L'argent sale, le poison de la finance - Mafia - Banques - Documentaire complet
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00:15 Juisbourg en Allemagne, le 15 août 2007.
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00:22 Six mafieux gissent sur le bitume, tous originaires de Calabre en Italie.
00:26 "Ce n'est pas du cinéma, ce n'est pas Hollywood, ce n'est pas Le Parrain, Les Affranchis ou American Gangster, là c'est la réalité."
00:36 La tuerie du 15 août déchire le voile d'ombre dont se drape habituellement le crime organisé et retombe aussitôt dans l'oubli.
00:46 Et pourtant, une autre lecture de ce carnage est possible.
00:50 "Le crime organisé, c'est la face noire de la mondialisation."
00:57 Oui, sous le bitume de Juisbourg, une autre histoire se dessine, bien plus tentaculaire et inquiétante.
01:04 Celle de la gangrène mafieuse par l'économie.
01:07 "La mondialisation a donné une dimension financière globale aux mafias."
01:15 "Leur richesse est significative aujourd'hui pour la stabilité des marchés économiques et financiers."
01:23 "Nous parlons donc d'une menace pour l'humanité, celle du crime organisé."
01:28 "Un poids économique si grand qu'une question se pose à nous."
01:33 "Où cela va-t-il nous mener ?"
01:37 Cinq ans après le sang versé à Juisbourg, je suis parti sur les traces de cette mondialisation criminelle.
01:43 Celle qu'on ne voit pas, dont on ne parle pas.
01:47 Celle de cet argent sale qui colonise le monde.
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02:14 Direction l'Italie, le royaume des mafias, qui demeure l'exemple le plus abouti de l'infiltration du crime dans l'économie.
02:23 Première étape, le port de Gioia Tauro, au sud du pays, en Calabre, là où justement sont nés les assassins et les victimes de Juisbourg.
02:34 Créé il y a près de 20 ans, Gioia Tauro est aujourd'hui le premier port de conteneur de la Méditerranée.
02:41 La crise ne l'a pas épargné, mais il accueille encore environ 3000 navires par an et 3 millions de conteneurs.
02:48 Pas étonnant de voir la mafia fondre sur une telle source de business.
02:53 À Gioia Tauro, c'est l'ombre de la 'Ndrangheta qui plane sur les docks.
03:00 L'Ndrangheta a une nature de parasite, elle a besoin d'un organisme sur lequel s'enraciner et là, exploiter son environnement.
03:11 Un port, c'est une porte sur le monde.
03:15 La libre circulation des biens est une des clés de l'économie libérale et Gioia Tauro en est donc une vitrine.
03:23 Un lieu stratégique qu'une organisation criminelle peut utiliser pour tous ses trafics, drogues, cigarettes, armes.
03:32 À Gioia Tauro, on dit même que la 'Ndrangheta prélève une taxe sur chaque conteneur débarqué.
03:39 Chaque année, les autorités italiennes saisissent des millions de pièces de contrefaçon, des dizaines de tonnes de contrebandes.
03:47 Rien qu'au second semestre de l'année 2011, plus d'une tonne de cocaïne.
03:53 Bien sûr, le port de Gioia Tauro est un épicentre du trafic de drogues.
04:01 Les saisies les plus récentes l'ont encore démontré.
04:07 Le juge di Palma ne nous en dira pas beaucoup plus.
04:11 Des précautions oratoires qui s'expliquent peut-être par l'omniprésence des dirigeants du port autour de nous ce jour-là.
04:18 En tout cas, tout le monde n'est pas aussi modéré dans son diagnostic.
04:24 Le calabré Francesco Forgione a dirigé la commission parlementaire anti-mafia entre 2006 et 2008.
04:31 Il fait partie de ceux qui ont alerté le monde sur la puissance de la 'Ndrangheta,
04:36 mais aussi sur le pouvoir économique de l'ensemble des mafias italiennes.
04:41 N'ayons pas peur de dire la vérité.
04:46 La majeure partie des activités du port de Gioia Tauro est toujours pilotée par la 'Ndrangheta.
04:53 C'est un vrai problème, car la présence de la 'Ndrangheta dans le port de Gioia Tauro,
04:58 ce n'est pas la présence des mafieux avec des revolvers et des fusils.
05:05 C'est la présence de sociétés et d'entreprises propres qui sont directement liées à des familles,
05:12 les piromalli, les pece, les bellocchio.
05:19 Ces noms sont ceux de quelques-uns des 145 clans qui composent la 'Ndrangheta.
05:29 On peut voir ici leurs bosses, filmées à l'heure insue par les carabiniers.
05:35 Des images volées et rares d'un monde qui cultive la discrétion.
05:42 La justice italienne recense en calabre près de 5000 affiliés à la 'Ndrangheta.
05:49 C'est sans compter tous les autres, ces centaines de personnes, complices,
05:54 qui travaillent dans des entreprises légales et grâce auxquelles la mafia calabraise fait son business à Gioia Tauro.
06:01 En recrutant la main d'oeuvre, en corrompant les syndicats, en verrouillant les appels d'offres.
06:08 C'est ainsi qu'une mafia marque son territoire.
06:15 Le mafieux Forgione ne fait ses affaires à Paris, Milan, Duisbourg, au Toronto, que s'il est le patron d'un territoire en calabre.
06:27 La dimension territoriale et la dimension mondiale vont de pair. Il n'existe pas une mafia sans territoire mafieux.
06:38 Le territoire, c'est une famille. Une famille, c'est du sang. Et le sang, c'est le silence.
06:45 Mais une mafia globale comme la 'Ndrangheta, c'est aussi la modernité, le contrôle du territoire et les réseaux financiers,
06:54 le berger et le banquier, Gioia Tauro et le monde.
06:59 Voilà comment une mafia fonde son pouvoir et part à la conquête de la planète.
