Avec Arnaud GALLAIS, Membre de la Commission Indépendante sur l'inceste et les violences sexuelles faites aux enfants, et co-fondateur de Mouv' Enfants. Auteur de « J’étais un enfant » avec Ixchel DELAPORTE - Éditions Flammarion.
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00:00:00 14h16, Brigitte Laé, Sud Radio.
00:00:04 Bonjour à tous, nous sommes ensemble durant ces deux heures sur Sud Radio.
00:00:10 Enfin la parole se libère mais nombreux sont encore les adultes qui ont été des enfants massacrés,
00:00:16 abusés et maltraités, mais surtout pas écoutés.
00:00:21 Les hommes tout particulièrement se taisent comme si un petit garçon pouvait mieux se défendre qu'une petite fille.
00:00:27 Or un enfant, il est très important de le rappeler, c'est toujours un être sans défense face à un adulte
00:00:34 et honte à cet adulte qui profite de son innocence.
00:00:38 Aujourd'hui je vais passer ces deux heures en compagnie de Arnaud Gallet.
00:00:41 Il est déjà venu plusieurs fois dans cette émission pour défendre la cause des enfants abusés
00:00:46 puisqu'il est le fondateur de plusieurs associations de protection de l'enfance.
00:00:50 Mais cette fois-ci il vient pour témoigner de son parcours et dans un instant,
00:00:54 donc on va faire le point avec lui, il va nous raconter ce qu'il a subi puis ensuite on vous écoutera,
00:01:00 il vous écoutera vous.
00:01:02 Alors si vous avez envie de lui poser des questions, de poser des questions directement à Arnaud Gallet,
00:01:07 profitez-en puisqu'il est avec nous jusqu'à 16h.
00:01:09 Et puis si vous avez envie de témoigner ou si vous avez envie de nous parler de ce qu'on pourrait faire dans cette société
00:01:15 pour que enfin ça cesse, vous nous appelez au 0 826 300 300.
00:01:20 Bonjour Arnaud Gallet.
00:01:21 - Bonjour Brigitte.
00:01:22 - Alors vous êtes venu déjà deux ou trois fois je crois dans cette émission
00:01:27 à l'occasion d'une de vos associations de protection de l'enfance et notamment de votre combat contre les abus sexuels.
00:01:36 Je sais que notamment vous avez beaucoup milité pour qu'il y ait une loi qui passe et qu'il n'y ait plus de...
00:01:42 - De consentement ?
00:01:44 - Oui et puis qu'on puisse porter plainte quel que soit l'âge où on va aller porter plainte justement
00:01:52 parce que je crois qu'il y a toujours... c'est 20 ans je crois...
00:01:55 - C'est 30 ans maintenant de prescription.
00:01:57 - D'accord merci.
00:01:59 Et puis là vous êtes l'auteur de ce livre "J'étais un enfant" c'est aux éditions Flammarion.
00:02:05 "Violé à 8 ans je suis devenu un activiste des droits de l'enfant".
00:02:08 Ce livre je l'ai lu, c'est pas toujours facile parce que vous racontez beaucoup de choses qui sont assez terribles.
00:02:15 Moi j'ai envie de dire déjà vous avez subi deux violences à la fois la violence de votre père
00:02:21 qui était un père maltraitant, violent etc. et la violence de l'abus.
00:02:26 Est-ce que l'un va souvent avec l'autre ou pas ?
00:02:31 - Je dirais que je ne sais pas si l'un va souvent avec l'autre.
00:02:34 Ce que je sais c'est que quand on est victime de violences sexuelles, d'abus sexuels,
00:02:38 ce sont bien souvent des critères de vulnérabilité.
00:02:41 Donc il est vrai que quand on a été victime de violences physiques comme moi, d'humiliation,
00:02:46 de violence psychologique etc. par un père et que tout le monde le sait et ne fait rien,
00:02:51 inévitablement on peut être la proie d'un agresseur potentiel.
00:02:56 Et moi c'est ce qui s'est passé malheureusement puisque j'ai été victime de viols par un grandon
00:03:01 qui était également prêtre missionnaire entre l'âge de 8 ans et 11 ans
00:03:04 et après à l'âge de 12 ans par deux de mes cousins.
00:03:07 Et donc voilà, je suis convaincu qu'il y a un lien de cause à effet si j'ose dire
00:03:11 puisque ça génère une forme de vulnérabilité.
00:03:14 - Quand vous dites "tout le monde le savait", c'est quoi ?
00:03:17 C'est la famille, c'est les amis, c'est les proches, c'est la société ?
00:03:21 - Oui tout à fait, c'est-à-dire que tout le monde le savait,
00:03:24 c'est-à-dire que les voisins, alors déjà la famille en premier lieu pour commencer le premier cercle,
00:03:28 la famille, déjà ma mère en premier lieu et puis au-delà de ça toute la famille,
00:03:33 oncle, tante, grand-mère, grands-parents, qui on veut.
00:03:36 Et puis après les voisins, l'école et ce qui est assez spécifique je pense dans mon histoire,
00:03:40 on n'en parle pas assez à mon sens, c'est que comme j'ai grandi dans un environnement familial
00:03:45 plutôt aisé, donc avec des cotes plutôt bourgeois, etc.,
00:03:48 et bien cette violence elle est bien souvent mise en fait un peu sous le ton de la plaisanterie,
00:03:54 c'est-à-dire que mon père, ce ne sont pas des violences, on parlait souvent de colère,
00:03:58 de choses comme ça, vous voyez, on vient banaliser cette violence-là
00:04:01 et en banalisant cette violence, qu'est-ce qu'on fait si ce n'est au bout d'un moment
00:04:04 rendre l'enfant encore plus sujet d'autres violences d'une certaine manière
00:04:09 puisque à qui finalement un enfant peut s'en référer si ce n'est théoriquement à ses parents
00:04:14 qui sont là pour le sécuriser.
00:04:17 - Et est-ce que finalement quand on voit qu'autour de soi ça semble normal,
00:04:22 puisque personne finalement ne réagit, est-ce qu'au fond ça n'est pas pire d'une certaine manière ?
00:04:29 Est-ce que vous ne pensez pas que... Est-ce que vous dites à un moment donné
00:04:32 l'abus ça donne une incapacité à faire confiance ?
00:04:36 - Si, c'est sûr, c'est-à-dire que pour moi en tout cas, et là où je pense que je ne m'en suis pas si mal sorti,
00:04:41 c'est que ça n'a pas eu tellement de conséquences au niveau de mon développement psychique
00:04:44 puisque les psys disent très bien que j'ai dû faire une résilience très jeune.
00:04:48 Mais effectivement ça aurait pu avoir un impact assez important,
00:04:51 toute la question qui est posée dans mon histoire à travers toutes les violences que j'ai pu vivre, subir,
00:04:55 et important de le dire parce qu'on me traite souvent de menteur ou autre reconnu
00:04:59 par les personnes qui m'ont fait du mal,
00:05:01 et bien ça aurait pu être pire si l'enfant que j'étais n'avait pas eu cette force de survivre.
00:05:08 Et ça pour moi c'est ce message-là, aujourd'hui j'étais un enfant,
00:05:11 c'est aussi le clin d'œil que je fais à l'enfant que j'étais quand j'étais petit,
00:05:15 un enfant où je me suis grandi en culpabilisant énormément,
00:05:18 comme sûrement beaucoup d'auditrices et d'auditeurs,
00:05:20 c'est-à-dire qu'il y a quelque chose qu'on ne comprend pas,
00:05:22 on s'en veut aussi, au-delà des adultes qui sont là pour nous protéger,
00:05:25 en premier lieu on s'en veut à soi-même, de se dire mais finalement,
00:05:27 comment est-ce que c'est possible que ce soit arrivé ?
00:05:29 Et ça je pense que c'est important, aujourd'hui j'ai compris,
00:05:31 et c'est aussi cet enfant, j'ai compris surtout que je lui devais tout,
00:05:34 et je lui devais l'homme que je suis aujourd'hui.
00:05:36 - Alors j'entends souvent d'ailleurs une résilience qui vient parfois de la nature,
00:05:40 parfois d'un animal, chez vous elle est venue d'où cette résilience ?
00:05:44 - Ah bah je pense qu'elle est venue... - De votre force psychique ?
00:05:48 - Oui, je pense même de rencontres, c'est-à-dire très rapidement,
00:05:51 c'est ça aussi mon livre, c'est de se dire,
00:05:53 oui il y a des choses dures dans la vie, et puis il y a de belles rencontres,
00:05:55 il y a des rencontres aussi que j'ai faites, y compris au niveau de l'école et autres,
00:05:58 si l'école ne m'a pas sauvé directement de ces violences,
00:06:00 je pense que j'ai eu des adultes qui étaient suffisamment structurants autour de moi,
00:06:04 et autres qui m'ont montré peut-être une autre voie,
00:06:06 et qui ont fait que l'enfant que j'étais a su s'interroger justement là-dessus,
00:06:09 je pense que c'est ça aussi, et effectivement c'est important de le dire Brigitte,
00:06:12 c'est qu'il faut porter aussi cette voie qu'il y a un espoir,
00:06:16 qu'il y a un espoir aussi de se dire, oui il y a des choses dures,
00:06:18 oui je rappelle moi aussi avec force qu'il y a une victime sur deux
00:06:21 qui fait une tentative de suicide, donc il y a quelque chose qui est terrible,
00:06:23 atroce, etc., d'extrêmement douloureux, qu'on peut tous connaître,
00:06:28 et en même temps il y a cette dimension aussi de se dire,
00:06:30 on peut vivre aussi après, on peut survivre,
00:06:33 et c'est aussi cette histoire que je suis venue raconter,
00:06:35 en me disant que c'est quelque chose qui me tient à cœur,
00:06:38 et en me disant bien sûr qu'il faut que le pouvoir politique agisse,
00:06:40 on va sans doute en reparler, mais je pense que...
00:06:43 - Mais c'est peut-être le combat de chacun d'entre nous,
00:06:45 - Exactement.
00:06:46 - Avant tout, enfin je me sens là,
00:06:48 parce qu'on est tous, on côtoie forcément des enfants qui subissent des violences,
00:06:54 que ce soit de la violence physique ou des abus,
00:06:58 je pense que tous autour de nous, on doit côtoyer,
00:07:01 puisque quand on a les chiffres 160 000 par an, ça me paraît évident.
00:07:06 - Oui c'est exactement ça, et d'ailleurs bien souvent on oublie que si les victimes comme moi ou d'autres
00:07:10 prennent la parole, Emmanuel Bayard, etc., plus récemment, et bien d'autres,
00:07:13 c'est qu'en fin de compte, votre message c'est surtout de se dire,
00:07:16 allons chercher les 160 000 enfants victimes chaque année de violences sexuelles,
00:07:20 et c'est ce risque-là que nous prenons nous en témoignant publiquement,
00:07:23 et souvent ce message-là, il est entendu à demi-mot,
00:07:26 c'est-à-dire qu'on nous dit, vous êtes courageux, etc.,
00:07:28 et je pense pas que les victimes aujourd'hui, c'est important de le dire,
00:07:30 à temps de, je dirais qu'on vienne les congratuler en disant, c'est bien, vous êtes très courageux.
00:07:35 Moi ce que j'attends surtout, c'est des actions, des actions concrètes,
00:07:37 qui permettent aussi évidemment de protéger les enfants,
00:07:39 parce que rappelons quand même, et c'est important,
00:07:41 que plus on va prendre en compte cette parole tardivement,
00:07:45 et notamment quand on a enfant, puis après adulte,
00:07:49 et plus les conséquences physiques et psychologiques peuvent être importantes,
00:07:52 puisque tout simplement, le risque c'est quoi ? C'est de grandir tout seul.
00:07:56 Bien sûr, et on sait que plus on est écouté tôt, mieux c'est, bien sûr.
00:08:02 Bruno Clavier qui était là il y a une quinzaine de jours,
00:08:05 que vous connaissez forcément, qui travaille aussi beaucoup sur ce sujet,
00:08:08 me disait qu'il y a énormément de violences qui se font d'abus,
00:08:12 quand je parle de violences, qui se font vers l'âge de 3-4 ans,
00:08:16 et c'est terrible parce que souvent il y a traumatisme tel que c'est refoulé,
00:08:21 et qu'il y a des gens qui ne s'en souviennent pratiquement jamais,
00:08:25 et ça laisse des traces pourtant dans le corps et dans le psychisme.
00:08:29 Vous êtes d'accord avec ça ou pas ?
00:08:31 Ah oui, bien sûr, c'est extrêmement important, et c'est important de l'entendre,
00:08:33 c'est-à-dire qu'en fait, il y a des stades de développement de l'enfant
00:08:36 qui font qu'à un moment donné, les violences subies peuvent avoir un impact terrible,
00:08:40 et c'est là-dessus qu'on se dit aussi qu'on a besoin de cohérence,
00:08:43 c'est-à-dire qu'il n'y a pas si longtemps, sous le précédent quinquennat,
00:08:47 il y a eu tout un plan qui a été fait qu'on a appelé les 1000 premiers jours,
00:08:49 c'est-à-dire qu'Emmanuel Macron, en tant que Président de la République,
00:08:51 a souhaité, c'était je pense une bonne chose, dire,
00:08:54 il faut être vigilant à la manière dont les enfants grandissent dans les premières années de leur vie,
00:08:57 et c'est comme ça qu'on est arrivé à la réflexion aujourd'hui,
00:08:59 de se dire qu'il faut un service public de la petite enfance.
00:09:01 Pourquoi je dis ça ? Parce qu'il y avait notamment un éminent psy
00:09:05 qui présidait cette commission des 1000 premiers jours,
00:09:09 à savoir Boris Cyrulnik,
00:09:11 et Boris Cyrulnik démontrait bien, comme d'autres,
00:09:14 toute la question des stades de développement de l'enfant,
00:09:16 et surtout l'importance des premières années,
00:09:20 qui vont être déterminantes aussi pour l'adulte que nous allons devenir.
