• l’année dernière
Avec Pierre Grousset, secrétaire local UFAP-UNSA-Justice du centre pénitentiaire de Perpignan ; Racha Mousdikoudine, coordinatrice du collectif "Mayotte a soif" ; André Bercoff en direct de Tel-Aviv ; Max-Erwann Gastineau, essayiste, chroniqueur politique et auteur de “L’ère de l’affirmation- Répondre au défi de la désoccidentalisation” publié aux éditions du Cerf.

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##BERCOFF_DANS_TOUS_SES_ETATS-2023-11-01##

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News
Transcription
00:00:00 Berkhoff dans tous ses états, midi 14h, Jean-Marie Bordry.
00:00:05 Nous sommes en guerre.
00:00:06 Non Fabien, tu ne gagneras pas avec un steak.
00:00:09 Parce que le peuple c'est le boss et Macron c'est l'employé.
00:00:13 Nous sommes dans une guerre hybride.
00:00:15 Et c'est une autre tempête que nous subissons dans ce moment, une tempête géopolitique on pourrait le dire,
00:00:20 puisque les conséquences du conflit entre Israël et le Hamas se font sentir jusque dans notre pays.
00:00:25 On en a parlé hier, on va en parler aujourd'hui. Quel défi ça pose à la France dans un monde en pleine désoccidentalisation ?
00:00:33 C'est la thèse en tout cas de notre invité qu'on recevra à 13h pour le face-à-face Max Erwan-Gastineau.
00:00:38 L'ère de l'affirmation quand Erdogan s'affirme contre l'Occident, c'est-à-dire contre nous également.
00:00:43 On va en parler de 13h à 14h.
00:00:45 À midi et demi, André Berkhoff, envoyé spécial depuis Tel Aviv en direct d'Israël comme toute la semaine.
00:00:51 Le point sur les libérations d'otages, ces familles des otages d'Israéliens qui attendent leurs proches retenus par le Hamas dans la bande de Gaza.
00:00:58 On va parler aussi d'un État en guerre et qui attend avec à la fois terreur et impatience une opération terrestre qui se dessine davantage chaque jour.
00:01:06 Avant ça, que se passe-t-il dans notre pays ? On va vous emmener dans le dernier département français, celui qui manque d'eau.
00:01:12 Mayotte, où un ministre est en déplacement aujourd'hui et où Gérald Darmanin ira plus tard.
00:01:16 Mayotte qui n'a toujours pas d'eau potable. Mayotte où les habitants sont obligés de ne pas tirer la chasse pendant plusieurs jours.
00:01:22 Ça vous donne une idée de ce qu'ils traversent chaque jour. On en parlera avec l'une de nos invités en direct de Mayotte.
00:01:28 Et avant ça, parlons de ce qui se passe dans nos prisons, puisqu'un nouveau triste record a été battu.
00:01:33 La France compte 74 342 prisonniers au 1er octobre. C'est 122,2% d'occupation de nos prisons.
00:01:41 On sera en direct de Perpignan, la prison la plus occupée de France.
00:01:44 A tout de suite sur Sud Radio.
00:01:46 Et on revient dans la métropole avec ce triste record qui a été à nouveau battu hier.
00:01:55 La France compte désormais 74 342 prisonniers au 1er octobre dernier, pour seulement 60 850 places opérationnelles.
00:02:05 Ça signifie que nos prisons sont occupées à 122,2% de leur capacité.
00:02:11 Si on était dans l'aérien ou si on prenait un avion, on appellerait ça du surbooking.
00:02:15 Il se trouve que ça fait des décennies que les différents gouvernements promettent la construction de nouvelles prisons.
00:02:20 Et pour l'instant, on n'arrive toujours pas à avancer.
00:02:22 Est-ce que ce sont des bonnes conditions pour permettre une éventuelle réinsertion de nos prisonniers une fois qu'ils sont libérés, qu'ils ont purgé leur peine ?
00:02:29 Est-ce que ce sont aussi des conditions dignes ? On peut en parler.
00:02:31 Est-ce que ça n'aggrave pas la situation ? Est-ce qu'on ressort de prison dans un état pire que celui dans lequel on était ?
00:02:37 On va en parler dans un instant avec notre invité.
00:02:39 D'ailleurs, à ce propos, si jamais vous êtes sur Sud Radio, vous avez peut-être été prisonnier ou alors vous êtes surveillant pénitentiaire,
00:02:46 vous pouvez nous appeler au 0826 300 300 pour témoigner.
00:02:49 On accueille tout de suite notre invité, c'est Pierre Grousset. Bonjour à vous.
00:02:53 - Bonjour.
00:02:54 - Soyez bienvenu sur Sud Radio. Vous êtes secrétaire local de l'UFA Punsa Justice, du centre pénitentiaire de la ville de Perpignan.
00:03:02 Est-ce que quand je dis que c'est la prison la plus surpeuplée de France, j'ai raison ?
00:03:06 - Oui, bien sûr. On est constamment dans le trio de tête des établissements pénitentiaires de France,
00:03:12 notamment avec la maison d'arrêt de Nîmes aussi, qui est aussi une surpopulation endémique.
00:03:18 Oui, effectivement, à l'heure actuelle, on a 251 % de surpopulation pénale dans une maison d'arrêt où il y a 130 de places.
00:03:27 Et à l'heure actuelle, il y a 330 détenus.
00:03:30 - Bon, alors concrètement, vous allez nous dire un petit peu...
00:03:32 - 331, exactement. Les chiffres exacts, 331 détenus.
00:03:35 - 331. Vous allez nous donner une idée de ce qui se passe à l'intérieur, parce qu'on n'est pas en prison, évidemment.
00:03:41 Et vous allez nous dire concrètement quel impact ce chiffre a sur votre travail, votre vie quotidienne et celle de vos détenus.
00:03:48 Quand on dit qu'on a deux fois plus de détenus que de places, ça veut dire quoi ? Ils dorment par terre ?
00:03:53 - Effectivement. Sur la maison d'arrêt de Perpignan, puisque c'est des maisons d'arrêt qui sont les plus touchées en France,
00:04:02 vous avez exactement 75 détenus qui dorment par terre, même le sol.
00:04:09 Donc les cellules sont doublées. Un détenu range un matelas sous le sol et il le sorte pour pouvoir dormir.
00:04:16 Je rappelle que les cellules font 9 m² et à Perpignan, c'est un des derniers grands centres de l'Occitanie où il n'y a pas de douche en cellule.
00:04:25 - D'accord. Donc des cellules de 9 m², combien de personnes dorment dans 9 m² alors ?
00:04:30 - 3. - 3 personnes dans 9 m², effectivement. C'est assez spectaculaire.
00:04:35 Quel impact ça a maintenant pour les surveillants pénitentiaires que vous représentez vous-même ?
00:04:40 - Déjà pour le personnel, ça pose des problèmes, ça crée des tensions.
00:04:45 Donc qui dit tension dit agression, verbal, physique, dit l'insalubrité aussi,
00:04:51 puisqu'on en entend parler dans les médias, vous savez qu'il y a la prolifération des punaises de lit.
00:04:56 Pour combattre par exemple les punaises de lit, il faudrait vider carrément un bâtiment.
00:05:00 Et c'est impossible puisqu'on a un flux constant de surpopulation pénale, de détenus qui sont incarcérés.
00:05:06 Donc voilà, ça génère de l'agressivité et des agressions envers le personnel, mais pas que le personnel, les intervenants.
00:05:12 Parce que je rappelle quand même en prison, il y a des enseignants, il y a des médecins, il y a des infirmières.
00:05:18 On a des personnes qui viennent faire des activités et puis surtout aussi ça génère de la tension entre détenus.
00:05:25 Parce que comment voulez-vous gérer quand vous n'avez plus de place,
00:05:27 quelqu'un qui n'est pas tueur, qui n'a pas la même religion.
00:05:30 Celui qui ronfle, le genre de choses.
00:05:33 Oui, je dirais que c'est ça, malheureusement.
00:05:36 Mais bon, vous imaginez, c'est un problème, on n'arrive plus à gérer, on n'a pas assez de cellules, on n'a plus à gérer.
00:05:42 Vous nous parlez d'incidents, vous nous parlez d'agressions.
00:05:45 Concrètement, est-ce que vous pouvez nous décrire l'incident typique ou l'agression typique, ça se déroule comment et ça démarre comment ?
00:05:52 Automatiquement, quand un détenu, il se trouve en cellule, il y a des problèmes de cohabitation.
00:05:59 C'est ça la plupart du temps, c'est des problèmes de cohabitation.
00:06:01 Mais malheureusement, on ne peut pas changer toutes les personnes incartéries qui demandent à changer les cellules.
00:06:10 C'est impossible.
00:06:11 Donc automatiquement, ça crée des tensions.
00:06:12 Quand il ouvre la porte, il s'en prend à qui ?
00:06:14 Il s'en prend au bleu parce que c'est plus facile de s'en prendre à l'heure actuelle.
00:06:17 Les détenus, ils ont moins peur de s'en prendre aux personnels pénitentiaires qu'à d'autres détenus.
00:06:21 C'est la réalité du terrain.
00:06:23 Est-ce qu'ils ont des armes par moment ces détenus ou ceux qui sont prêts d'avouer ?
00:06:26 Automatiquement, ils fabriquent des armes.
00:06:29 Ils les fabriquent comment ?
00:06:31 Ils peuvent les fabriquer avec des bouts de bois taillés, avec des fourchettes, avec des couteaux de cantine.
00:06:40 Mais je vous rappelle aussi qu'il y a un autre fléau maintenant, c'est les drones.
00:06:43 Avec les drones, il peut y avoir des couteaux en céramique détectables au détecteur de métaux.
00:06:48 Puisqu'en plus, on a eu la bonne idée d'arrêter les fouilles à corps en France pour se conformer aux normes européennes.
00:06:56 Alors expliquez-nous ce que vous venez de nous expliquer malgré tout.
00:06:59 Qu'est-ce que ça veut dire on a arrêté les fouilles au corps ?
00:07:02 Les fouilles à corps, en fait, c'est les fouilles intégrales.
00:07:05 Vous savez qu'avant, tous les détenus qui étaient en contact avec l'extérieur étaient fouillés.
00:07:12 Quand il y avait une suspicion de passage à l'âpre ou d'étudier qu'on savait dangereux, on faisait automatiquement une fouille intégrale.
00:07:23 Donc ça voulait dire qu'on le mettait à nu concrètement et qu'on le fouillait complètement.
00:07:26 Pour des raisons de sécurité. Donc on continue à le faire, mais on peut le faire systématiquement.
00:07:31 Avec le nombre d'individus qu'il y a, c'est une mesure de sécurité qui n'est plus opérationnelle.
00:07:40 Par exemple au parloir, vous ne pouvez pas fouiller tous les détenus.
00:07:44 Alors que pourtant ils sont en contact avec la population pénale et qu'on saisit régulièrement de la viande, de l'alcool, des portables.
00:07:50 Mais bon, on ne peut pas fouiller tout le monde, donc le trafic continue.
00:07:53 Je ne vous parle même pas des drones, mais les drones arrivent directement à la fenêtre.
00:07:56 Parfois d'ailleurs, vous parliez des portables. Je vais quand même vous faire écouter ce qu'on a pu découvrir avec des yeux écarquillés en regardant les réseaux sociaux et notamment TikTok.
00:08:05 Vous avez certains détenus qui se filment et qui font même des recettes de cuisine.
00:08:09 Là on avait l'impression d'être sur Marmiton, le célèbre site, mais c'était dans l'une de vos prisons. Écoutez ça.
00:08:14 - C'est pas rigolo, mais... Oui, mais tout à fait. - Écoutez ça justement, on va vous le faire écouter.
00:08:18 - Ah bon ? Excusez-moi.
00:08:19 - Votre vidéo c'est pour mes tollards et pour mes tollards. Je vais vous montrer deux petites astuces qui vont changer toute votre détention.
00:08:23 Tu prends un coupon, tu coupes la grille de ton ventilo comme ceci.
00:08:26 Tu prends l'intérieur de ta grille et tu le poses sur ta plaque. Grâce à ça, tes gâteaux vont arrêter d'être cramés en bois.
00:08:32 Deuxième astuce, avec le reste de la grille, t'enroules ta fourchette que tu vas par la suite ajouter à ton ventilo.
00:08:37 Ça te fait un super batteur électrique de nouvelle génération. On va tester ça tout de suite et partir sur un gâteau.
00:08:43 - Et après il fait un gâteau, alors c'est un moelleux au Nutella. C'est probablement une faute de goût, mais on en est plus là.
00:08:49 Et ça vous fait rire ?
00:08:51 - Entre nous, il fait un gâteau, il fait un moelleux au Nutella. Bon ok, mais ce qui me pose problème, c'est que les armes circulent.
00:08:58 Voilà, c'est ça. Parce que je ne parle pas uniquement de la sécurité des personnes, je suis représentant du personnel.
00:09:04 On a des bagarres, les trafics... - C'est dangereux pour les détenus aussi, évidemment.
00:09:08 - Bien sûr, voilà.
00:09:10 - Je vous propose de rester avec nous, Pierre Grosset, puisqu'on va accueillir Bruno au 0826-300-300.
00:09:16 C'est un de vos collègues. Bruno, bonjour à vous.
00:09:18 - Oui, bonjour à tous.
00:09:19 - Fidèle auditeur de Sud Radio, surveillant pénitentiaire, mais du côté de Béziers. D'abord, vous êtes surpeuplé aussi ?
00:09:24 Enfin, votre centre pénitentiaire est surpeuplé à Béziers ?
00:09:26 - Oui, on a une capacité approximative d'un peu moins de 900 personnes.
00:09:33 Et ça change tous les jours, parce que quand ça rentre, ça sort. On est à peu près entre 1.550 et 1.200 écrous.
00:09:42 - Donc vous subissez vous-même le surcroît de tensions qui était décrit par Pierre Grosset ?
00:09:48 - Oui, je souscris tout à l'avance à ce qu'il a dit. La surpopulation carcérale entraîne forcément des détenus qui vivent à 2 ou à 3 dans une cellule de 9 m².
00:09:58 Donc la promiscuité fait que les tensions sont exacerbées.
00:10:04 Vous rajoutez à tout ça un petit peu de drogue, parce que c'est pas fait pour arranger les choses, ni leur arranger le cerveau.
00:10:13 Donc effectivement, c'est toujours plus facile de s'en prendre au bleu, parce qu'entre détenus, des fois, ils se font pas de cadeaux.
00:10:19 Et ils savent que nous, nous avons très peu de moyens de coercition.
00:10:23 Donc du coup, c'est sur nous que ça tombe quand on ouvre la porte.
00:10:27 - Et ça s'arrange toujours pas. Vous avez déjà été agressé ?
00:10:31 - Oui.
00:10:32 - Ça s'est passé comment la dernière fois ? Pardonnez-moi de vous le demander, mais c'est important que les gens mettent une image mentale sur votre quotidien.
00:10:39 - C'est un détenu à qui j'ai refusé de... parce que tout était fermé le soir.
00:10:45 La gamelle, comme on dit, le repas a été distribué. Il tapait à la porte pour les récupérer du tabac. J'ai ouvert la porte.
00:10:52 Je lui ai dit non, j'ai refermé la porte. J'ai eu les insultes habituelles que je vous passerai ici.
00:10:58 Et du coup, quand j'ai ouvert la porte, donc il a continué, il m'a craché dessus.
00:11:03 Et puis je suis intervenu sur lui et donc je le cracha. Insultes, menaces.
00:11:09 Des collègues sont arrivés, on a maîtrisé. On va dire malheureusement, c'est du classique.
00:11:16 - Et c'était quand ça ?
00:11:18 - C'était au mois de juillet.
00:11:20 - Bon, c'est déjà ça. Ça veut dire qu'au moins ça s'est mieux passé depuis. Malgré tout, c'est classique.
00:11:24 Vous confirmez que ce genre de scène, malheureusement, est classique pour vos collègues ? Pierre Grosset ?
00:11:28 Si vous êtes toujours avec nous, Pierre Grosset.
00:11:31 - Oui, on vous entend très bien.
00:11:35 - Oui, bien sûr, c'est quotidien. C'est les agressions envers les personnels, les agressions verbales, les agressions physiques.
00:11:40 Évidemment, ce qu'a subi le collègue, c'est régulier.
00:11:44 Il y a une dizaine de jours, il y a un premier surveillant qui a pris une assiette, on a jeté une assiette à son visage.
00:11:50 Donc on a dû le maîtriser. C'est quotidien. C'est le quotidien des surveillants pénitentiaires.
00:11:55 C'est des coquottes minutes, nos établissements, à l'heure actuelle.
00:11:59 Plus il y a de monde, moins c'est facile.
00:12:01 - Je ne sais pas, mais n'importe qui, 332 de place, 331 détenus, ricotent le chiffre de lui-même par là.
00:12:08 - Question qu'on vous pose à chaque fois, je vais vous la poser à l'un et à l'autre, malgré tout,
00:12:11 on sait que des portables entrent, on sait qu'il y a des livraisons par drone, ça signifie qu'il faut que quelqu'un passe commande, mine de rien.
