:10 Il doit se sacrifier pour elle.
15:12 L'arrestation de Noëlla Ego et de Stéphane Moitoiret fait la une.
15:16 Les gardes à vue sont à peine terminés que deux ministres de tout premier plan mêlent
15:22 leur voix à l'indignation populaire.
15:23 Rachida Dati et Michel Alliomari, respectivement gardes d'Essot et ministres de l'Intérieur,
15:30 entrent dans l'arène médiatique.
15:32 - Je peux vous dire que j'ai demandé au procureur de la République d'ouvrir une information judiciaire
15:36 sur la qualification de meurtre sur mineurs de 15 ans avec acte de barbarie.
15:40 J'y tiens absolument.
15:41 - Ça donne d'emblée quand même une orientation à l'affaire,
15:45 qui est quand même assez étrange par rapport à l'indépendance de la justice.
15:48 À l'issue des gardes à vue, le couple est incarcéré.
15:54 Moitoiret est mis en examen pour assassinat et acte de barbarie.
15:59 Et Noël Aego pour abstention volontaire d'empêcher la commission d'un crime.
16:04 Pourtant, l'enquête est loin d'être terminée.
16:08 Les gendarmes veulent s'assurer que les deux suspects n'ont pas fait d'autres victimes
16:13 au cours de leurs 20 années d'errance.
16:15 Rapidement, une étrange affaire refait surface.
16:23 C'était deux ans plus tôt, dans la région de Poitiers.
16:28 Et ce jour-là, un enfant, un autre petit Valentin, a croisé le chemin du couple.
16:33 - Durant l'été 2006, un mariage est organisé.
16:41 Les enfants sont confiés à une nounou et un de ces enfants va échapper à la surveillance des nounous.
16:46 Stéphane Moitoiret et Noël Aego passent par là et voient cet enfant sur le bord de la route.
16:51 Ils ne trouvent pas ça normal que cet enfant soit seul.
16:53 Dans leur imaginaire, cet enfant est en danger.
16:56 Ça, c'est un premier élément.
16:58 Le deuxième élément est que l'enfant ait lu ce prénom de Valentin.
17:02 De ces deux éléments, ils vont tirer la conséquence qu'il faut qu'ils aient la garde de cet enfant-là.
17:06 Ils vont faire ce que juridiquement on appelle une tentative d'enlèvement.
17:10 - J'imagine que la babysitter tente de récupérer l'enfant, Valentin.
17:14 - Ce à quoi Stéphane Moitoiret et Noël Aego s'opposeront
17:17 parce qu'ils sont persuadés qu'ils sont là pour le bien de l'enfant.
17:20 Et très naturellement, elle a arraché l'enfant des bras de Stéphane Moitoiret.
17:25 - Comment se termine toute cette histoire ?
17:27 - Par un dépôt de plainte qui ne donnera aucune suite.
17:29 Deux ans plus tard, le couple de marginaux bienfaiteurs est donc rattrapé par la justice
17:36 et mis en examen pour cette tentative d'enlèvement.
17:39 Pour comprendre leur dérive criminelle, les gendarmes s'intéressent à leur passé.
17:49 Ils découvrent que Noël Aego a vécu une existence normale.
17:55 Un mari, un travail dans une banque, jusqu'à ses 25 ans,
17:59 où elle quitte tout pour mener une vie de nomade.
18:02 Stéphane Moitoiret, lui, a grandi dans l'Oise.
18:05 Quand il avait 16 ans, son père a contracté une tumeur au cerveau
18:09 qui provoquait chez lui de violentes hallucinations.
18:11 Il se disait possédé par le diable.
18:15 À cette époque-là, déjà, Stéphane Moitoiret manifestait des signes inquiétants de mal-être.
18:20 - Il s'est enfermé dans la salle de bain.
18:23 Il s'endormait dans la baignoire avec l'eau qui coulait partout.
18:27 Stéphane, il chuchotait parce qu'il disait qu'on était écoutés.
18:34 Donc, il ne fallait pas parler tout haut.
18:35 Un an plus tard, Stéphane rencontre Noël A,
18:42 dans un café de Pont-Sainte-Maxence dans l'Oise.
18:45 Et c'est le début d'une longue vie d'errant en salle 2.
18:52 - Docteur Ben Sussan, que pensez-vous de ce couple ?
18:55 - Noël Aigo et Stéphane Moitoiret, c'est une sorte de coup de foudre entre psychotiques.
18:59 Il y a un jeune homme en errance, désinséré,
19:03 qui rencontre une femme dans un café et qui comprend qu'elle est d'essence divine.
19:08 Il le lui révèle. Elle en est séduite.
19:11 Ils ne se quitteront plus.
19:12 - Comment ce couple a-t-il pu prospérer dans son délire pendant toutes ces années,
19:16 20 ans, sans jamais être rattrapé par la société ?
19:21 - Il faut distinguer la folie douce et la folie furieuse.
19:23 Ce couple a eu 20 années d'errance de folie douce.