07:05 C'est ce que nous raconte aussi Duisbourg. Ce règlement de compte entre clans calabrés révèle à des Allemands éberlués
07:12 que leur pays est devenu une tête de pont des mafias italiennes en Europe.
07:17 Comme un clin d'œil à la légende, la tuerie du 15 août a d'ailleurs eu lieu devant une pizzeria.
07:23 Et ça n'est pas qu'un cliché. La 'Ndrangheta en contrôlerait plus de 300 en Allemagne.
07:29 C'est aussi en vendant des Margarita ou des Regina que les mafias italiennes tissent une toile invisible sur tout le vieux continent.
07:38 La cartographie établie par les autorités transalpines laisse songeur. Et l'on ne parle ici que des mafias italiennes.
07:47 Et les autres ? Quelles sont donc ces entités mafieuses qui colonisent la planète ?
07:53 Pour décrypter cette atlasse criminelle, je suis allé voir deux experts, auteurs d'ouvrages de référence sur la géopolitique du crime organisé.
08:02 On ne devrait utiliser le terme de mafia que pour désigner un nom très restreint et très précis d'entité criminelle.
08:12 Ce sont des entités criminelles de niveau supérieur, celles qui forment l'aristocratie du crime.
08:18 Alors qu'est-ce qu'une mafia, puisqu'on ne peut pas donner ce qualificatif à toutes les organisations criminelles ?
08:23 Ce sont des entités criminelles qui sont fondamentalement des sociétés secrètes.
08:28 Il ne faut pas confondre un criminel et un mafieux. Un criminel, c'est Francis Le Belge. C'est un chef de bande.
08:40 Il dirige une bande. Il commet des crimes qui sont essentiellement les mêmes que ceux que vont commettre des mafieux.
08:46 Mais la société criminelle qu'il a fondée et qu'il a créée, elle n'a pas de permanence.
08:52 Elle s'est créée avec lui et elle disparaît avec lui.
08:55 Que ce chef-là meurt ou qu'il soit envoyé durablement en prison, et le groupe qu'il a autour de lui se défait et se recompose autour d'un autre individu.
09:03 Alors où sont ces organisations criminelles d'un niveau supérieur qui répondent à la définition d'une mafia ?
09:13 Des experts en désignent neuf. Cosanostra, en Sicile. La Drangheta, en Calabre. La Sacra Corona Unita, dans les Pouilles. La Camora, en Campanie.
09:27 Dans les Balkans, on trouve la mafia albanophone. Puis, la mafia turque.
09:37 En Asie, les triades chinoises, sur le continent et sur l'île de Taïwan. La mafia japonaise, les fameux Yakuza.
09:45 Et enfin, en Amérique du Nord, la mafia italo-américaine.
09:49 On peut ajouter à cette liste des entités criminelles plus récentes, les mafias de l'ex-empire soviétique, les cartels latino-américains en Colombie ou au Mexique.
10:00 Le crime organisé au Nigeria. Elles sont toutes aussi dangereuses, mais n'ont ni le sens du silence, ni l'ancrage territorial des mafias historiques.
10:09 Ce qui se passe en Russie et ce qui se passe sur la côte d'Azur, c'est du Beaujolais nouveau et la famille de Corleone, c'est du château Latour 1947. On voit tout de suite la différence.
10:20 Ces entités criminelles, de première ou deuxième catégorie, n'ont jamais été aussi riches et aussi puissantes.
10:29 Leur chiffre d'affaires les installent en rival des multinationales et même de certains États.
10:39 On estime par exemple qu'en Italie, le chiffre d'affaires cumulé des quatre mafias italiennes serait d'environ 130 à 180 milliards d'euros par an, soit probablement 8 à 10% du produit intérieur brut.
10:57 Au niveau mondial, les sources de cette richesse, on les connaît. D'abord, le trafic de stupéfiants pour 300 à 500 milliards de dollars.
11:05 Ensuite, le marché de la contrefaçon et de la contrebande, technologie, médicaments, cigarettes.
11:11 Puis, le trafic d'êtres humains, prostitution, immigration clandestine.
11:18 Enfin, tout le reste. Trafic de déchets, énergie, espèces protégées. Au total, 600 à 700 milliards d'argent noir criminel. Une fortune colossale.
11:30 On n'a pas de précision parce que, de façon regrettable, les bandines ne nous envoient pas le double de leur facture parce qu'ils n'ont pas de facture.
11:39 Mais une chose est certaine, rien ne permet de gagner plus d'argent plus vite que les stupéfiants.
11:47 Un kilo de cocaïne en Colombie coûte aux paysans environ 1000, 1200 euros. Et encore, ce n'est pas de la cocaïne, mais de la coca.
12:03 Ce kilo de coca, quand il tombe dans les mains du narcotrafiquant colombien, son prix a déjà décuplé. Il vaut maintenant 15 000 euros.
12:15 Le narcotrafiquant revend ce kilo à des intermédiaires et il arrive enfin dans les mains de la dranguetta. Il vaut alors deux fois plus, 30 000 euros.
12:25 Là, il est traité, est coupé. Le kilo de coca donne 4 kilos de cocaïne.
12:33 Ils sont vendus sur les marchés de Paris, Milan, Zurich ou New York pour un prix unitaire de 50 000 euros. 50 000 euros fois 4 égale 200 000 euros.
12:46 Moi qui suis de formation marxiste, je ne connais pas de marchandise au monde capable de générer, comme disait Marx, une valeur ajoutée passant de 1200 à 200 000 euros.
13:01 Le modèle économique est effarant et imbattable. Il assoit les mafias sur des montagnes d'argent noir. Mais ça n'est que la face émergée de l'iceberg.
13:11 C'est cette force de frappe qui va leur permettre de se développer au-delà du crime proprement dit et d'infiltrer la société de manière plus insidieuse et encore plus durable.