00:09:23 Et donc forcément, plus les violences d'une certaine manière vont arriver jeunes,
00:09:26 et elles arrivent jeunes pour différentes raisons,
00:09:28 elles peuvent arriver jeunes aussi, parce que bien souvent,
00:09:30 on a des parents qui peuvent être démunis avec leurs enfants, etc.
00:09:33 et plus malheureusement, il peut y avoir des conséquences sur le développement de l'enfant.
00:09:36 Et ça aujourd'hui, on ne peut plus dire qu'on ne le savait pas.
00:09:39 Ça, c'est pas possible.
00:09:40 Eh bien, notamment dans cette émission, on le sait et on en parle souvent,
00:09:44 ce qui est important aussi à dire, c'est qu'il y a des adultes
00:09:47 qui ne comprennent pas non plus très bien qu'un enfant de 3-4 ans
00:09:50 peut être dans des relations de séduction naturelles,
00:09:54 qui n'ont rien à voir avec la sexualité,
00:09:57 et que ça peut provoquer chez l'adulte des gestes sexuels,
00:10:01 qui sont donc déjà, d'une certaine manière, des abus.
00:10:04 Et ça, c'est peut-être aussi quelque chose qu'on ne dit pas souvent,
00:10:06 qu'on n'entend pas souvent, qu'on n'ose pas dire.
00:10:08 Ah oui, c'est extrêmement important, et c'est aussi toute mon histoire.
00:10:10 Alors moi, c'est vrai que je n'avais pas 3-4 ans,
00:10:12 mais c'est vrai qu'à l'âge de 8 ans, quand j'ai été violé la première fois,
00:10:16 pour moi, c'était une incompréhension.
00:10:18 Une incompréhension, c'est-à-dire que j'étais incapable de dire
00:10:22 ce qui m'était arrivé, tout simplement.
00:10:24 Et c'est uniquement à l'âge de 19 ans que j'ai compris, d'ailleurs,
00:10:26 grâce à la télé, puisque c'était un reportage sur France 3.
00:10:29 Mais bien sûr, que les enfants, en plus, il y a un tel décalage, etc.,
00:10:34 et que l'enfant n'est pas, c'est pas du tout du même registre de la séduction.
00:10:38 Et on voit bien que, malheureusement, au regard du fait qu'il y ait
00:10:43 certains prédateurs qui cherchent absolument à être auprès d'enfants,
00:10:47 tout le désastre que ça peut générer.
00:10:50 En tout cas, vous êtes avec nous jusqu'à 16h, Ernaud Gallé.
00:10:53 Ça s'appelle "J'étais un enfant", c'est aux éditions Flammarion.
00:10:56 Dans un instant, nous donnerons la parole à Marie, qui sera avec nous.
00:10:59 Et puis, vous avez envie de réagir, c'est au 0826 300 388.
00:11:03 En compagnie d'Ernaud Gallé, auteur de ce livre qui vient de sortir aux éditions Flammarion,
00:11:09 "J'étais un enfant", où vous racontez donc votre parcours de victime.
00:11:15 C'est important aussi parce que, peut-être qu'il y a moins d'hommes que de femmes
00:11:21 qui sont abusés, mais il y en a plus qu'on ne l'imagine.
00:11:23 Peut-être que dans l'ensemble, c'est plus compliqué pour vous de parler,
00:11:30 parce qu'il y a peut-être plus de honte, d'une certaine manière ?
00:11:34 C'est souvent ce que disent les témoignages, c'est ce qu'on peut dire.
00:11:37 La honte, c'est celle qu'on m'a envoyée très rapidement, en me disant "Pourquoi tu ne t'es pas défendue ?"
00:11:41 C'est-à-dire qu'on est beaucoup plus là-dessus, alors que sur le registre des filles, des femmes,
00:11:46 on va être sur la question de quelque chose qui est de l'ordre, mais tu étais peut-être consentante,
00:11:50 tu l'as peut-être voulu, etc., qui est assez violent pour la victime.
00:11:53 Mais c'est vrai qu'il y a cette question de la virilité au niveau des hommes,
00:11:57 qui fait que je pense que c'est un vrai obstacle au niveau de la parole pour les hommes.
00:12:01 Après, quoi qu'il en soit, on sait qu'il y a quand même nettement plus de filles et de femmes victimes que d'hommes.
00:12:06 Mais c'est vrai que cette parole est difficile à prendre.
00:12:08 Mais il y a aussi des hommes, et ils sont les bienvenus, évidemment, s'ils ont envie de témoigner.
00:12:11 Pour l'instant, c'est une femme, elle s'appelle Marie, elle est avec nous. Bonjour Marie.
00:12:15 Bonjour Brigitte, bonjour M. Gallet.
00:12:18 Bonjour.
00:12:19 Merci de prendre la parole, Marie.
00:12:21 Vous avez connu des abus sexuels de 11 ans à 16 ans, c'est ça, par un oncle ?
00:12:26 Oui, c'est ça. Moi, j'avais 11 ans et demi quand ça s'est passé la première fois,
00:12:30 et j'ai été abusée de cet âge-là jusqu'à l'adolescence.
00:12:34 Voilà. Donc c'était quelque chose de très...
00:12:39 Là où c'était violent, c'était que...
00:12:43 Ce qui a été le plus violent, finalement, c'était pas tant la violence des abus
00:12:50 que les faits que ça a eu sur moi quand tout le monde a su, en fait.
00:12:54 D'accord.
00:12:55 Oui, enfin, ça c'est ce que vous dites aujourd'hui.
00:12:58 C'est peut-être l'après-coup qui est violent dans votre histoire.
00:13:05 C'est-à-dire que les abus ont été violents, mais vous avez...
00:13:08 Comment dirais-je ? Vous avez refermé, si je puis dire, la boîte avec votre souffrance dedans,
00:13:14 et quand ça ressort, si je puis dire, à ce moment-là, il y a une sorte de "boomerang", voyez ?
00:13:21 Oui, c'est ça. Mais c'est complètement ça. C'est tout à fait juste ce que vous dites.
00:13:25 Oui, mais c'est important que vous le compreniez bien, vous aussi,
00:13:29 parce que sinon vous allez rester sur le fait de la deuxième violence,
00:13:34 et c'est la première qui, quand même, est la plus inacceptable.
00:13:42 Mais c'est fou ce que vous dites, Brigitte, parce qu'il y a quelque chose dans...
00:13:47 Ce que vous dites résume très bien l'histoire de ma vie, en fait.
00:13:50 Parce que, justement, jusqu'à aujourd'hui j'ai 43 ans,
00:13:53 et jusqu'à l'année dernière, j'avais justement complètement muselé cette violence-là.
00:14:00 Et je l'ai pris dans la figure comme un choc, mais même bien plus que dans la figure,
00:14:06 parce que c'est tout mon corps qu'en a fait écho,
00:14:08 c'est que j'ai fait un burn-out professionnel,
00:14:11 lié à une surcharge professionnelle, mais en fait il s'appuyait...
00:14:14 C'est un cerf-du-cerf, mais...
00:14:16 C'est un burn-out qui s'appuyait sur le trauma, en fait, sur le trauma de la violence,
00:14:20 sur le ne pas savoir dire non.
00:14:22 C'est-à-dire que j'ai accepté la charge, la charge, la charge,
00:14:25 en exprimant juste sur la fin "j'en peux plus",
00:14:28 et en fait le "j'en peux plus", il allait bien au-delà d'une charge.
00:14:31 Le "j'en peux plus", il était... Mais toutes ces personnes...
00:14:34 Cette violence qu'on m'impose là, aujourd'hui,
00:14:37 c'est la violence qu'on m'a imposée hier, à laquelle j'ai pas su dire non.
00:14:41 Et tout s'est réveillé, et en fait ça m'a pété à la figure,
00:14:44 comme une bombe retardement.
00:14:46 - À laquelle vous n'avez pas pu dire non, parce que vous étiez une enfant, tout simplement.
00:14:49 Je crois que c'est très important.
00:14:51 - C'est important, et si je peux me permettre d'autant plus,
00:14:53 je voulais qu'aujourd'hui, déjà de renvoyer que...
00:14:56 Déjà, vous n'êtes plus seule, c'est essentiel.
00:14:59 C'est-à-dire que quand on regarde bien, voyez, moi je fais partie de la commission indépendante
00:15:02 sur l'inceste et les violences sexuelles faites aux enfants.
00:15:04 Et votre témoignage corrobore aussi beaucoup d'autres témoignages
00:15:07 où on parle des conséquences, notamment au niveau du travail,
00:15:10 sûrement d'ailleurs sur ce que vous évoquez,
00:15:13 c'est-à-dire on n'a pas su dire non, quoi que ce soit,
00:15:16 ou tout du moins de cette question qu'on peut se poser par rapport à ça.
00:15:19 Et ça c'est essentiel, et les conséquences, notamment
00:15:22 en matière de santé publique, sont...
00:15:25 sont assez importantes, et ça c'est essentiel.
00:15:28 C'est pour ça que votre témoignage est fort par rapport à ça.
00:15:31 - On ne se rend pas content de l'impact que ce type de violence
00:15:34 peut avoir tout au long de la vie.
00:15:37 C'est ce que j'expliquais juste
00:15:40 en avant à la personne de votre équipe, Brigitte, tout à l'heure.
00:15:43 Ce qui est fou, c'est que finalement,
00:15:46 ça se passe très petit. Je connais, parce que
00:15:49 ce que j'ai vécu m'a amené à échanger avec des personnes victimes comme moi,
00:15:52 et on peut être très petit,
00:15:55 et pendant très longtemps être muselé dans le silence
00:15:58 parce que la famille, parce que la société,
00:16:01 parce qu'on est dans un environnement qui fait que tout ça est caché,
00:16:04 terré, pour pas faire de bruit, pour pas faire de vagues,
00:16:07 et puis tout à coup, un jour, il se passe quelque chose,
00:16:10 et là, j'ai envie de dire, voilà, les choses sortent,
00:16:13 la mémoire revient, tout se réactive,
00:16:16 et le corps répond, et tout ça, c'est du temps
00:16:19 et des soins et de l'énergie
00:16:22 qui, quand on a la chance de rencontrer quelqu'un qui nous permette
00:16:25 parler, parce que je reste convaincue que la force
00:16:28 dans ce type de trauma, c'est la parole,
00:16:31 parce qu'il n'y a que la parole et l'échange et l'écoute
00:16:34 pour moi qui vont pouvoir s'appuyer.
00:16:37 - En fait, excusez-moi, je vous coupe Marie, mais c'est important
00:16:40 qu'on comprenne bien. Il y a le corps
00:16:43 et l'esprit, et quand l'esprit
00:16:46 ne peut pas s'exprimer,
00:16:49 on entend bien,
00:16:52 c'est le corps qui trinque, et comme le
00:16:55 corps, lui, ne peut pas parler, et bien on a
00:16:58 des problèmes avec notre système immunitaire,
00:17:01 on va faire plus vite un burn-out que quelqu'un d'autre,
00:17:04 enfin bref, on est un peu fragilisé
00:17:07 et c'est pour ça que c'est important,
00:17:10 c'est important de parler, mais c'est surtout important d'être écouté par quelqu'un
00:17:13 qui va pouvoir recevoir cette parole.
00:17:16 - Pour vous donner quelques... Allez-y, je vous en prie,
00:17:19 pardon, allez-y. - Non, non, et juste, c'était
00:17:22 juste, voilà, je voudrais le saluer, parce que moi l'écoute, elle est venue
00:17:25 de mon médecin, de mon médecin généraliste, et pourtant
00:17:28 il était un monsieur... - Ah, bravo, parce que c'est pas si souvent que ça, donc
00:17:31 bravo, bravo. - Et en fait, c'est
00:17:34 juste tout simplement que moi, mes notes, j'étais
00:17:37 à l'époque au lycée, mes notes ont fait une chute drastique
00:17:40 et maman, ma mère, qui était démunie, en fait le seul
00:17:43 indice qui a permis à maman de décoder qu'il se passait quelque chose,
00:17:46 c'était ça. Donc elle m'a conduite chez le médecin, et là
00:17:49 mon médecin, il a pris un questionnaire qui devait avoir
00:17:52 dans ses tablettes, je sais pas, il m'a demandé juste,
00:17:55 il y a eu la troisième ou quatrième question, "Est-ce que tu as envie de mourir ?"
00:17:58 Là j'ai répondu "oui", et alors là il y a eu un silence,
00:18:01 il m'a regardé, il est venu près de moi, il a mis sa main sur mon genou
00:18:04 et là je me suis mise à sursauter, et il m'a regardé, il m'a dit
00:18:07 "Marie, tu sais que je te connais
00:18:10 depuis que tu as six ans, tu peux parler." - Oui,
00:18:13 vous allez rester avec nous Marie, on va revenir là-dessus
00:18:16 parce que je crois que ce que vous venez de dire est très important pour
00:18:19 d'autres. Je sais qu'il y a beaucoup de gens du milieu médical qui nous
00:18:22 écoutent et je trouve que vous donnez une information importante. Restez avec nous,
00:18:25 on se retrouve tout de suite. Nous sommes avec Arnaud Gallais
00:18:28 et nous parlons des abus sexuels sur
00:18:31 enfants. À l'occasion de la
00:18:34 sortie de votre livre, "Arnaud Gallais, j'étais un enfant"
00:18:37 aux éditions Flammarion. Marie est avec nous et
00:18:40 Marie, je trouve que c'est vraiment intéressant ce que vous venez de nous dire
00:18:43 parce que c'est vrai qu'aucun enfant ne peut
00:18:46 avoir envie de mourir, a priori,
00:18:49 si tout va bien. Et je trouve
00:18:52 que la question du médecin, je dirais que c'est
00:18:55 presque quelque chose qu'on devrait donner
00:18:58 une info à tout le milieu médical.
00:19:01 - Oui, je suis
00:19:04 vraiment... - Allez-y, oui. - Je suis pas
00:19:07 bien. En toute humilité,
00:19:10 j'espère en tout cas qu'au jour d'aujourd'hui
00:19:13 les médecins, en tout cas pour moi, mon
00:19:16 médecin a été quelqu'un qui sauve. J'imagine que M. Gallais doit
00:19:19 connaître bien mieux le milieu médical que moi
00:19:22 et il doit en savoir plus à ce sujet, j'imagine.