19:27 On pouvait se dire qu'on avait affaire à des doudingues,
19:29 mais qui ne feraient pas de mal à une mouche.
19:31 Ce qu'ils étaient,
19:32 jusqu'au moment où l'atrocité était commise.
19:35 - Dans ce couple, selon vous, il y a un dominant et un dominé ?
19:39 - Incontestablement, Noël Aigo a pris un ascendant sur Stéphane Moitoiret.
19:44 Noël Aigo était plus adapté à la réalité.
19:47 Elle était donc volontiers l'interface du couple avec le milieu extérieur.
19:51 Elle était également à l'origine de toute la richesse du délire.
19:54 Noël Aigo serait donc le cerveau de ce couple malade.
20:00 Forte de cet éclairage, la juge d'instruction modifie le motif de sa mise en examen.
20:06 Désormais, Noël Aigo est poursuivi pour complicité d'assassinat par instigation.
20:18 Huit mois plus tard, la juge organise une reconstitution en présence de Noël Aigo
20:23 et de Stéphane Moitoiret, qui nie toujours.
20:25 Désormais, il accuse un mystérieux personnage.
20:30 - Mais ça, c'est Belbar.
20:34 Mais qui c'est, Belbar ?
20:35 - Il faut demander à lui.
20:36 - Et qui est-ce qui connaît Belbar ?
20:38 - Beaucoup de monde en France.
20:40 - Beaucoup de monde en France.
20:42 Mais vous, vous le connaissez physiquement ?
20:44 - Ah oui, oui.
20:46 - Et il fait quoi dans la vie, Belbar ?
20:48 - Ben... Il complote, c'est tout ce qu'il fait.
20:50 - Il complote.
20:52 Et qu'est-ce qu'il a à faire avec un enfant ?
20:54 - Ben... C'est pour m'offenser, moi. C'est pour ça.
20:58 - Il vous en veut, Belbar ?
21:00 - Bien sûr.
21:02 Moitoiret s'enferme dans ses retranchements.
21:05 La juge finit par perdre patience et met fin à la reconstitution.
21:10 (Générique)
21:18 La question qui sous-tend cette affaire depuis le début devient incontournable.
21:24 Stéphane Moitoiret et Noël Aégault sont-ils aptes à être jugés ?
21:30 En France, c'est un principe inaliénable.
21:39 On ne juge pas les fous.
21:41 Denis Salas, quelle a été l'évolution de l'irresponsabilité pénale à travers les âges ?
21:51 - Dans la perception qu'on en avait au début,
21:53 le fou suscitait plutôt la pitié, l'indulgence.
21:58 Il était en quelque sorte celui sur lequel le malheur s'était abattu
22:02 et il n'était pas perçu comme menaçant pour la collectivité.
22:06 Le fou était remis à la psychiatrie.
22:09 Dans le cas où il n'était pas considéré comme tel,
22:12 c'était la répression, la prison, voire dans les cas les plus graves, la peine de mort.
22:18 - C'était fou ou pas fou ?
22:20 - On a considéré que ce tout-ou-rien, folie ou au contraire répression,
22:28 ne valait pas dans la plupart des cas et qu'il y avait des situations intermédiaires.
22:33 C'était l'apparition en 1994 de l'article 122-1 du Code pénal
22:39 où on a substitué à ce tout-ou-rien une situation intermédiaire
22:42 qui est l'altération de la responsabilité à côté de l'irresponsabilité
22:48 qui est maintenue parallèlement.
22:50 - Est-ce que vous pouvez m'expliquer la différence
22:53 entre abolition du discernement et altération du discernement ?
22:59 - L'abolition du discernement, c'est très simple.
23:02 Quand un expert psychiatre dit que cet individu souffre d'un trouble psychologique
23:07 qui le rend irresponsable au moment des faits.
23:10 L'altération, c'est qu'il y a des troubles psychologiques
23:13 qui ne sont pas d'une gravité telle qu'ils entravent son discernement et sa liberté.
23:18 - Donc il est responsable en partie du meurtre qu'il a commis ?
23:22 - Il y a une folie partielle qui laisse présente sa responsabilité
23:26 et qui le rend jugeable par les juridictions.
23:30 Ce sont les experts psychiatres qui déterminent si un accusé est responsable de ses actes
23:35 et si son discernement est aboli ou seulement altéré.
23:39 Une mission délicate car l'irresponsabilité pénale
23:43 prive les familles de victimes d'un moment clé, le procès.
23:47 Une problématique soulevée avec passion 3 ans et demi avant le meurtre de Valentin.
23:59 C'était en décembre 2004, après un double crime qui s'est déroulé à Pau.
24:04 - Eric Morel, les médias avaient titré "Le drame de Pau".
24:23 Est-ce que vous pouvez nous raconter ce qui s'est passé ?
24:26 - Je suis appelé par la police nationale, il est environ 7h du matin
24:30 et on m'annonce que l'on vient de découvrir deux infirmières
24:33 avec les têtes découpées au centre hospitalier psychiatrique de Pau.