00:12:17 De la drogue entre, je ne parle pas des armes qui sont bricolées sur place,
00:12:20 mais comment ça rentre ? Par quels moyens ?
00:12:24 Comment se fait-il qu'on n'arrive pas à empêcher de la drogue des téléphones portables de rentrer ?
00:12:29 - Pour commencer, il y a le parloir. C'est le parloir famille.
00:12:34 Puisque je vous ai expliqué tout à l'heure que les fouilles intégrales n'étaient plus effectuées,
00:12:39 par exemple la drogue quand vous passez sous le portique, ça ne sonne pas.
00:12:43 Donc automatiquement la drogue rentre. Après il y a les projections.
00:12:47 Les détenus viennent aux abords de nos centres pénitentiaires,
00:12:51 franchissent le domaine pénitentiaire carrément,
00:12:54 ils escaladent les grillages où ils font des portes, comme on appelle,
00:12:57 et ils viennent projeter dans les cours de promenade.
00:12:59 Le problème c'est que quand les projections sont tellement nombreuses
00:13:01 qu'on ne peut pas tuer tout le monde.
00:13:03 Ils le cachent, ils l'enterrent et après ils le remontent en antinidé.
00:13:06 Puis maintenant on a le phénomène des drones.
00:13:08 Et comme notre administration est toujours en retard d'une guerre,
00:13:11 on n'a toujours pas les antennes antidrones qui débrouilleraient,
00:13:16 qui permettraient de nous protéger de ce clou.
00:13:20 Parce que là, maintenant, nous on n'a plus de projections pratiquement.
00:13:23 Si on n'a plus de projections, c'est que ça rentre autre part.
00:13:26 Vous savez, la nature horreur du vide.
00:13:28 Donc tous les soirs, on a des drones, et même en journée,
00:13:31 les drones qui viennent en vol stationnaire,
00:13:34 juste devant les cellules, les détenus, les récupérables.
00:13:37 Et c'est une guerre qui est systématiquement en retard,
00:13:40 en tout cas sur les détenus.
00:13:41 Merci à tous les deux d'être intervenus sur Sud Radio.
00:13:44 Pierre Grosset, secrétaire local du FAPU,
00:13:46 de la justice du centre pénitentiaire de Perpignan,
00:13:48 la prison la plus peuplée de France, la plus surpeuplée de France, plutôt.
00:13:51 Merci à vous également Bruno, depuis Béziers.
00:13:53 Merci à vous.
00:13:54 Et bon courage à vous tous, en tout cas dans ces centres pénitentiaires
00:13:56 manifestement surpeuplés. Restez avec nous.
00:13:58 Sud Radio, André Bercoff.
00:14:00 Ça balance pas mal.
00:14:02 Bercoff dans tous ses états, ça balance pas mal sur Sud Radio.
00:14:05 Direction le tout dernier département français,
00:14:08 le gouvernement au chevet de Mayotte,
00:14:10 mais Mayotte qui n'a toujours pas d'eau.
00:14:12 Mayotte à Soif, c'est le nom du collectif de notre invité.
00:14:14 Bonjour, Racha Moussdikoudine.
00:14:16 Bonjour.
00:14:17 Soyez la bienvenue sur Sud Radio.
00:14:19 Vous êtes la coordonnatrice de ce collectif Mayotte à Soif.
00:14:21 Philippe Vigier, le ministre,
00:14:23 en visite à Mayotte pour un point d'étape
00:14:25 dans la gestion de la crise de l'eau.
00:14:28 Alors à quelle étape de cette dite crise de l'eau on est en ce moment ?
00:14:31 Vous allez me parler de votre vie quotidienne et de celle des Mahorais sur place.
00:14:34 Est-ce que vous avez de l'eau ?
00:14:36 Non, toujours pas d'eau.
00:14:38 Donc là actuellement on a dû faire un petit voyage à la Grande Terre
00:14:41 parce que nous habitons en Petite-Terre,
00:14:43 pour pouvoir nous nourrir, parce que chez nous il n'y a pas d'eau.
00:14:46 Donc là actuellement nous sommes chez la tente de mon mari
00:14:50 pour avoir un peu d'eau, pour aller aux toilettes,
00:14:53 pour nous rafraîchir et pour manger à midi.
00:14:56 Donc vous avez fait combien de kilomètres pour aller chercher de l'eau ?
00:14:59 Vous allez me décrire tout ça.
00:15:00 Alors je vais vous le mesurer en temps.
00:15:03 On a fait à peu près 45 minutes de trajet.
00:15:06 De chez nous jusqu'à Kaouini.
00:15:10 Pour pouvoir avoir un peu d'eau.
00:15:12 Donc vous avez rechargé un jerrycan, une bouteille ?
00:15:15 Non pas du tout, parce qu'on n'est pas véhiculé.
00:15:18 Donc on est venu en taxi.
00:15:20 Donc on ne peut pas se permettre de porter des jerrycans en marchant.
00:15:25 Donc on est en mode survie, on fait le strict minimum pour manger correctement.
00:15:30 Parce qu'aujourd'hui c'est un jour férié.
00:15:33 Donc au niveau des magasins, on ne sait pas trop si on va réussir.
00:15:37 On va réussir à ce qu'il faut.
00:15:38 Le marché il est fermé aussi.
00:15:40 Donc voilà, on prévient le venir.
00:15:42 Vous avez raison de prendre vos précautions.
00:15:44 Vous allez me dire combien d'eau vous avez pris avec votre famille,
00:15:47 pour combien de jours et pour quelle utilisation ?
00:15:49 Pardonnez-moi d'être aussi clinique,
00:15:51 mais j'ai envie que vraiment on se figure ce que vous êtes en train de traverser.
00:15:55 Alors là, comme je vous ai dit, nous sommes à pied.
00:15:58 Donc on ne peut pas prendre de l'eau.
00:16:00 S'il y a des bouteilles vides, on va prendre peut-être chacun deux bouteilles vides maximum.
00:16:04 Parce qu'on va devoir aller marcher pour aller chercher un taxi,
00:16:07 retourner chez nous, prendre la barge.
00:16:09 Voilà, donc il y a des petits trajets à pied à faire, environ de 15 minutes en totalité.
00:16:15 Donc on ne va pas pouvoir emmener grand-chose.
00:16:19 Nos vêtements, on n'a presque pas de vêtements propres.
00:16:22 On n'a pas de draps.
00:16:23 Ça fait déjà une semaine.
00:16:25 Donc nous avons pris la décision, moi, Marie et moi, de nous séparer des enfants.
00:16:29 Donc on a envoyé nos enfants sur l'île de la Réunion,
00:16:31 parce qu'on ne pouvait pas assurer leur hygiène quotidienne.
00:16:34 Des fois, les enfants faisaient jusqu'à trois jours sans pouvoir prendre de douche.
00:16:38 Donc on a pris cette décision très difficile, très déchirante, émotionnellement,
00:16:42 de nous séparer des enfants et de les envoyer chez leur grand-mère sur l'île de la Réunion,
00:16:47 le département à côté, qui a de l'eau.
00:16:49 Ça veut dire, il faut le rappeler, un quotidien sans eau,
00:16:52 ce n'est pas seulement l'absence de bouteilles d'eau dans le frigo.
00:16:55 Ce n'est pas de douche, ce n'est pas de toilette aussi.
00:16:58 Vous ne pouvez pas tirer la chasse.
00:16:59 Il faut quand même s'imaginer ce que ça représente.
00:17:01 Et pendant combien de jours en général ? Trois jours ?
00:17:04 Non, pendant une semaine pour nous, dans notre foyer.
00:17:07 Parce que l'eau arrive, comme je vous l'ai expliqué la dernière fois,
00:17:11 on a dû bricoler, ça nous a coûté de l'argent,
00:17:14 appeler un plombier pour avoir l'eau à la cour, donc c'est à l'extérieur.
00:17:17 En ce moment, l'eau arrive à deux heures du matin.
00:17:20 Donc vous imaginez bien qu'on ne va pas aller à l'extérieur chercher de l'eau,
00:17:24 parce que ce n'est pas sécurisé du tout.
00:17:27 Souvent, on n'a pas d'eau, nos réserves, vraiment,
00:17:31 on vit vraiment les réserves pour se brosser les dents.
00:17:35 C'est tout ce que nous avons en général, par jour.
00:17:38 C'est ça notre réserve.
00:17:39 Ce qui est déjà ça, mais c'est dérisoire en même temps.
00:17:42 Vous avez donc au moins un ministre qui est là en ce moment, à Mayotte,
00:17:45 pour, je le disais, un point d'étape sur la gestion de la crise de l'eau.
00:17:48 D'abord, c'est quoi les perspectives de sortie de crise qu'on vous donne à ce stade ?
00:17:52 Aujourd'hui, on ne nous donne aucune réponse.
00:17:55 Le ministre qui est accueilli avec des fleurs, avec des chants,
00:17:58 comme si c'était le sauveur alors que la population meurt de soif.
00:18:02 Avec le sourire aux lèvres, aucun air de gravité.
00:18:06 Ce qui nous choque, dans un département français,
00:18:08 comme s'il arrivait dans un territoire conquis,
00:18:10 alors qu'on est dans un département français.
00:18:12 Des questions auxquelles nous n'avons pas de réponse.
00:18:14 D'où les actions en justice que nous avons entamées,
00:18:17 d'où le référé Liberté que nous allons déposer dans les prochains jours
00:18:22 auprès du tribunal administratif pour appeler l'État à sa responsabilité.
00:18:27 Aujourd'hui, la France a une armée efficiente
00:18:32 qui a les moyens économiques, matériels et humains
00:18:35 d'intervenir dans des territoires déserts.
00:18:38 Et il y a de l'eau quand l'armée intervient.
00:18:41 Aujourd'hui, l'État ne nous a pas donné la réponse
00:18:45 à la hauteur des circonstances telles qu'elle aurait donné
00:18:48 dans la même situation à Paris.
00:18:51 On a décrit l'urgence, parlons maintenant des causes.
00:18:53 Qu'est-ce qui fait aujourd'hui que Mayotte manque d'eau ?
00:18:56 Est-ce que c'est une sécheresse plus forte que prévue ?
00:18:59 Est-ce que c'est un problème d'infrastructure ?
00:19:00 Est-ce que c'est la surpopulation de l'île
00:19:03 du fait notamment de la pression migratoire qui viendrait des comorques voisines ?
00:19:06 C'est un mix de tout cela.
00:19:08 Il faut savoir que les frontières du territoire ne sont pas protégées.
00:19:12 Tous les jours, il y a des barques clandestines qui rentrent sur le territoire.
00:19:19 La frontière est vraiment perméable.
00:19:22 On voit que les sources d'eau ne sont pas protégées.
00:19:25 Donc chacun constitue des barrages sauvages et sait ce qu'il veut.
00:19:28 Les collines, les retenues collinaires sont insalubres, non nettoyées.
00:19:32 Bien sûr, il y a des problèmes structurels liés à cette crise.
00:19:35 Des millions d'euros qui se sont volatilisés
00:19:38 sans que l'État puisse nous expliquer aujourd'hui où ils sont passés
00:19:41 et quels contrôles il a pu exercer pour pouvoir empêcher ça.
00:19:45 Donc il n'a pas pu le faire.
00:19:47 Et donc voilà, une inaction totale de l'État aujourd'hui
00:19:51 parce qu'on rappelle que même si les collectivités sont responsables de la situation,
00:19:57 l'État, depuis 1988, est au courant de cette situation.
00:20:01 Et je rappelle qu'en 1988, lors de la première crise,
00:20:04 chaque foyer à Mayotte avait pour survivre un seau d'eau qui était distribué.
00:20:09 Donc aujourd'hui, on a la même solution que celle qui a été proposée en 1988,
00:20:13 durant la fêcheresse.
00:20:15 Sauf que vous êtes beaucoup plus nombreux sur l'île que vous l'étiez en 1988.
00:20:19 Donc il faudra encore davantage d'eau.
00:20:21 Bon courage à tous les Mahorais et à toutes les Mahoraises.
00:20:24 Bon courage à vous, vraiment, coordinatrice du collectif Mayotte à Soif.
00:20:28 On espère que vous pourrez récupérer vos enfants quand vous aurez à nouveau de l'eau,
00:20:31 le plus vite possible.
00:20:32 Il y a plus de trois semaines, le Hamas déclenchait une attaque terroriste
00:20:41 conduisant au plus grand pogrom du 21ème siècle en Israël.
00:20:45 C'était le 7 octobre, depuis Israël prépare,
00:20:48 la reconquête de la bande de Gaza, au moins pour éradiquer, c'est le but affiché, le Hamas.
00:20:53 On est en direct de Tel Aviv avec André Bercoff.
00:20:56 Bonjour André Bercoff.
00:20:57 Bonjour Jean-Marie.
00:20:59 Et bienvenue chez vous sur Sud Radio.
00:21:01 En direct de Tel Aviv, disais-je, dans un pays toujours en guerre,
00:21:04 qui attend notamment le retour de ses otages.
00:21:07 Alors justement, justement, vous parlez d'otages Jean-Marie.
00:21:11 On vient de vivre une scène assez...
00:21:14 C'est vrai qu'on n'a pas l'habitude de voir ça, vous savez,
00:21:17 en plein Tel Aviv, devant le ministère de la Défense,
00:21:20 il y a un boulevard et sur 100 mètres, 200 mètres, sur les murs,
00:21:25 il y a des photos de toutes les familles, des otages, de tous les otages.
00:21:29 Il y en a, d'après les derniers chiffres, il y en aurait plus de 230.
00:21:34 Et alors c'est évidemment, si vous voulez,
00:21:38 c'est extrêmement, quel que soit le parti qu'on a,
00:21:42 c'est extrêmement mouvement parce qu'il y a des vieux,
00:21:44 il y a des photos de familles, il y a des vieux,
00:21:47 c'est que les otages qui sont affichés sur pratiquement 200 mètres d'avenue.
00:21:52 Et il y a des bébés, il y a des bébés, il y a de tout.
00:21:56 Et de temps en temps, et ça c'est terrible, ils mettent "tué",
00:22:00 ceux-là disparus ou tués, dit "tué".
00:22:03 Et vraiment, il y a quelque chose de très fort,
00:22:05 et ils ont fait quelque chose, je crois qu'on l'a peut-être déjà montré à la télévision,
00:22:09 c'est que devant le musée des beaux-arts de Tel Aviv,
00:22:12 vous avez justement une longue table où il y a du pain,
00:22:15 où il y a du vin, où il y a des plats,
00:22:18 et où il y a 230 chaises, 200, 209 chaises,
00:22:23 je ne sais pas compter, mais plus de 200 chaises,
00:22:26 style "on interne les otages pour qu'ils rentrent pour le repas".
00:22:30 Et c'est tout à fait, c'est une image assez forte en tout cas,
00:22:35 de ce qui se passe et ce que les gens auront vu.
00:22:38 Et Jean-Marie, on a discuté, parce qu'il y a des gens qui sont là,
00:22:42 et ils sont tous effectivement des gens qui,
00:22:45 soit des parents, soit des amis,
00:22:47 et vous savez ce qu'ils m'ont dit tous,
00:22:50 c'est en grosso modo, si l'Israël, vous savez, tout le monde se connaît,
00:22:53 et il n'y a pas une personne qui m'a dit "je n'ai pas, soit des amis, soit des amis d'amis,
00:22:58 soit des gens qu'on connaît, qui sont actuellement retenus".
00:23:02 Et ça fait, voilà, c'est le climat,
00:23:06 pour vous décrire un climat, il y a incontestablement un climat de très grande,
00:23:11 je dirais, douleur et de très grande sidération, je dirais.
00:23:16 C'est toujours la sidération, inquiet, etc.
00:23:19 - Le temps s'est arrêté depuis le 7 octobre en Israël.
00:23:22 Chose importante, et à rappeler, une grande partie de ces otages sont des civils,
00:23:26 et non pas des soldats de Tzal.
00:23:27 Certains ont été retenus en otage aussi, mais beaucoup sont des civils,
00:23:31 par définition les bébés ou les personnes âgées, évidemment.
00:23:34 Sauf qu'Israël est en train de conduire des opérations militaires très impressionnantes
00:23:39 sur la bande de Gaza, qui font beaucoup de victimes, y compris du côté des civils gazaouis.
00:23:43 Est-ce que ça veut dire qu'en Israël on se prépare à la perte de ces otages,
00:23:47 parce que malheureusement la priorité pour Tzal c'est d'éradiquer le Hamas
00:23:50 et même plus de récupérer un otage ?
00:23:52 - Alors, c'est ce que nous ont dit hier, Général.
00:23:55 Juste un mot, d'ailleurs.
00:23:58 Vous savez, c'est pas le baptême du feu, j'étais au Liban,
00:24:02 quand il y avait la guerre civile, il y a eu des moments assez rudes.
00:24:05 Mais par exemple, vous savez, ça fait aussi étrange,
00:24:07 vous êtes dans un bus pour entrer de Jérusalem à Tel Aviv,
00:24:10 et tout à coup tout s'arrête, vous voyez des gens sortir des voitures,
00:24:13 se précipiter en disant "alerte, alerte",
00:24:16 lui aller sortir du bus et lui dire "je suis allu à plat ventre".