13:26 L'introduction de masse financière considérable dans l'économie légale a en effet créé des zones communes de plus en plus grandes, de plus en plus fortes entre les marchés criminels et puis les marchés légaux, les marchés économiques et financiers.
13:40 Et on voit se développer des sortes de zones grises, des parts de l'économie mondiale qui ne sont ni tout à fait légales ni tout à fait illégales.
13:52 Corruption, clientélisme, le crime organisé met en coupe réglé des pans entiers de l'économie.
14:00 Le milieu criminel qui n'a aucune espèce de talent managérial particulier, il a quand même quelque chose qu'il sait très bien faire, il sait faire obéir les gens.
14:12 Pour se faire, il a deux moyens à sa disposition. La corruption, on paye les gens 100 fois plus que dans la société normale et donc ils font les choses gracieusement.
14:22 Et ensuite quelque chose d'extraordinairement efficace et de pratiquement impossible à pénaliser qui s'appelle l'intimidation.
14:29 L'intimidation, c'est un cran au-dessous de la balle dans la tête, c'est on sait où tes enfants vont à l'école et donc les gens obéissent parce qu'ils ont peur.
14:41 Intimidation, corruption, la méthode Eren pour asseoir son pouvoir est gagner de l'argent.
14:47 Et il est une recette implacable pour gagner beaucoup, beaucoup d'argent.
14:52 C'est le piratage des marchés publics.
14:55 Là encore l'Italie est exemplaire.
14:58 Depuis Gioia Tauro, pas besoin d'aller bien loin.
15:01 Il suffit de rejoindre la désormais fameuse autoroute A3 entre Reggio di Calabria et Salerno.
15:09 Les travaux de modernisation ont commencé il y a 20 ans.
15:13 Vous pouvez faire une cartographie de ces tronçons d'autoroutes, vous vous rendez compte que les entreprises de BTP qui se sont vues attribuer la construction de cette autoroute du nord au sud sont toutes sous l'influence d'un clan criminel.
15:31 Les clans criminels à la fois de la Camorra et de la Dranguetta se sont répartis dizaines de kilomètres par dizaines de kilomètres la construction de l'autoroute.
15:39 Une autoroute qui ressemble à une départementale.
15:44 La vitesse est limitée à 70 km/h sur de nombreuses portions.
15:49 Le crime organisé s'est trouvé là une poule aux œufs d'or.
15:53 L'occasion d'un petit guide des méthodes mafieuses.
15:59 À la suite d'un appel d'offres truqués, la société machin touche l'argent en quantité phénoménale pour mettre 10 cm de bitume puis restaurer, faire en sorte que l'autoroute soit nickel.
16:10 Vous n'en mettez que deux.
16:12 À la suite de quoi le vérificateur à qui on a expliqué qu'on savait où ses enfants allaient à l'école et on a montré une photo de la petite dernière dit merveilleux tout absolument fantastique, vous touchez le solde.
16:25 On a reçu à chaque fois des centaines de millions d'euros et l'affaire est d'autant plus merveilleuse que comme il n'y a pas eu 10 cm de bitume de bim et deux, l'autoroute s'abîme deux fois plus vite et bingo la fois d'après au lieu que ça soit 10 ans après qu'on recommence.
16:38 Eh bien, il faut recommencer 3 ans après. On a entre temps recréé une autre société et de recherche.
16:43 Pour mener ce type de business, il faut bien sûr connaître les élus et les élites.
16:52 Cela dans les zones grises de la contamination mafieuse.
16:55 Quand le criminel n'est plus à la lisière, mais au cœur de la société.
16:59 Opérant une soudure entre le légal et l'illégal.
17:04 Première conséquence, l'économie s'en trouve faussée, pervertie.
17:11 Une réalité que l'on connaît bien sur la côte d'Azur.
17:16 Je me souviens d'un cas très précis il y a quelques années, d'un chef d'entreprise qu'on avait fait mettre en détention provisoire pour des pratiques de corruption assez soutenues.
17:26 C'était du BTP.
17:29 L'administrateur désigné avait reçu pour consigne, bien sûr, plus jamais ça.
17:34 Il nous a suivis.
17:37 Six mois après, l'entreprise était mise en liquidation.
17:42 Ce qui est fascinant, c'est de penser que sans le crime, parfois, le crime au sens assez large, l'entreprise perd des marchés, cesse d'exister.
17:55 Est-ce que c'est le crime qui est devenu l'un des principaux éléments du moteur économique ?
18:02 Si c'est ça, alors elle n'est pas seulement sournoise, cette criminalité organisée, elle est pernicieuse.
18:12 Et à terme, elle nous emportera.
18:15 Cette gangrène mafieuse qui nous emportera, c'est déjà une vieille histoire à Naples.
18:23 Une ville minée depuis 20 ans par les crises des ordures.
18:28 On trouve la mafia napolitaine, la Camorra, à toutes les étapes du trafic de déchets.
18:33 Parfait exemple de convergence entre le crime, les hommes d'affaires véreux et les politiciens corrompus.
18:40 Des enjeux familiers pour le nouveau maire de Naples, Luigi Di Magistris, ancien magistrat anticorruption en calabre.
18:56 Ma première action a consisté à lutter contre l'infiltration de la Camorra dans l'administration publique et dans la politique.
19:05 Quand j'ai pris mes fonctions de maire, les rues de Naples étaient couvertes de déchets.
19:13 2500 tonnes.
19:16 Depuis 6 mois, on peut dire qu'il n'y a plus de déchets dans les rues de Naples.
19:22 En revanche, la situation est toujours grave dans le reste de la province.
19:30 Le sous-développement organisé.
19:41 Voilà l'autre effet de l'infiltration mafieuse.
19:46 Hilaria Acion milite contre cet argent sale qui dévaste l'environnement et pourrit la vie des habitants de sa ville.
19:53 On est à Giuliano. Avant c'était la campagne. On y produisait des pêches.