24:38 - Qu'est-ce que vous découvrez ?
24:40 - On découvre le corps de ces deux malheureuses dans une mare de sang.
24:45 L'une a la tête quasiment découpée, elle est lardée de coups d'arme blanche.
24:51 Quant à l'autre, l'assassin aura découpé sa tête et l'aura posée sur un poste de télévision.
24:57 Ce qui fait que bien entendu, tous ceux qui rentrent sur cette scène de crime
25:00 sont particulièrement choqués.
25:03 - Et que donne l'enquête ?
25:05 - L'enquête va durer quelques semaines et en fait c'est tout à fait par hasard
25:09 que celui qui s'avérera être l'auteur de ces faits sera interpellé
25:13 à l'occasion d'un contrôle par la brigade d'entrée criminalité, c'est Romain Dupuis.
25:18 Effectivement, c'est quelqu'un qui présente des pathologies psychiatriques lourdes.
25:23 Ses troubles ont été repérés de manière précoce.
25:26 Il a fait plusieurs séjours en milieu psychiatrique.
25:29 A l'époque déjà, comme pour Stéphane Moitoiret et Noël Aigo, la question s'était posée.
25:36 Pouvait-on juger Romain Dupuis ?
25:39 En deux ans, une dizaine d'experts se sont succédés pour statuer sur sa responsabilité.
25:47 Parmi eux, Roland Coutenceau.
25:50 - Docteur Coutenceau, vous évoquez une schizophrénie paranoïde. Qu'est-ce que c'est ?
25:56 - C'est un mot un peu du jargon des psychiatres pour dire une schizophrénie délirante.
26:01 Alors le délire, il se caractérise là aussi par quelque chose qui n'existe pas chez le normal.
26:06 C'est l'hallucination.
26:08 Et l'hallucination la plus fréquente des délires schizophréniques, c'est l'hallucination auditive.
26:13 Donc on entend des voix, comme on dit.
26:15 Et ces voix, bien sûr, sont en rapport avec des thèmes.
26:19 Et il y a des thèmes fantastiques chez Romain Dupuis, mais le thème de la persécution.
26:24 - Selon vous, c'est la maladie qui l'a poussé à agir ?
26:26 - C'est les éléments délirants qui sous-tendent, qui sont à l'origine, qui expliquent, qui motivent le passage à l'acte.
26:34 Donc c'est la folie qui est directement la cause de ces passages à l'acte.
26:41 Pour les experts, Romain Dupuis n'était donc pas un criminel, mais un malade.
26:47 - Au vu des expertises psychiatriques, j'indique au juge d'instruction que pour ma part, on ne peut pas aller devant la cour d'assises.
26:56 - C'est une décision difficile à prendre ?
26:58 - C'est une décision difficile à prendre.
27:00 J'ai parfaitement conscience des conséquences de ce que j'écris.
27:05 J'ai d'autant plus conscience que tout au long de l'information, j'ai maintenu le contact avec les familles des victimes,
27:10 avec les époux et compagnons, et qu'ils m'ont toujours dit qu'ils souhaitaient qu'il y ait un jugement.
27:15 Donc je sais très bien, au moment où j'écris cela, que je vais à l'encontre de toutes les espérances, de toutes les attentes des familles.
27:21 - Qu'est-ce qui a prévalu à vos yeux pour prendre cette décision ?
27:24 - Le droit. Et le droit de l'époque me conduisait inéluctablement en conscience à requérir ce non-lieu.
27:34 Romain Dupuis n'a donc pas été jugé, mais interné dans une structure spécialisée.
27:39 Une UMD, une unité pour malades difficiles.
27:44 - Docteur Beaudon-Bruzel, qu'est-ce que c'est qu'une UMD ?
27:59 - Ce sont des unités qui ont été créées pour recevoir des pathologies difficiles à soigner,
28:04 et des patients qui présentent un état dangereux majeur, certain et imminent,
28:09 avec une pathologie incompatible avec une prise en charge dans des unités psychiatriques ordinaires.
28:15 En UMD, les locaux sont solides, les équipes ont l'habitude,
28:20 et donc les protocoles sont mis en place, et donc les prises en charge peuvent se mettre en place,
28:25 même avec les patients les plus compliqués, les plus rebelles à la thérapeutique,
28:30 et présentant des problèmes de comportement importants.
28:33 - Romain Dupuis est aujourd'hui le plus ancien patient de son UMD.
28:38 Après des années de traitement, il serait stabilisé et ne serait plus sujet à ces délires psychotiques.
28:45 Mais rien n'indique qu'il en sortira un jour.
28:49 [Musique]
28:58 A l'époque, la décision de non-lieu pour conclure le drame de Pau a provoqué la colère des familles de victimes.
29:06 En 2008, le Parlement a procédé à une importante modification de la législation pour y remédier.
29:16 [Musique]
29:22 - Georges Fenech, pourquoi ce nouveau texte sur l'irresponsabilité pénale ?
29:26 - Lorsque la justice rend une décision de non-lieu, ça choque, ça heurte les victimes qui ne comprennent pas cette décision.