00:24:20 Je veux dire, bon, comme ça, ça n'a rien à voir avec ce qui se passe à Gaza
00:24:23 et ce qui s'est passé dans les kiboutz,
00:24:26 mais c'est quelque chose d'assez...
00:24:29 Là aussi, vous voyez, quand même ça a duré une minute, même pas,
00:24:33 vous sortiez du bus, bon, ça c'était pour l'anecdote, je dirais.
00:24:37 Mais au-delà de ça, oui, nous avons parlé hier
00:24:41 avec deux ou trois membres des services de renseignement israéliens,
00:24:45 évidemment pas d'actifs, parce qu'ils n'ont pas le droit de parler,
00:24:49 mais qui sont très très très proches.
00:24:51 En deux mots, ce qu'ils nous ont dit, ils ont souligné,
00:24:54 ils disent "on ne veut pas éradiquer le Hamas",
00:24:56 dans le sens qu'on ne veut pas tuer les 30 000 membres du Hamas,
00:25:00 mais on veut éradiquer leur capacité militaire.
00:25:03 C'est ce qu'ils disent.
00:25:04 Ils disent "nous n'arrêterons pas tant que le Hamas aura une capacité militaire,
00:25:09 que ce soit dans les tunnels, que ce soit sur les missiles,
00:25:13 que ce soit sur les armes",
00:25:15 c'est-à-dire en fait, ils veulent par tous les moyens
00:25:18 démilitariser, au sens littéral du terme, le Hamas.
00:25:22 En tout cas, c'est ce qu'ils nous ont dit.
00:25:23 Ils disent "on a subi effectivement", alors deux choses,
00:25:26 "on a subi effectivement le mythe de la invincibilité,
00:25:29 on en a parlé hier, le service de lancement etc."
00:25:32 mais ils disent tout ça, on en parlera après.
00:25:34 Pour le moment, ce n'est pas la question,
00:25:36 ce n'est pas le problème de savoir qui est responsable de quoi.
00:25:39 Bien sûr, il y a des responsabilités,
00:25:41 mais on en parlera après pour le moment.
00:25:44 Alors, ce qu'ils attendent de voir, c'est est-ce que effectivement,
00:25:48 est-ce que la frontière nord va se réveiller avec le Hezbollah ?
00:25:51 Eux ne pensent pas, ils pensent que ça aurait déjà été fait,
00:25:55 ils pensent, d'ailleurs, encore une fois, je répète ce que disaient les gens du renseignement,
00:26:00 ils disent "en fait, l'Iran mène une guerre par procuration".
00:26:06 Procuration énorme par le Hamas,
00:26:09 et procuration pour eux par les millenis,
00:26:12 vous savez, les missiles qui ont été lancés du Yémen.
00:26:15 - Et on va en reparler d'ailleurs dans un instant.
00:26:17 J'aimerais juste rebondir sur ce que vous disiez à l'instant,
00:26:19 c'est que malgré tout, le Premier ministre Benjamin Netanyahou,
00:26:21 c'était peut-être une posture, mais il l'a dit publiquement,
00:26:23 tout membre du Hamas est un homme mort,
00:26:25 c'était il y a plusieurs semaines, mais après le 7 octobre,
00:26:27 donc malgré tout, c'est un objectif qui a été affiché.
00:26:30 Alors, vous parlez de ce qui se passe autour d'Israël, vous avez raison,
00:26:33 notez quand même André, et ça fait beaucoup de bruit sur les réseaux sociaux,
00:26:36 le Hezbollah s'amuse à communiquer sur ce qu'il pourrait annoncer dans les jours qui viennent,
00:26:41 et notamment vendredi prochain, avec des vidéos sur une musique guerrière
00:26:45 très énigmatique à la Hitchcock,
00:26:47 où on aperçoit le turban de son leader, Hassan Nasrallah,
00:26:50 une horloge qui tourne, et une date.
00:26:52 Donc, pour l'instant, le Hezbollah fait croire qu'il peut encore faire quelque chose.
00:26:57 Alors absolument, personne ici, en tout cas en Israël, ne l'écarte.
00:27:02 Les Israéliens se disent prêts à toute éventualité, y compris une attaque de Hezbollah.
00:27:08 Si vous voulez, aujourd'hui, ce qui est tout à fait frappant,
00:27:11 il faudrait que je vous parle de ça,
00:27:12 ce matin, on a visité un centre,
00:27:15 ce qui est intéressant, vous savez, ils étaient totalement divisés.
00:27:18 Vous vous rappelez, les lois sur la justice, on a vu des manifestations,
00:27:21 anti-Netanyahou, monstres, on rappelle, de masse.
00:27:25 On a vu ce qui s'est passé, les soldats qui disaient
00:27:27 "on n'a plus envie de faire nos services militaires, les réservistes",
00:27:30 les gens de l'aviation, les mécaniciens qui disaient
00:27:36 "mais oui, vous vous embêtez avec tout ça, qu'est-ce que ça veut dire, c'est plus intéressant".
00:27:41 Et vraiment, ce qu'on peut voir, en tout cas ce qu'on a vu,
00:27:44 c'est que tout d'un coup, il y a un peuple totalement mobilisé.
00:27:47 Je vous donne trois chiffres, Jean-Marie.
00:27:49 320 000 réservistes mobilisés, ça veut dire quoi ?
00:27:52 Ça veut dire que c'est hidrel, c'est carrément immense,
00:27:55 et des tas de gens ne travaillent plus dans les entreprises, dans les bureaux, etc.
00:28:00 Alors, il y a énormément de volontaires, soit à la retraite,
00:28:03 soit des jeunes qui pallient à ça.
00:28:05 Et ce qui est extraordinaire, c'est la distribution des vêtements,
00:28:08 des jouets d'enfants, des nourritures pour chiens,
00:28:11 c'est-à-dire qu'on a rapatrié, comme vous le savez, 80 à 100 000 Israéliens
00:28:15 qui étaient dans les zones visées par les missiles.
00:28:19 Ces gens-là ont été placés dans les hôtels,
00:28:21 il y a des problèmes de psychologie des enfants,
00:28:23 il y a des problèmes, évidemment, de nourriture, de médicaments,
00:28:26 de vêtements, ils sont partis vraiment avec rien.
00:28:28 Donc, il y a une incroyable solidarité,
00:28:32 et vous savez, ils le font à l'Amazon, à la high-tech,
00:28:35 c'est-à-dire, on a vu un centre de distribution,
00:28:38 il y en a plusieurs comme ça, je ne sais pas, de 10 000 m²,
00:28:41 on n'a pas eu le temps de tout voir,
00:28:43 où les gens viennent classer par vêtements, par nourriture, par tout cela,
00:28:48 c'est acheminé ensuite vers tous les lieux où on en a besoin,
00:28:52 et aussi, il y a les gens de la high-tech.
00:28:55 Alors, que font les gens de la high-tech ?
00:28:57 Pour les personnes disparues, ils essaient de savoir,
00:28:59 parce que, alors ça va jusqu'à la reconnaissance par photo,
00:29:02 par un détail, par, je ne sais pas, un tatouage sur un doigt, etc.
00:29:08 Ils nous ont montré ça, c'est tout à fait étonnant,
00:29:11 c'est-à-dire qu'il y a, aujourd'hui en tout cas, dans ce pays,
00:29:14 une mobilisation totale, il n'y a plus de gauche, de droite, pour le moment.
00:29:18 Alors, c'est assez important, parce qu'on va y revenir, vous avez raison.
00:29:21 Il y a vraiment une mobilisation générale à tous les niveaux,
00:29:23 je veux dire, les grands-pères qui s'occupent des enfants,
00:29:26 les high-tech qui cherchent des algorithmes, etc.
00:29:30 C'est très sensible.
00:29:32 Sauf que, et parlons de ce qui fâche, y compris en Israël,
00:29:35 vous êtes en direct de Tel Aviv, André,
00:29:37 c'est peut-être la ville la plus laïque d'Israël,
00:29:39 la grande ville la plus laïque d'Israël.
00:29:41 Vous l'avez dit, 300 000 réservistes sous les drapeaux actuellement,
00:29:44 mais tous les Israéliens ne font pas leur service militaire,
00:29:47 ou ne font pas l'armée, et ça fait polémique depuis longtemps dans ce pays.
00:29:51 Ça doit le faire davantage encore en ce moment,
00:29:53 les ultra-orthodoxes et les religieux ne font pas l'armée.
00:29:56 Tout à fait. Alors, c'est en train de changer,
00:29:59 on en avait parlé hier, Jean-Marie,
00:30:01 c'est en train de changer en ce sens que, effectivement,
00:30:04 et il y en a même, vous savez, il y a des sectes d'Athora et Karta
00:30:07 ultra, ultra, ultra, je vais dire intégristes,
00:30:11 qui ne reconnaissent même pas l'existence d'Israël,
00:30:13 et qu'on montre d'ailleurs quelques fois dans les photos avec leur paillote dedans.
00:30:18 Non, ce que je crois, c'est qu'aujourd'hui,
00:30:20 en tout cas c'est ce qu'on nous a dit,
00:30:22 après je répète ce que vous entendez.
00:30:26 En deux mots, je vous ai parlé hier de seconde guerre d'indépendance.
00:30:30 Alors, hier soir, on a eu quelqu'un en disant
00:30:32 "attendez, c'est pas la seconde guerre d'indépendance en 48,
00:30:35 on était là, on était fichus,
00:30:38 il y avait 5 armées arabes contre nous,
00:30:40 là, là, c'était là, je veux dire,
00:30:43 on gagnait, on mourait.
00:30:44 Là, ils disent autre chose, ils disent "qu'est-ce qu'on est ?"
00:30:46 Et encore une fois, ce qui est très, très frappant,
00:30:49 c'est qu'ils disent "on nous a, le Hamas est venu,
00:30:53 et ça, il a massacré des civils,
00:30:56 pas des militaires, il a aussi tué des militaires,
00:30:58 mais uniquement parce qu'on était israéliens,
00:31:00 parce qu'on était juifs."
00:31:02 C'est-à-dire, en tout cas, ils le ressentent comme ça,
00:31:04 et ils disent "notre seconde guerre d'indépendance,
00:31:06 c'est pour absolument manifester,
00:31:08 donc pas qu'ils sont devenus religieux et qu'ils sont convertis,
00:31:10 j'ai parlé à des athées, enfin une fois,
00:31:13 mais ils disent "c'est notre identité,
00:31:15 et visiblement, on ne veut pas accepter notre identité,
00:31:19 on veut l'éradiquer."
00:31:20 Ça, c'est quelque chose qui, aujourd'hui,
00:31:23 et c'est en ça que, si vous voulez, quand on a parlé 11 septembre,
00:31:25 Lord Larbonne et compagnie,
00:31:27 qu'on a raison, on n'est pas raison,
00:31:28 mais le 7 octobre est vécu vraiment
00:31:30 comme une espèce de choc,
00:31:32 en disant "voilà, vous n'êtes pas contents,
00:31:34 on veut dire "vous n'êtes pas ici chez vous,
00:31:36 et tant que vous serez là, on passera de vous tuer."
00:31:39 En tout cas, c'est vraiment ressenti comme ça, Jean-Marie,
00:31:42 et c'est ressenti, et aussi,
00:31:44 alors, le message qu'ils nous font passer,
00:31:46 après, chacun le prendra comme il veut,
00:31:48 ils disent "mais vous croyez que vous,
00:31:50 vous êtes protégés à Paris, en Europe,
00:31:53 et bien, demain, ce sera chez vous."
00:31:55 Les gens qui veulent éliminer tout ce qui n'est pas
00:31:58 dans leur intégrisme à eux,
00:31:59 et dans leur radicalisme à eux,
00:32:01 et bien, ils vont, d'une manière ou d'une autre, les éliminer,
00:32:04 "demain, ce sera votre tour,
00:32:06 ne croyez pas du tout que vous êtes protégés."
00:32:08 - Sachant que la France n'a pas attendu le 7 octobre
00:32:11 pour payer ce prix du sang-là,
00:32:13 chose importante, parce qu'on le rappelle peu,
00:32:15 le 7 octobre dernier, quand le Hamas a massacré
00:32:18 massivement des civils,
00:32:19 écrasante majorité d'israéliens et de juifs,
00:32:22 mais pas seulement des juifs,
00:32:23 il y a eu quelques musulmans qui ont été tués,
00:32:25 il y a eu aussi des ouvriers thalilandais,
00:32:27 j'ai vu même l'un d'eux se faire décapiter
00:32:29 sur une vidéo à coup de bêche,
00:32:31 et c'est important de le rappeler également,
00:32:33 le Hamas n'a pas fait de distinction.
00:32:35 Parlons maintenant de ce qui se passe en dehors,
00:32:36 parce que c'est important quand même, André Bercoff,
00:32:38 on en a longuement parlé hier,
00:32:39 comme vous le savez, la France est absolument
00:32:41 scandalisée par ces étoiles de David
00:32:43 qui ont été taguées sur des murs et des maisons.
00:32:45 Parlons aussi de l'émotion et des images
00:32:48 qui nous parviennent de cette guerre en dehors d'Israël,
00:32:50 c'est aussi les victimes civiles de Gaza,
00:32:52 c'est ce qui fait aussi qu'Israël, parfois,
00:32:55 n'est pas populaire, souvent même,
00:32:57 dans un grand nombre de pays.
00:32:59 Comment on vit ces drames qu'on voit à Gaza,
00:33:04 c'est-à-dire, qu'est-ce qu'on pense
00:33:06 de ces victimes civiles ?
00:33:08 - Alors, ce que, encore une fois, j'ai interrové,
00:33:11 j'ai quand même vu pas mal de gens,
00:33:12 mais encore une fois, les propos,
00:33:15 c'est pas un sondage,
00:33:16 c'est pas une statistique, évidemment.
00:33:18 - Mais c'est un témoignage.
00:33:19 - L'émotion est là.
00:33:20 En deux mots, il y a que, effectivement,
00:33:25 il y a des victimes civiles,
00:33:26 et c'est tout à fait déplorable,
00:33:29 mais disent-ils, on n'a pas le choix.
00:33:31 Vous savez, c'est une preuve, on n'a pas le choix
00:33:33 parce qu'on veut, encore une fois,
00:33:36 éradiquer les capacités militaires du Hamas.
00:33:38 Le Hamas, encore une fois, disent-ils,
00:33:41 se cache sous des hôpitaux.
00:33:43 Vous savez que tout le monde parle de cette ville
00:33:45 souterraine, évidemment, et qui existe
00:33:47 avec les souterrains, mais ils disent,
00:33:49 ils empêchent les civils d'aller,
00:33:50 on leur a dit d'aller dans le sud,
00:33:52 ils ne veulent pas, ils les empêchent d'aller dans le sud,
00:33:55 et évidemment, il y a, eux, ce qu'ils appellent
00:33:57 des dommages collatéraux, c'est tout à fait déplorable,
00:34:01 mais qu'est-ce qu'on voulait faire ?
00:34:02 On ne peut pas faire un cessez-le-feu,
00:34:04 maintenant, disent-ils, parce que dans deux semaines,
00:34:06 trois semaines, un mois, six mois,
00:34:08 ça va recommencer, et si ça recommence,
00:34:10 et c'est ça, encore une fois, la grosse, grosse, grosse différence,
00:34:13 c'est qu'avant, il y avait les tirs de missiles,
00:34:16 il y avait quelques commandos qui rentraient
00:34:18 et qui attrapaient un otage.
00:34:19 Là, ça n'a pas été ça, ça a été un massacre.
00:34:21 Et donc, ça s'est vécu, et tous les vieux fantômes,
00:34:25 qu'on le veuille ou pas, encore une fois,
00:34:28 des années 44, même si ils ne souviennent rien,
00:34:30 reviennent à la surface, très, très fortement.
00:34:33 C'est vraiment, si on ne comprend pas ça,
00:34:35 ce n'est pas un choix, ce n'est pas ça,
00:34:38 mais c'est, allez, nous, on n'est pas là,
00:34:41 il faut qu'on soit éliminés, on est de trop.
00:34:43 Et ça, c'est la leçon.
00:34:45 Donc, ils disent, comment voulez-vous qu'on combatte le Hamas
00:34:48 si on n'y va pas ?
00:34:49 Mais encore une fois, ce que je vous avais dit hier,
00:34:52 Jean-Marie, personne, enfin, apparemment, en tout cas,
00:34:55 personne ne veut occuper Gaza,
00:34:56 mais y entrer et mettre le Hamas hors de combattre,
00:35:03 ça, c'est très, très clair que c'est l'intention.
00:35:06 - À supposer qu'il y ait...
00:35:08 - Est-ce qu'il y aura une régionalisation du conflit ?
00:35:11 Et pour revenir à ce que vous dites, bien sûr,
00:35:13 évidemment que c'est impopulaire.
00:35:15 Qui aime voir des photos de civils bombardés ?
00:35:19 Non, pour bombarder, c'est terrifiant.
00:35:22 C'est pour ça que c'est très, très, très dur.
00:35:24 C'est une histoire qui est vraiment vécue
00:35:26 de manière extrêmement forte, des deux côtés,
00:35:29 si bien des deux côtés,
00:35:31 mais qui est vécue de manière extrêmement dramatique.