20:03 Vous voyez ces champs encore aujourd'hui ? Ils produisent des pêches vendues sur les marchés européens.
20:11 En réalité, on appelle cette zone la terre des feux.
20:16 Si tu te promènes dans le coin vers 6-7 heures du soir, tu peux voir ici ou là au moins 8 à 9 bûchers tous les jours.
20:27 Les terres de campagne sont saturées de décharges illégales.
20:41 Pour la Camorra, les ordures valent de l'or, jusqu'à 500 000 dollars par jour.
20:47 Et ça n'est pas tout.
20:50 Une fois brûlées, les déchets doivent suivre un cycle de retraitement différent, encore plus onéreux.
20:56 Assuré par les sociétés privées complices de la Camorra ou gérées directement par elles.
21:02 Ici, c'est la rue de la honte.
21:11 Comme tu peux le voir, il y a toutes sortes de déchets industriels.
21:15 C'est une véritable organisation.
21:19 L'industrie du textile déverse ses produits, ses résidus en tout genre.
21:24 L'industrie chimique déverse ses solvants.
21:29 Ils viennent déverser les solvants et ils déchargent tout.
21:32 Voilà une situation vraiment grave.
21:51 Des entrepreneurs sans scrupules du nord du pays ont utilisé les vastes territoires du sud, grâce au développement des mafias,
22:00 pour cacher et enfouir des déchets extrêmement dangereux.
22:05 Ce qui explique pourquoi en Campagnie, les populations subissent des surtaux de cancers, de leucémie et de maladies diverses,
22:16 qui s'expliquent par le fait que les déchets et les ordures sont prélevés et ensuite retraités de manière tout à fait anormale.
22:24 Quand ces déchets italiens ne sont pas tout simplement ensuite revendus à l'étranger et déversés dans des pays du tiers-monde,
22:32 qui connaissent encore moins de régulations et de contrôles en matière de traitement.
22:36 On voit que le crime organisé a monté d'un cran.
22:40 Sa logique d'emprise sur l'économie légale dépasse désormais les frontières.
22:45 Mais pas besoin d'aller dans le tiers-monde pour le constater.
22:49 Au printemps 2011, des journalistes de France 3 ont réalisé un reportage édifiant dans la plus grande décharge à ciel ouvert de Roumanie, à Glina près de Bucharest.
23:05 Des décharges comme celle-ci deviennent les poubelles de l'Europe, alors que toute importation de déchets est normalement interdite.
23:13 Le patron roumain des lieux mène la visite et il présente à la journaliste son associé, un homme d'affaires italien.
23:20 Pourquoi est-ce qu'un italien investit en Roumanie ?
23:24 Moi j'investis en Roumanie dans l'écologie.
23:27 Est-ce que vous recyclez des déchets italiens ici en Roumanie ?
23:34 Absolument pas. Nous ici on ne travaille que pour la Roumanie, pas pour l'Italie.
23:42 L'Italie a ses problèmes et il reste là-bas, on n'a aucun lien.
23:44 C'est un marché très très intéressant les déchets ?
23:47 Tous les marchés sont intéressants. Chaque affaire a son intérêt vraiment.
23:53 Il n'est pas inintéressant de savoir que selon des journalistes d'investigation italien, l'associé en question, du nom de Sergio Pileri, n'est pas un homme au-dessus de tout soupçon.
24:10 Avec ses frères, il serait un ancien associé de Vito Ciancimino, l'ancien maire de Palerme, ici sur ces images dans les années 70.
24:19 Vito Ciancimino, le premier homme politique italien condamné pour ses liens avérés avec Cosa Nostra.
24:27 Et on peut se poser encore plus de questions quand on décrypte la suite du reportage.
24:34 Le directeur de la décharge explique que l'objectif à Glina est aussi de produire de l'électricité à partir des ordures.
24:40 Probablement pour ça on va avoir besoin de votre argent, de l'Europe.
24:46 De l'argent de la commission ?
24:49 De la commission, de l'Europe.
24:51 C'est un projet à combien de millions d'euros ?
24:53 Plus de 10 millions.
24:57 De là à en déduire que la décharge de Glina n'est qu'une façade pour faire du trafic de déchets et au passage empaucher les subventions de Bruxelles,
25:06 bon, on ne peut rien affirmer bien sûr, mais quand même, est-ce qu'on n'aurait pas là une belle illustration de l'expansion internationale des mafias ?
25:16 Il faut se représenter les mafias comme des multinationales.
25:24 Elles ont leur siège à tel endroit et elles opèrent partout.
25:27 Elles s'allient à certains ici et s'opposent à d'autres là.
25:31 Les poursuites policières et judiciaires restent avant tout territorialisées, nationales, là où le crime européen est par nature transnational.
25:41 On peut malgré tout s'étonner de la poursuite d'un certain nombre d'aveuglements européens tout de même.
25:52 On a vu ces dernières années intégrer dans l'Union européenne des États qui étaient des États profondément criminalisés.
26:00 Avant même d'exiger que ces États deviennent des États de droit, c'est-à-dire qu'ils disposent de police, de justice et de codes modernes,
26:09 on les a fait rentrer du jour au lendemain dans l'Europe. Est-ce bien raisonnable ?
26:16 C'est bien à la fin des années 80, moment charnière, que les organisations criminelles ont changé de nature.
26:23 Elles ont compris dès la chute du mur de Berlin que les nouveaux marchés à l'Est leur offraient de fantastiques opportunités.
26:30 Après la chute du mur de Berlin et l'élargissement de l'Europe au pays de l'Est,
26:39 la direction antimafia en Italie a enregistré une conversation téléphonique entre un boss mafieux qui se trouvait en Italie et l'un de ses banquiers en Allemagne.
26:52 Leur dialogue est édifiant. Le boss dit au banquier "Allez, achetez, achetez, achetez".