29:34 C'est une manière de leur dire, en tout cas de la manière dont ils l'interprètent, non-lieu, circuler.
29:41 Finalement, il n'y a rien à voir. Il n'y a pas de procès. On a le sentiment que l'affaire n'a jamais eu lieu, en quelque sorte.
29:49 Depuis la loi de 2008, on a une audience, même si la personne n'a pas ses facultés intellectuelles,
29:55 on entend les témoins, on entend la partie civile, il y a des avocats, on entend les experts.
30:01 Donc, il y a une audience qui reconnaît, elle le dit d'ailleurs, l'individu est bien l'auteur matériel des faits.
30:07 Ça, c'est important pour les victimes, mais il n'a pas de responsabilité morale, puisqu'il était totalement inconscient de ce qu'il faisait.
30:17 - Ça veut dire qu'on accepte de faire ce que même les Romains ne faisaient pas, on accepte de juger un fou ?
30:22 - On ne juge pas un fou, puisqu'on le déclare matériellement l'auteur des faits, mais irresponsable pénalement.
30:29 Donc, il n'y aura pas de sanction pénale. On ne juge pas des fous, on juge des faits commis par un irresponsable pénalement.
30:37 Du côté de l'accusé, enfin, l'accusé entre guillemets, je ne sais même plus comment le nommer, si vous voulez,
30:50 je ne vois pas très bien le sens que cela peut avoir.
30:53 - À mon sens, cette audience permet effectivement aux victimes avant tout d'être entendues par la justice,
31:02 de raconter leur récit, de témoigner de leur souffrance.
31:07 Une souffrance qui, pour Véronique, la mère de Valentin, appelle plus qu'une audience de principe.
31:16 Ce qu'elle souhaite, elle, c'est un véritable procès.
31:21 - Véronique Crémaux, la maman de Valentin, veut voir Stéphane Moitoiret, Noël à égaux devant une cour d'assises.
31:28 - Ah oui, absolument, oui. Absolument. Vous vous rendez compte ce que ça veut dire, de savoir qu'un homme ou qu'une femme a tué votre fils ?
31:38 Et qu'il n'y a pas de responsabilité, que c'est un robot, une chose irresponsable, qui n'a rien à articuler, qui n'a rien à dire,
31:52 qui n'a rien à expliquer, qui n'a rien à expier, qui a tué votre enfant. C'est insupportable, quoi.
32:05 Il faut qu'il y ait une condamnation. On sait maintenant qu'il y a eu meurtre. Il faut qu'il soit puni.
32:12 Reste à savoir si le couple Moitoiret-égaux sera déclaré responsable de ces actes.
32:26 Pour Noël à égaux, les experts posent un diagnostic sans appel. Elle souffre de paraphrénie, une psychose chronique rare.
32:36 - C'est la capacité d'être à la fois avec nous dans notre monde et en même temps d'être dans un refuge imaginatif tout à fait extraordinaire.
32:47 - Vous êtes invité chez des amis, vous rencontrez un monsieur, vous êtes assis à la table à côté de lui, vous sympathisez,
32:55 vous échangez pendant toute la soirée, il vous parie intéressant. Et puis à 11h30, il regarde sa montre et puis il dit "bon, il faut que j'y aille".
33:04 Il dit "ah bon, vous avez quelque chose à faire" et il vous dit "bah oui, je suis attendu sur Mars".
33:09 Et à ce moment-là, il vous livre un immense délire. Et c'est ça la paraphrénie.
33:16 Une pathologie lourde. Mais les psychiatres sont unanimes. Noël à égaux est responsable de ses actes.
33:23 Elle peut donc être jugée.
33:27 En revanche, pour Stéphane Moitoiret, le problème est tout autre.
33:34 - Docteur Bensussan, quel diagnostic posez-vous sur cet homme ?
33:39 - Il s'agit à mes yeux d'un grand malade mental et je pèse mes mots comme on n'en croise pas deux dans une vie de psychiatre.
33:47 C'est un schizophrène de manuel scolaire avec un délire d'une richesse absolument insensée.
33:56 - Ce qui caractérise ce crime, c'est qu'il n'y a pas de mobile, ce qu'on cherche dans un crime rationnel, or là, on est dans l'irrationnel.
34:03 - Vous savez, le crime du psychotique, c'est un crime immotivé, ou en tout cas dont les motivations échappent à l'entendement.
34:10 Parce qu'un crime délirant, si je dis que je tue le petit Valentin pour sauver l'humanité, le mobile absurde rentre dans la catégorie du crime immotivé.
34:19 Donc un crime dont nul ne peut comprendre l'origine, avec une victime choisie au hasard et un acharnement absolument incompréhensible sur la victime.
34:28 - Vos deux confrères ont la même analyse que vous ?
34:32 - Je me retrouve en opposition diagnostique totale avec mes confrères, qui ne pensent pas que Stéphane Moitore est psychotique,
34:41 qu'ils l'estiment simplement influençable, un peu bené au fond, influencé par sa compagne.