00:35:33 Et franchement, on se dit, on ne voit pas,
00:35:36 aujourd'hui en tout cas, on ne voit pas la sortie.
00:35:38 - Et qui semble insoluble, surtout, c'est ce que vous dites.
00:35:41 Et qui semble en tout cas insoluble
00:35:42 quand on constate les émotions qui sont générées
00:35:44 de part et d'autre autour de ce conflit.
00:35:47 Dernière question, et ça nous amènera à la transition
00:35:50 de ce qui va suivre dans votre émission, André Bercoff.
00:35:52 Est-ce qu'en Israël, on a le sentiment
00:35:54 qu'il n'y a que l'Occident qui soutient le pays ?
00:35:57 - Ben, ils n'ont l'impression même pas.
00:35:59 Ils n'ont l'impression qu'il n'y a que l'Amérique
00:36:01 qui soutient le pays.
00:36:02 Ils pensent que l'Europe n'est pas là.
00:36:04 Enfin, si, il y a eu des manifestations.
00:36:06 Attention, il y a eu des manifestations de solidarité,
00:36:08 de groupes individuels très forts.
00:36:10 Vous savez, je vous parlais,
00:36:12 il y a énormément de gens qui sont venus d'Europe,
00:36:14 énormément, des centaines de gens high-tech venus
00:36:17 pour distribuer, pour contribuer,
00:36:19 que ce soit, je veux dire, financièrement
00:36:23 ou logistiquement, on veut dire attribuer.
00:36:26 Énormément, il y a des milliers de gens
00:36:28 qui arrivent, effectivement, pour aider.
00:36:30 Maintenant, sur le plan géopolitique,
00:36:33 ils ont l'impression que l'Amérique, effectivement, est là,
00:36:36 que l'Europe, oui, elle est là,
00:36:38 mais du bout des lèvres.
00:36:39 En tout cas, c'est ressenti comme ça.
00:36:41 - Est-ce qu'on est optimiste pour les heures qui suivent ou pas ?
00:36:44 - Écoutez, ça, la seule chose qu'ils disent,
00:36:48 c'est qu'effectivement, aujourd'hui,
00:36:51 on vit, on a toujours vécu dans l'aléatoire,
00:36:55 mais aujourd'hui, c'est plus aléatoire que jamais.
00:36:58 En tout cas, disent-ils et redisent-ils,
00:37:00 nous, on est totalement unis,
00:37:02 il n'y a plus de gauche, enfin, pour le moment,
00:37:04 mais je vous ai dit, nous sommes totalement unis,
00:37:06 mobilisés et incontestablement,
00:37:09 disons que ça a été un très durs choc,
00:37:12 mais un choc de rappel énorme.
00:37:14 C'est-à-dire que c'est une société
00:37:16 qui a été vraiment touchée au flanc,
00:37:19 qui a été touchée préalablement
00:37:21 et qui se disent, et je finis là-dessus,
00:37:23 et qui se disent, au fond, c'est quoi notre identité ?
00:37:26 C'est la question de dire, on se bat pourquoi ?
00:37:28 Est-ce qu'on se bat pour Israël, État juif,
00:37:31 État, en tout cas, d'indifférence,
00:37:33 ou on se bat pourquoi ?
00:37:35 Quelle est notre identité ?
00:37:37 C'est pour ça que l'histoire de la guerre d'indépendance
00:37:39 est vécue.
00:37:40 Aujourd'hui, ce n'est pas l'indépendance qui est en question,
00:37:42 c'est plus que l'indépendance pour eux,
00:37:44 c'est pourquoi Israël, pourquoi on est là,
00:37:46 et si, effectivement, on a à redéfinir
00:37:49 ce pourquoi on est là.
00:37:51 - Merci André Bercoff, soyez prudent,
00:37:53 et bon retour de Tel Aviv.
00:37:54 Je rappelle à tous ceux qui nous écoutent
00:37:56 et à qui vous pouvez manquer que vous serez de retour
00:37:58 demain à midi dans tous vos États,
00:38:00 comme de juste rester avec nous sur...
00:38:02 - Sud Radio Bercoff, dans tous ses États,
00:38:04 le face à face.
00:38:07 - Le face à face aujourd'hui dans Bercoff, dans tous ses États,
00:38:09 Jean-Marie Bordry, vous recevez,
00:38:11 Max Erwan-Gastineau, essayiste, chroniqueur politique,
00:38:13 et surtout, auteur de ce nouveau livre,
00:38:15 "L'ère de l'affirmation",
00:38:17 "Répondre au défi de la désoxy...
00:38:19 - Vous allez y arriver ?
00:38:21 - Je vais y arriver !
00:38:22 - Occidentalisation !
00:38:24 C'est nos éditions du CERF, bonjour à vous.
00:38:26 - Bonjour. - Et bienvenue Max Erwan-Gastineau.
00:38:28 Est-ce qu'Israël est un pays occidental ?
00:38:30 - J'ai envie de dire bien évidemment,
00:38:32 je dirais tout simplement que nous sommes, en tant qu'Occidentaux,
00:38:34 le produit d'une civilisation judéo-chrétienne,
00:38:36 ça n'aurait échappé à personne.
00:38:38 Un grand nombre de citoyens israéliens sont directement
00:38:40 issus de nos contrées, et puis
00:38:42 il y a un lien direct entre la création
00:38:44 de l'État d'Israël, et puis la tragique histoire
00:38:46 européenne, notamment en écho
00:38:48 à la Seconde Guerre mondiale, évidemment.
00:38:50 Et puis un certain nombre aussi d'Israéliens sont originaires
00:38:52 de pays d'Orient, il y a beaucoup de Juifs iraniens,
00:38:54 d'origine iranienne, de Juifs d'Afrique du Nord
00:38:56 aussi, qui ne sont pas tous repassés
00:38:58 par la France, c'est pour ça que la question n'est pas si
00:39:00 évidente. Est-ce que la guerre qu'Israël
00:39:02 mène au Hamas actuellement
00:39:04 est une guerre entre un pays occidental
00:39:06 et ce qu'il y a en dehors de l'Occident ?
00:39:08 - Justement, c'est là où les choses
00:39:10 sont un peu plus, évidemment,
00:39:12 complexes, c'est-à-dire que le fait de rappeler qu'Israël
00:39:14 est un État occidental, ça peut légitimer une vision
00:39:16 du monde où en effet, la
00:39:18 civilisation occidentale fait face à une
00:39:20 menace islamiste incarnée en l'occurrence
00:39:22 par le Hamas. Et en même temps,
00:39:24 on sait très bien que la sécurité de l'État israélien
00:39:26 renvoie
00:39:28 à la question palestinienne
00:39:30 et pour résoudre la question palestinienne
00:39:32 il faut peut-être adopter une approche
00:39:34 un peu plus fine et un peu plus complexe
00:39:36 que celle qui nous renvoie à une logique de guerre, de civilisation.
00:39:38 - Surtout dans cet Orient compliqué,
00:39:40 quelle approche plus fine pouvons-nous adopter ?
00:39:42 - Écoutez, moi je trouve ça très
00:39:44 intéressant d'observer la division
00:39:46 des États européens sur cette
00:39:48 question. On a bien vu au moment de la résolution
00:39:50 aux Nations Unies visant
00:39:52 à adopter une trêve humanitaire à Gaza,
00:39:54 les États européens n'ont pas du tout la même vision
00:39:56 du monde. Et ça, ça nous renvoie d'ailleurs à
00:39:58 une logique que Huntingdon écrit
00:40:00 dans son "Choc des civilisations".
00:40:02 Il dit que du fait
00:40:04 de la division interne société européenne,
00:40:06 du fait notamment de l'immigration et qu'il y a
00:40:08 désormais une communauté musulmane très importante en Europe
00:40:10 et notamment en France, les États européens
00:40:12 ne pourront plus avoir tout à fait la même
00:40:14 politique parce qu'ils devront tenir compte
00:40:16 de la concorde interne
00:40:18 à leur propre nation. - D'une partie de leur
00:40:20 opinion publique. - Une partie de leur opinion publique
00:40:22 qui réagit directement
00:40:24 évidemment, s'identifie à la cause
00:40:26 palestinienne ou en l'occurrence israélienne.
00:40:28 - Est-ce que vous êtes en train de dire que la France, dans ce cas-là,
00:40:30 a voté cette résolution controversée de l'ONU qui appelait
00:40:32 notamment à une trêve humanitaire, même si elle a mis des réserves,
00:40:34 seulement pour contenter
00:40:36 une partie de sa population de religion musulmane
00:40:38 plus sensible aux victimes civiles à Gaza ?
00:40:40 - Alors, il y a une tradition diplomatique
00:40:42 française qui consiste à défendre
00:40:44 la solution à deux États
00:40:46 et en même temps, je pense que quand Emmanuel Macron
00:40:48 par exemple a tweeté pour
00:40:50 dénoncer le bombardement d'un hôpital
00:40:52 à Gaza, il s'est senti
00:40:54 quelque part obligé de le faire alors que
00:40:56 nous ne savions pas à l'origine
00:40:58 si ce bombardement était
00:41:00 la conséquence d'une frappe israélienne, il s'est senti
00:41:02 obligé de le faire pour répondre
00:41:04 à une inquiétude qui venait
00:41:06 notamment en France de la communauté musulmane.
00:41:08 - Et pourtant... - Il y a à la fois une tradition géopolitique
00:41:10 française et en même temps, une division internationalité
00:41:12 française sur laquelle Emmanuel Macron
00:41:14 cherche un petit peu à...
00:41:16 sur laquelle, comment dire, que Emmanuel Macron
00:41:18 a bien à l'esprit, ce qui fait
00:41:20 qu'il marche sur des oeufs comme le nombre
00:41:22 de nos dirigeants. - Mais pourtant, le reproche
00:41:24 que certains ont fait à ce gouvernement et au
00:41:26 président de la République, c'est d'être beaucoup plus
00:41:28 pro-israélien aujourd'hui que la France
00:41:30 ne l'était sous de Gaulle, quand de Gaulle
00:41:32 partait même dans des envolées antisémites,
00:41:34 on peut le dire, fustigeant les Juifs,
00:41:36 peuple d'élite sûr de lui-même
00:41:38 et dominateur, et prenant fait des causes
00:41:40 simplement pour la résistance palestinienne
00:41:42 à l'époque, c'est ce qu'il disait.
00:41:44 - Oui, c'est une réaction dictée par les
00:41:46 événements, mais... - Ce que je veux dire par là,
00:41:48 et si je vous soulève cet exemple, c'est qu'il n'y avait pas
00:41:50 beaucoup de musulmans en France à cette époque,
00:41:52 et de Gaulle ne disait pas ça pour contenter
00:41:54 une partie de l'opinion publique. - Oui, tout à fait,
00:41:56 mais c'est-à-dire qu'il y a une tradition depuis
00:41:58 le général de Gaulle, qui consiste à la fois à défendre
00:42:00 l'existence d'Israël et en même temps, défendre
00:42:02 une solution à deux États, et donc la cause palestinienne
00:42:04 et le général de Gaulle estimait en 67
00:42:06 que celle-ci pouvait être également remise en question.
00:42:08 - Exactement, d'où d'ailleurs la position souvent singulière
00:42:10 de la France, cette tentative d'aller
00:42:12 parler aux pays arabes, comme a essayé de le faire
00:42:14 des fois d'y parvenir Emmanuel Macron
00:42:16 dans sa visite en Jordanie
00:42:18 et en Égypte. Le défi de la
00:42:20 désoccidentalisation du monde, l'ère de
00:42:22 l'affirmation notamment de leaders
00:42:24 non-occidentaux, qui se revendiquent comme tels,
00:42:26 on va prendre un exemple, c'est peut-être
00:42:28 le plus parlant, c'est Recep Tayyip Erdogan,
00:42:30 le président turc,
00:42:32 qui s'est lancé dans une grande envolée
00:42:34 anti-occidentale, une diatribe, qu'on va
00:42:36 écouter dans un instant, tout de suite même.
00:42:38 En quelques mots, et pour
00:42:50 traduire une partie de son discours
00:42:52 où il fait un parallèle avec la guerre en Ukraine,
00:42:54 on serait davantage sensibles aux victimes
00:42:56 ukrainiennes civiles des Russes
00:42:58 qu'aux victimes gazaouies des frappes
00:43:00 israéliennes. Il ajoute "Oh l'Occident,
00:43:02 je m'adresse à vous, vous voulez-vous relancer
00:43:04 une nouvelle guerre du croissant contre la
00:43:06 croix ? Le principal responsable du massacre
00:43:08 à Gaza, c'est l'Occident. Est-ce que
00:43:10 cette opinion est répandue en dehors de l'Occident ?
00:43:12 En effet, il y a un reproche
00:43:14 qui est courant dans les pays du Sud,
00:43:16 c'est ce fameux deux poids deux mesures, le fait
00:43:18 que les valeurs que nous prétendons défendre,
00:43:20 nous ne les appliquons pas
00:43:22 sur tout théâtre d'opération,
00:43:24 nous n'avons pas la même compassion
00:43:26 envers toutes les victimes,
00:43:28 et donc on nous reproche en effet de nous identifier
00:43:30 à certaines causes plutôt que à d'autres, et donc
00:43:32 par exemple de nous sentir plus proches
00:43:34 de la cause ukrainienne que du sort, du terrible sort,
00:43:36 il faut bien le dire, du peuple palestinien.
00:43:38 C'était le reproche d'ailleurs qui avait été fait à l'opinion
00:43:40 publique française par l'acteur
00:43:42 Omar Sy, ça avait fait scandale.
00:43:44 Est-ce que ce reproche est justifié de votre point de vue ou pas ?
00:43:46 Bah écoutez, en partie,
00:43:48 c'est-à-dire qu'en effet, nous avons
00:43:50 l'habitude en Occident de défendre
00:43:52 des valeurs universelles et de prétendre avoir
00:43:54 une vision pour l'ensemble du monde. Or,
00:43:56 en effet, ces valeurs rentrent
00:43:58 des fois en contradiction avec nos
00:44:00 intérêts, et lorsque c'est le cas,
00:44:02 nous sommes peut-être un petit peu moins offensifs
00:44:04 sur ce discours humanitaire,
00:44:06 universaliste, et là,
00:44:08 nous nous taisons peut-être sur
00:44:10 certains sujets.
00:44:12 Bah écoutez, certains pays
00:44:14 en effet sont peut-être moins prolixes sur la question
00:44:16 palestinienne, vous avez
00:44:18 également en Afrique un certain nombre de conflits,
00:44:20 et vous avez un nombre de pays africains, comme au Congo,
00:44:22 lorsqu'Emmanuel Macron s'est rendu au Congo, qui nous disent
00:44:24 "Vous êtes très offensifs sur la question ukrainienne,
00:44:26 mais vous nous oubliez la plupart
00:44:28 du temps". - La République démocratique du Congo,
00:44:30 qui est en conflit larvé avec le
00:44:32 Rwanda, avec lequel on s'est par ailleurs
00:44:34 réconcilié récemment,
00:44:36 en tout cas sous Emmanuel Macron, c'était un tournant
00:44:38 majeur. Est-ce que l'Occident est perçu
00:44:40 aujourd'hui comme en déclin dans le reste du pays ?
00:44:42 - Alors oui, c'est-à-dire que je pense qu'il faut déjà
00:44:44 essayer de définir précisément ce que c'est que la
00:44:46 désoccidentalisation du monde. C'est au fond la montée en puissance
00:44:48 de pôles de résistance à l'influence
00:44:50 intellectuelle, culturelle et politique
00:44:52 de l'Occident, et on le voit sur le conflit ukrainien
00:44:54 où la plupart des pays du monde, y compris des
00:44:56 démocraties comme l'Inde et le Brésil, ne suivent
00:44:58 pas les pays occidentaux dans leurs sanctions contre
00:45:00 la Russie. Donc c'est un monde dans lequel
00:45:02 des pays,
00:45:04 du fait de leur essor politique, le produit de la décolonisation
00:45:06 et de leur essor économique, qui est le produit de la mondialisation,
00:45:08 s'affirment pour défendre leurs intérêts,
00:45:10 pour défendre leur valeur, et ils nous disent
00:45:12 aujourd'hui "Nous n'allons plus
00:45:14 vous suivre, vous n'êtes plus les
00:45:16 seuls sur Terre, et en plus, vos
00:45:18 sociétés sont en crise". C'est ça aussi
00:45:20 ce qui nous est renvoyé, c'est que
00:45:22 vous ne pouvez pas donner des leçons à la Terre entière lorsque
00:45:24 l'on voit l'évolution intérieure
00:45:26 à vos propres sociétés, des sociétés occidentales en effet
00:45:28 divisées. - Et quelle évolution
00:45:30 est fustigée en dehors de l'Occident ?
00:45:32 Quelle évolution de
00:45:34 la société occidentale est fustigée en dehors ?