27:04 Mais le banquier en Allemagne me demande "J'achète quoi ?" "Tout, absolument tout", répond le boss.
27:09 "Les hôtels, les restaurants, les terrains, tout ce que vous pouvez trouver". Et c'est ce qui s'est passé.
27:13 Aujourd'hui, les mafias sont pleines d'argent. Leur problème, ce n'est pas de faire plus d'argent, mais c'est de le réinvestir en le blanchissant.
27:33 Villas et châteaux, hôtels de luxe, valeurs mobilières, comptes bancaires, l'ampleur des richesses saisies chaque année par la justice italienne donnent le tournis.
27:45 En 2010, plus de 9 milliards d'euros. En 2011, près de 5 milliards.
27:53 Cela donne une idée de la puissance financière du crime organisé. Et on ne parle ici que de l'Italie.
28:01 On voit bien là que le blancchiment d'argent est au cœur de l'infiltration mafieuse.
28:07 Sur la Via Veneto à Rome, le café de Paris garde fière allure. Les portraits de Mastroianni au Fellini décorent toujours ces murs.
28:24 Mais aujourd'hui, c'est surtout le fantôme d'un boss de la Drangheta qui hante les lieux.
28:30 Après des mois d'investigation, la justice italienne a découvert que ce lieu culte de la Dolce Vita était en fait la propriété d'un chef de clan calabrè.
28:40 Vincente Alvaro.
28:46 Le café de Paris était au nom d'un coiffeur. Un coiffeur d'un village de l'Aspomonte, de Cosoleto, était devenu propriétaire de ce bar mythique du centre de Rome.
28:58 Un café qui vaut des millions.
29:01 Le coiffeur, bien sûr, n'était que le prétenant de Vincente Alvaro.
29:08 Pourtant, le boss mafieux était inscrit sur les registres du personnel, mais comme aide cuisinier.
29:15 Alvaro avait organisé ses affaires à travers de multiples sociétés-écran, dirigées par des hommes de paille.
29:22 Cela prouve comment ces mafias se sont modernisés ainsi que les réseaux qu'elles entretiennent.
29:30 Pensez-vous que des bergers à moitié analfabètes des villages de campagne de l'Aspomonte auraient pu s'acheter le café de Paris,
29:39 sans relation avec des notaires, des comptables, des directeurs de banque ou des gens liés à la politique ?
29:45 C'est ici, à Rome, l'autre facette de la mafia.
29:52 Cette bourgeoisie mafieuse qui vit grâce à l'argent de la mafia, tout en faisant comme si cet argent était propre.
30:01 "Sans politique."
30:03 Et donc ce sont toutes ces professions tout à fait légales qui vont lui servir d'aide, d'intermédiaire,
30:20 à la fois pour accéder au monde politique et le corrompre, et deuxièmement pour arriver à blanchir de l'argent.
30:27 Le blanchiment, un mot fourre-tout au cœur de l'économie criminelle.
30:32 Faisons maintenant une pause pour en détailler les mécanismes et la logique.
30:37 Le procédé le plus simple, le plus répandu, c'est celui qui consiste à prendre de l'argent liquide
30:44 et à l'introduire physiquement et matériellement dans la comptabilité d'un petit commerce de quartier.
30:52 Un salon de massage par exemple. Il n'y a personne de la journée, peu importe.
30:57 Tous les soirs, le patron dépose dans la caisse l'argent de ses trafics.
31:01 Il peut même éditer des tickets de caisse pour faire croire que son salon a reçu des clients.
31:06 Donc le commerçant gonfle artificiellement son chiffre d'affaires. Pas trop, sinon cela peut attirer l'attention.
31:17 Sur ce chiffre d'affaires un petit peu gonflé, il va en effet payer un petit peu plus d'impôts.
31:22 Mais ce surcroît de chiffre d'affaires provoquera un blanchiment matériel de cet argent acquis frauduleusement au départ.
31:30 Autre illustration d'un circuit de blanchiment, les fourmis japonaises.
31:42 Le mafieux japonais remet à deux faux touristes, les fameuses fourmis, une somme d'argent criminelle et des billets d'avion pour Paris.
31:51 Les fourmis achètent dans la capitale des articles de luxe, maroquinerie, parfums, hautes coutures.
32:00 De retour au Japon, les fourmis apportent leurs achats aux trafiquants et perçoivent une petite commission.
32:11 Les produits de luxe viennent garnir les vitrines d'une boutique d'articles de Paris appartenant aux mafieux.
32:16 Et leurs ventes bouclent le cycle.
32:19 Le blanchiment d'argent sale gagne en sophistication dans les années 80.
32:26 Franklin Jurado est l'un des architectes de cette ère nouvelle.
32:30 Financier du cartel de Cali, après des études à Harvard, Jurado établit un circuit dont les faces sont toujours pertinentes aujourd'hui.
32:39 A cette époque, les narcotrafiquants amassent des richesses phénoménales grâce à la drogue.
32:45 Les trafiquants avaient des, littéralement parlant, des masses, des montagnes de billets.
32:53 On raconte même, je ne sais pas si c'est vrai, que certains trafiquants colombiens entreposaient leurs billets de banque dans leur piscine, ils vilaient leur piscine pour mettre les billets de banque parce qu'ils ne savaient plus où les mettre.
33:09 C'est là qu'intervient Jurado. Il découpe le processus en deux étapes.
33:14 C'est assez simple, mais ça demande un peu d'attention.
33:18 Disons que je suis un narcotrafiquant colombien.
33:22 Je me rends dans un paradis fiscal des Caraïbes et je dépose des mallettes d'argent liquide sur un compte bancaire, ni vu, ni connu.
33:31 Mon argent noir est ensuite viré dans une banque, par exemple en Allemagne, sur le compte bancaire d'un prête-nom.
33:38 Et là, ça se démultiplie.