34:46 - Pour quelle raison vos points de vue divergeaient-ils autant ?
34:49 - Ils considéraient que la famille du petit Valentin avait besoin d'un procès pour faire son deuil, et que Stéphane Moitore, lui aussi, le procès le ramènerait dans la réalité.
34:59 Alors ça c'est quelque chose qui est, à mes yeux, inacceptable au plan psychologique et psychiatrique,
35:05 parce qu'on ne demande pas aux experts de transformer une cour d'assises en thérapie de groupe.
35:10 J'ai été donc dans l'obligation de me séparer du collège et de rédiger un rapport individuel pour Stéphane Moitore.
35:17 - C'est fréquent ça, de se dissocier dans un même collège d'experts ?
35:21 - C'est la première fois de ma vie d'expert, et je forme le vœu que ce sera la dernière.
35:27 La juge désigne alors un second collège de trois experts, qui cette fois-ci partagent tous l'avis du Dr Ben Sussan.
35:34 Stéphane Moitore est schizophrène.
35:37 Son discernement était aboli au moment du fait. Il ne peut donc pas comparaître devant une cour d'assises.
35:44 - À ce moment-là, contrairement à ce que tout le monde attend,
35:48 eh bien le juge d'instruction ne va pas se contenter de ce rapport d'expertise, non.
35:54 Il va nommer un nouveau collège d'experts, ce qui paraît quand même très surprenant.
35:59 - On se dit, là-dedans, on va bien avoir un expert qui va cautionner la démarche que nous avons
36:04 de faire juger par une cour d'assises Stéphane Moitore.
36:08 En juin 2010, le troisième collège, composé de quatre nouveaux experts psychiatres, rend son rapport.
36:16 - On a diagnostiqué, bien sûr, une maladie mentale, mais on a estimé qu'il y avait quelque chose
36:27 qui n'avait pas été totalement éclaircie, qui était la dynamique entre les deux protagonistes.
36:35 Et on pensait encore que le fait peut-être de les confronter pourrait finir d'éclaircir le débat.
36:44 Alors c'est vrai qu'on a conclu d'une formule un peu ambiguë en disant, pour l'instant,
36:53 s'orienter vers l'altération du discernement.
36:57 Une altération du discernement. A six voix contre quatre, les psychiatres ont donc tranché.
37:04 Stéphane Moitore sera jugé aux côtés de Noël Aégault.
37:09 C'est devant la cour d'assises de Lens que s'ouvre le procès de l'assassinat du petit Valentin.
37:15 - Ce qui frappe d'emblée dans ce procès, c'est le mutisme de Moitore,
37:22 qui se trouve figé dans le box, la tête penchée un peu comme une gargouille, un véritable zombie, on peut dire.
37:29 Dans la salle, il y a ceux pour qui Moitore est fou, qui sont les plus étonnants.
37:35 Dans la salle, il y a ceux pour qui Moitore est fou et n'a donc rien à faire là.
37:40 Et face à eux, l'avocat de la famille du petit Valentin.
37:45 - Maître Collard, ce procès est surréaliste, non ?
37:51 - Ah oui, oui. On est dans une autre dimension, effectivement.
37:56 Par moments, on déambule dans un univers de fou,
38:02 puis de saletain banque, puis de comédien.
38:06 Et on n'arrive plus très bien à savoir qui on juge.
38:11 Moi, toi, réelle audience, on a bien vu que c'est un malin.
38:18 Bon, moi, je me rappelle, quand je l'ai questionné à deux ou trois reprises,
38:26 il est entré dans le piège, il a raisonné, il a discuté, puis vite, il s'est repris.
38:31 Voilà, c'est un voyage dans une autre dimension
38:36 où cohabitent la folie et la raison, avec des moments où l'une estompe l'autre.
38:43 - Et Noëlla Ego ? Vous vous souvenez de l'impression que vous avez fait cette fois ?
38:47 - Frayante. Si vous avez envie de faire un film avec un personnage
38:53 qui, à la première image, vous fait peur, vous la prenez.
38:57 - Pour l'accusation, Noëlla Ego est complice ?
38:59 - Oui, oui.
39:01 - Vous partagez cette avis ?
39:02 - Ah oui, oui, oui, oui, oui, oui, oui, oui.
39:05 Tout à fait complice, oui, oui.
39:06 Défense, accusation, partie civile, journaliste,
39:12 tout le monde attend le moment crucial du procès, la déposition des experts.
39:17 - On a vraiment l'impression que les psychiatres vont faire le verdict.
39:23 Pourtant, des divergences entre les 10 experts éclatent de nouveau à la barre
39:28 et les jurés ont bien du mal à s'y retrouver.
39:30 Mais pas de quoi ébranler l'avocat général.
39:36 Pour lui, il n'y a pas de place au doute.
39:38 Stéphane Moitoiret a eu un comportement lucide et logique après le crime
39:43 en voulant effacer les traces de son forfait.
39:45 Il requiert 30 ans de prison à son encontre.