00:45:36 - Alors, il y a tout simplement un constat
00:45:38 sur le fait que nous subissons
00:45:40 un relatif déclin économique,
00:45:42 une perte d'influence militaire, géopolitique,
00:45:44 et puis, ce qui est beaucoup contesté,
00:45:46 c'est aussi sur le plan des valeurs. C'est-à-dire que
00:45:48 il y a tout un discours
00:45:50 qu'on retrouve en Turquie, qu'on retrouve en Russie,
00:45:52 qu'on retrouve aussi dans le Singapour dans les années 90,
00:45:54 qu'on retrouve en Chine, en Afrique,
00:45:56 qui est au fond une critique d'un universalisme
00:45:58 qui, au fond, défend des valeurs libérales
00:46:00 attachées à la liberté et au droit de l'individu, mais qui
00:46:02 mépriserait les traditions,
00:46:04 la vie religieuse,
00:46:06 l'identité nationale. Et ça, dès le début des années
00:46:08 90, vous avez des pays du Sud, des pays
00:46:10 notamment asiatiques, qui nous reprochent de confondre
00:46:12 universelle et valeur occidentale.
00:46:14 Il y a d'autres valeurs, d'autres façons de voir le monde,
00:46:16 et ces pays, aujourd'hui, nous le disent avec force.
00:46:18 - Est-ce qu'on est à l'heure du relativisme ? Est-ce que, finalement,
00:46:20 on est en train d'abandonner la propagation
00:46:22 des droits de l'homme ? Est-ce qu'on n'aura pas le choix, d'ailleurs ?
00:46:24 On va en parler avec vous. Restez avec nous
00:46:26 sur Sud Radio, Max Erwann, Gastineau,
00:46:28 vous tous qui nous écoutez, d'ailleurs.
00:46:30 0 826 300 300. Est-ce que l'Occident
00:46:32 n'est plus un modèle ? On en parle avec
00:46:34 vous jusqu'à 14h.
00:46:36 Est-ce que l'Occident prêche désormais dans le désert ?
00:46:38 Le monde à l'heure de la désoccidentalisation.
00:46:40 C'est la thèse de notre invité
00:46:42 Max Erwann-Gastineau qui publie l'air
00:46:44 de l'affirmation. Ces pays
00:46:46 et ces dirigeants qui s'affirment comme
00:46:48 n'étant pas occidentaux,
00:46:50 et comme étant plutôt "horti-occidentaux".
00:46:52 On parlait de la Chine,
00:46:54 on parlait de la Turquie, de Recep Tayyip Erdogan.
00:46:56 On disait, à l'instant,
00:46:58 que c'était l'exemple le plus parlant de ces pays
00:47:00 qui ont un pied de chaque côté.
00:47:02 Ça a toujours été le cas du territoire qui est
00:47:04 regroupé par la Turquie, aujourd'hui.
00:47:06 La Turquie qui fait partie de l'OTAN, mais qui fait les yeux doux
00:47:08 à la Russie. La Turquie qui insulte
00:47:10 l'Occident, mais qui n'avait pas
00:47:12 jusqu'ici complètement rompu ses
00:47:14 relations diplomatiques avec
00:47:16 Israël, par exemple. Est-ce que
00:47:18 la Turquie est un ennemi de l'Occident, aujourd'hui ?
00:47:20 - La Turquie, c'est
00:47:22 l'archétype de ce multi-alignement
00:47:24 actif qu'on attribue aussi
00:47:26 à un pays comme l'Inde, par exemple. C'est-à-dire que
00:47:28 la Turquie, en fonction de ses intérêts stratégiques,
00:47:30 va se rapprocher de l'Occident ou s'en éloigner.
00:47:32 - Sauf que l'Inde insulte moins de pays.
00:47:34 - L'Inde insulte moins de pays. Vous avez en effet une stratégie
00:47:36 un peu plus offensive chez Erdogan,
00:47:38 ce qui nous concerne davantage, puisque nous avons des
00:47:40 rapports géographiques évidents avec la Turquie.
00:47:42 Mais moi, ce qui me semble intéressant dans le cas turc, c'est que c'est
00:47:44 l'archétype, en effet, de ces nouvelles nations
00:47:46 qui émergent sur la scène internationale
00:47:48 et qui nous disent au fond "nous allons simplement défendre nos intérêts
00:47:50 nationaux". Il n'y a plus de valeurs
00:47:52 transcendantes, de valeurs universelles,
00:47:54 il n'y a que des nations qui défendent leurs intérêts.
00:47:56 - Sachant que la Turquie était peut-être
00:47:58 le pays, il y a un siècle,
00:48:00 qui a le plus imité,
00:48:02 en tout cas les valeurs occidentales,
00:48:04 qui s'en est le plus inspiré
00:48:06 sous le père de la République de Turquie,
00:48:08 c'est-à-dire Moustapha Kemal. La laïcité, par exemple,
00:48:10 était presque plus rigoureuse en Turquie
00:48:12 qu'en France. - C'est pour ça que l'ère de l'affirmation,
00:48:14 le titre de mon ouvrage, en fait, succède à l'ère de
00:48:16 l'imitation. Il peut y avoir encore une
00:48:18 attirance pour le modèle occidental, mais il y a eu
00:48:20 avant tout une imitation du modèle
00:48:22 occidental jusqu'en Chine. Je rappelle par exemple en 2004
00:48:24 que la Chine a introduit dans sa constitution le droit
00:48:26 à la propriété privée, donc on pouvait y voir une forme
00:48:28 de poursuite de l'occidentalisation du monde.
00:48:30 Mais là, aujourd'hui, on voit bien que ces États, aujourd'hui,
00:48:32 affirment leur identité, affirment leurs intérêts, et ce n'est plus
00:48:34 Moustapha Kemal, la référence en Turquie,
00:48:36 c'est plutôt l'islam avec Erdogan.
00:48:38 - Exactement. Ou alors Soliman
00:48:40 le Malignifique, le grand sultan
00:48:42 qui avait assiégé Vienne,
00:48:44 en tout cas fait assiéger Vienne.
00:48:46 Est-ce que ça signifie qu'il est logique dans ce cas-là que dans
00:48:48 beaucoup de pays qui s'étaient laïcisés, y compris
00:48:50 des pays musulmans pendant le XXème siècle,
00:48:52 eh bien aujourd'hui, on voit le retour du voile
00:48:54 avec une certaine fierté.
00:48:56 - Oui, tout à fait. Il y a un retour, il y a un retour identitaire,
00:48:58 c'est-à-dire que vous avez des sociétés qui ont pris confiance en elles-mêmes,
00:49:00 du fait de leur essor économique, du fait de leur essor politique,
00:49:02 il y a une confiance en elles-mêmes
00:49:04 qui font qu'aujourd'hui, elles réaffirment leur identité
00:49:06 et elles, de façon complètement décomplexée.
00:49:08 - Alors, qu'est-ce qu'on rejette dans
00:49:10 les dites valeurs occidentales ?
00:49:12 Est-ce qu'on rejette un passé de domination ?
00:49:14 - Alors, ce qui est rejeté, c'est une forme
00:49:16 d'arrogance, c'est-à-dire que vous avez toujours prétention
00:49:18 à régir le monde au nom de principes moraux
00:49:20 que vous n'appliquez pas sur tous les théâtres,
00:49:22 et puis, il y a une critique des valeurs libérales.
00:49:24 Lorsque Vladimir Poutine met en cause
00:49:26 les valeurs LGBT, il sait très bien qu'il s'adresse
00:49:28 à une forme d'internationale conservatrice
00:49:30 qui peut relier aussi bien l'Inde, la Chine
00:49:32 que les pays du Moyen-Orient.
00:49:34 - Et qui existe aussi, d'ailleurs, à l'intérieur de l'Union Européenne,
00:49:36 dans des pays foncièrement
00:49:38 ennemis de la Russie, comme la Pologne,
00:49:40 par exemple. Et ça, c'est un reproche qui est
00:49:42 souvent adressé. Pourquoi vous tolérez
00:49:44 l'homosexualité ? Pourquoi vous tolérez
00:49:46 tout simplement
00:49:48 des marges de la fierté ?
00:49:50 C'est peut-être ce qui choque le plus en dehors de l'Occident, aujourd'hui ?
00:49:52 - C'est-à-dire qu'il y a une forme de progressisme sociétal
00:49:54 qui est en effet remise en question au sein même de l'Occident
00:49:56 et qui n'est pas compris en dehors du monde occidental
00:49:58 et qui contribue à accentuer les fractures entre l'Occident
00:50:00 et le reste du monde. - Et c'est le clivage le plus clair ?
00:50:02 - Sur le terrain idéologique, c'est un clivage
00:50:04 assez clair, mais moi je pense qu'il ne faut pas non plus
00:50:06 surinvestir dans ce clivage idéologique,
00:50:08 c'est-à-dire qu'en effet, il y a une diversité du monde,
00:50:10 il y a diverses manières de concevoir la famille,
00:50:12 la nation, l'économie.
00:50:14 - Ce qui est somme toute logique.
00:50:16 - Et là, qu'est-ce qu'on fait quand on voit
00:50:18 quelqu'un qui est menacé de mort
00:50:20 ou menacé d'être brûlé vif parce qu'il est homosexuel
00:50:22 dans son pays ? On se sent obligé
00:50:24 de lui accorder l'asile ou au moins de prendre sa défense.
00:50:26 - Mais tout à fait, je pense que l'Occident a vocation à rester fidèle
00:50:28 à ses normes de principe et à accueillir
00:50:30 des persécutés, ceux qui défendent
00:50:32 nos valeurs à travers le monde. - Sauf que vous venez de dire que
00:50:34 ce serait perçu comme une ingérence et comme une forme
00:50:36 d'arrogance. - Offrir l'asile, non,
00:50:38 mais dire qu'il faut aller exporter notre modèle
00:50:40 dans d'autres pays comme nous avons cru le faire dans les années 2000
00:50:42 en Irak ou en Libye, je crois que c'est une erreur
00:50:44 qui a eu des conséquences plus graves que
00:50:46 la situation qui existait avant notre intervention.
00:50:48 - Ce qui signifie qu'il faut aujourd'hui, au nom du principe de réalité,
00:50:50 renoncer à
00:50:52 prêcher en Égypte
00:50:54 cette politique qui consiste à
00:50:56 faire des procès avec les homosexuels en les enfermant
00:50:58 dans des cages. - Il faut défendre la démocratie
00:51:00 là où elle existe et dans les pays où elle n'existe pas,
00:51:02 il faut se demander si la situation que nous allons
00:51:04 créer en renversant le tyran qui est au pouvoir ne sera pas
00:51:06 pire que la situation présente. Il faut aussi penser à
00:51:08 nos intérêts nationaux. Je ne crois pas qu'en
00:51:10 Libye, lorsque nous avons agi au nom de nos valeurs,
00:51:12 nous ayons eu bien en tête les
00:51:14 conséquences sécuritaires pour l'intérêt des
00:51:16 peuples européens qui allaient être remis en question.
00:51:18 - Mais pourtant, Mouhamad Kadhafi était
00:51:20 à deux doigts de raser Misrata
00:51:22 et de punir la population qui s'était
00:51:24 soulevée contre lui. C'était difficile d'assumer
00:51:26 les images de la répression en temps réel.
00:51:28 - Mais ce qui nous rappelle que nous n'avons jamais le choix entre le
00:51:30 bien et le mal, mais entre un moindre
00:51:32 mal. Et donc, en effet, la situation
00:51:34 était compliquée, mais regardons
00:51:36 aujourd'hui l'état de la
00:51:38 Libye, comme l'état d'ailleurs de la société irakienne
00:51:40 depuis l'intervention américaine. - Vous parliez de l'exportation
00:51:42 de la démocratie, ou plutôt
00:51:44 d'arrêter d'exporter la démocratie et de la défendre
00:51:46 là où elle existait. On avait réussi à l'exporter au Niger.
00:51:48 Il n'y a pas si longtemps, une assemblée nationale
00:51:50 nigérienne avait été élue avec un nombre record
00:51:52 de députés femmes. C'était un progrès
00:51:54 énorme en plein dans le Sahel. Il se trouve
00:51:56 que le président, qui lui-même avait été élu démocratiquement,
00:51:58 a été renversé par des poutchistes militaires
00:52:00 qui nous ont chassés, et on n'a pas
00:52:02 l'impression que la population regrette la démocratie.
00:52:04 - Non, mais c'est-à-dire que
00:52:06 la démocratie a vocation
00:52:08 à concerner différents régimes, différentes
00:52:10 civilisations, mais il y a quand même des conditions
00:52:12 à l'existence d'une démocratie.
00:52:14 La démocratie, ça suppose quand même
00:52:16 l'existence d'un peuple transcendé
00:52:18 par des références communes, des références
00:52:20 culturelles, une identité nationale.
00:52:22 Si vous n'avez pas ces références culturelles
00:52:24 communes, les minorités
00:52:26 se déchirent, n'acceptent pas la loi
00:52:28 de la majorité, et c'est ce qui se passe dans des
00:52:30 pays extrêmement divisés en tribus,
00:52:32 comme en Afghanistan ou au Mali, où les conditions
00:52:34 ne semblent pas réunies pour créer
00:52:36 une démocratie libérale à l'occidentale.
00:52:38 - Et donc ça veut dire qu'il n'y a pas d'état de nation pour vous ?
00:52:40 Dans ces pays ?
00:52:42 - Tout à fait, c'est-à-dire qu'avant de créer une démocratie,
00:52:44 il faut d'abord s'assurer qu'il existe
00:52:46 une nation fortifiée
00:52:48 sur des bases à minimale
00:52:50 culturelle commune. - Sauf que n'importe quel Malien
00:52:52 que vous croisez, quand vous lui demandez d'où vous venez,
00:52:54 il vous dit "je viens du Mali" parce qu'il se sent Malien
00:52:56 aujourd'hui. - C'est-à-dire qu'il peut exister un sentiment
00:52:58 national malien, mais vous voyez bien qu'en même temps, le Mali
00:53:00 du Nord au Sud est extrêmement
00:53:02 divisé, ce qui empêche la création d'un état stable.
00:53:04 - Il y a des indépendantistes touaregs, effectivement.
00:53:06 - Or la démocratie suppose des institutions
00:53:08 à minima stables. - Mais il y a eu des démocraties qui étaient
00:53:10 confrontées malgré tout à du séparatisme.
00:53:12 - Oui, qui peuvent être confrontées à du séparatisme, d'ailleurs c'est peut-être
00:53:14 une menace qui concerne également l'occident.
00:53:16 C'est pour ça que je dis qu'avant peut-être aussi de réfléchir
00:53:18 à étendre nos valeurs ou à
00:53:20 promouvoir nos valeurs à l'international, il faut aussi peut-être
00:53:22 chercher à défendre nos valeurs
00:53:24 chez nous, et lorsque nous ne le faisons pas,
00:53:26 c'est les pays du Sud qui nous disent "avant de défendre
00:53:28 vos valeurs dans le monde entier, regardez l'état de vos sociétés".
00:53:30 - Et quelles valeurs on ne défend plus chez nous ?
00:53:32 - Nos démocraties aujourd'hui sont travaillées
00:53:34 par un processus de fragmentation culturelle
00:53:36 très important, il y a des divisions internes à la société française
00:53:38 qui rejaillissent sur le terrain sécuritaire
00:53:40 et à tel point que l'on peut se demander justement
00:53:42 si la France ne va pas continuer de s'archipéliser
00:53:44 et d'être concernée par des phénomènes de séparatisme.
00:53:46 Différents rapports, même François Hollande
00:53:48 avait mis ce risque concernant la France.
00:53:50 - Effectivement, et l'archipel français,
00:53:52 c'était la thèse de Jérôme Fourquet, de l'IFOP
00:53:54 qu'on reçoit assez régulièrement sur Sud Radio.
00:53:56 On parlait du Niger, il y a quelques instants,
00:53:58 je le rappelle, la France qui opérait
00:54:00 contre le terrorisme sur place
00:54:02 a été chassée du Niger, du Mali, du Burkina Faso,
00:54:04 juste à côté, elle a été chassée aussi
00:54:06 sous l'influence, pas seulement à cause,
00:54:08 mais sous l'influence de l'action de la Russie.
00:54:10 Parlons maintenant de la Russie.
00:54:12 Pays plutôt chrétien,
00:54:14 de tradition, en tout cas orthodoxe,
00:54:16 pays pas complètement occidental,
00:54:18 mais clairement pas complètement oriental,
00:54:20 et qui est perçu comme le fer de lance
00:54:22 de la lutte contre l'Occident aujourd'hui.
00:54:24 Alors il y a une tradition historique,
00:54:26 c'est-à-dire que l'URSS luttait contre
00:54:28 les empires coloniaux,
00:54:30 et puis la Russie,
00:54:32 dans les années 90, a subi
00:54:34 une forme d'occidentalisation qui a mené
00:54:36 à un capitalisme sauvage, qui fait que
00:54:38 la société russe a connu une période
00:54:40 très difficile. Et donc aujourd'hui,
00:54:42 vous avez depuis les années 2000
00:54:44 avec Vladimir Poutine, une stratégie
00:54:46 qui consiste à faire de la Russie le fer de lance
00:54:48 de la désoccidentalisation du monde.
00:54:50 Lorsque l'offensive a été lancée
00:54:52 vers Kiev en février 2022,
00:54:54 un document très intéressant traduit par
00:54:56 la Fonde Apolle en France, révélait
00:54:58 les objectifs géostratégiques de Poutine.