33:41 L'argent est dispatché et circule à travers des dizaines de banques intermédiaires, de plus en plus respectables, sur des dizaines, voire des centaines de comptes bancaires, à Monaco, au Liechtenstein, en Suisse, en Autriche.
33:57 Pour ne pas attirer l'attention des autorités bancaires, le solde des comptes ne dépasse jamais 10 000 dollars.
34:03 Deuxième phase du cycle de Jurado, il faut maintenant que je rapatrie l'argent en Colombie.
34:09 Pour ça, via des hommes de paille, je fonde des sociétés en Europe.
34:14 Et ce sont ces entreprises qui, avec l'argent blanchi, vont ensuite investir en mon nom en Colombie, dans des restaurants, de l'immobilier.
34:23 En toute légalité.
34:26 Ce n'est pas l'argent qui doit se blanchir, ce sont les blanchisseurs.
34:30 C'est-à-dire que celui qui possède l'argent doit devenir insoupçonnable.
34:34 Et s'il est insoupçonnable, on ne soupçonnera pas.
34:37 À ce moment-là, on ne posera pas la question de savoir d'où vient son argent.
34:40 Dissémination, dissimulation, mondialisation.
34:46 Les mots-clés de la finance criminelle sont posés.
34:50 Pas étonnant que Jurado ait fondé sa théorie pendant les années 80.
34:54 Quand, sous l'influence de Margaret Thatcher et Ronald Reagan, se propage alors une nouvelle idéologie
35:02 qui fait de la dérégulation l'alpha et l'oméga des politiques économiques.
35:07 À partir des années 80, le Congrès des États-Unis vote systématiquement, aussi bien avec les démocrates que les républicains,
35:16 des lois de dérégulation des marchés économiques et financiers.
35:20 C'est-à-dire des lois par lesquelles les acteurs économiques et financiers vont avoir de moins en moins de contrôles, de normes.
35:28 Ils seront de moins en moins surveillés.
35:30 La mondialisation, telle qu'elle s'est construite dans les années 80 et les années 90, porte en elle des vices majeurs.
35:39 Et l'un de ces travers, c'est le manque de transparence des marchés de capitaux.
35:45 C'est ainsi que s'est formé un marché global que je qualifierais de criminogène dans la manière dont il fonctionne.
35:53 C'est-à-dire qu'il encourage l'activité criminelle, que ce soit le blanchiment d'argent, la corruption ou l'évasion fiscale.
36:02 Le capitalisme de l'ombre prend racine, la finance devient reine, une aubaine pour celui qui veut recycler son argent sale.
36:15 Pensez qu'en une journée, un euro peut faire 70 mouvements dans 70 banques différentes de 70 pays différents.
36:25 C'est clair qu'au bout du 70e mouvement, l'euro qui arrive a perdu les traces de la banque d'où il est parti.
36:39 L'argent du crime navigue comme un poisson dans les eaux de la finance dérégulée, suivant les mêmes courants que l'argent de la corruption politique ou de la fraude fiscale.
36:49 Des courants qui l'emmènent vers ses rivages au goût de vacances et d'argent noir.
36:55 Les îles Caïman, Panama, les îles Vierges.
36:59 Mais pas seulement. On parle ici d'une cinquantaine de paradis fiscaux à travers la planète, là où l'argent circule sans s'arrêter.
37:08 La toile d'araignée de l'économie frauduleuse.
37:12 On estime qu'environ la moitié des transactions financières internationales passent par des territoires que l'on qualifie comme tels de paradis fiscaux ou bancaires.
37:22 Donc ces territoires ne sont plus eux-mêmes à la marge ou à la périphérie de l'économie et de la finance mondiale. Ils en sont devenus centraux.
37:34 John Christensen est aujourd'hui l'un des fers de lance de la lutte contre les paradis fiscaux.
37:39 Il les connaît bien. Il a été conseiller économique du gouvernement de Jersey pendant onze ans.
37:46 Quand je travaillais dans le secteur financier offshore à Jersey, je facturais des honoraires beaucoup plus élevés que si j'avais travaillé dans une activité normale.
37:59 Mais les clients s'attendent à payer des honoraires plus élevés. C'est pour ça qu'ils vous paient.
38:04 C'est le prix de ce que les Suisses appellent la discrétion et que moi je nomme le secret.
38:09 En échange, vous n'allez pas coopérer avec des enquêteurs éventuels, vous allez même dresser toutes les barrières possibles aux investigations.
38:23 Il m'est arrivé une fois de faire des recherches pour un client, une énorme compagnie pétrolière.
38:28 Elle voulait s'associer avec une société russe et je devais en savoir plus.
38:32 Cette entreprise russe était en fait constituée de filiales à Jersey, à Sheep, en Suisse, dans l'état du Delaware, aux Pays-Bas, bref toute la palette des différents paradis fiscaux.
38:43 Personne ne savait en fait qui possédait la compagnie. Personne !
38:50 Les informations du renseignement russe nous ont permis de suspecter que cette entreprise appartenait à une personnalité politique très très haut placée en Russie.
38:58 Mais on n'en a jamais eu la preuve.
39:02 En fait, cette preuve était enfermée dans le coffre d'un cabinet d'avocats à Chypre.
39:12 À Chypre, à Jersey, à Monaco, comme partout ailleurs dans ces comptoirs de l'économie criminelle, le prix du silence se monaie très bien.
39:21 Et pas grand monde n'y trouve à redire.
39:24 Le système corrompt les avocats, les banquiers, parce qu'effectivement ils collaborent avec des criminels et ils le savent.
39:34 Mais l'argent a des charmes bien trop importantes pour les en dissuader.
39:39 Dans le monde secret de la finance mondiale, rien ne ressemble plus à de l'argent propre que de l'argent sale.
39:47 C'est pour cela que les plus grandes lessiveuses d'argent criminels sont des places très honorables au cœur de l'Europe.