39:49 Et pour Noëlla Ego, il réclame une peine allant de 16 à 18 ans.
39:55 Maître Nassar Zadeh, selon l'avocat général,
39:58 Noëlla Ego est la rampe de lancement d'un Stéphane Moitoiret
40:01 qui est son missile téléguidé.
40:03 Qu'est-ce que vous en pensez, vous, de cette analyse ?
40:06 - Qu'il se trompe totalement, qu'il n'a à l'évidence pas pris connaissance du dossier,
40:10 qu'il a fait fi des différentes expertises psychiatriques qu'il y a eues.
40:14 Il ne faut pas oublier qu'il y a eu 10 experts psychiatres
40:17 qui s'accordaient tous à dire que si Stéphane Moitoiret
40:21 n'avait pas commis de crime durant les 20 dernières années,
40:24 c'était uniquement parce que Noëlla Ego l'avait compte tenu.
40:27 Et que sa décompensation, son passage à l'acte,
40:30 est directement lié au fait que Noëlla Ego
40:33 ne pouvait plus continuer à vivre avec Stéphane Moitoiret.
40:36 - Vous espérez qu'elle peine ?
40:38 - J'espère qu'elle soit acquittée totalement.
40:40 - Maître Franck Berton, qu'est-ce que vous dites aux jurés ?
40:50 - Nous plaidons avec Hubert Delarue la folie,
40:53 et puis on plaide aussi contre cette volonté de faire juger les fous.
40:57 En disant qu'on se trompe de procès,
41:00 on se trompe de justice et que la justice s'égare.
41:03 Et que la justice de droit commun ne doit pas s'appliquer à enfermer des fous en France.
41:07 - Le verdict est prononcé, Noëlla Ego est condamnée à 18 ans de prison.
41:12 Stéphane Moitoiret est votre client à la perpétuité, vous êtes surpris ?
41:16 - Ah ben il me poquette très lourd le verdict.
41:18 Un gamin poignardé de dizaines et dizaines de coups de couteau,
41:22 c'est forcément la réclusion criminelle à perpétuité.
41:24 - Vous allez faire appel ? Est-ce que c'est à votre initiative,
41:28 ou est-ce que c'est lui qui vous demande de faire appel ?
41:30 - Moi, Moitoiret, je le redis, comme il considère qu'il n'est pas fou,
41:33 et du reste la justice va dans son sens,
41:36 et donc il dit "je m'ouvre la voie de l'appel"
41:39 parce que perpétuité c'est quand même lourd, c'est beaucoup.
41:42 Et donc on fait appel, avec son accord et avec sa décision,
41:45 il est partie prenante là-dedans.
41:47 - Deux ans plus tard, Noël Aégaud et Stéphane Moitoiret sont de retour dans le box des accusés.
41:58 - Moitoiret est libéré de sa camisole chimique,
42:01 il ne prend plus ses médicaments, enfin du moins les mêmes médicaments,
42:04 et à ce moment-là c'est un Moitoiret transformé.
42:06 - Mais la folie de Moitoiret est toujours là.
42:11 - Quand on lui parle pas de Valentin, il est dans le réel,
42:16 il est carrément, il répond des questions tout à fait normales,
42:20 comme on peut me poser,
42:23 et dès qu'on parle de Valentin, il y a un blocage,
42:27 il y a un blocage qui s'instaure et on sent qu'il est mal à l'aise.
42:31 Je lui ai montré la photo, je lui ai dit "regardez, vous voyez pas qu'il avait un visage d'ange ?"
42:38 Je lui ai dit "il était gentil Valentin, pourquoi l'avez-vous tué ?"
42:42 On sent qu'il a peur de se planter, donc il réfléchit à tout ce qui va répondre.
42:47 - Et là Moitoiret part dans le délire, dans une belle barre, dans une cour d'aveu,
42:54 on insiste absolument sidéré à quelque chose qu'on ne voit par définition jamais dans une cour d'assises,
42:59 un malade mental en pleine crise de délire, mais de délire total.
43:07 Cette fois encore, le témoignage des experts est capital pour trancher sur la responsabilité pénale de Noël Aégault et Stéphane Moitoiret.
43:15 Sur la question de l'abolition du discernement de l'assassin, les psychiatres restent partagés.
43:21 Mais cette fois-ci, les experts sont d'accord sur un point.
43:26 - Ils étaient épuisés, épuisés par cette vie d'errance,
43:31 épuisés aussi par leurs problèmes psychiatriques, qui dans les deux cas sont des problèmes extrêmement lourds,
43:36 et qui, à mon avis, devaient s'aggraver.
43:40 Après 8 heures de délibéré, le verdict est prononcé.
43:45 Noël Aégault est acquitté pour la complicité d'assassinat de Valentin.
43:50 Pour la tentative d'enlèvement du premier petit Valentin, elle est condamnée à 5 ans de prison.
43:56 Stéphane Moitoiret, lui, est reconnu coupable et condamné à 30 ans de réclusion criminelle,
44:02 assorti d'une période de sûreté de 20 ans.