00:55:00 Ce n'était pas simplement de prendre sa revanche
00:55:02 sur l'Occident, ou de reprendre le contrôle de Kiev,
00:55:04 c'était aussi d'accélérer
00:55:06 la désoccidentalisation du monde. - Et de marquer le coup.
00:55:08 - De marquer le coup, et de créer un monde, je cite,
00:55:10 dans lequel les pays du Sud pourraient enfin
00:55:12 évoluer sans se soucier
00:55:14 des pays occidentaux. - Est-ce que ça signifie
00:55:16 qu'il est dans ce cas-là du devoir
00:55:18 non pas moral mais politique
00:55:20 des pays occidentaux que d'obtenir
00:55:22 de gré ou de force le recul
00:55:24 de la Russie, parce que sa victoire
00:55:26 serait vécue dans le reste du monde
00:55:28 comme le signe de l'échec
00:55:30 de l'Occident ?
00:55:32 - On ne parle pas de morale là, on parle vraiment
00:55:34 de pragmatisme.
00:55:36 - Je pense qu'en effet,
00:55:38 il faut répondre aux défis lancés
00:55:40 par la Russie, et les Européens se sont mobilisés
00:55:42 pour défendre l'Ukraine. Mais on voit bien que
00:55:44 le simple fait d'agiter nos valeurs et
00:55:46 l'unité occidentale ne suffit pas, parce qu'il suffit
00:55:48 que demain Donald Trump, par exemple, arrive
00:55:50 au pouvoir aux Etats-Unis, pour que l'aide américaine
00:55:52 à l'Ukraine cesse. Donc il faut que
00:55:54 les Européens ne se projettent pas
00:55:56 à l'international simplement à l'aune
00:55:58 d'un bloc occidental qu'ils formeraient
00:56:00 avec les Etats-Unis, mais qu'ils aient leur propre
00:56:02 vision du monde et leur propre moyen de la défendre.
00:56:04 - Vous êtes en train de dire que si
00:56:06 les Européens disent publiquement qu'ils sont
00:56:08 pour l'Ukraine, il faudrait qu'ils joignent les actes à la parole
00:56:10 et on aurait dû dans ce cas-là donner des charlots clairs
00:56:12 par exemple. - Si les Etats-Unis n'avaient pas
00:56:14 aidé d'entrée de jeu l'Ukraine, je pense que
00:56:16 l'Europe aurait simplement acté la prise de Kiev.
00:56:18 - Donc ça veut dire quoi ? Ça veut dire qu'on n'aide pas assez ou qu'on parle trop ?
00:56:20 - Ça veut dire qu'il faut se réveiller
00:56:22 et c'est à dire aussi que... - En parlant
00:56:24 moins ou alors en aidant davantage ?
00:56:26 - Mais c'est à dire qu'il faut en effet
00:56:28 avoir des moyens européens
00:56:30 de défense qui nous permettent de décider
00:56:32 sur quel théâtre d'opération nous allons agir. Et là
00:56:34 en l'occurrence, si nous décidons qu'il faut davantage aider l'Ukraine,
00:56:36 la question des moyens se pose. Or nous
00:56:38 dépendons de moyens d'un État qui n'a peut-être pas
00:56:40 d'opération à toujours agir sur le terrain. - Les Etats-Unis.
00:56:42 - Les Etats-Unis. - Ça veut dire que la situation
00:56:44 actuelle pour vous devrait
00:56:46 encourager à davantage de
00:56:48 construction européenne, notamment sur un plan
00:56:50 militaire ? - C'est à dire qu'il faut que les Etats
00:56:52 se réarment, il faut que nos démocraties
00:56:54 se réarment moralement,
00:56:56 spirituellement, il faut cultiver le patriotisme des Etats-nations,
00:56:58 mais je ne crois pas à une fusion
00:57:00 des Etats-majors. Personne d'ailleurs ne défend cette
00:57:02 solution. - Ça paraît d'ailleurs impossible, on a du mal
00:57:04 à se mettre d'accord sur des sujets beaucoup plus banals.
00:57:06 - Qui existaient dans les années 50 à l'époque de la CED. Non mais en effet
00:57:08 il faut que les armées européennes, aujourd'hui
00:57:10 se renforcent tout simplement.
00:57:12 - La communauté européenne de la défense était un projet
00:57:14 qui avait été torpillé par les communistes d'une part
00:57:16 et les gaullistes d'autre part dans les années 50,
00:57:18 c'était une autre époque. Malgré tout, on va
00:57:20 se retrouver avec vous dans quelques instants, parce qu'il y a
00:57:22 un chapitre qui est très important,
00:57:24 qui s'intitule "Qui sommes-nous ?" Tiens, justement,
00:57:26 avant de savoir ce qu'on va faire, qui
00:57:28 sont les Occidentaux ?
00:57:30 Des pays de plus en plus divers, ou justement, qui doivent
00:57:32 revenir à leurs racines ? On va en parler avec vous dans un instant.
00:57:34 - Et Jean-Marie Bordrieux,
00:57:36 aujourd'hui, vous recevez Max Erwann-Gastineau,
00:57:38 essayiste, chroniqueur politique et auteur
00:57:40 de ce nouveau livre, "L'ère de l'affirmation,
00:57:42 répondre aux défis de la
00:57:44 désoccidentalisation", c'est aux éditions
00:57:46 du CERF. - Et on est toujours avec
00:57:48 Max Erwann-Gastineau, effectivement. Vous tous qui nous
00:57:50 écoutez, d'ailleurs 0826-300-300,
00:57:52 vous souhaitez poser des questions à notre invité,
00:57:54 on est là pour vous répondre. Tiens, on
00:57:56 posait une question existentielle, elle vous concerne
00:57:58 tous, en tout cas tous ceux qui nous écoutent.
00:58:00 Qui sommes-nous aujourd'hui ? Avant de savoir
00:58:02 comment l'Occident va se positionner, il doit savoir
00:58:04 qui il est. Est-ce que l'Occident, c'est vraiment qui
00:58:06 il est aujourd'hui, Max Erwann-Gastineau ?
00:58:08 - J'ai l'impression que l'Europe
00:58:10 s'est construite ces dernières décennies
00:58:12 en oubliant son propre passé parce qu'elle
00:58:14 le renvoyait à des heures sombres. Or,
00:58:16 en effet, pour exister sur la scène
00:58:18 géopolitique, il faut savoir d'où
00:58:20 l'on vient, qui l'on représente,
00:58:22 quel territoire l'on doit
00:58:24 défendre. Et donc, en effet, je consacre
00:58:26 une grande partie de mon livre à cette longue
00:58:28 durée civilisationnelle européenne, comme disait
00:58:30 Ferdinand Brondel, pour essayer de comprendre
00:58:32 qu'est-ce qui explique que l'Europe
00:58:34 ait dominé le monde pendant 400 ans
00:58:36 parce que c'est quand même ça aussi, l'histoire
00:58:38 de l'Europe. L'Europe a été forte et dominatrice.
00:58:40 Pourquoi ? Là, il faut
00:58:42 revenir jusqu'à l'époque médiévale,
00:58:44 voire même avant, mais je consacre
00:58:46 plusieurs pages à l'époque médiévale puisque
00:58:48 le christianisme a joué un grand rôle en nous donnant, pour
00:58:50 aller très vite, le goût de l'innovation, le goût du
00:58:52 progrès, le goût du travail, la propriété privée,
00:58:54 un ensemble de conditions qui ont permis
00:58:56 un développement économique et industriel
00:58:58 dès l'époque médiévale. Et puis, l'Europe,
00:59:00 on l'oublie souvent, on dit souvent "l'union fait la force", mais
00:59:02 lorsqu'on regarde l'histoire de l'Europe, je dirais que c'est
00:59:04 plutôt la division qui fait la force, c'est-à-dire que l'Europe,
00:59:06 c'était des cités, des états, des royaumes qui
00:59:08 se concurrençaient, créant une émulation
00:59:10 collective qui n'existait pas dans d'autres ères civilisationnelles
00:59:12 plutôt dominées par des empires. - Un peu comme les
00:59:14 cités grecques face au Grand Empire Perse,
00:59:16 par exemple. - Voilà, donc nous sommes le produit d'une
00:59:18 histoire façonnée par le christianisme,
00:59:20 c'est pas une nouveauté, mais il faut rappeler
00:59:22 l'importance du christianisme dans
00:59:24 les conditions qui ont permis notre puissance économique,
00:59:26 et puis nous sommes aussi un continent divisé en
00:59:28 nations, et je crois que nous
00:59:30 n'arriverons pas à nous défendre si nous ne
00:59:32 nous reconnectons pas
00:59:34 à l'énergie spirituelle de nos nations,
00:59:36 au patriotisme des états-nations, largement
00:59:38 déconstruit depuis un certain
00:59:40 nombre de décennies. - Et pourtant, une bonne partie de
00:59:42 l'apogée, en tout cas des pays
00:59:44 européens, c'était la période des Lumières.
00:59:46 La période des Lumières, c'est une prise de recul,
00:59:48 on va le dire poliment, sur
00:59:50 la religion et sur le christianisme.
00:59:52 - C'est une prise de recul, mais au nom aussi d'un
00:59:54 nouveau sacré, la nation qui émerge avec
00:59:56 la Révolution française. Donc, c'est
00:59:58 les deux jambes, la jambe citoyenne
01:00:00 et la jambe chrétienne qui a façonné
01:00:02 l'Occident, et nous sommes
01:00:04 en effet le produit de ces deux éléments
01:00:06 constitués de notre identité. - Et comment
01:00:08 parler dans ce cas-là d'une jambe chrétienne dans un pays
01:00:10 où on est, en tout cas les Français, sont
01:00:12 de moins en moins nombreux à croire ?
01:00:14 - Ce qui est très intéressant, c'est que lorsque je
01:00:16 rappelle nos racines chrétiennes, ce n'est pas
01:00:18 pour rappeler à une forme de rechristianisation
01:00:20 de l'Occident, c'est pour dire que
01:00:22 jusque dans nos valeurs, les droits de l'homme,
01:00:24 l'autonomie de la personne humaine,
01:00:26 la dignité de la personne humaine,
01:00:28 nous sommes le produit d'une société
01:00:30 chrétienne. C'est parce que les
01:00:32 Européens sont les enfants du
01:00:34 christianisme qu'ils mettent l'accent sur l'autonomie
01:00:36 individuelle, et moi ce que je dis c'est que, attention,
01:00:38 à force de mettre l'accent sur l'individu,
01:00:40 nous oublions peut-être que nous sommes aussi
01:00:42 les membres d'un tout,
01:00:44 d'un collectif, qui s'appelle en l'occurrence
01:00:46 une nation, et la démocratie suppose
01:00:48 un sentiment national fort, sinon
01:00:50 le citoyen disparaît
01:00:52 au profit de l'individu qui ne regarde que son propre nombril.
01:00:54 - Sauf que comment croire encore
01:00:56 à l'importance de la nation quand on a
01:00:58 vu tous les crimes que le nationalisme
01:01:00 a poussé à commettre il y a un siècle ?
01:01:02 - Alors je crois qu'il ne faut pas confondre,
01:01:04 j'ai sorti de la palissade de nationalisme
01:01:06 et nation, même s'il faut toujours s'en méfier,
01:01:08 et là je dirais que c'est là où peut-être le Sud
01:01:10 a des choses à nous dire, c'est-à-dire que la
01:01:12 désoccidentalisation du monde, c'est l'affirmation
01:01:14 de nations qui sont sûres de leurs
01:01:16 intérêts et de leurs identités,
01:01:18 donc dans ces terres désoccidentalisées
01:01:20 où nous ne pouvons plus prétendre
01:01:22 dominer le monde, nous avons
01:01:24 nous aussi vocation à nous réinscrire
01:01:26 à l'intérieur de notre cadre national.
01:01:28 - Sauf que vous êtes en France, dans chaque village de France
01:01:30 il y a au moins une église, une mairie
01:01:32 et un monument aux morts avec des dizaines de noms,
01:01:34 même quand le village fait seulement ça à quelques centaines
01:01:36 d'habitants. L'échec du nationalisme,
01:01:38 les boucheries auxquelles ça a
01:01:40 conduit, est patent ?
01:01:42 - Alors moi je dirais que c'est plutôt l'impérialisme
01:01:44 qui a causé la perte de l'Europe au XXe siècle,
01:01:46 et c'est une certaine forme de nationalisme
01:01:48 qui a créé notamment la résistance gaullienne.
01:01:50 - En quoi est-ce impérialiste que de vouloir récupérer
01:01:52 l'Alsace-Lorraine ? - Non, ce qui était impérialiste
01:01:54 c'est de vouloir, comme par exemple Hitler,
01:01:56 conquérir l'Europe pour soutenir son projet.
01:01:58 - Mais revenons à la guerre de 14-18.
01:02:00 - Nous étions dans un conflit de rivalité
01:02:02 en effet nationale, c'est substitué
01:02:04 à ce conflit de rivalité nationale,
01:02:06 un conflit plus idéologique au XXe siècle.
01:02:08 L'histoire est tragique, mais
01:02:10 quelle que soit la nature du conflit,
01:02:12 nous avons vocation à habiter des cités,
01:02:14 alors qu'elles soient à l'échelle de nations
01:02:16 ou à l'échelle plutôt européenne, qu'importe j'ai envie de dire,
01:02:18 en l'occurrence, nous sommes toujours membres
01:02:20 d'une collectivité que nous devons apprendre à défendre.
01:02:22 - Est-ce que vous êtes en train de souhaiter presque
01:02:24 le retour du tragique de l'histoire ?
01:02:26 - Je ne souhaite pas, le tragique rejaillit aujourd'hui
01:02:28 et nous devons en prendre acte,
01:02:30 le tragique est constitutif de l'histoire de l'humanité.
01:02:32 - Alors vous parlez notamment de guerres
01:02:34 qui ont eu lieu dans le passé, est-ce que ça veut dire que l'Occident
01:02:36 doit se préparer à nouveau à faire la guerre ?
01:02:38 - Écoutez, je crois que la Russie
01:02:40 nous invite quelque part, si on décide en effet
01:02:42 de défendre l'Ukraine, nous invite quelque part à nous réarmer,
01:02:44 et puis d'autres défis
01:02:46 sont face à nous,
01:02:48 nous voyons bien qu'aujourd'hui, tout un ensemble
01:02:50 à nos portes de conflits gelés
01:02:52 sont en train de rejaillir, et notamment en Afrique.
01:02:54 Or, l'évolution de l'Afrique aura mécaniquement
01:02:56 un effet sur la sécurité des Européens.
01:02:58 - Sauf que le sens de l'histoire est justement
01:03:00 le départ de l'armée française de l'Afrique subsaharienne.
01:03:02 - Oui, mais c'est-à-dire qu'il faut désormais
01:03:04 renouveler nos coopérations, avoir une autre
01:03:06 façon de percevoir notre rapport à l'Afrique.
01:03:08 Ça ne veut pas dire justement, ce qu'ils ne veulent plus,
01:03:10 c'est une forme de tutelle morale et politique
01:03:12 de la France. - Mais quand on envoie son armée là-bas, c'est une forme
01:03:14 de tutelle, puisqu'on assure la sécurité d'un pays
01:03:16 à la place du dit pays. - Ça nous avait été demandé,
01:03:18 mais dès lors qu'aujourd'hui, cette demande
01:03:20 n'est plus à l'ordre du jour,
01:03:22 il faut en effet changer de paradigme.
01:03:24 - Alors que faire d'autre ? - Bah que faire d'autre, c'est-à-dire que
01:03:26 aujourd'hui, l'Afrique nous dit
01:03:28 "non merci, nous ne voulons plus
01:03:30 de votre aide militaire", mais nous voyons...
01:03:32 - Et ça c'est la version polie du message ? - Tout à fait !
01:03:34 Mais nous voyons un certain nombre d'États africains qui aujourd'hui sont en pleine
01:03:36 essor économique, comme par exemple le Maroc, nous venons de
01:03:38 nous rapprocher du Maroc concernant
01:03:40 la part du Sahara occidental,
01:03:42 et donc nous avons vocation à avoir peut-être
01:03:44 une relation plutôt
01:03:46 d'égal à égal avec un certain nombre de pays africains, notamment dans le domaine
01:03:48 économique. - Ça veut dire qu'on n'était pas capable d'avoir
01:03:50 une relation d'égal à égal avec ces pays jusque dans
01:03:52 les années qui nous précèdent ? - C'est-à-dire que nous
01:03:54 étions toujours accusés d'avoir derrière
01:03:56 des intérêts économiques une prétention
01:03:58 moralisatrice à vouloir imposer un certain
01:04:00 nombre de réformes à l'intérieur. Or, c'est la force
01:04:02 en quelque sorte des Chinois, ils
01:04:04 s'imposent en Afrique très facilement
01:04:06 - En construisant des ponts et sans faire de leçons de morale.
01:04:08 - Voilà, sans faire de leçons de morale, donc ils n'ont pas
01:04:10 vocation à changer la nature des régimes et des
01:04:12 peuples qu'ils sont en train par ailleurs de coloniser économiquement.
01:04:14 - Reprenons l'exemple du Maroc, parce que c'est
01:04:16 un des pays d'Afrique duquel la France était le plus
01:04:18 proche depuis des décennies.