39:55 La paisible Suisse, par exemple.
40:01 À 30 kilomètres de Zurich, le canton de Zug est l'un des navires amiraux de cette opacité financière.
40:09 En 1975, après la crise pétrolière, quand la mondialisation s'est développée, l'argent aussi est devenu plus international.
40:23 Il s'est déplacé là où l'on payait le moins d'impôts.
40:28 Et c'est là que le boom de Zug a commencé.
40:31 Depuis 20 ans, les sociétés boîte aux lettres se sont installées ici.
40:41 Mais il y a eu aussi un afflux de sociétés de négoces de matières premières ainsi que leurs managers.
40:47 Au fil des ans, des groupes internationaux ont installé leur siège social à Zug.
40:54 Xstrata, Glencore ou encore Transocéan, leaders du forage pétrolier, impliqués dans la pollution du golfe du Mexique en 2010.
41:03 Et l'argent du crime dans tout cela ?
41:08 Dans le monde désincarné du capitalisme hors-la-loi, impossible de l'identifier.
41:18 Les moyens sont trop faibles pour lutter efficacement contre le blanchiment.
41:22 Et d'ailleurs, le canton de Zug ne veut pas d'une législation nationale contre le blanchiment.
41:27 Cela revient à dire que premièrement, le problème n'existe pas.
41:31 Et que deuxièmement, puisqu'il n'existe pas, nous ne faisons rien contre.
41:35 Alors que bien sûr, quelque chose existe. C'est la politique du silence qui prévaut.
41:40 Nous les avons à la maison les paradis fiscaux.
41:45 Sans-Marin, Monte-Carlo, Luxembourg, la Suisse, le plus grand paradis fiscal au monde.
41:51 Pourquoi il n'y a pas de vraie liste noire ?
41:55 Parce que dans les paradis fiscaux, on ne trouve pas que l'argent des mafias et du narcotrafic.
42:00 On y trouve surtout celui de la grande corruption politique, économique, entrepreneuriale, qui aujourd'hui est le pendant le plus moderne de l'économie criminelle.
42:09 C'est pour cela que cette liste noire n'existe pas réellement.
42:14 Parce que la corruption politique, économique, mène aux pays les plus industrialisés du monde.
42:20 Alors, duplicité ou aveuglement ?
42:29 Il est une autre place financière bien sous tout rapport, qui illustre à merveille ce capitalisme hors la loi, où tout se mélange.
42:37 Peut-être le cœur atomique de ce système hors de contrôle.
42:43 Londres, et son enclave sacrée, la City, à la pointe de la dérégulation depuis les années 80.
42:49 On y trouve tous les acteurs et tous les instruments de la finance criminelle.
42:55 Celle qui a fait sienne les méthodes du banditisme classique.
43:00 Londres est très attractive pour les blanchisseurs d'argent à bien des égards.
43:07 Et des gens bien plus compétents que moi considèrent Londres comme la place offshore numéro 1 dans le monde.
43:13 Nous sommes offshore par rapport à l'Europe.
43:17 Nous avons d'ailleurs des discussions intéressantes avec l'Europe en ce qui concerne notre statut de place financière.
43:23 Mais nous sommes aussi offshore par rapport au reste du monde, et ce grâce à l'héritage du Commonwealth, avec les îles Caïmans, les îles Vierges britanniques, le Bélize,
43:33 et plein d'autres juridictions qui nous assurent une position plutôt solide.
43:38 Si vous regardez toutes ces petites îles, elles ont quelques points communs.
43:44 L'un d'entre eux c'est que leurs timbres portent la figure de la Reine d'Angleterre.
43:48 Elles arborent le drapeau britannique et ça n'est pas un accident.
43:52 Ça fait partie de la stratégie de développement de la City.
44:00 Londres, plaque tournante des flux financiers dans le monde, quelle que soit la couleur de l'argent.
44:07 Si vous mettez votre argent à Londres, quand il ressort, il s'en trouve à nouveau légitimé.
44:17 Si l'argent est bon pour Londres, alors il est bon pour n'importe où et n'importe qui.
44:27 Depuis les années 90, la communauté internationale a décidé de faire la guerre au blanchiment des capitaux.
44:32 Un organisme intergouvernemental, le GAFI, établit une liste de recommandations.
44:39 Mais ses invitations à la transparence sont d'une efficacité toute relative.
44:45 La lutte contre le blanchiment et la lutte contre les offshores est l'échec le plus abyssal de toute la communauté internationale des 50 dernières années.
44:55 Commençons par un chiffre.
44:57 Les cartels mexicains et autres qui vendent de la drogue en Amérique du Nord, c'est-à-dire aux Etats-Unis et au Canada, mais essentiellement aux Etats-Unis,
45:08 ça leur apporte chaque année, c'est une fourchette parce qu'une fois de plus on n'a pas les livres de compte,
45:12 en gros entre 20 et 30 milliards de dollars par an.
45:15 Entre 20 et 30 milliards de dollars tous les ans.
45:19 Cet argent est gagné et payé en bifton, en billets de banque, parce que les mafias n'acceptent pas les cartes de crédit.
45:27 Les chèques en Amérique du Nord et rapatriés après ça au Mexique ou ailleurs.
45:33 Combien les Etats-Unis saisissent d'argent au passage ?
45:37 1% ! 1% !
45:40 Le monde des mafias ne connaît pas la crise.
45:44 Et l'on peut même se demander si le marasme financier actuel n'est pas une formidable opportunité pour conforter ces positions.
45:52 Aujourd'hui, les seules organisations internationales avec du cash à leur disposition, et bien ce sont les mafias.
46:02 Et elles ont commencé à pénétrer le système bancaire.
46:05 C'est pourquoi j'ai lancé un cri d'alarme majeur.
46:10 J'ai alerté les gouvernements et les banques en 2008, 2009 et encore récemment.