44:06 Maître Berton, votre client est lourdement condamné et il vous dit merci.
44:12 - Oui, il nous dit merci. Il est satisfait de cette décision.
44:16 D'abord parce que c'est beaucoup moins qu'en première instance.
44:20 C'est plus perpétuité. C'est 20 ans de sûreté.
44:25 Et puis surtout, c'est pas de rétention de sûreté,
44:28 et puis pas de suivi socio-judiciaire qui est prononcé par la Cour d'assises de Lyon.
44:33 - Comment est-ce que vous expliquez ce second verdict qui est plus clément que le premier ?
44:37 - Peut-être que les jurés ont tenu davantage compte de l'altération du discernement.
44:43 Nous, on a exhorté les jurés à avoir du courage, c'est-à-dire de déclarer Stéphane Moitoiret fou.
44:49 Mais une fois que l'institution était en route,
44:51 une fois que le pouvoir politique avait mis la main sur ce drame,
44:56 il était trop tard et ils ont peut-être tenu compte de ça et ils ont été plus cléments.
45:01 - À l'issue de ce procès en appel, Noëlla Ego, qui a passé plusieurs années en détention,
45:11 est censée sortir libre du tribunal de Lyon.
45:14 Maître Nasser Zadeh, que va-t-il se passer pour Noëlla Ego ?
45:21 - Directement de la détention, un camion viendra la chercher pour l'enfermer sans son consentement en hôpital psychiatrique.
45:28 Là, vous voyez éclater en fait toute l'hypocrisie du traitement judiciaire des personnes qui sont infectées d'un trouble de personnalité.
45:35 Voilà une femme qui est placée en détention provisoire depuis cinq ans,
45:39 dont dix experts psychiatres disent que le discernement n'est ni aboli, ni altéré.
45:44 Cela signifie que son état psychiatrique est tel qu'elle peut parfaitement vivre en société
45:49 et qu'elle ne représente en tout état de cause aucun danger, ni pour elle-même, ni pour autrui.
45:55 Tout d'un coup, au bout de cinq ans, et à la faveur d'un délibéré d'acquittement,
46:00 Noëlla Ego devient une personne qui aurait besoin d'être internée psychiatriquement.
46:04 - Qui a décidé de cette hospitalisation ?
46:06 - C'est la préfecture qui décide de cette hospitalisation,
46:10 mais bien entendu la préfecture est en lien avec la cour d'assises qui a pris cette décision
46:16 et j'imagine plus particulièrement le président.
46:19 - Que devient-elle aujourd'hui ?
46:21 - Noëlla Ego n'est plus hospitalisée sans son consentement.
46:24 Elle vit la vie à laquelle elle a toujours aspiré,
46:27 dans un endroit qui n'est pas dans une vie, avec ses chats,
46:30 et finalement dans l'anonymat, et elle s'adonne à ce qu'elle aimait faire, c'est-à-dire tricoter.
46:38 Libre, Noëlla Ego a même bénéficié d'un dédommagement pour ses cinq années d'enfermement provisoire subies injustement.
46:46 - Ça peut choquer, après son parcours ?
46:51 - Si on estime qu'il est choquant d'anonymiser une personne qui a été privée de sa liberté d'aller devenir,
46:56 qui a été enfermée 23h/24 dans une prison, alors qu'elle était innocente, oui alors c'est choquant.
47:03 Si on estime qu'une personne qui a été injustement, il s'agit d'une erreur judiciaire placée en prison pendant cinq ans,
47:11 à ce moment-là, non, ça ne serait pas choquant.
47:13 Stéphane Moitoiret, lui, n'échappe pas à la prison, malgré ses troubles psychiatriques.
47:20 Et il n'est pas le seul.
47:22 Actuellement, 23% de la population carcérale serait atteinte de troubles psychotiques à des degrés divers,
47:32 soit près d'un détenu sur quatre.
47:34 Une réalité qui empoisonne le quotidien des surveillants pénitentiaires.
47:44 - Jean-François Forger, quels conséquences ça a dans le quotidien d'une prison ?
47:55 - C'est difficile à gérer avec la promiscuité des autres détenus, c'est régulièrement aussi des agressions.
48:01 On a des schizophrènes qui prennent en otage plusieurs fois dans l'année des personnels de surveillance ou des personnels du corps médical.
48:10 - Comment vous gérez justement au quotidien ?
48:12 - Comme on peut, c'est l'article 22 des mères de toit, j'oserais dire.
48:16 Quand vous avez des détenus qui, ne serait-ce que pour exprimer leur désapprobation, leur frustration,
48:23 sont à déféquer sur les murs, à calfeutrer les portes avec leurs excréments, on en est là.
48:29 Donc c'est extrêmement compliqué à vivre au quotidien.
48:33 - Ces détenus parfois font des allers-retours entre les unités de soins et la prison.
48:38 Est-ce que vous, vous voyez des bénéfices pour eux dans cette situation ?