00:19:25 - Ce qui est sûr, c'est qu'on se rend bien compte,
00:19:28 et c'est pour ça que c'est important votre parole, qu'il y a
00:19:31 nombreux cas où on ne pose pas la question. Vous voyez, moi par exemple,
00:19:34 même sur ce que je pouvais avoir comme symptôme, et pas uniquement d'ailleurs
00:19:37 des questions de tentative de suicide, mais aussi, vous voyez, moi je faisais
00:19:40 l'énuresie, donc pipi au lit. La seule réponse
00:19:43 du corps médical, c'était de dire, la méthode c'était pipi stop, sans
00:19:46 se dire qu'il pouvait y avoir quelque chose d'autre derrière qui
00:19:49 déclenchait d'une certaine manière cette énuresie. Et donc c'est pour ça
00:19:52 que c'est important. Vous savez, ça me fait penser, je suis membre
00:19:55 de la commission indépendante sur l'inceste et les violences sexuelles faites aux enfants,
00:19:58 où on va rendre notre rapport d'ailleurs le 20 novembre prochain,
00:20:01 et on a posé, enfin on a fait tout un livret
00:20:04 notamment à destination des professionnels où on demande un questionnement
00:20:07 systématique. Et ça, on se rend compte qu'aujourd'hui, c'est pas forcément le cas,
00:20:10 pour différentes raisons, et c'est pour ça que c'est essentiel effectivement
00:20:13 d'être dans l'aller-vers, et notamment aller vers les victimes de violences,
00:20:16 quelles qu'elles soient d'ailleurs, mais violences sexuelles particulièrement,
00:20:19 c'est pour ça que la question de votre médecin est plus que pertinente.
00:20:22 - Formidable. Et puis ce que vous dites aussi,
00:20:25 Marie, que je relève, parce que je pense
00:20:28 qu'on ne le relève toujours pas assez, quand tout d'un coup
00:20:31 un enfant a ses notes qui chutent, en règle générale,
00:20:34 c'est pareil, c'est qu'il y a de la violence derrière,
00:20:37 ou en tout cas quelque chose qui ne va plus, il n'y a aucune raison
00:20:40 que tout d'un coup... Mais qu'est-ce qui fait que vous n'avez pas pu en parler
00:20:43 notamment à votre mère, Marie ?
00:20:46 - Tout simplement parce que j'étais menacée
00:20:49 par l'auteur des abus et des menaces
00:20:52 qui ont été jusqu'à la mort,
00:20:55 et puis il y a toute une espèce de chantage...
00:20:58 - Il vous a menacé de mort, c'est ça ? - Oui.
00:21:01 - Ce qui est un abus supplémentaire d'ailleurs,
00:21:04 parce que là ça fait peur, et ça provoque
00:21:07 une sorte de stress permanent que vous avez certainement
00:21:10 peut-être encore par moment, parce que
00:21:13 quand on est enfant et qu'on est menacé de mort, c'est quand même
00:21:16 quelque chose qui... - La culture de la peur.
00:21:19 - Et puis c'est le poids de sa parole, c'est-à-dire qu'on se dit "mon Dieu",
00:21:22 une des premières menaces, c'est d'être
00:21:25 "de toute façon si tu parles on ne te croira pas".
00:21:28 Alors du coup, comment vous voulez, après, quand vous vous reconstruisez,
00:21:31 et ça c'est important de le savoir, c'est important
00:21:34 d'en prendre conscience, mais pour le coup on ne s'en rend compte
00:21:37 qu'après coup, mais comment peut-on penser
00:21:40 quand on devient après un adulte dans la société,
00:21:43 avoir un minimum de crédibilité,
00:21:46 puisque de toute façon on nous a répété pendant plusieurs années
00:21:49 de façon régulière qu'on ne serait pas crédible. - Bien sûr.
00:21:52 - Et puis après le jour où vous parlez, et bien de toute façon
00:21:55 vous êtes entraîné dans une machine qu'on ne contrôle pas,
00:21:58 parce que là, en fait, l'acte du médecin
00:22:01 a été salvateur, mais après on est entraîné dans la machine judiciaire.
00:22:04 - Ok. - Enfin, moi j'ai eu de la chance parce que tout s'est bien,
00:22:07 j'ai envie de dire, tout s'est bien lancé pour que je puisse être emmené
00:22:10 dans un processus de réparation. - D'accord.
00:22:13 - Mais malgré tout, j'ai envie de dire, dans un premier moment,
00:22:16 c'est quand même un contre-cœur, parce qu'on ne comprend pas ce qui se passe.
00:22:19 Et donc du coup, dans les premiers moments de la parole, on se dit
00:22:22 "Ouh là là, mais déjà j'ai trahi le silence, et là potentiellement
00:22:25 je peux mourir, et ensuite, mais j'ai trahi le silence
00:22:28 et je vais vers quelque chose, et je sais pas où je vais."
00:22:31 Et on est complètement paralysé,
00:22:34 en fait, ça laisse à l'arrière de soi
00:22:37 des choses qui sont,
00:22:40 enfin en tout cas, des traumas,
00:22:43 puisque c'est comme ça que les appellent les médecins,
00:22:46 qui s'en met des terres à soigner. - C'est comme une maison dont
00:22:49 les fondations n'ont pas été complètement faites,
00:22:52 donc il y a des moments où vous vacillez,
00:22:55 c'est ça qu'il faut bien comprendre,
00:22:58 c'est qu'en tant qu'adulte, vous avez des endroits
00:23:01 de votre colonne vertébrale,
00:23:04 si je puis dire, alors je pense qu'il y a des choses qui ont cicatrisé,
00:23:07 je pense qu'il y a des choses qui ont été consolidées,
00:23:10 mais il y a des choses
00:23:13 qui ont été abîmées, oui.
00:23:16 - En tout cas, ça appelle à une vigilance,
00:23:19 quand on a la chance, j'ai envie de dire 30 ans après,
00:23:22 d'être toujours là pour en parler, et c'était en ça
00:23:25 que j'avais envie de parler,
00:23:28 et merci M. Gallet d'avoir rappelé que pour des personnes
00:23:31 comme nous, pour toutes les personnes
00:23:34 qui sont témoins ou victimes
00:23:37 de violences quelconques, soit la forme,
00:23:40 qu'un jour ou l'autre, on peut juste se dire qu'il y a de la vie,
00:23:43 qu'il y a de la vie, qu'on peut croire que la vie
00:23:46 peut repartir, parce qu'on vit pendant tellement longtemps
00:23:49 avec la mort, c'est une forme de mort,
00:23:52 et du coup c'est une forme de violence,
00:23:55 c'est quelque chose de l'ordre de "je vais vous détruire",
00:23:58 on est tout cassé dedans, donc il n'y a plus de vie possible
00:24:01 à l'intérieur de soi, et puis un jour, un soignant, puis deux,
00:24:04 puis trois, puis soi, on rallume la lumière,
00:24:07 et puis le contact, et puis la maison s'anime,
00:24:10 et puis la vie reprend, et ça c'est important,
00:24:13 je trouve que les victimes aujourd'hui,
00:24:16 elles puissent se dire que c'est possible, juste que c'est possible.
00:24:19 Je trouve que c'est extrêmement difficile quand on est dedans,
00:24:22 de se rendre compte comme c'est possible.
00:24:25 Il faut porter ce message d'espoir, c'est essentiel, mais il faut porter aussi une forme de lucidité,
00:24:28 si je peux me permettre, c'est-à-dire que ce que montrent aussi
00:24:31 les travaux aujourd'hui, la commission indépendante sur l'inceste et les violences sexuelles
00:24:34 faites aux enfants a recueilli en deux ans
00:24:37 27 000 témoignages, ce qu'on montre aussi
00:24:40 à travers ces témoignages, c'est que seuls 8% d'entre eux,
00:24:43 je dis bien 8%, ont reçu ce qu'on appelle un soutien positif,
00:24:46 c'est-à-dire c'est "je te crois, je te protège", et là on se rend compte
00:24:49 que quand on dit à un enfant "je te crois, je te protège",
00:24:52 qu'on soit professionnel, parent, etc.,
00:24:55 on va avoir des personnes qui ont très peu
00:24:58 de conséquences sur leur santé physique. 62% d'entre elles
00:25:01 disent "je n'ai aucune conséquence".
00:25:04 Les 92% restants, donc des personnes à qui on a dit bien souvent
00:25:07 "je te crois, mais je ne te protège pas" au risque de faire exposer
00:25:10 la famille ou parce que tu étais consentante,
00:25:13 parce que tu l'as cherchée, etc., ces personnes-là,
00:25:16 on en a une sur deux qui fait une tentative de suicide,
00:25:19 40% d'entre elles qui ont des consommations
00:25:22 addictives, etc., chez les femmes,
00:25:25 on a 40% qui ont des problèmes gynécaux, etc., etc.
00:25:28 Donc ça signifie qu'on va multiplier des troubles qui sont de l'ordre
00:25:31 de la santé publique, et c'est ça aussi ce message-là. Vous voyez, ce qui est intéressant,
00:25:34 c'est la singularité de votre témoignage, et en même temps de le remettre dans un tout,
00:25:37 qui fait qu'il faut absolument qu'on arrive à être dans une société où on vient soutenir,
00:25:40 croire et protéger les victimes, et notamment
00:25:43 les enfants quand ils parlent, même si après il y a une réalité judiciaire, mais ça je pense
00:25:46 que c'est essentiel quand même à dire, c'est ce qu'on ressent, nous,
00:25:49 intimement, à un moment donné, c'est aussi ce manque de soutien social,
00:25:52 puisque quasiment 9 fois sur 10, les personnes tournent la tête,
00:25:55 et ça c'est important de le rappeler, et des fois une rencontre, un médecin,
00:25:58 un enseignant ou autre, ça peut tout changer. - En tout cas, merci
00:26:01 Marie d'avoir allumé cette lumière,
00:26:04 et merci de votre témoignage, merci beaucoup.
00:26:07 On continue avec Isabelle, qui est avec nous. Bonjour Isabelle.
00:26:10 - Oui, bonjour. - Bonjour Isabelle.
00:26:13 Allez-y, on vous écoute, merci de témoigner.
00:26:16 - Donc moi j'ai été
00:26:19 victime, ça a commencé quand j'avais 8 ans,
00:26:22 c'était mon père, jusqu'à mes
00:26:25 14 ans, c'est un peu flou. - Oui,
00:26:28 j'imagine, 8 ans, on est encore... Et c'est votre vrai père ?
00:26:31 - Oui.
00:26:34 - Ce qui est donc
00:26:37 un inceste au premier degré,
00:26:40 et qui est peut-être le pire des violences,
00:26:43 le pire des abus,
00:26:46 je précise.
00:26:49 - J'ai parlé il y a un an et demi,
00:26:52 j'ai 48 ans aujourd'hui,
00:26:55 - Oui, allez-y Isabelle, on vous écoute.
00:26:58 - Parce que ma fille a également été victime de lui,
00:27:01 et elle me l'a dit il y a un an et demi.
00:27:04 - C'est terrible.
00:27:07 - Et est-ce que vous en étiez
00:27:10 consciente, ou est-ce qu'il y avait quelque chose
00:27:13 comme ça, qui était un petit peu dans l'ordre du déni
00:27:16 par rapport à ce qui vous était arrivé ?
00:27:19 - Alors ça a été très bizarre, parce qu'en fait elle a pas eu vraiment besoin de me le dire,
00:27:22 réellement c'est un peu comme si je le savais.
00:27:25 - D'accord. - Mais vous,
00:27:28 par rapport à vous-même, vous l'aviez mis
00:27:31 si je puis dire dans un tiroir, ou bien c'était réellement conscient ?
00:27:34 - Ah non, moi c'était...
00:27:37 c'est à dire que ça a commencé, mon père m'a dit
00:27:40 "je suis ton père, donc mon rôle de papa c'est de t'apprendre comment
00:27:43 on s'occupe d'un homme". Donc ça faisait partie de l'éducation.
00:27:46 - Et ça s'est resté
00:27:49 comme ça un peu flou chez vous, comme si c'était peut-être normal, c'est ça ?
00:27:52 - Oui, parce qu'après je me suis mariée,
00:27:55 j'ai des enfants, donc je me disais "bon après tout j'ai une vie, quoi,
00:27:58 j'ai une vie saine, j'ai une vie sociale, finalement
00:28:01 c'est pas si grave que ça". - Et vous n'avez jamais parlé à personne,
00:28:04 c'est à dire de ces agressions sexuelles ?
00:28:07 - Non, personne. - Et c'est quand votre fille vous dit
00:28:10 ça, que papy
00:28:13 lui a fait mal, ou enfin j'imagine quelque chose
00:28:16 de cet ordre-là, avec ces mots d'enfant, que tout d'un coup
00:28:19 tout se... - Ah, on dit "mots de grand-enfant"
00:28:22 parce qu'elle a plus de 20 ans. - Ah pardon, oui.
00:28:25 - Ouais. - Mais ça lui est arrivé quand elle avait quel âge ?
00:28:28 - Elle avait une dizaine d'années.
00:28:31 - Ah oui. Bon, surtout première chose
00:28:34 Isabelle, je crois que c'est important qu'on vous le
00:28:37 dise et qu'on vous le répète, vous n'êtes coupable de rien.
00:28:40 - Bien sûr. - Je sais que c'est
00:28:43 difficile pour vous parce que vous avez le sentiment de ne pas
00:28:46 avoir protégé votre fille, mais c'est...
00:28:49 - C'est pas à vous de porter ce poids, c'est clair.
00:28:52 - Oui, c'est ça, c'est la double peine.
00:28:55 - Et qu'est-ce que vous avez fait, du coup, il y a un an et demi
00:28:58 quand votre fille vous raconte qu'elle a été victime ?
00:29:01 - Euh...
00:29:04 Là, la terre s'effondre sous mes pieds.
00:29:07 Je lui ai simplement dit "on fera ce que tu voudras".
00:29:10 Si tu veux porter ça à la justice,
00:29:13 je t'accompagnerai, sinon si tu veux pas...