46:15 La crise financière apporte une opportunité unique aux mafias globales pour pénétrer et sauver le système bancaire.
46:24 Et donc s'implanter dans l'économie mondiale de manière irréversible.
46:29 Face à ce défi majeur de notre temps, ceux qui nous gouvernent semblent jouer la carte de l'aveuglement ou de la résignation.
46:39 Quand ça n'est pas plus.
46:41 Personne ne veut que ce thème là devienne politique.
46:45 La fraude, tout ce système dégradé, tout ce système d'addiction en fait à une fraude banalisée.
46:56 C'est une drogue douce qui devient une drogue dure.
46:59 Et en fait personne ne veut aujourd'hui de la désintoxication de la société.
47:07 De cette addiction mortifère, Martin Woods est un témoin privilégié.
47:12 Woods a été mêlé au plus grand scandale de blanchiment de l'histoire.
47:17 En 2005, cet ancien de Scotland Yard est embauché par la filiale londonienne d'une grosse banque américaine, Wecovia.
47:26 Très vite, Woods identifie des transactions suspectes provenant de clients liés au Casas de Cambio, des bureaux de change mexicains.
47:37 Ce qu'on a constaté, c'est l'existence de paquets entiers de traverts checks.
47:43 Avec des numéros qui se suivent, des signatures suspectes, pas de date, pas d'identification.
47:50 Rien qui me permette avec certitude de savoir qui avait présenté ces checks.
47:55 Dans ce cas là, il faut revenir à l'essentiel.
47:58 Qui est le client ?
48:00 C'était impossible de le savoir.
48:04 Martin Woods alerte ses patrons, sans savoir qu'il n'est pas le seul.
48:09 Les autorités fédérales américaines s'intéressent aussi de très près à Wecovia.
48:14 Surtout depuis que l'armée mexicaine a intercepté un avion en 2006.
48:19 Affrêté par le cartel de Sinaloa, l'avion est bourré de cocaïne.
48:25 Mais surtout, l'enquête va montrer qu'il a été acheté avec de l'argent ayant transité sur des comptes de la Wecovia.
48:33 Des cadres de la banque étaient impliqués dans la promotion de ces services aux clients des bureaux de change mexicains.
48:41 Ils fournissaient les moyens pour blanchir de l'argent.
48:45 Et quand j'ai dénoncé cela, j'ai été attaqué par les banquiers.
48:52 En dépit des éléments à charge récoltés par Martin Woods, la banque fait la sourde oreille.
49:00 Et réserve toutes ses critiques à son employé.
49:05 Je n'ai été soutenu ni par mon service, ni par mes patrons.
49:11 En fait, je n'ai reçu aucun soutien d'aucune sorte.
49:15 Mais les gens de la banque ont mis longtemps à réaliser que l'argent ne me contrôlait pas.
49:20 L'argent n'avait pas sur moi le pouvoir d'influence qu'il avait sur eux.
49:26 Le plus marquant, c'est quand mon supérieur m'a téléphoné en 2009 pour me dire que mon bonus serait égal à zéro.
49:33 Voilà un moment vraiment révélateur.
49:37 Moralité de cette histoire exemplaire, Martin Woods est renvoyé.
49:43 Quant à Wecovia rattrapée par la justice américaine en mars 2010.
49:47 Elle s'en tire avec une amende ridicule.
49:51 Wecovia est convaincue d'avoir financé l'achat d'avions d'occasion à partir de Cazas de Cambio.
49:58 Est-ce la peine d'être Sherlock Holmes et d'avoir fait Polytechnique pour se dire, voyons voir, l'argent vient du Mexique,
50:04 il est passé par des sociétés un peu glauques et ils veulent acheter des avions, ah c'est bien, c'est sans doute pour le développement du tourisme.
50:10 Il ne faut quand même pas totalement prendre des gens pour des ânes.
50:13 La justice américaine et le système bancaire américain, c'est foutu du monde.
50:17 Je ne peux pas expliquer ni comprendre pourquoi le département de la justice américain a décidé de ne pas poursuivre les managers de la Wecovia.
50:26 Peut-être est-ce en relation avec la crise financière et la crainte qu'après l'effondrement d'une grande banque, les Man Brothers,
50:34 une autre banque majeure, la Wecovia, s'ombre à son tour.
50:38 C'est peut-être l'explication.
50:41 Mais ça peut aussi vouloir dire qu'aujourd'hui, la présence de l'argent du crime est si forte qu'il en est devenu intouchable.
50:51 En 2008, Wecovia est rachetée par une banque rivale, Wells Fargo.
50:57 Et c'est elle qui réglera la note.
51:00 Une amende de 150 millions de dollars.
51:03 C'est grotesque quand on sait qu'au total, les sommes blanchies par Wecovia s'élèvent à 378 milliards de dollars.
51:12 Une somme hallucinante qui équivaut au cinquième du PIB de la France.
51:17 Franchement, il n'y a pas une seule banque dans le monde qui n'ait été touchée par ce problème.
51:24 J'ai même certains de mes collègues, très militants, très inquiets de tout cela,
51:28 qui n'hésitent pas à dire qu'aujourd'hui, ce ne sont pas les mafias qui cherchent des banques,
51:33 mais les banques qui cherchent l'argent des mafias.
51:37 Certains banquiers doivent se poser la question.
51:41 Ils devraient même être interrogés par les autorités sur ce qu'ils font.
51:45 Au bout du compte, la distance est-elle si grande entre la main du blanchisseur et la gâchette du criminel ?
51:51 Qui sait ?
51:54 Le blanchisseur est-il le seul à avoir été touché par le crime ?
52:00 Le criminel est-il le seul à avoir été touché par le crime ?
52:06 Le blanchisseur est-il le seul à avoir été touché par le crime ?
52:12 Le criminel est-il le seul à avoir été touché par le crime ?
52:18 [Musique]
52:46 [SILENCE]