48:41 - Non, c'est toujours des sasses de décompression temporaire.
48:46 C'est une bouée d'oxygène mais elle est souvent courte.
48:49 - Que pourrait-on faire selon vous pour améliorer cette situation ?
48:53 - Il y a deux choses essentielles à faire.
48:55 C'est 1) rétablir un certain nombre de lits dans le domaine de la psychiatrie.
49:01 Et simultanément, il faut aussi revoir le parc pénitentiaire avec des moyens structurels,
49:08 des moyens en personnel et en formation supplémentaires.
49:11 Parce que certains, s'ils doivent dépendre de la psychiatrie, ils ont aussi une responsabilité pénale.
49:16 Et on doit être en capacité de les prendre en charge. C'est pas le cas aujourd'hui.
49:20 Pour remédier à cette situation et prendre en charge des cas les plus difficiles,
49:24 comme celui de Stéphane Moitoiret, une structure a été mise en place.
49:28 Les UHSA, Unités Hospitalières Spécialement Aménagées.
49:33 - Dr Beaudon-Brussel, qu'est-ce que c'est qu'une UHSA ?
49:39 - Ce sont des hôpitaux qui reçoivent des personnes détenues qui présentent des troubles mentaux,
49:44 qui nécessitent une hospitalisation à temps plein, en milieu psychiatrique.
49:49 Mais il est vrai que dans ces unités, comme elles sont aménagées,
49:52 il y a également des surveillants pénitentiaires.
49:55 - Donc ce sont des détenus qui sont enfermés dans un univers médicalisé,
50:00 mais surveillés par l'administration pénitentiaire.
50:03 - C'est ça. Mais si vous rentrez dans une UHSA, dans une unité, rien ne différencie vraiment
50:09 une unité d'une UHSA d'une unité de psychiatrie ordinaire.
50:13 On ne voit pas, comme je vous l'ai dit, des surveillants pénitentiaires.
50:16 Ce sont les infirmiers qui ont les clés des chambres, ce ne sont pas des cellules, ce sont bien des chambres.
50:20 Ce n'est pas une cour de promenade, c'est une cour où les patients peuvent aller
50:26 lorsqu'ils ne sont pas dans la salle de vie.
50:29 Ça ressemble à une UHSA ordinaire, ils mangent ensemble.
50:32 Et ce sont des unités mixtes. On hospitalise des hommes, des femmes et des mineurs.
50:37 - Selon vous, c'est un dispositif efficace pour ces détenus malades ?
50:43 - Oui, puisque ces unités sont spécialement aménagées, elles permettent de travailler tranquillement.
50:48 Les hospitalisations sont beaucoup plus longues en UHSA qu'en psychiatrie générale.
50:53 Et on a le temps de travailler, de mettre à plat la pathologie, l'ensemble des problématiques,
50:59 et de proposer des soins assez complets. C'est un dispositif nécessaire.
51:05 - Un dispositif nécessaire, mais qui reste insuffisant.
51:10 Les décisions d'irresponsabilité pénale sont de plus en plus rares.
51:14 Elles représenteraient moins de 0,5% des affaires criminelles instruites ces dernières années en France.
51:20 - Il y a effectivement une tendance de la psychiatrie actuelle
51:25 de renvoyer en quelque sorte toute une partie de cette population,
51:31 à la fois dangereuse et en même temps marginale, vers le judiciaire, si vous voulez.
51:37 Ça, c'est une réalité. On parle actuellement d'une fonction asilaire de la prison,
51:42 qui récupère une "clientèle" qui devrait être récupérée par l'asile psychiatrique,
51:50 ou la psychiatrie en général. Il y a effectivement cette tendance-là.
51:54 L'altération du discernement, c'est un moyen de nommer cette population marginale,
52:00 mais néanmoins très atteinte par des troubles mentaux,
52:04 et de la réintégrer dans le champ carcéral.
52:07 En pénalisant la folie, la société pense se mettre à l'abri.
52:11 C'est pourtant exactement l'inverse qui se produit.
52:15 Car aujourd'hui en France, la perpétuité réelle est rarissime.
52:19 L'internement à vie, lui, l'est beaucoup moins.
52:23 - L'hôpital psychiatrique aurait été une punition beaucoup plus terrible pour Stéphane Moitoiret
52:28 que la justice des hommes et la justice de la cour d'assises,
52:31 qui va lui permettre à 60 ans, s'il a un comportement, je pense,
52:36 savoir correct en maison d'arrêt, de recouvrer la liberté.
52:40 Et vous savez ce qu'on dira en 2028 quand il aura fini sa peine ?
52:43 On créera un scandale en disant "mais comment cet homme a recouvré la liberté ?
52:48 Non mais il a recouvré la liberté parce qu'il a exécuté sa peine !"
52:51 Bon, on a jugé un fou, on a jugé un fou, et ça a choqué personne.
52:55 Mais c'est terrible. Vous savez, quand notre justice s'amuse à juger les fous,
52:58 les fous, il faut être inquiet pour ceux qui ne le sont pas.