00:29:16 Voilà, je voulais vraiment
00:29:19 l'accompagner dans ce qu'elle désirait, je voulais la forcer à rien.
00:29:22 Et c'est elle, en fait, qui m'a poussée
00:29:25 à lui dire "moi, par contre, je vais aller porter plainte pour ce qu'il m'a fait".
00:29:28 Et grâce à elle que j'y suis allée.
00:29:31 - Et bien c'est bien, parce que vous allez casser ce secret
00:29:34 familial qui aurait pu continuer à durer pendant
00:29:37 des générations. - C'est essentiel, c'est "rompe le schéma
00:29:40 des violences", et ça c'est essentiel.
00:29:43 - Et on a vraiment été bien accompagnés
00:29:46 au niveau de la gendarmerie, une cellule spéciale.
00:29:49 Il y a des gens
00:29:52 aujourd'hui qui sont formés, qui nous écoutent
00:29:55 à aucun moment où on dit "non, c'est pas grave".
00:29:58 On a été très très bien accompagnés.
00:30:01 - C'est vrai que ça bouge aussi sur ce plan-là,
00:30:04 ça bouge sur la violence faite aux femmes, et ça bouge aussi
00:30:07 sur ces questions de pédocriminalité. - On espère juste que ça
00:30:10 bouge un peu plus au niveau de la justice, mais c'est vrai que ça bouge aujourd'hui dans le recueil
00:30:13 de la parole des victimes, même s'il faudra encore faire plus,
00:30:16 mais effectivement, ça bouge beaucoup, notamment au niveau de la gendarmerie nationale,
00:30:19 c'est important de le rappeler, qui fait énormément de formations là-dessus.
00:30:22 - Ce qui est important, voyez Isabelle, et je vous remercie de votre témoignage,
00:30:25 c'est que ça montre bien à quel point
00:30:28 ces abus peuvent être à un moment donné
00:30:31 un petit peu mis de côté dans notre tête,
00:30:34 et je crois que ça c'est important parce que
00:30:37 les gens ne l'entendent peut-être pas assez, ça.
00:30:40 Et quand je dis "on a forcément autour de nous
00:30:43 des personnes qui ont subi de la violence sexuelle et qui finalement
00:30:46 n'en parlent pas" parce que quelque part
00:30:49 c'est un peu flou,
00:30:52 et votre témoignage en ce sens, il est très très fort
00:30:55 et je vous en remercie.
00:30:58 - C'était quand même un peu sous-jacent,
00:31:01 mais j'étais très vigilante avec le papa de mes filles en fait.
00:31:04 - Oui, c'est ça, vous savez bien qu'il y avait quelque chose
00:31:07 qui n'était pas normal, et par contre vous n'avez jamais forcément
00:31:10 directement travaillé dessus, vous vous êtes accommodée comme beaucoup de victimes
00:31:13 de cette réalité-là, et là vous avez su agir.
00:31:16 - Mais le grand-père, votre propre père,
00:31:19 le grand-père de votre fille, ça ne vous paraissait pas possible ?
00:31:22 - Non, c'était inimaginable.
00:31:25 Et j'étais vigilante à un point où
00:31:28 aujourd'hui, je me dis, pour moi à ce moment-là
00:31:31 j'avais une vie à peu près normale,
00:31:34 j'ai débrouillé avec ça, et là aujourd'hui,
00:31:37 j'ai commencé tout un travail, je suis bien accompagnée aussi,
00:31:40 je fais de l'OMDR, j'ai découvert ça,
00:31:43 et je trouve que moi en tout cas ça m'aide,
00:31:46 mais c'est vrai que je me rends compte aujourd'hui que ma vie
00:31:49 n'était pas normale, c'est-à-dire que j'avais un calendrier dans la tête
00:31:52 où je me disais tous les trois jours,
00:31:55 il faut que j'ai un rapport avec mon mari parce que sinon
00:31:58 il va s'en prendre à mes filles.
00:32:01 J'ai vécu 17 ans comme ça.
00:32:04 - Vous savez Isabelle, on sait à quel point
00:32:07 nos croyances parfois cachent des choses terribles,
00:32:10 et là votre croyance, elle vous protégeait
00:32:13 sans doute de vous-même.
00:32:16 - Parce qu'après,
00:32:19 il y a un an et demi, j'ai commencé à dire qu'il faut parler,
00:32:22 il faut aller raconter, donc quand on a gardé ça pendant plus de 40 ans, c'est pas évident.
00:32:25 - Bien sûr. - Et puis
00:32:28 j'ai cherché à faire un travail sur moi,
00:32:31 et oui, ça fait mal, c'est dur.
00:32:34 Les premiers rendez-vous chez la psy ou les premiers rendez-vous de MDR, on y va,
00:32:37 et on se dit "pourquoi j'y vais ? Parce que j'y vais pour souffrir en fait."
00:32:40 - Oui, c'est vrai.
00:32:43 - Moi je ne suis pas encore au point de Marie où la lumière est venue.
00:32:46 - Oui, c'est vrai qu'au début ça fait souffrir parce que vous aviez mis une bonne carapace,
00:32:49 et vous enlevez la carapace et la peau est à nu, et ça fait souffrir.
00:32:52 - Et puis vous y allez pour comprendre, vous êtes construite avec ça,
00:32:55 et en même temps pour comprendre aussi de là où vous venez, et ça c'est essentiel,
00:32:58 c'est quelque chose qui est assez fort, et vous pouvez
00:33:01 vous dire merci, si je peux dire ça de cette manière-là,
00:33:04 parce que je trouve que c'est essentiel et c'est jamais le plus simple, d'une certaine manière.
00:33:07 C'est vrai qu'il y a une culture du déni dont on parlait juste avant
00:33:10 qui est assez forte, et je trouve ça assez
00:33:13 courageux et fort de votre part d'aller dans ce sens-là.
00:33:16 - Et bien votre témoignage est fort aussi, et puis ce que j'ai envie
00:33:19 de vous dire Isabelle, c'est que vous avez certainement été une bonne maman
00:33:22 pour votre fille, puisqu'elle a osé venir vous dire ça.
00:33:25 Donc, regardez aussi ce joli message.
00:33:31 Merci Isabelle. - Merci Isabelle.
00:33:34 - On va faire une petite pause, on se retrouve dans un instant toujours
00:33:37 avec vos témoignages, bien sûr au 0826 300 300, à tout de suite.
00:33:41 Nous sommes en compagnie de Arnaud Gallet, vous êtes l'auteur de ce livre
00:33:44 "J'étais un enfant" aux éditions Flammarion, dans lequel vous racontez
00:33:47 votre propre parcours d'enfant abusé,
00:33:50 violenté. Quand vous entendez ces témoignages,
00:33:53 j'imagine que c'est un peu votre quotidien
00:33:56 depuis toutes ces années où vous militez justement
00:33:59 sur ces problèmes.
00:34:02 - Ah oui, c'est plus qu'un quotidien, c'est effectivement mon quotidien.
00:34:06 Je dirais que par jour, je dois avoir entre 5 et 10 témoignages
00:34:09 sur mes réseaux, réseaux sociaux et autres, que ce soit
00:34:12 sur Twitter, LinkedIn, Facebook, etc. Enfin tout ce qu'on veut.
00:34:15 TikTok, d'ailleurs j'ai des jeunes qui peuvent m'interpeller.
00:34:18 C'est incroyable, il y a un processus d'identification,
00:34:21 ce que je trouve à chaque fois assez important de souligner,
00:34:24 c'est la pureté des témoignages. C'est vraiment quelque chose
00:34:27 qui est essentiel, on voit bien toute la dignité des victimes.
00:34:30 - Ce que je trouve intéressant aussi,
00:34:33 moi qui écoute souvent des victimes, puisqu'on fait
00:34:36 une émission sur ce sujet relativement régulièrement,
00:34:39 c'est que souvent, c'est un adulte,
00:34:42 mais il y a une sorte de voix d'enfant. Quand on vient d'entendre
00:34:45 Isabelle par exemple, qui a 49 ans,
00:34:48 on sent qu'il y a encore l'enfant très présent
00:34:51 là, et c'est à la fois émouvant
00:34:54 et touchant, et en même temps, ça montre
00:34:57 aussi que c'est difficile de devenir un adulte
00:35:00 quand on a été si mal aidé
00:35:03 quand on était enfant. - Je pense que l'une des conséquences
00:35:06 c'est de rester un peu avec ce regard d'enfant
00:35:09 et d'essayer de se réconcilier avec soi-même
00:35:12 par rapport à ça. C'est tout le sens du titre que j'ai trouvé.
00:35:15 C'est le titre qui est co-écrit avec "Ixchel de la Porte"
00:35:18 et le titre me tenait à cœur, et il a été retenu
00:35:21 par toutes et tous, parce que
00:35:24 je pense que le "J'étais un enfant" veut à mon sens, déjà,
00:35:27 l'article indéfini. C'est-à-dire, j'étais un enfant parmi d'autres, mais c'était
00:35:30 également une manière de rendre hommage à cet enfant
00:35:33 aussi, et je pense que vous avez entièrement raison Brigitte de le souligner.
00:35:36 On a souvent l'impression de regarder encore à cet auteur d'enfant
00:35:39 qu'on est devenu adulte, parce qu'il y a quelque chose qui nous a un peu scotché
00:35:42 dans le temps, d'une certaine manière, et ça c'est un message qui est important en se disant
00:35:45 c'est pour ça qu'il y a bien ce message d'espoir, une fois de plus, qui doit être là-dessus
00:35:48 et de se dire qu'on peut au bout d'un moment grandir et laisser cet enfant
00:35:51 un peu, je ne vais pas dire derrière nous, parce qu'il est toujours en nous,
00:35:54 mais se dire qu'on peut aussi être à hauteur d'adulte. - Bien sûr, bien sûr
00:35:57 et c'est aussi ça qui est important. Séverine, bonjour.
00:36:00 - Bonjour Brigitte, et
00:36:03 bonjour M. Galli. - Bonjour. - Alors
00:36:06 qu'est-ce que vous avez envie de nous raconter Séverine ? Qu'est-ce que vous avez envie de nous dire ?
00:36:09 - Eh bien, voilà, donc dans le
00:36:12 cœur du thème, du sujet, alors pour ma part
00:36:15 j'ai été aussi abusée quand j'étais toute petite
00:36:18 j'avais 7 ans à l'époque, aujourd'hui
00:36:21 j'en ai 48, et donc
00:36:24 j'ai été, enfin, j'ai minimisé beaucoup
00:36:27 les faits, quand je les ai abusées, donc c'est par
00:36:30 des voisins, donc j'ai eu, alors j'ai envie de dire pas de chance
00:36:33 parce que ça a été deux hommes différents
00:36:36 alors pas les deux en même temps, mais dans la même période
00:36:39 alors, en fait, je suis gardée par des voisins parce que
00:36:42 j'avais un petit frère qui était très souffrant, à l'époque il y avait un an
00:36:45 et donc mes parents étaient occupés avec lui à l'hôpital, et donc
00:36:48 on était gardés, alors pas la nuit, mais la journée
00:36:51 par les voisins en fait, donc soit l'un soit l'autre on va dire
00:36:54 et puis les deux en même temps, on va dire, pas les deux en même temps
00:36:57 les deux sur la même période, on profitait, et puis
00:37:00 on abusait de moi, alors
00:37:03 pendant très très longtemps, alors j'en ai parlé à personne
00:37:06 donc c'est sorti, j'avais 32 ans, quand j'ai commencé à en parler
00:37:09 - Vous savez Séverine, je pense qu'il y a eu aussi chez vous
00:37:12 le sentiment un petit peu d'être
00:37:15 abandonnée par vos parents pour le petit frère
00:37:18 ce qui était normal pour vos parents, je suis pas en train de les accuser
00:37:21 évidemment, mais donc ça fragilise
00:37:24 déjà un enfant, ça fragilise
00:37:27 la petite fille de 7 ans que vous étiez - Oui, puis au-delà de l'abandon, j'ajouterais
00:37:30 même que de toute façon c'est un critère de vulnérabilité
00:37:33 c'est-à-dire que vos parents, qui étaient auprès de votre frère
00:37:36 pour de bonnes raisons, forcément, vous êtes aussi un peu
00:37:39 la proie, ce que je disais tout à l'heure sur ma propre histoire avec d'autres choses
00:37:42 mais on voit bien, c'est toujours systématiquement les mêmes mécanismes
00:37:45 pour des prédateurs sexuels - Oui, je pense
00:37:48 qu'alors, j'ai fait un travail depuis quand j'ai commencé
00:37:51 à en parler, alors du bien, grâce pardon
00:37:54 à mon gynécologue, vraiment
00:37:57 purement bêtement, je ne lui attendais absolument pas
00:38:00 alors j'avais pas fait un déni toute cette vie parce que je l'avais dans la tête
00:38:03 je le savais que ça m'était arrivé, mais j'en avais vraiment parlé à personne
00:38:06 parce que j'avais eu très honte
00:38:09 et puis, alors j'en ai un avec qui
00:38:12 ça s'est passé vraiment plusieurs fois, avec des conditions
00:38:15 vraiment plus poussées, plus différentes
00:38:18 et de ce fait, enfin qui me disait qu'il ne fallait pas qu'on en parle évidemment
00:38:21 donc je n'ai rien dit, et puis enfin en allant voir le gynécologue
00:38:24 alors les conséquences de tout ça
00:38:27 ont été différentes, mais
00:38:30 notamment, enfin diverses, mais notamment essentiellement
00:38:33 sur mon corps, où je ne me suis jamais aimée
00:38:36 je me suis dégoûtée, même à temps que c'est tout franc
00:38:39 je me trouvais très moche, très laide
00:38:42 très grosse, alors que je ne suis absolument pas grosse
00:38:45 aujourd'hui, et je ne l'étais pas non plus d'ailleurs
00:38:48 - Donc il y a une sorte de rejet de votre corps en quelque sorte, c'est ça ?