01:04:20 Il n'y a pas que le gouvernement français qui peut être taxé
01:04:22 d'arrogance, parlons même de certains bandeaux
01:04:24 de certaines chaînes d'information
01:04:26 françaises qui se posaient la question
01:04:28 après le tremblement de terre, le Maroc peut-il s'en servir
01:04:30 sans l'aide humanitaire française ? Ça a été
01:04:32 lu en français parce qu'il parle français
01:04:34 et ça a été vécu comme une gifle et un crachat
01:04:36 sur place. Est-ce que les français sont
01:04:38 arrogants et méprisants à l'égard
01:04:40 des francophones d'Afrique ?
01:04:42 - J'étais au Maroc
01:04:44 récemment, il y a toujours
01:04:46 cette accusation d'arrogance, mais on aura du
01:04:48 mal à s'en détacher, il ne faut pas se le cacher. - Parce qu'on l'est ?
01:04:50 - On l'est peut-être aussi un petit peu
01:04:52 et puis c'est le produit d'une histoire à laquelle nous restons
01:04:54 intimement liés.
01:04:56 Mais par ailleurs, il y a des liens très forts
01:04:58 - Mais personne n'a dit qu'il n'y avait pas de lien. - Non mais justement,
01:05:00 entre la France et l'Afrique, donc je veux dire, il faut aussi
01:05:02 passer outre ces remarques concernant
01:05:04 l'arrogance française et rappeler
01:05:06 ces liens pour se rappeler
01:05:08 que nous avons aussi vocation à continuer d'avoir
01:05:10 des liens, notamment économiques, avec les pays
01:05:12 africains. Pas que économiques d'ailleurs, c'est des
01:05:14 questions environnementales par exemple, qui concernent
01:05:16 l'ensemble du monde, sur lesquelles la France a des solutions à apporter
01:05:18 en termes de transition énergétique. - Absolument, alors ça
01:05:20 nous amène aussi à d'autres sujets, d'autres
01:05:22 défis qui se posent et qui sont nouveaux pour les pays
01:05:24 d'Europe et en particulier la France.
01:05:26 Comment gérer des relations avec un
01:05:28 Etat qui a une très très très forte diaspora
01:05:30 à l'intérieur de la France et
01:05:32 qui peut parfois s'en servir à des
01:05:34 fins politiques ? Recep Tayyip Erdogan, le
01:05:36 président turc, on y revient, a tenu
01:05:38 des meetings politiques en
01:05:40 Alsace. Est-ce que c'est une forme d'ingérence ?
01:05:42 - Ces
01:05:44 pays dits du Sud tiennent avant tout
01:05:46 à leurs intérêts, à leur indépendance
01:05:48 et à leur souveraineté. Eh bien nous avons peut-être
01:05:50 aussi vocation à rappeler que nous tenons aussi à la nôtre
01:05:52 et que l'ingérence étrangère,
01:05:54 vous ne la voulez plus dans vos propres
01:05:56 pays, nous ne la voulons plus non plus dans la nôtre. Donc à un moment donné,
01:05:58 je crois qu'il faut mettre carte sur table et dire à Erdogan
01:06:00 ce que nous souhaitons, c'est-à-dire
01:06:02 qu'il cesse un certain nombre d'ingérences manifestes
01:06:04 notamment concernant la communauté musulmane
01:06:06 en Alsace, vous l'avez rappelé. - Est-ce que ça signifie dans ce cas-là
01:06:08 qu'on doit faire pareil et qu'on
01:06:10 doit se rappeler que nous aussi faisons campagne
01:06:12 auprès des Français qui sont
01:06:14 non pas qualifiés d'émigrés mais d'expatriés
01:06:16 dans la plupart des pays étrangers ?
01:06:18 - Faire campagne, c'est-à-dire ? - Eh bien écoutez,
01:06:20 c'est-à-dire qu'à chaque fois que quelqu'un se présente
01:06:22 aux élections présidentielles en France, il va voir les communautés
01:06:24 étrangères un peu partout, les
01:06:26 communautés françaises dans chacun des pays du globe.
01:06:28 - Je pense qu'il faut s'inquiéter de toutes formes d'ingérences
01:06:30 étrangères, que nous ayons des liens du fait de l'immigration.
01:06:32 - Dans la pratique aussi. - Mais non, c'est-à-dire que, il faut pas
01:06:34 confondre les ingérences avec le fait que
01:06:36 nous avons des liens du fait d'une diaspora. C'est-à-dire qu'il faut
01:06:38 s'appuyer sur notre diaspora pour
01:06:40 maintenir un lien le plus
01:06:42 fécond possible avec le pays où il vit.
01:06:44 - Il fallait qu'on explique à Erdogan de ne pas en faire autant
01:06:46 avec sa propre diaspora. - Mais oui, vous avez vu
01:06:48 qu'Erdogan va quand même assez loin, puisqu'il
01:06:50 explique aux Turcs qui vivent en Europe qu'ils ne doivent pas
01:06:52 s'assimiler. - Absolument. - De deux choses l'une. Soit vous
01:06:54 vivez en France, en Allemagne, et donc vous avez vocation
01:06:56 à vous intégrer dans la société dans laquelle vous vivez, soit vous n'avez pas
01:06:58 vocation à vous intégrer, et dans ce cas-là, nous sommes légitimes
01:07:00 à vous faire un certain nombre de remontrances.
01:07:02 - Sauf qu'on n'a même pas besoin de le dire à nos
01:07:04 expatriés français qui sont dans n'importe quel pays du monde,
01:07:06 puisqu'on les considère comme des français, c'est-à-dire qu'on ne s'inquiète même pas
01:07:08 de leur possible intégration
01:07:10 aux dix pays dans lesquels ils vivent.
01:07:12 - Mais ce sont souvent des expatriés, c'est-à-dire
01:07:14 au sens le plus temporaire du terme, c'est-à-dire
01:07:16 qu'ils n'ont pas de nationalité turque,
01:07:18 vous voyez, contrairement à un certain nombre de citoyens
01:07:20 turcs qui, eux, vivent chez nous,
01:07:22 et qui sont binationaux, et qui n'ont
01:07:24 pas vocation à rentrer en Turquie. - Ce qui nous ramène à la
01:07:26 question que vous posiez, qui est passionnante,
01:07:28 qui sommes-nous ? C'est un fait, aujourd'hui,
01:07:30 des millions et des millions, et qui nous écoutent
01:07:32 aussi, de citoyens français, sont
01:07:34 de religions musulmanes, ils sont de cultures
01:07:36 qui ne sont pas nécessairement judéo-chrétiennes,
01:07:38 ils sont pourtant autant français
01:07:40 que nous tous,
01:07:42 comment faire en sorte qu'on fasse nation ?
01:07:44 Et c'est la grande question.
01:07:46 - Vous avez trois heures. - Non mais c'est la
01:07:48 grande question, parce qu'on avait un modèle, quand même,
01:07:50 qui s'appelait le modèle républicain, et le modèle républicain
01:07:52 prônait l'assimilation. L'assimilation,
01:07:54 ça ne voulait pas dire nécessairement oublier ses origines,
01:07:56 ça voulait dire partager un certain nombre de références
01:07:58 culturelles communes. Et c'est notamment, en France,
01:08:00 ce qui se transmet à travers l'école, à travers
01:08:02 un récit patriotique, qui consolidait
01:08:04 la nation par-delà nos différences. Je crois que nous avons
01:08:06 largement abandonné ce modèle
01:08:08 unité-républicain, l'unité de la nation,
01:08:10 l'indivisibilité de la nation, le patriotisme,
01:08:12 le roman national, nous avons laissé tomber tout ce qui
01:08:14 permettait de faire nation, le service militaire, et donc
01:08:16 il ne faut pas s'étonner qu'au bout d'un moment,
01:08:18 les différences infranationales
01:08:20 prennent le pas sur le sentiment d'appartenance
01:08:22 à la nation. - Sauf qu'on ne peut pas décréter
01:08:24 le retour de pratique qui se faisait
01:08:26 dans le passé. On dit toujours, on compare
01:08:28 toujours les immigrés récents en France
01:08:30 aux immigrés italiens, et en général, on ajoute, eux,
01:08:32 ils s'intégraient beaucoup plus facilement. Mais vous
01:08:34 ne pouviez pas passer vos vacances en Italie à l'époque,
01:08:36 à peu près tous les ans, vous n'aviez pas la télévision italienne,
01:08:38 elle n'existait pas. Vous ne pouviez pas,
01:08:40 vous n'aviez pas forcément le restaurant italien en face
01:08:42 de vous. C'est une autre époque. - Tout à fait,
01:08:44 mais l'historien Pierre Milza rappelle que les
01:08:46 deux tiers des italiens sont rentrés
01:08:48 chez eux, faute d'assimilation. Mais donc ceux qui restaient,
01:08:50 eux s'assimilaient. Et l'assimilation fonctionnait
01:08:52 assez bien. C'est pour ça qu'on a cru que mécaniquement,
01:08:54 l'assimilation allait continuer à fabriquer
01:08:56 du français à partir de toutes souches,
01:08:58 si j'ose dire. C'est plus compliqué aujourd'hui,
01:09:00 du fait en effet de l'origine et de la proportion d'immigrés,
01:09:02 mais nous ne devons pas pour autant renoncer
01:09:04 à ce modèle, puisque quelle est l'alternative ?
01:09:06 Si nous ne prenons pas l'intégration et
01:09:08 l'assimilation, ne rentrons pas dans ce débat
01:09:10 terminologique, quelle est l'alternative ? L'alternative,
01:09:12 c'est un séparatisme doux, voire un séparatisme
01:09:14 arde, dans plusieurs années, lorsque
01:09:16 les communautés finiront par s'affronter
01:09:18 parce qu'elles n'ont plus rien en commun. - Pourtant, on peut
01:09:20 comprendre aujourd'hui, et c'est bien naturel,
01:09:22 que certains français se sentent beaucoup plus émus
01:09:24 lorsqu'ils voient une victime israélienne
01:09:26 de la guerre entre Israël et le Hamas,
01:09:28 et d'autres se reconnaissent davantage
01:09:30 dans une victime civile gazaouie.
01:09:32 C'est difficile de reprocher ça, c'est pas un manque d'intégration.
01:09:34 - On ne peut pas reprocher, en effet,
01:09:36 de nous sentir liés à un certain nombre de causes.
01:09:38 Maintenant, la question n'est pas de savoir
01:09:40 si nous avons vocation
01:09:42 à penser la même chose, à ressentir
01:09:44 la même chose, la question c'est, qu'est-ce que nous avons
01:09:46 en commun ? Nous avons des différences,
01:09:48 nous ne voyons pas le monde
01:09:50 de la même façon, nous n'avons pas forcément
01:09:52 les mêmes combats sur la scène internationale, pour autant,
01:09:54 nous devons avoir un certain nombre d'éléments communs.
01:09:56 Et je crois que c'est ce commun qui, aujourd'hui, nous fait défaut
01:09:58 ou qui, en tout cas, nous interroge. - Alors, qu'est-ce qu'on a en commun ?
01:10:00 Qu'est-ce qu'on peut avoir en commun ? Vous allez nous le dire dans un instant.
01:10:02 Sur Sud Radio, à tout de suite, Max Erwann-Gastineau.
01:10:04 Jusqu'à 14h, l'ère de l'affirmation,
01:10:08 répondre au défi de la désoccidentalisation.
01:10:10 On en parle avec notre invité,
01:10:12 Max Erwann-Gastineau,
01:10:14 qui publie ce livre aux éditions du Cerf.
01:10:16 Direction le Standard, Estéban. - Direction Toulouse,
01:10:18 puisque nous avons Richard, qui nous appelle au 0826 300 300.
01:10:22 Bonjour, Richard. - Bonjour à vous.
01:10:24 - Et bienvenue sur Sud Radio, Richard. - Bonjour.
01:10:26 - Et oui, en fait,
01:10:28 j'ai deux questions, en fait.
01:10:30 C'est deux causes, en fait,
01:10:32 qui sont à traiter pour qu'on vive mieux ensemble.
01:10:34 La première,
01:10:36 c'est est-ce que l'abandon
01:10:38 de projets
01:10:40 politiques, sociaux,
01:10:44 et ce développement des projets sociétaux,
01:10:46 qui ont une propension à nous diviser.
01:10:48 On voit les projets sociétaux
01:10:50 qui sont avancés,
01:10:52 ils sont très clivants,
01:10:54 en particulier lorsqu'on a des croyances religieuses.
01:10:56 Et donc ça, ça a été mis en avant
01:11:00 par notre gouvernement,
01:11:02 et c'est le mode américain, en fait.
01:11:04 Comme ça, on ne parle pas de social,
01:11:06 on ne réunit pas les gens autour d'un projet social,
01:11:08 quelle que soit leur religion,
01:11:10 on les divise autour du sociétal.
01:11:12 Et l'autre,
01:11:14 c'est est-ce que c'est une des causes pour vous dominantes ?
01:11:16 Et l'autre point,
01:11:18 c'est est-ce que la solution, ce ne serait pas
01:11:20 de lancer des grands projets,
01:11:22 un grand projet, par exemple,
01:11:24 de rattrapage de notre balance
01:11:26 commerciale extérieure,
01:11:28 qui est dramatiquement
01:11:30 mal engagée, à plus de 150 milliards.
01:11:32 Et là, on dump,
01:11:34 on crée des entreprises,
01:11:36 on fabrique des machines
01:11:38 pour refabriquer
01:11:40 en France,
01:11:42 et on se bat, par exemple,
01:11:44 en faisant baisser le prix de l'électricité
01:11:46 pour ramener du business en France.
01:11:48 Et ça, c'est des projets qui peuvent nous unir,
01:11:50 quelle que soit nos religions, nos vues.
01:11:52 - Politique sociale et économique ?
01:11:54 - Ouais.
01:11:56 - Alors, attention quand même les grands projets,
01:11:58 Mao Tse-Tung avait fait la même chose, il voulait devenir le numéro 1 de l'export
01:12:00 de l'acier, il a conçu des hauts fourneaux partout,
01:12:02 ça a créé une famine de 60 millions
01:12:04 de morts en quelques années. Quoi qu'il en soit,
01:12:06 Max Erwin, Gastineau, l'abandon de politique sociale ?
01:12:08 - Donc sociétal, si j'ai bien compris.
01:12:10 - Alors, trop de sociétal,
01:12:12 pas assez de social, c'est ce que disait Pierre, si j'ai bien compris.
01:12:14 - C'est-à-dire qu'en effet, sur les sujets
01:12:16 de société où nous sommes très divisés,
01:12:18 que nous soyons divisés sur des sujets
01:12:20 politiques et idéologiques en France, ce n'est pas nouveau.
01:12:22 Le problème, et j'en reviens à ce que je disais auparavant,
01:12:24 c'est qu'est-ce qui compense,
01:12:26 qu'est-ce qui fait contrepoids à ces divisions ?
01:12:28 Et là, c'est là où en effet, je pense qu'il y a un affaissement
01:12:30 du sentiment d'appartenance à une même nation.
01:12:32 Ce qui nous renvoie à la deuxième partie de la question que je trouve intéressante,
01:12:34 parce qu'on parle beaucoup de l'identité au sens culturel,
01:12:36 mais le sentiment d'appartenance à une nation,
01:12:38 il était aussi fondé,
01:12:40 et notamment avec le général de Gaulle,
01:12:42 qu'on évoque à corps et à cri,
01:12:44 dans les années 60, à partir de grands projets industriels
01:12:46 qui donnaient aux Français la fierté
01:12:48 d'appartenir à une grande nation
01:12:50 qui était capable, comme les autres, comme les Etats-Unis,
01:12:52 d'avoir sa propre industrie nucléaire,
01:12:54 d'avoir ses propres projets industriels.
01:12:56 Et je crois qu'en effet, si nous n'avons plus les mêmes bases culturelles communes,
01:12:58 mais qu'en plus, nous n'avons plus
01:13:00 ce même force de frappe
01:13:02 en termes d'innovation et d'industrie,
01:13:04 où sont les leviers de fierté ? Ils font défaut.
01:13:06 - Sachant que l'État n'a plus la même
01:13:08 force de frappe financière qu'il avait
01:13:10 à l'époque du général de Gaulle,
01:13:12 parce que les caisses sont vides et qu'on est sur "on était".
01:13:14 - Oui, mais c'est la question de l'œuf et la poule.
01:13:16 Nous nous sommes désindustrialisés, donc du coup,
01:13:18 nous sommes beaucoup plus dépendants d'importations,
01:13:20 et c'est qui a aussi contribué
01:13:22 à alimenter la dette de l'État français.
01:13:24 Donc je pense qu'il faut d'abord, comme le dit d'ailleurs
01:13:26 quelqu'un comme Arnaud Montebourg, reconstruire notre base industrielle,
01:13:28 et là, ensuite, nous retrouverons
01:13:30 peut-être des conditions économiques plus fécondes
01:13:32 qui nous permettront d'investir davantage peut-être dans notre
01:13:34 appareil armé pour revenir sur les sujets géopolitiques.