00:38:51 - Oui, et puis je détestais faire l'amour
00:38:54 je trouvais ça répugnant, sale
00:38:57 malodorant, enfin tout
00:39:00 - C'est ce que vous dites aussi, c'est important
00:39:03 la question de l'odeur aussi
00:39:06 il y a des choses comme ça qui ne sont pas toujours
00:39:09 très bien intégrées
00:39:12 mais un problème d'odeur par exemple, si on déteste
00:39:15 une odeur en particulier, alors qu'il n'y a pas de raison, ça peut venir
00:39:18 aussi de quelque chose qui s'est passé lors d'un abus
00:39:21 - Exactement, c'est important, et ça l'est d'autant plus
00:39:24 que finalement, ce dont vous parlez là, c'est aussi cette question de dissociation
00:39:27 c'est-à-dire que vous avez le sentiment dans ce corps
00:39:30 et ça nous arrive beaucoup à nous en tant que victime
00:39:33 on a souvent le sentiment d'être sorti
00:39:36 aussi un peu de ce corps-là, et du coup quand on va vivre
00:39:39 notamment des moments de plaisir ou autre, c'est toujours une ambiguité
00:39:42 forte, qui fait qu'on se demande comment c'est possible
00:39:45 etc, et ça c'est essentiel aussi
00:39:48 il y a un principe de dissociation qu'on appelle la dissociation
00:39:51 traumatique, qui permet malheureusement que
00:39:54 l'impossible, c'est-à-dire les viols, se commettent
00:39:57 et ça c'est essentiel, et c'est vrai que quand on grandit avec ça sans étayage
00:40:00 sans accompagnement pour comprendre la manière dont les choses se sont
00:40:03 passées, ça peut avoir des conséquences dramatiques
00:40:06 y compris au niveau de la sexualité, mais pas que, sur la vie de famille, sur le travail
00:40:09 sur différentes choses, on parlait du burn-out d'ailleurs juste avant
00:40:12 avec une personne qui a rencontré ça au niveau
00:40:15 de son travail, et ça je pense que c'est essentiel
00:40:18 vraiment de porter aussi ce message-là
00:40:21 - Et donc votre gynéco, c'était un homme
00:40:24 c'est ça ? Si j'ai bien compris - Oui c'était un homme
00:40:27 - Vous allez le voir parce que vous avez
00:40:30 j'imagine des problèmes
00:40:33 gynécologiques, et c'est là où
00:40:36 il vous met un petit peu
00:40:39 sur cette piste-là - C'est ça oui tout à fait
00:40:42 alors on allait le voir parce que je faisais
00:40:45 des infections vaginales à répétition
00:40:48 mais tous les mois, tous les mois, tous les mois j'en faisais
00:40:51 et puis alors quand je suis allée le voir
00:40:54 j'avais couché deux ans auparavant
00:40:57 dans le pire fond, et mon épidio était très très
00:41:00 mauvaise on va dire, douloureuse, et donc
00:41:03 j'allais le voir aussi pour ça, et je lui disais
00:41:06 que je lui ai dit "j'ai jamais envie de faire l'amour"
00:41:09 "je déteste ça" parce qu'il m'a dit "on peut refaire l'épidio mais est-ce que
00:41:12 vous êtes sûre de ne pas vouloir 20 fois à nouveau ?" Et j'ai dit "non"
00:41:15 de toute façon, et c'est là où il m'a dit "mais il vous est arrivé quelque chose en étant
00:41:18 plus jeune" et je sais pas ce qu'il s'est passé
00:41:21 je me revois, je me ressens mon corps m'effondrer sur ma chaise
00:41:24 et je lui ai avoué en fait ce qui m'était arrivé
00:41:27 - On en revient aussi à la question du questionnement systématique
00:41:30 au niveau du médecin, c'est intéressant ce que vous dites là, c'est-à-dire que le médecin
00:41:33 vous pose la question et vous êtes arrivé quelque chose
00:41:36 avant, et ça c'est essentiel de porter vraiment ce message là, il y a vraiment
00:41:39 toute une culture à avoir là-dessus, et pas être uniquement sur
00:41:42 le symptôme clinique simplement, et s'arrêter là-dessus
00:41:45 - Oui parce que là au moins vous avancez, vous auriez pu rester encore 10 ans
00:41:48 avec ces douleurs, s'il n'avait pas
00:41:51 osé vous poser cette question là, Séverine
00:41:54 - Effectivement, je l'en suis très reconnaissante aujourd'hui
00:41:57 et puis grâce à ça j'ai entamé, alors ça a été très long pour ma part
00:42:00 parce que j'ai pas voulu, j'ai entamé
00:42:03 toute une démarche avec différents thérapeutes
00:42:06 mais je restais toujours dans une culpabilité
00:42:09 et je voulais pas faire de mal à l'auteur
00:42:12 puisqu'il avait une famille et des enfants, à l'époque déjà
00:42:15 j'avais peur de blesser sa famille et ses enfants, donc je suis restée très
00:42:18 longtemps avec ça, j'ai bloqué un moment
00:42:21 mais toujours est-il que je voulais aussi s'éloigner pour dire que
00:42:24 c'était une erreur, parce qu'aujourd'hui
00:42:27 j'ai malgré tout bien avancé et heureusement
00:42:30 je remercie encore ce gynécologue parce que
00:42:33 grâce à tout ce que j'ai fait, j'ai repris confiance en moi
00:42:36 aujourd'hui je m'apprécie, je m'aime
00:42:39 et j'aime, j'adore faire l'amour maintenant
00:42:42 - Ça fait plaisir à entendre, c'est vrai
00:42:45 - Et je ne suis plus malade, je n'ai plus du tout de gynéque
00:42:48 mais le jour, alors j'ai fait un petit chose
00:42:51 je ne sais pas si je peux l'évoquer, après chaque cas est différent
00:42:54 mais ne serait-ce que je ne voulais pas l'injustice parce que je ne voulais pas
00:42:57 faire de mal à tout le monde, pas aux autres surtout
00:43:00 et j'ai écrit à cette personne en direct parce que je savais
00:43:03 qui c'était, où il habitait, etc. Et le jour où je lui ai écrit
00:43:06 j'ai mis l'enveloppe, alors il m'a fallu des mois et des années avant d'envoyer
00:43:09 ce courrier, mais toujours est-il que je lui ai expliqué ce qui s'était passé
00:43:12 que je ne voulais pas l'injustice mais que j'aimerais échanger avec lui
00:43:15 et mon corps, j'ai senti
00:43:18 quelque chose se passer dans mon corps
00:43:21 - Il a lâché quelque chose ? - Oui, il y a eu quelque chose qui s'est débloqué
00:43:24 - Et vous voyez, ça revient à ce qu'on disait
00:43:27 déjà tout à l'heure, il faut que les mots sortent, il n'y a rien à faire
00:43:30 il faut qu'on puisse dire, qu'on puisse...
00:43:33 après chacun fait ce qu'il veut d'aller ou pas en justice
00:43:36 je crois que c'est l'histoire de chacun
00:43:39 mais c'est important en effet que les mots sortent
00:43:42 je crois, Arnaud Gallet, qu'on va faire
00:43:45 la petite pause réglementaire pour les infos
00:43:48 mais si vous avez envie de réagir au témoignage de Sébrine
00:43:51 juste après les infos, vous pourrez évidemment prendre la parole
00:43:54 si vous aussi vous avez envie de témoigner
00:43:57 quel que soit votre témoignage, si vous avez envie de poser des questions
00:44:00 à Arnaud Gallet, vous pouvez nous appeler sur ce radio 0825
00:44:03 300 300
00:44:06 Nous sommes en compagnie de Arnaud Gallet
00:44:09 vous travaillez sur différentes associations pour essayer
00:44:12 de faire avancer les choses par rapport aux abus sexuels
00:44:15 sur les enfants. Les chiffres sont à peu près
00:44:18 ceux-là, une femme sur quatre, un homme sur six
00:44:21 160 000 enfants par an
00:44:24 2-3 enfants par classe
00:44:27 on voit bien que c'est un vrai sujet de société
00:44:30 c'est certainement comme ça dans tous les pays du monde
00:44:33 je ne pense pas que la France soit plus touchée que ça
00:44:36 quand on sait à quel point les enfants d'aujourd'hui
00:44:39 sont la société de demain, peut-être qu'il serait temps
00:44:42 que tout le monde considère que c'est peut-être
00:44:45 le sujet le plus essentiel à prendre en charge
00:44:48 Tout à fait, c'est essentiel
00:44:51 je suis d'accord sur les chiffres, on regarde bien
00:44:54 certains pays voisins, comme par exemple en Écosse ou en Belgique
00:44:57 ils ont quand même agi de manière considérable en étant un peu plus fermes
00:45:00 notamment sur les peines de prison qu'en France et sur une réponse pénale
00:45:03 un peu plus importante. Il y a eu des impacts
00:45:06 au niveau de la récidive. En France aujourd'hui
00:45:09 il faut savoir que 73% des plaintes pour viol
00:45:12 par enceinte mineure sont classées sans suite
00:45:15 ça ne veut pas dire que ça n'a pas eu lieu, c'est-à-dire que ce n'est pas suffisamment caractérisé
00:45:18 et c'est là-dessus qu'on a travaillé et nous on demande
00:45:21 je dis nous, collectivement, mais aussi au niveau de la commission indépendante
00:45:24 sur l'inceste et les violences sexuelles faites aux enfants
00:45:27 on demande qu'il y ait un peu plus de volonté politique sur cette question
00:45:30 pour être en capacité de limiter cette récidive
00:45:33 et donc de préserver, sauver des enfants
00:45:36 pour le dire de cette manière-là, et également accompagner des agresseurs
00:45:39 des auteurs, ce qu'on ne fait pas suffisamment. Il y a un vrai tabou là-dessus
00:45:42 où finalement les victimes sont un peu laissées seules et on laisse aussi
00:45:45 les agresseurs libres de faire un peu ce qu'ils veulent
00:45:48 - Alors que certains peuvent être soignés tous, non ?
00:45:51 - Exactement, et ça c'est important de le dire - Mais certains peuvent être soignés absolument
00:45:54 - D'ailleurs j'étais venu sur une émission ici même
00:45:57 où il y avait une personne, je me rappelle, c'était une psychologue
00:46:00 en prison, en détention, auprès notamment d'agresseurs
00:46:03 et qui disait bien qu'il y a un travail qui était possible avec certains
00:46:06 ça leur permet aussi de mieux comprendre, pour certains qui ont pu être victimes
00:46:09 tout le monde ne l'est pas, on parle à peu près d'une personne sur deux
00:46:12 de mieux comprendre et donc d'éviter la récidive
00:46:15 et ça c'est un travail qui est assez fort, on parle beaucoup des victimes et c'est extrêmement important
00:46:18 bien entendu, je ne vais pas vous dire le contraire, mais le message qu'a apporté
00:46:21 c'est un message aussi républicain, il faut absolument que les agresseurs
00:46:24 les auteurs soient également accompagnés, suivis
00:46:27 il n'y a pas suffisamment de moyens pour eux
00:46:30 - Il y a beaucoup à dire, beaucoup à faire
00:46:33 on va continuer Arnaud Gallet avec Cathy qui prend la parole
00:46:36 sur ce radio, bonjour Cathy
00:46:39 - Oui bonjour, bonjour M. Gallet
00:46:42 - Alors vous, vous avez été abusé par un inconnu
00:46:45 qui vous a "alpagué"
00:46:48 si je puis dire, dans la rue, c'est ça ?
00:46:51 - Oui c'est ça, je suis un peu émue
00:46:54 parce que je me suis dit de raconter ça à l'antenne
00:46:57 c'est un peu bizarre, mais c'est important d'avoir un témoignage
00:47:00 - Bien sûr, bien sûr
00:47:03 - Alors en fait j'avais 8 ans et j'allais chercher mon amie
00:47:06 pas comme tous les enfants
00:47:09 ça se gère, on joue dehors, voilà, donc j'allais chercher ma copine
00:47:12 et puis je rentre dans un immeuble et un homme me suit
00:47:15 et je n'ai pas prêté attention
00:47:18 mais après voilà, il m'a attrapée
00:47:21 et je suis sortie à faire une sélation
00:47:24 donc j'ai compris plus tard que c'était vraiment un viol
00:47:27 parce que moi j'appelais ça un attouchement
00:47:30 mais c'est un viol effectivement
00:47:33 - Bah oui, puisqu'il y a pénétration dans votre bouche, Cathy
00:47:36 - Oui - Et vous avez, donc vous
00:47:39 évidemment j'imagine l'effroi quand vous subissez ça
00:47:42 est-ce que vous avez pu en parler ou est-ce que vous avez gardé ça pour vous ?
00:47:45 - Non en fait
00:47:48 tout de suite j'ai appelé mon père
00:47:51 je suis allée donc chez mon ami qui m'attendait
00:47:54 je me suis fait violer et j'ai appelé mon père
00:47:57 qui est venu me chercher, qui m'a emmené chez Jean-Gilles Nico
00:48:00 mais je n'ai pas eu de suivi psychologique
00:48:03 en fait
00:48:06 ça s'est arrêté là, en fait on a été voir ce qui se passait
00:48:09 en bas, il n'y avait pas eu de pénétration
00:48:12 mais au niveau psychologique
00:48:15 - Alors c'est important ce que vous dites parce que ça
00:48:18 j'imagine, je ne sais pas quel âge vous avez mais c'était il y a déjà quelques années
00:48:21 - Oui j'ai 44 ans aujourd'hui - Oui donc c'était
00:48:24 il y a 30 ans, on parlait beaucoup moins de tout ça
00:48:27 donc je suppose que votre père il a cru bien faire
00:48:30 le gynéco aussi, mais c'est pas parce qu'il n'y a pas eu
00:48:33 d'abus en bas, comme vous le dites si joliment
00:48:36 que c'est pas un viol et que c'est pas un abus
00:48:39 et le traumatisme
00:48:42 il est là quoi
00:48:45 - On rappelle même que la pénétration digitale est reconnue
00:48:48 depuis peu comme un viol mais qu'il y a énormément
00:48:51 de situations comme celle-là qui nous remontent quand même
00:48:54 d'ailleurs c'est important ce que vous dites parce que vous parlez
00:48:57 pensez que c'est un attouchement etc. il y a vraiment cette confusion
00:49:00 et qui est tout simplement vous voyez, il y a une vraie stratégie
00:49:03 des agresseurs aussi à vouloir banaliser ce qui s'est passé d'une certaine manière
00:49:06 y compris d'ailleurs quand ça vient de quelqu'un d'extérieur
00:49:09 on a le sentiment bien souvent que ce sont des attouchements et donc on a mal
00:49:12 les choses et c'est vrai que quand on parle de viol d'ailleurs ou d'inceste
00:49:15 on a du mal un peu à voir ce qui se passe et je trouve que dans votre témoignage
00:49:18 ce qui est important c'est de nommer les choses et de se rendre compte aussi
00:49:21 de la violence que ça suppose et c'est vrai que c'est
00:49:24 dur, certains termes comme fellation
00:49:27 sodomie ou autre sont des fois très durs à entendre mais ça nous permet
00:49:30 de nous rendre compte aussi de ce que ça représente pour un enfant âgé d'huit ans
00:49:33 qui ne comprend pas du tout une fois de plus ce qu'il se passe
00:49:36 parce qu'il y a une situation qui est forcément
00:49:39 qui conduit à une forme de sidération et puis qui est hyper violente pour l'enfant
00:49:42 Tout à fait, certainement que
00:49:45 Oui pardon, allez-y Cathy
00:49:48 Ce que je voulais juste dire c'est que les suites c'est que forcément
00:49:51 on est immature sexuellement
00:49:54 justement faire une fellation c'est difficile
00:49:57 c'est des choses qui nous marquent à vivre
00:50:00 et j'ai travaillé beaucoup dessus forcément
00:50:03 j'ai fait beaucoup de progrès mais je pense qu'il y a encore
00:50:06 des choses à faire pour me débloquer à ce niveau-là
00:50:09 Bien sûr mais Cathy vous avancez
00:50:12 à votre vitesse et en tout cas
00:50:15 ce qui est quand même important c'est que votre père vous a cru
00:50:18 et vous a écouté donc déjà ça c'est
00:50:21 quand même quelque chose d'important
00:50:24 Et vous n'avez pas été à la police ? Vous n'avez pas été déposer plainte ?
00:50:27 Oui c'est vrai on a été à la police
00:50:30 On n'a jamais retrouvé, en tout cas je n'ai pas eu connaissance
00:50:33 mais je pense qu'on a jamais retrouvé l'auteur
00:50:36 ce qui aurait été un soulagement aussi de savoir qu'il n'était plus dans la nature
00:50:39 Là ça veut dire que votre père vous protège
00:50:42 et ça je pense que c'est essentiel Brigitte
00:50:45 dans votre témoignage c'est qu'il y a quand même ce souci de vouloir
00:50:48 et vous croire et vous protéger et ça c'est important
00:50:51 malheureusement quelle que soit l'issue
00:50:54 on n'arrive pas à le retrouver, des fois l'issue c'est même un classement sans suite
00:50:57 la solution c'est de croire l'enfant et de le protéger
00:51:00 c'est le fameux "je te crois, je te protège" qui est essentiel
00:51:03 et qui arrive, je le rappelais tout à l'heure au niveau des chiffres
00:51:06 que généralement une fois sur dix on dit ça aux enfants
00:51:09 bien souvent on peut leur dire "je te crois mais je ne te protège pas"
00:51:12 pour différentes raisons et que votre père ait agi comme ça c'est très soutenant
00:51:15 Oui c'est vrai
00:51:18 Et puis de toute façon si vous avez pu
00:51:21 aller en parler à votre père c'est que quelque part vous aviez
00:51:24 confiance dans votre père
00:51:27 Oui tout à fait, c'est vrai qu'on parlait facilement
00:51:30 pas forcément de sexualité mais on avait
00:51:33 une bonne communication donc je ne vois pas pourquoi
00:51:36 je regardais ça pour moi, surtout que c'est quelque chose d'afro
00:51:39 qui vous arrive et...
00:51:42 Oui mais ce qu'il faut bien comprendre Gatti c'est que de toute façon vous aviez huit ans
00:51:45 vous êtes face à un adulte, vous ne pouviez pas vous défendre
00:51:48 c'est quelque chose qu'il faut vraiment que vous acceptiez
00:51:51 de comprendre que c'était perdu d'avance
00:51:54 en quelque sorte. Oui mais c'est tout à fait ça la sidération
00:51:57 dont on parlait tout à l'heure, c'est à dire que je me retourne, je vois un homme
00:52:00 qui sort son sexe, c'est une sidération
00:52:03 je suis restée pétrifiée
00:52:06 et effectivement si j'avais été différente
00:52:09 j'aurais été courue, j'aurais été criée, je ne sais pas
00:52:12 en tout cas c'était vraiment une sidération
00:52:15 Vous savez Gatti c'est très rare qu'un enfant
00:52:18 puisse avoir un réflexe d'agressivité
00:52:21 c'est la sidération
00:52:24 les 99% des cas, donc il n'y a vraiment pas
00:52:27 à vous en vouloir. Maintenant
00:52:30 que vous ayez aujourd'hui encore
00:52:33 un problème avec la fellation ou du dégoût
00:52:36 je ne sais quoi, j'imagine que
00:52:39 s'il a éjaculé dans votre bouche, il y a quelque chose qui restera
00:52:42 certainement marqué parce que
00:52:45 même quand on est adulte c'est pas très agréable
00:52:48 donc quand on a 8 ans c'est inacceptable
00:52:51 Oui, tout à fait, j'ai la chance d'avoir un mari
00:52:54 qui est très compréhensif et je sais qu'il aimerait
00:52:57 que j'en fasse plus
00:53:00 mais par contre quand j'arrive enfin
00:53:03 à lui faire cette fellation, c'est hors de question
00:53:06 qu'il éjacule dans ma bouche, ça par contre
00:53:09 C'est indispensable, parce que sinon ça vous referait
00:53:12 à des flashbacks
00:53:15 C'est toute la question du consentement
00:53:18 qui est posée également, donc c'est important
00:53:21 Il aimerait que je le fasse plus
00:53:24 ça je le sais et je sais très bien que les hommes sont friands de ça
00:53:27 mais moi j'ai fait des efforts mais je ne peux pas
00:53:30 je n'arrive pas à faire plus
00:53:33 C'est déjà bien, tant qu'il doit en apprécier
00:53:36 encore plus le prix puisqu'il sait ce que ça signifie
00:53:39 pour vous, donc c'est très bien
00:53:42 Et puis vous savez, Cathy
00:53:45 c'est pas non plus un passage obligé
00:53:48 la fellation, il ne faut pas
00:53:51 donc c'est très très bien
00:53:54 Et en même temps le fait que vous puissiez le faire c'est bon signe aussi
00:53:57 parce que ça prouve que quelque part vous avez réussi
00:54:00 à dépasser la petite fille de 8 ans qui a subi ça
00:54:03 Oui c'est vrai, j'ai beaucoup
00:54:06 travaillé dessus, j'ai été bien épaulée par des thérapeutes
00:54:09 mais bon c'est vrai
00:54:12 je souffre d'anxiété, de stress chronique
00:54:15 et c'est vrai que l'autre fois j'ai écouté une de vos émissions
00:54:18 qui parlait des enfants abusés
00:54:21 et tout ce que ça pouvait provoquer dans la vie future
00:54:24 et je me suis vraiment retrouvée parce que
00:54:27 voilà, on a des troubles qui sont
00:54:30 vraiment très désagréables
00:54:33 pour la vie
00:54:36 On a des conséquences multiples et on le voit bien
00:54:39 ne serait-ce que moi dans mon témoignage également, je rejoins parfaitement
00:54:42 ce dont je parle dans mon livre
00:54:45 avec des conséquences que soit pour ma part au niveau
00:54:48 de déficience respiratoire, que soit également au niveau du coeur
00:54:51 mais on voit bien aussi, vous voyez quand je fais un parallèle
00:54:54 avec les 27 000 témoignages reçus par la commission indépendante sur l'inceste
00:54:57 et les violences sexuelles faites aux enfants en 2 ans
00:55:00 on a énormément de personnes qui nous parlent
00:55:03 de conséquences psychotraumatiques qui ne sont pas des moindres
00:55:06 et qui font qu'effectivement, malheureusement, aujourd'hui, quand on prend cette parole tardivement
00:55:09 il peut y avoir des conséquences qui jouent sur l'espérance de vie
00:55:12 et c'est aussi ce message-là qu'il faut porter
00:55:15 et après c'est un message d'espoir et de lucidité, je pense qu'il faut avoir
00:55:18 et ça c'est important, je trouve
00:55:21 si je peux me permettre de le dire ainsi, toute la lucidité de votre témoignage
00:55:24 c'est de parler des choses qui sont de l'ordre de l'abus
00:55:27 du crime, de l'intolérable et en même temps
00:55:30 dire qu'il y a quelque chose qui est possible, quelque chose qui peut être de l'ordre du plaisir
00:55:33 du sexe, etc., qui n'est pas du tout du même champ
00:55:36 et qui fait que c'est tout l'espoir que ça doit susciter
00:55:39 c'est le témoignage de l'auditrice juste avant vous
00:55:42 qui nous disait qu'aujourd'hui, on peut même avoir du plaisir à faire l'amour
00:55:45 et c'est important, je pense, et de ne pas mélanger les choses
00:55:48 parce qu'il y a cet effet de sidération dont vous parlez d'ailleurs
00:55:51 qui est très fort, et je rappelle juste l'effet de sidération
00:55:54 quand on a enfant, il existe, mais il existe aujourd'hui aussi
00:55:57 où dans le train, peu importe, vous avez un exhibitionniste
00:56:00 la plupart des gens sont troublés, il y a un effet de sidération
00:56:03 qui existe, alors forcément quand vous êtes enfant, je pense
00:56:06 qu'il est encore plus important, parce que vous êtes en plus plus petit
00:56:09 il y a un rapport de force qui est différent, et tout ça
00:56:12 je pense que vous voyez dans votre témoignage, moi ce qui me marque
00:56:15 et c'est vraiment un cri que je lance également dans mon bouquin, si je peux le dire ainsi
00:56:18 c'est de se dire aussi qu'il y a quelque chose qui est possible, qui est difficile, certes
00:56:21 avec des conséquences, mais quand même, on peut y arriver, on peut également prendre du plaisir
00:56:24 et ça c'est essentiel, de pouvoir porter cette parole
00:56:27 et qu'on la porte collectivement, et je m'associe à ce que vous dites
00:56:30 - Merci Cathy de ce témoignage
00:56:33 vous avez fait votre part, vous aussi, et on continue
00:56:36 avec Arnaud Gallet jusqu'à 16h avec vos témoignages
00:56:39 je crois qu'on va avoir des hommes qui témoignent, et c'est important aussi
00:56:42 que les hommes prennent la parole
00:56:44 Toujours en compagnie de Arnaud Gallet, auteur de ce livre
00:56:47 "J'étais un enfant" aux éditions Flammarion
00:56:50 si vous n'avez pas subi de violence sexuelle, que vous voulez comprendre
00:56:53 tout ce que ça peut provoquer comme répercussions
00:56:56 sur notre santé, sur notre confiance en nous
00:56:59 confiance dans les autres, je vous invite vraiment à le lire
00:57:02 ça se lit un peu comme un roman, même si c'est
00:57:05 malheureusement, tout ce qui est raconté, c'est réellement passé
00:57:08 alors des hommes, c'est bien aussi qu'ils puissent témoigner
00:57:11 bonjour Fabrice
00:57:14 - Bonjour Brigitte, bonjour Arnaud
00:57:17 - Donc vous, c'est votre fils, je crois, qui a subi des violences
00:57:20 c'est ça ?
00:57:23 - C'est ça, je me suis séparé à l'âge d'un an de mon fils
00:57:26 et un an après, j'ai sa meilleure amie, la mère de mon fils
00:57:29 qui m'a recontacté, au début j'ai pensé à une machination entre les deux
00:57:32 puis en fait non, elle m'a recontacté parce qu'elle a vu justement des violences
00:57:35 sur mon fils, du genre qui était
00:57:38 qu'en fait elle ne le supportait pas, elle lui criait dessus alors qu'il n'avait que un an
00:57:41 elle ne le supportait pas, elle ne voulait pas la voir
00:57:44 elle ne voulait pas de gosses, comme elle a déclaré dans ses messages d'exemple
00:57:47 qu'elle avait des relations avec cette personne là
00:57:50 donc j'ai fait un signement au 119 parce que j'ai récupéré tous les messages
00:57:53 avec cette fameuse amie, elle en a fait un aussi
00:57:56 et donc en gros dans ces messages là, c'était
00:57:59 "je ne voulais pas de gosses, je suis à deux doigts de m'exploser, je vais le tuer
00:58:02 je ne le supporte pas, je lui grille dessus, il ne comprend rien
00:58:05 enfin tout le genre comme ça
00:58:08 donc quand j'ai récupéré ces messages là, j'ai déposé des plaintes
00:58:11 qui ont été classées sans suite en fait et qui ont été requalifiées
00:58:14 en abandon d'enfant, chose qui n'avait aucun rapport en fait avec la plainte de départ
00:58:17 le gendarme qui m'a pris l'audition
00:58:20 il m'a dit "je ne comprends pas" et à un autre moment où j'avais un droit
00:58:23 de visite avec mon fils, je l'avais récupéré et quand il était sorti
00:58:26 de la voiture, il était en short et il avait des bleus sur les jambes
00:58:29 au nombre de 14, donc il en avait 8
00:58:32 sur une, sur un petit gars et 6 sur l'autre
00:58:35 et le gendarme quand il a vu
00:58:38 les photos en fait, il m'a dit "mais c'est bizarre, on dirait qu'il a été
00:58:41 attrapé, serré et ainsi de suite"
00:58:44 et une fois que j'ai lui déposé ces plaintes, il n'y a plus jamais rien eu
00:58:47 comme violence sur mon fils et à l'heure d'aujourd'hui
00:58:50 j'ai essayé de me faire entendre pour essayer de récupérer des droits
00:58:53 sur le droit de garde et ainsi de suite, tout ce qui va bien
00:58:56 pour essayer de le défendre et le protéger au maximum
00:58:59 sauf qu'en fait les premières enquêtes m'ont déclaré
00:59:02 comme quoi c'était peut-être moi qui avais écrit les messages
00:59:05 qu'on était très doué en informatique à notre époque, qu'on pouvait faire ce qu'on voulait
00:59:08 donc en gros ils ont mis en place leur enquête
00:59:11 mais tout allait bien, donc ils ont tout classé sans suite
00:59:14 et depuis ça fait 5 ans que je me bats pour ça
00:59:17 et personne ne m'écoute, ni le JAF, ni le juge des enfants
00:59:20 - Et donc votre fils a plus de 6 ans ?