01:13:36 - Mais à supposer que ce soit possible, dans la mesure où
01:13:38 certains pays qui nous font concurrence, qui ne sont plus
01:13:40 occidentaux, ont une avance technologique considérable,
01:13:42 on peut le voir en ce moment même par exemple,
01:13:44 avec l'arrivée massive de voitures chinoises
01:13:46 à prix complètement cassées, et qui
01:13:48 sont en avance technologiquement sur les nôtres.
01:13:50 - C'est tout à fait inquiétant, mais en même temps, quand vous regardez
01:13:52 le classement de la France dans l'OCDE
01:13:54 et dans l'Union Européenne, nous sommes avant-dernier,
01:13:56 je crois, juste devant la Bulgarie
01:13:58 au niveau de notre balance
01:14:00 commerciale, donc sans peut-être
01:14:02 reconvoquer les années 60, nous pouvons
01:14:04 peut-être, je pense, rattraper un certain nombre de déficits
01:14:06 extérieurs en termes industriels. - Il se trouve que
01:14:08 ça nous amène à un sentiment de déclin qui est quand même
01:14:10 pas tendre dans tout le pays, et pas seulement en France
01:14:12 d'ailleurs, et qui est commun à beaucoup de
01:14:14 pays européens et même occidentaux.
01:14:16 - Oui, mais je dirais quand même, en France, ce sentiment
01:14:18 est accentué, alors peut-être
01:14:20 par un pessimisme culturel sur lequel on revient
01:14:22 souvent, mais quand même, regardons en arrière,
01:14:24 il y a encore, par exemple, 20 ans,
01:14:26 on pouvait être fier d'être
01:14:28 français lorsque nous disions, nous, aux Etats-Unis,
01:14:30 par rapport à la guerre en Irak en 2003, nous avions des services
01:14:32 publics, nous pouvions dire que notre modèle d'intégration fonctionnait,
01:14:34 que l'école fonctionnait plus ou moins bien,
01:14:36 que nous étions un pays exportateur de denrées agricoles,
01:14:38 ce qui est toujours le cas, mais sur tous
01:14:40 ces indicateurs, absolument tous,
01:14:42 nous avons régressé. Donc les 20 dernières années
01:14:44 ou les 30 dernières années sont en effet le signe
01:14:46 d'un affaissement. - Et qu'est-ce qu'il l'explique ?
01:14:48 - Mais qu'est-ce qu'il explique ?
01:14:50 Écoutez, sur différents sujets,
01:14:52 je crois que nous avons cru que notre salut
01:14:54 passerait par un surcroît
01:14:56 d'européanisation sur à peu près
01:14:58 toutes les politiques. Et on le voit aujourd'hui, notamment
01:15:00 sur la politique énergétique, où des Etats
01:15:02 n'ont pas pensé qu'en
01:15:04 la jouant en collectif, ils allaient s'en trouver
01:15:06 renforcés. Je pense évidemment à l'Allemagne
01:15:08 qui, elle, a défendu ses intérêts nationaux
01:15:10 et aujourd'hui, du coup, la France est contrainte
01:15:12 de le faire et défend son industrie nucléaire. Mais que de
01:15:14 retard a accumulé au nom de l'idée
01:15:16 sur laquelle nous allions dépasser les Etats-nations.
01:15:18 - Donc c'est la France qui a été plus naïve que les autres,
01:15:20 y compris que d'autres pays d'Europe.
01:15:22 La France a été peut-être plus royaliste que le roi,
01:15:24 plus européenne que les Européens, voire même
01:15:26 peut-être à un moment donné plus mondialiste
01:15:28 que la mondialisation, puisque
01:15:30 nous avons cru que la mondialisation, c'était au fond
01:15:32 une ère économique dans laquelle les
01:15:34 Etats n'allaient plus avoir de prix sur le destin de leur propre
01:15:36 peuple. C'est faux ! Et les pays du Sud
01:15:38 se sont développés à partir d'un certain
01:15:40 dirigisme qui nous rappelle le capitalisme d'Etat
01:15:42 qui fonctionnait à l'époque, notamment du
01:15:44 Jumeau de Gaulle. - Pourtant, on est à une époque où les très
01:15:46 grandes entreprises, les géants du CAC 40,
01:15:48 ont presque autant d'argent à gagner
01:15:50 en dehors de la France qu'à l'intérieur de la France,
01:15:52 où des grands groupes ne payent pas beaucoup d'impôts
01:15:54 par exemple, et où certains milliardaires
01:15:56 en font autant. - Oui, mais
01:15:58 nous avons aussi quand même un savoir-faire, alors c'est là
01:16:00 où il faut être un petit peu peut-être positif et croire
01:16:02 en notre avenir. Nous avons aussi un certain nombre
01:16:04 de savoir-faire technologique et industriel.
01:16:06 Il se trouve que je connais bien le secteur de l'énergie
01:16:08 et dans le domaine de l'énergie, il y a par exemple un secteur
01:16:10 qui est assez peu connu, c'est le domaine du biogaz.
01:16:12 La France a un potentiel de production de biogaz
01:16:14 grâce à ses grands groupes industriels comme
01:16:16 Total, Engie, etc.,
01:16:18 qui doit nous permettre d'avoir une indépendance
01:16:20 énergétique gazière plus importante dans les prochaines années.
01:16:22 Donc il faut aussi constater
01:16:24 le déclin
01:16:26 de la France sur tout un ensemble de sujets
01:16:28 et en même temps se demander comment on peut remonter la pente.
01:16:30 Et là, vous avez un certain nombre de secteurs, je citais
01:16:32 le secteur énergétique, mais il y en a d'autres
01:16:34 sur lesquels nous pouvons miser pour essayer de reconstruire
01:16:36 notre base industrielle. - Autre aspect important,
01:16:38 parce que la France s'est industrialisée
01:16:40 avant une bonne partie des pays du monde,
01:16:42 en tout cas ceux qui ne sont pas occidentaux,
01:16:44 les ressources minières, les réserves
01:16:46 naturelles, les matières premières,
01:16:48 elles ne sont plus en Europe. C'est aussi une
01:16:50 faiblesse et cette faiblesse, on ne peut pas la compenser.
01:16:52 - Mais la souveraineté, ce n'est pas
01:16:54 l'autarcie. C'est-à-dire qu'il faut
01:16:56 à la fois valoriser ses propres atouts, et nous, nous avons
01:16:58 quand même un certain nombre de ressources énergétiques
01:17:00 minières en Europe.
01:17:02 Elles ne suffiront pas. Et donc ce qui compte,
01:17:04 c'est de diversifier nos sources d'approvisionnement.
01:17:06 La France a eu, de ce point de vue-là,
01:17:08 je dirais, un
01:17:10 regard stratégique très intéressant. Lorsqu'on
01:17:12 regarde son approvisionnement énergétique,
01:17:14 en matière d'UPR ou gazier, nous ne dépendons pas
01:17:16 d'un seul pays comme l'Allemagne par rapport au gaz russe.
01:17:18 - C'est très important. D'ailleurs, on dépend largement aussi du
01:17:20 Kazakhstan, qui est une ancienne république
01:17:22 soviétique. Rien que pour l'uranium, c'est important
01:17:24 de le rappeler concrètement
01:17:26 aujourd'hui. Qui sont, pour vous,
01:17:28 les ennemis de l'Occident ?
01:17:30 - Je dirais que le principal
01:17:34 ennemi de l'Occident, c'est l'Occident lui-même.
01:17:36 C'est-à-dire qu'il faut, en effet,
01:17:38 constater un relatif déclin,
01:17:40 une relative perte de puissance,
01:17:42 se demander pourquoi nous ne sommes
01:17:44 plus aujourd'hui dignes d'être
01:17:46 imités, selon un certain nombre
01:17:48 de pays en tout cas, et
01:17:50 se demander s'il n'y a pas
01:17:52 aussi des bonnes raisons qui justifient
01:17:54 notre remise en question. Lorsque nous voyons,
01:17:56 et là on en a largement parlé avec
01:17:58 la désindustrialisation et puis la division
01:18:00 exacerbée de nos nations,
01:18:02 il faut se demander si nous n'avons
01:18:04 pas pris un mauvais
01:18:06 chemin et s'il n'est pas
01:18:08 temps, avant de donner des leçons à la Terre entière,
01:18:10 de reconstituer nos propres
01:18:12 nations. - Et donc ce mauvais chemin,
01:18:14 qu'il faut abandonner, qu'est-ce qu'il faut abandonner aujourd'hui ?
01:18:16 - Ce qu'il faut abandonner, c'est l'idée selon laquelle
01:18:18 nous avons vocation
01:18:20 à réjanter
01:18:22 la mondialisation, des valeurs
01:18:24 universelles transcendent
01:18:26 l'humanité. Il y a des principes universels,
01:18:28 il y a une humanité, évidemment,
01:18:30 mais elles se médiatisent
01:18:32 différemment en fonction des cultures et des
01:18:34 modèles nationaux. Donc il faut tout simplement
01:18:36 accepter, prendre acte de la diversité du monde
01:18:38 et... - Et laisser le parti
01:18:40 communiste chinois, pour ne citer que lui, exporter son
01:18:42 propre modèle quand il le pourra ? - Mais la Chine
01:18:44 ne cherche pas à exporter son propre modèle,
01:18:46 elle est convaincue de son exceptionnalité
01:18:48 et que sa singularité n'est pas exportable.
01:18:50 - Grosse différence avec les Occidentaux d'ailleurs, culturellement.
01:18:52 - Grosse différence avec les Occidentaux, donc reconstruisons-nous
01:18:54 de l'intérieur
01:18:56 et entrons dans cette nouvelle ère
01:18:58 avec la force, encore
01:19:00 une fois, de nos nations.
01:19:02 La valeur qui prédomine aujourd'hui, je le dis une nouvelle fois,
01:19:04 c'est l'intérêt national, avec une vision très
01:19:06 souple. On voit les Européens qui aujourd'hui refusent
01:19:08 par exemple le gaz russe pour soutenir
01:19:10 l'Ukraine, mais qui par ailleurs vont se rapprocher
01:19:12 de l'Azerbaïdjan et
01:19:14 par ce biais, obtenir quand même
01:19:16 le gaz russe. Et donc là, nous sommes pris à revers, nous avons un
01:19:18 discours très moral au nom de nos valeurs et puis en même temps
01:19:20 quand il s'agit des fonds de nos intérêts, on oublie
01:19:22 un petit peu ces valeurs-là. - On est loin d'être le seul à le faire. On
01:19:24 rappelle qu'Israël a par exemple équipé
01:19:26 l'armée azerbaïdjanaise, que l'Iran
01:19:28 était plutôt du côté des Arméniens
01:19:30 parce qu'elle a elle-même plus de 10 millions d'Azéries
01:19:32 sur son territoire. Enfin, tout le monde
01:19:34 peut aussi être un petit peu faucheton avec
01:19:36 ces valeurs. - Bien évidemment, mais sauf que c'est beaucoup plus assumé
01:19:38 dans d'autres pays. Alors nous, nous sommes incohérents
01:19:40 entre la défense de nos intérêts et la défense de nos valeurs
01:19:42 ce qui nous affaiblit. L'incohérence
01:19:44 sans la puissance est source
01:19:46 de perte de crédibilité et je crois que c'est ça
01:19:48 aujourd'hui qui nous est largement reproché. - Pourtant
01:19:50 la puissance militaire française
01:19:52 est quand même supérieure aujourd'hui à la puissance
01:19:54 militaire iranienne. Si je prends un exemple, c'est difficile
01:19:56 de comparer deux États qui sont trop loin pour se faire la guerre
01:19:58 mais c'est un fait. - Oui, mais lorsqu'on se compare
01:20:00 en effet, on peut se rassurer mais les capacités
01:20:02 d'intervention de l'armée française
01:20:04 on le sait tous, sont très limitées. Des rapports
01:20:06 sont venus l'attester. Et même sur
01:20:08 le théâtre africain, nous n'avons pas agi tout à fait seul
01:20:10 donc il faut aussi se rendre compte de nos moyens
01:20:12 ils sont importants, mais aussi de
01:20:14 leur diminution et de leur limite.
01:20:16 - La principale raison d'espérer, puisque votre livre
01:20:18 quand même où les questions qu'on a soulevées sont
01:20:20 assez... peuvent pousser au pessimisme
01:20:22 la principale raison d'espérer pour vous ?
01:20:24 - La principale raison d'espérer, c'est que lorsque l'on...
01:20:26 L'un des grands faits d'armes de la France
01:20:28 ces 20 dernières années, c'était en 2003 lorsque nous sommes opposés
01:20:30 à la guerre en Irak. Nous étions en avance
01:20:32 sur les nations européennes parce que nous avions compris que cette intervention
01:20:34 n'allait pas être comprise par un monde
01:20:36 non-occidental qui était en train de s'affirmer.
01:20:38 Et donc il y a quand même dans l'appareil diplomatique
01:20:40 français, il y a une tradition
01:20:42 gaullienne qui font que nous sommes
01:20:44 capables de nous adresser
01:20:46 au reste du monde à des pays qui ne sont pas occidentaux
01:20:48 d'où l'importance de ne pas s'enfermer dans
01:20:50 un bloc occidental dans lequel l'Europe
01:20:52 va perdre son autonomie. Il faut que la France
01:20:54 se reconnecte avec sa tradition
01:20:56 géopolitique et s'adresse à des pays
01:20:58 vis-à-vis desquels elle n'a plus l'habitude de parler.
01:21:00 Par exemple l'Amérique latine, quelle est notre vision aujourd'hui
01:21:02 de l'Amérique latine ? Le Mexique est en train de s'émanciper géopolitiquement
01:21:04 des Etats-Unis, le Brésil s'affirme. Nous n'avons
01:21:06 plus de véritable politique latino-américaine.
01:21:08 - "La mano en la mano" disait
01:21:10 de Gaulle dans son discours "A Mexico"
01:21:12 aux Mexicains. La France et le Mexique
01:21:14 vont se développer la main dans la main. Est-ce qu'on
01:21:16 peut encore réveiller ces
01:21:18 vieux réseaux ? - Mais la France a un
01:21:20 réseau diplomatique qui fait partie des plus importants
01:21:22 du monde. Il y a encore une fois une tradition historique,
01:21:24 une langue française qui continue malgré tout
01:21:26 d'être parlée par un nombre de locuteurs importants.
01:21:28 - De moins en moins comme langue étrangère.
01:21:30 - Oui mais par rapport
01:21:32 encore une fois à d'autres pays, ça reste important.
01:21:34 Nous séjons au Conseil de sécurité des Nations Unies. Enfin nous avons tout un ensemble
01:21:36 d'atouts que tout le monde connaît mais qu'il faut désormais
01:21:38 mettre au service d'une vision stratégique
01:21:40 française et européenne et je crois qu'elle fait
01:21:42 défaut aujourd'hui. C'est plutôt un déficit
01:21:44 intellectuel
01:21:46 qui aujourd'hui nous fait défaut
01:21:48 sur la scène internationale. - Et vous parlez justement du Conseil
01:21:50 de sécurité des Nations Unies. Aujourd'hui, 5 membres
01:21:52 permanents. Etats-Unis, Chine,
01:21:54 Russie, France, Grande-Bretagne.
01:21:56 Si réforme il y a
01:21:58 de ce Conseil de sécurité, qui perdra
01:22:00 son siège ? C'est nous.
01:22:02 - Mais ce serait une grave erreur que de
01:22:04 perdre notre siège. - Personne n'a dit que ce serait nous
01:22:06 qui prendrions la décision mais globalement, ce n'est
01:22:08 plus du tout en rapport avec le poids politique
01:22:10 ou économique de la France. - Mais pour qu'on perde notre siège,
01:22:12 il faudrait qu'on l'accepte en tant que membre
01:22:14 permanent des Nations Unies. Il faudrait que la
01:22:16 décision soit française et qu'elle soit approuvée par les autres
01:22:18 membres. - Les écoles véto sont attenables.
01:22:20 Par contre, il y a une évolution qui m'inquiète.
01:22:22 Vous avez à la fois Emmanuel Macron qui affirme une tradition
01:22:24 gaullienne lorsqu'il revient de Chine et qu'il dit que les Européens
01:22:26 n'ont pas vocation à suivre l'agenda géostratégique américain.
01:22:28 Ça me semble être du bon sens
01:22:30 gaullien en quelque sorte. Mais par ailleurs,
01:22:32 il défend avec l'Allemagne la fin
01:22:34 de l'unanimité sur les initiatives
01:22:36 de politiques étrangères au sein du Conseil européen.
01:22:38 C'est-à-dire que demain, à la majorité,
01:22:40 les 27 pourraient décider d'un certain nombre d'initiatives
01:22:42 en termes de politiques étrangères. C'est l'assurance
01:22:44 pour la France d'être systématiquement minoritaire
01:22:46 puisque nous sommes les seuls à avoir
01:22:48 des prétentions des velléités indépendantistes
01:22:50 pour l'Europe vis-à-vis des États-Unis.
01:22:52 - Allez, en tout cas, merci à vous, Max Erwann-Gastineau,
01:22:54 auteur de ce livre "L'ère de l'affirmation,
01:22:56 répondre au défi de la désoccidentalisation".
01:22:58 C'est publié aux éditions du Cerf.
01:23:00 Et Stéphane ? - Oui, tout de suite,

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