00:59:23 - Il va avoir 5 ans en fait
00:59:26 - Il a 5 ans, il peut commencer à parler quand même
00:59:29 enfin je veux dire, parler je sais qu'il parle
00:59:32 c'est pas ce que je voulais dire, mais il peut commencer peut-être à...
00:59:35 - Vous en avez de temps en temps la garde ?
00:59:38 - Non, on m'en a coupé la garde en fait justement
00:59:41 donc cette année, je l'ai vu depuis septembre, je ne l'ai vu que 5h justement
00:59:44 parce que j'ai filmé sa mère en train de me menacer
00:59:47 - D'accord, donc votre ex, la mère de votre fils
00:59:50 c'est quelqu'un d'assez pervers
00:59:53 et qui visiblement a toujours un coup d'avance sur vous
00:59:56 - C'est ça en fait, elle manipule autant les services sociaux que les juges
00:59:59 - Oui oui, j'entends bien
01:00:02 moi c'est votre témoignage, donc je vous crois
01:00:05 je vois pas pourquoi vous viendriez témoigner pour raconter ce genre d'horreur
01:00:08 donc vous avez certainement à faire
01:00:11 à quelqu'un qui est particulièrement pervers
01:00:14 votre fils est en danger
01:00:17 et là je pense que c'est important que vous preniez conscience
01:00:20 que vous avez à faire à quelqu'un qui de toute façon
01:00:23 a toujours un coup d'avance sur vous
01:00:26 - J'ai une petite question, pardon
01:00:29 dans la continuité des propos de Brigitte
01:00:32 est-ce que votre fils a un avocat, pardon une avocate
01:00:35 est-ce que vous avez saisi une association
01:00:38 vous savez des fois vous avez certaines associations comme Enfance et Partage
01:00:41 comme Innocence en danger et d'autres
01:00:44 qui se portent partie civile dans certaines situations
01:00:47 ce qui permet aussi d'une certaine manière qu'il n'y ait pas forcément un classement sans suite
01:00:50 parce qu'elles vont représenter les intérêts de votre enfant
01:00:53 - J'ai adhéré à une association
01:00:56 genre SOS Papa
01:00:59 leur proposition c'était d'avoir un avocat gratuit pour le premier entretien
01:01:02 pour voir ce qui était possible de faire derrière
01:01:05 mais par contre après il n'y a pas de suite particulière sur le soutien ou quoi que ce soit
01:01:08 donc j'ai ma nouvelle compagne qui me soutient beaucoup dans les démarches
01:01:11 j'ai mes parents
01:01:14 après son avocat, la mère de mon fils
01:01:17 - Peut-être que vous pouvez vous rapprocher
01:01:20 de l'école où il va
01:01:23 - Ça a déjà été fait, j'ai fait toutes les démarches
01:01:26 j'ai redéposé une plainte il n'y a pas tellement longtemps par rapport à cette question
01:01:29 - Excusez-moi Fabrice je vous coupe
01:01:32 mais je crois que ce serait important que vous puissiez
01:01:35 être en relation avec l'institutrice
01:01:38 de votre fils
01:01:41 - J'ai fait toutes les démarches qui étaient inimaginables et possibles à l'heure actuelle
01:01:44 - Parce que si votre fils dit quelque chose
01:01:47 là peut-être que ça va faire bouger les choses
01:01:50 - Le problème c'est que mon fils en fait il ne parle pas
01:01:53 et je ne le vois pas en fait donc je ne peux pas le faire parler
01:01:56 - Je sais bien que vous ne le voyez pas, j'ai compris
01:01:59 - A chaque fois que je l'ai vu j'étais entouré donc je ne pouvais pas le faire parler
01:02:02 comme j'étais sous surveillance
01:02:05 donc je ne peux pas interagir avec lui pour essayer de lui extirper des mots
01:02:08 ou avoir des indices qui ferait croire que ça se passe très mal
01:02:11 et je ne les ai plus ces instants là
01:02:14 - Et les photos vous les avez quand même quand il était bébé ?
01:02:17 - Non, elles ont été transmises à la justice
01:02:20 tous les messages ont été transmis, il y a eu un procès-verbal fait par le gendarme
01:02:23 de mon domicile, il y a eu des plaintes
01:02:26 donc dernièrement pour des accusations qui allaient à mon encontre
01:02:29 - Oui bien sûr mais c'est la définition du pervers
01:02:32 elle se retourne contre vous et du coup c'est presque vous
01:02:35 qui devenez le coupable, je sais bien
01:02:38 - Le problème c'est que la justice refuse de croire malgré toutes les preuves
01:02:41 que j'amène par A+B qui sont avérées avec des témoignages
01:02:44 - Tout le monde a du mal en fait
01:02:47 - Ce qui est compliqué dans ces histoires là aussi, je ne connais pas
01:02:50 la singularité de votre histoire bien évidemment, c'est encore une fois
01:02:53 le risque qu'on prend pour les enfants à vous entendre
01:02:56 on a certaines situations où la justice va pas assez vite
01:02:59 par exemple pour protéger certains enfants
01:03:02 où il y a un soupçon d'inceste etc.
01:03:05 et donc on laisse l'enfant chez le père, enfin chez la mère peu importe
01:03:08 mais c'est encore une fois le risque qu'on prend en le laissant
01:03:11 ou même gardé par le parent autant que tel
01:03:14 donc c'est ça qu'on ne comprend pas, il y a un risque qui est pris
01:03:17 que l'enfant soit exposé de nouveau aux violences avec toutes les conséquences
01:03:20 que ça présente et surtout avec le risque que l'enfant ne prenne plus la parole derrière
01:03:23 - On voit bien, l'enfant il est muet
01:03:26 il est complètement sidéré si je puis dire
01:03:29 écoutez Fabrice
01:03:32 je vous entends et je sais que malheureusement
01:03:35 on a des cas comme ça
01:03:38 donc moi je sais pas
01:03:41 je sais pas quoi vous dire, ne lâchez rien
01:03:44 et puis essayez surtout de bien comprendre
01:03:47 que quand vous êtes avec des personnes avec qui vous essayez d'avancer
01:03:50 essayez surtout de bien comprendre
01:03:53 qu'il faut que votre manière d'agir
01:03:56 soit totalement silencieuse
01:03:59 pour qu'elle ne soit pas au courant
01:04:02 de ce que vous êtes en train de faire
01:04:05 parce qu'il y a toujours un coup d'avance sur vous
01:04:08 et c'est ça qui est tellement difficile avec ce genre de personnes
01:04:11 bon courage Fabrice, mais merci de ce témoignage
01:04:14 parce que là aussi c'est une violence sur enfant et c'est inacceptable
01:04:17 et bien sûr
01:04:20 si vous avez envie de réagir au témoignage de Fabrice
01:04:23 si vous avez quelque chose à proposer
01:04:26 on sera prêt à vous donner la parole évidemment aussi sur CIDRADIO
01:04:29 parce que là aussi il y a "Enfance en danger"
01:04:32 Arnaud Gallet est toujours avec nous
01:04:35 auteur de ce livre "J'étais un enfant" aux éditions Flammarion
01:04:38 Estelle, bonjour
01:04:41 - Bonjour à vous deux
01:04:44 - Je vais finir par croire que 8 ans c'est l'âge stratégique pour subir de la violence
01:04:47 Estelle, c'est aussi à l'âge de 8 ans que vous avez été violée, c'est ça ?
01:04:50 - Oui, entre mes 8 et 10 ans
01:04:53 disons que la justice a pu retrouver la date
01:04:56 puisque je souffrais d'amnésie traumatique
01:04:59 J'ai aujourd'hui 47 ans mais il y a 20 ans
01:05:02 j'ai porté plainte contre mon agresseur
01:05:05 puisque ça faisait 2 ans que j'étais maman
01:05:08 et que je n'arrivais pas à me sentir mère
01:05:11 et puis c'était surtout le voir prendre ma fille dans mes bras
01:05:14 je me suis dit "non c'est pas possible, ça va se reproduire, il va lui faire du mal"
01:05:17 - C'était qui votre agresseur ? C'était donc quelqu'un de la famille j'imagine ?
01:05:20 - Tout à fait, puisque c'est le mari d'une de mes soeurs
01:05:23 - D'accord
01:05:26 - Un beau frère - Voilà, tout à fait
01:05:29 - Et vous voyez, une fois de plus
01:05:32 Estelle, je le souligne, une fois de plus c'est quand vous avez un enfant
01:05:35 que ça devient insupportable
01:05:38 et c'est donc pour protéger votre enfant que vous prenez enfin soin de vous
01:05:41 et ça c'est vraiment important de l'entendre
01:05:44 parce que je crois que c'est de soi qu'il faut prendre soin
01:05:47 bon maintenant
01:05:50 c'est pas simple, ça montre bien à quel point
01:05:53 j'imagine que vous étiez tue parce que
01:05:56 vous ne vouliez pas vis-à-vis de votre fils
01:05:59 - Alors le contexte, comme beaucoup de contextes
01:06:02 je vis en Vendée, des familles très catholiques
01:06:05 des grandes fratries, on ne brise pas la famille
01:06:08 on ne brise pas l'homméritage, j'ai eu la chance que mes parents me soutiennent
01:06:11 c'est la vie de mes soeurs donc pour ça c'est un cadeau du ciel
01:06:14 voilà, mais bien sûr j'étais bannie de toute ma famille
01:06:17 et puis surtout j'ai tenté de me reconstruire
01:06:20 après j'ai eu de la chance d'avoir mon avocat
01:06:23 qui à l'époque m'a dit pour la première fois quand je suis rentrée dans son cabinet
01:06:26 moi je découvrais tout ça, et qui m'a dit "n'attendez pas à la justice
01:06:29 pour vous reconstruire" - Oui bien sûr
01:06:32 - Donc il y a eu de grandes procédures
01:06:35 et il y a eu un non-lieu pour prescription
01:06:38 donc toute ma vie a volé en éclats
01:06:41 donc j'ai continué à me reconstruire
01:06:44 et puis j'ai rencontré quelqu'un quelques années plus tard
01:06:47 ma fille avait 8 ans
01:06:50 et on a vécu une dizaine d'années ensemble
01:06:53 j'ai eu deux enfants avec lui, j'ai aimé cet homme
01:06:56 j'ai désiré avoir des enfants avec lui
01:06:59 et puis au bout de 10 ans votre fille
01:07:02 trouve enfin la preuve qu'elle voulait
01:07:05 en fait elle me présente une caméra
01:07:08 il avait mis des caméras dans sa chambre
01:07:11 il l'a photographié en fait nue et il la filmait
01:07:14 voilà, donc moi qui croyais avoir protégé ma fille
01:07:17 j'ai fait rentrer de nouveau le loup dans la bergerie
01:07:20 donc là tout s'écroule
01:07:23 - Oui mais si vous n'aviez pas vous été abusé
01:07:26 vous n'auriez peut-être sans doute pas choisi ce genre de...
01:07:29 - Je suis d'accord avec vous
01:07:32 parce qu'en fait tout ce cheminement que j'ai compris
01:07:35 - Bah oui donc vous n'êtes coupable de rien encore une fois
01:07:38 c'est en amont
01:07:41 mais la culpabilité c'est tout ce travail là qu'on a
01:07:44 nous les enfants victimes de violences sexuelles
01:07:47 il y a cette culpabilité à travailler
01:07:50 et puis quand on est une maman la société elle dit vous devez protéger vos enfants
01:07:53 - Bien sûr et puis il y a quelque chose qu'on a du mal à voir
01:07:56 ce que vous dites là par rapport aux caméras
01:07:59 c'est que, on le disait en rentraînement pour tout vous dire
01:08:02 avec Brigitte, c'est que la France c'est quand même le 4ème pays
01:08:05 hébergeur de contenu cyberpédocriminel au monde
01:08:08 le 2ème en Europe
01:08:11 et que la majorité, enfin 90% des contenus en Europe
01:08:14 c'est bien souvent de l'inceste
01:08:17 ça veut dire que ce sont des images qui sont capturées par des personnes
01:08:20 de la famille qui filment les enfants etc
01:08:23 et on a souvent un imaginaire un peu populaire
01:08:26 qui viserait à dire que ça se passe aux Philippines, ce qui est vrai
01:08:29 mais c'est pas la majorité, la majorité
01:08:32 ça se passe à côté de chez nous et ça on a plutôt du mal à le voir
01:08:35 - Donc voilà, et aujourd'hui mon témoignage
01:08:38 c'est pour dire qu'il y a un après en fait
01:08:41 j'ai eu un suivi, j'ai mis en place
01:08:44 j'ai ma p'tite 4 qui me suit depuis des années
01:08:47 j'ai l'écriture qui m'a beaucoup aidée, j'ai la musique
01:08:50 l'art qui m'a beaucoup aidée
01:08:53 et puis j'ai fait une formation il y a un an
01:08:56 qui se passe sur un week-end, je ne sais pas si vous, je pense qu'à Arnaud Gallé
01:08:59 vous connaissez cette association qui est SDS
01:09:02 - Oui tout à fait, bien sûr
01:09:05 - Et donc sur le 85 il y a une antenne
01:09:08 à Saint-Gilles Croatie et donc ils font une formation 2 fois par an
01:09:11 sur un week-end, donc ça c'est génial
01:09:14 voilà et puis j'y suis allée
01:09:17 et en fait j'ai compris lors de
01:09:20 cette formation que j'étais guérie de mon trauma
01:09:23 - Oui mais ce qui est formidable dans cette association c'est qu'elle travaille sur le corps
01:09:26 stop aux violences sexuelles, vraiment c'est bien de le rappeler
01:09:29 de le signaler
01:09:32 je trouve qu'il y a vraiment quelque chose de très très très
01:09:35 bien par rapport au corps justement
01:09:38 - Tout à fait, mais aujourd'hui parce que j'ai eu tout un
01:09:41 cheminement depuis 2 ans et demi, 3 ans pour me reconstruire
01:09:44 parce que quand il vous arrive ça vous vous dites "ok bon, je me suis mal construite
01:09:47 mais maintenant je fais quoi ? Je fais un reset et il faut que je me
01:09:50 reconstruise avec ce que je suis au fond de moi-même
01:09:53 et que je construise cette estime de foi
01:09:56 que j'essaie. Je remercierai la CIVIF
01:09:59 qui m'a aidée puisque j'ai pu
01:10:02 en septembre 2021, j'ai écrit un mail
01:10:05 et j'ai pu ensuite être auditionnée par
01:10:08 Madame Mathieu et Madame Belavong
01:10:11 par Wexham - Oui, par le fond de tombe
01:10:14 - Oui, pardon, je m'excuse - Non y'a pas de soucis
01:10:17 - Donc ça m'a fait un bien fou et puis surtout aujourd'hui
01:10:20 par rapport à la CIVIF, c'est génial
01:10:23 on sait aujourd'hui que... qu'est-ce qu'elle va
01:10:26 devenir et aussi aujourd'hui je voudrais vous remercier
01:10:29 M. Gallet parce que j'ai en fait entendu parler de votre livre
01:10:32 je m'excuse, je ne l'ai pas lu parce que bon je pense que ça me fait trop
01:10:35 trop et aujourd'hui j'ai envie
01:10:38 d'autre chose, j'ai envie d'espoir, j'ai envie de donner d'espoir
01:10:41 et comme vous, ça m'énerve quand on me dit
01:10:44 dans mon entourage, des potes, "t'es super courageuse
01:10:47 de vivre ça" parce qu'aujourd'hui je me bats pour mes 2 petits-enfants
01:10:50 notamment ma fille que je dois
01:10:53 remettre tous les 15 jours au papa qui quand même
01:10:56 est fiché fils est reconnu
01:10:59 vétocriminel puisqu'il a été condamné, voilà je me bats
01:11:02 pour lui faire retirer son autisme parental - Oui bien sûr
01:11:05 - Oui mais c'est pas gagné - Bah j'entends
01:11:08 - Donc ok - Les aberrations de la justice encore une fois
01:11:11 - Bah voilà, mais voilà, aujourd'hui c'est pas la
01:11:14 temps d'une aberration, je pense que si on avait plus de moyens, si on avait une volonté
01:11:17 du gouvernement, de notre état, de mettre des moyens
01:11:20 parce qu'on connait maintenant, on sait, la CIVI
01:11:23 27 000 témoignages c'est pas rien et c'est qu'un tout petit
01:11:26 c'est qu'une petite souris parce qu'il y en a bien plus, on le sait bien
01:11:29 mais que fait-on ? Qu'est-ce qu'on fait aujourd'hui ?
01:11:32 Et c'est vrai que là je vous rejoins parce que ok
01:11:35 on est courageux de parler, oui mais si on parle
01:11:38 si on témoigne, si on veut autre chose pour nos enfants
01:11:41 moi aujourd'hui je sors du bois parce que
01:11:44 je veux plus avoir peur pour mes enfants et mes futurs petits-enfants
01:11:47 on le sait, c'est depuis
01:11:50 la nuit des temps, alors aujourd'hui la société évolue
01:11:53 il y a une mi-tour, donc certes c'est bien, M. Macron a mis la CIVI
01:11:56 en place, mais M. Macron aujourd'hui il faudra qu'il dise "ok, on a pris acte
01:11:59 on accepte, mais qu'est-ce qu'on fait maintenant
01:12:02 et qu'est-ce qu'on peut faire ?" - C'est nos députés
01:12:05 c'est nos députés, hein Estelle
01:12:08 - Ce sont les députés mais c'est également le gouvernement
01:12:11 - C'est le gouvernement - C'est vrai que là vous avez raison, ce sont les députés sénateurs
01:12:14 il y a des questions de loi, etc. mais il y a aussi une question de volonté politique
01:12:17 volonté politique qui viserait à dire que la CIVI aujourd'hui a fait
01:12:20 une vingtaine de préconisations, sur la vingtaine
01:12:23 de préconisations, même si on attend le rapport final, il faut savoir qu'il y en a une seule
01:12:26 qui a été retenue, à savoir le spot télé
01:12:29 et donc c'est vrai qu'on peut s'imaginer qu'il y a d'autres choses, c'est-à-dire que
01:12:32 notamment, je sais pas, toute la question de l'accompagnement, psychotrauma
01:12:35 etc. en fait partie, on voit bien que pour la justice, qu'on dise qu'une réforme
01:12:38 de la justice soit un peu plus ambitieuse, longue, etc.
01:12:41 je peux l'entendre, même s'il y a beaucoup à faire, mais c'est vrai qu'on peut
01:12:44 imaginer des moyens un peu supplémentaires au regard de
01:12:47 ce que ça dit. Et c'est vrai que là où je vous rejoins, c'est que le maintien
01:12:50 de la CIVI en tant que tel, là où il est important, donc de la fameuse commission
01:12:53 indépendante par an sur l'inceste et les violences sexuelles faites aux enfants
01:12:56 c'est que, en réalité, vous voyez, je parlais du soutien social tout à l'heure
01:12:59 la CIVI a joué, malgré elle, si j'ose dire
01:13:02 ce rôle de soutien social inconditionnel, puisque de nombreuses victimes
01:13:05 qui n'ont pas eu de soutien social au moment
01:13:08 de la révélation des faits, on peut dire l'avoir eu
01:13:11 au moment où elles l'ont révélée à la CIVI. Alors ça n'a pas tout fait, puisque
01:13:14 bien entendu, quand on est adulte, on ne protège pas de la même manière qu'un enfant
01:13:17 mais quand même, c'est un lieu symbolique, je le rappelle, et vous l'avez
01:13:20 bien dit, c'est Emmanuel Macron qui l'a créé
01:13:23 c'est bien une commission indépendante, et c'est tout un symbole quand
01:13:26 dans un Etat, une République, vous avez tout simplement
01:13:29 la protection qui est exercée par la République elle-même
01:13:32 et pas par quelqu'un d'autre. Et c'est pour ça qu'on dit, les associations, c'est très bien
01:13:35 bien entendu, je ne vais pas dire le contraire, bien évidemment, et c'est tout le sens
01:13:38 de l'action menée d'ailleurs avec Mouve Enfant, où je profite de faire un peu de com'
01:13:41 où c'est bien un mouvement de lutte contre toutes les formes de violences faites aux enfants
01:13:44 et notamment des violences sexuelles avec des survivantes, survivants
01:13:47 et aussi des alliés, bien évidemment. Mais ce qu'on souhaite
01:13:50 par-dessus tout, c'est que ce soit l'Etat
01:13:53 symboliquement, un Etat Providence, un Etat qui protège
01:13:56 qui s'empare de ce sujet-là pour apporter cette réponse-là. Parce que si
01:13:59 en 9 cas sur 10, les personnes tournent la tête
01:14:02 les personnes de l'entourage, c'est bien ce que montre encore une fois l'enquête de la CIVIS
01:14:05 et bien, qui, si ce n'est l'Etat qui est là pour protéger
01:14:08 devrait prendre le relais ? Et ça c'est le message vraiment fort qu'on tient
01:14:11 à passer, c'est le message que vous portez également et je vous en remercie
01:14:14 infiniment. Et c'est le message qu'on souhaite après le 20 novembre 2020
01:14:17 parce que, euh 2023, excusez-moi, parce qu'on sait bien
01:14:20 que le rapport va être remis le 20 novembre prochain, qui est donc la Journée Internationale
01:14:23 des Droits de l'Enfant, à Emmanuel Macron et on se dit d'emblée
01:14:26 sans attendre, parce qu'ils veulent attendre apparemment, voir ce qui est écrit dans le rapport
01:14:29 on pourrait imaginer qu'au regard quand même de l'ampleur du phénomène
01:14:32 de l'ampleur des 160 000 enfants, de l'ampleur des
01:14:35 10% de la population française, 5,5 millions
01:14:38 de françaises et de français victimes de violences sexuelles
01:14:41 on pourrait, dans leur enfance par exemple, on pourrait imaginer quand même que
01:14:44 on pourrait se dire simplement sécurisons l'ensemble
01:14:47 et gardons un maintien de la CIVIS, peut-être avec une nouvelle forme d'ailleurs
01:14:50 d'évaluation des politiques publiques, ce qui serait à mon sens intéressant pour pas
01:14:53 rester sur le même format, et ça c'est un message
01:14:56 qui est assez fort, et je vous remercie infiniment, ici même sur cette
01:14:59 antenne, de porter ce message là, qui est pas forcément audible, et je pense que vous
01:15:02 le rendez très bien, à travers et la singularité de votre témoignage
01:15:05 et je dirais une dimension sociologique, puisque ces chiffres
01:15:08 nous dépassent complètement. Voyez, je me permets juste de le dire ici
01:15:11 quand même, et c'est important, moi j'ai fait partie également
01:15:14 dans mon histoire, au-delà de faire partie des 160 000 enfants victimes chaque année
01:15:17 je fais partie également des 330 000 victimes de pédocriminalité dans l'église
01:15:20 330 000, c'est 13 enfants par jour. Quand on est 1 parmi
01:15:23 330 000, quand j'ai eu le chiffre, je peux vous assurer qu'encore aujourd'hui
01:15:26 c'est un tsunami, c'est-à-dire qu'on est déshumanisé
01:15:29 parce que 1 parmi 330 000, c'est une violence sans nom, et surtout
01:15:32 que moi j'ai fait après partie des 22
01:15:35 signalements qui ont été faits par cette même commission. Et moi je me dis
01:15:38 qu'aujourd'hui, on demande à la République française, on demande à Emmanuel
01:15:41 Macron en premier lieu, à l'ensemble du corps politique
01:15:44 d'humaniser ce qui a été déshumanisé pour 10%
01:15:47 de la population française. Et ça passe effectivement par un maintien
01:15:50 ça passe par d'autres choses, etc. Et vraiment je vous remercie pour votre témoignage
01:15:53 qui est très fort, et je pense que c'est ensemble qu'on doit
01:15:56 créer cela, c'est un enjeu politique. "Rejoignez Move Enfant"
01:15:59 c'est un message que je peux porter ici, c'est quelque chose qui me semble
01:16:02 fondamental, vous avez sur les réseaux sociaux et autres, vous allez nous trouver
01:16:05 facilement, et ça c'est l'essentiel. - Merci Estelle
01:16:08 de ce témoignage qui permet de faire passer ce message
01:16:11 On fait une petite pause, on va conclure avec
01:16:14 Bruno qui nous rejoint. Arnaud Gallet est avec nous
01:16:17 vous racontez votre histoire d'enfant abusé
01:16:20 violenté, dans ce livre "J'étais un enfant"
01:16:23 aux éditions Flammarion. Vous donnez
01:16:26 tous les détails à la fois de votre propre
01:16:29 histoire et ensuite de votre combat que vous menez depuis de
01:16:32 nombreuses années, et que vous continuez évidemment
01:16:35 puisque vous venez d'en parler de manière très claire.
01:16:38 On va conclure avec Bruno qui est avec nous, qui lui aussi
01:16:41 a été violé. Bonjour Bruno, merci
01:16:44 de prendre la parole. - Bonjour Brigitte, bonjour
01:16:47 Arnaud. - Bonjour Bruno. - Voilà, ça s'est passé
01:16:50 dans les années 85 à peu près, j'avais 14 ans
01:16:53 - Oui - Je revenais
01:16:56 du scout en fait, j'étais un grand fervent scoutiste
01:16:59 et je devais prendre
01:17:02 le RER
01:17:05 à la gare
01:17:08 de l'Est, gare du Nord pardon
01:17:11 pour la banlieue, et j'ai été
01:17:14 plaqué
01:17:17 contre un pylône
01:17:20 dans la gare, en dessous
01:17:23 au niveau du RER et
01:17:26 bon, il a sorti son sexe et
01:17:29 il m'a mis dans la bouche quoi, et du coup j'ai été
01:17:32 complètement pétrifié - Hmm, sidération
01:17:35 - Et
01:17:38 j'ai eu la chance qu'un
01:17:41 RER passe, si vous voulez, et
01:17:44 au dernier moment, quand j'ai vu les portes qui se
01:17:47 fermaient, je me suis libéré et je suis rentré
01:17:50 dans le RER
01:17:53 et j'avais l'impression
01:17:56 que quelques années après, ça s'est reproduit en fait
01:17:59 j'avais l'impression d'être une personne qui reproduisait
01:18:02 la même chose en fait
01:18:05 - Quand vous avez 14 ans qui vous arrive ça
01:18:08 vous n'avez pas pu en parler à personne ?
01:18:11 - Si vous voulez, c'était ma période où je faisais ma communion
01:18:14 je suis athée maintenant
01:18:17 à cette période là, je croyais fortement
01:18:20 à l'humain
01:18:23 à Dieu et à tout
01:18:26 ce qui entourait ça
01:18:29 quand je suis arrivé, ma mère m'a vu arriver
01:18:32 j'étais blanc à main large, elle m'a dit "qu'est-ce qui s'est passé ?"
01:18:35 je lui en ai parlé et
01:18:38 elle m'a dit
01:18:41 "tu en parles le soir au prêtre"
01:18:44 et comme je faisais ma première communion
01:18:47 on redisait nos fautes
01:18:50 un peu, ou ce qui s'était passé, et qu'on trouvait ça sale
01:18:53 et
01:18:56 en disant les mêmes choses
01:18:59 le prêtre et ma mère considéraient que c'était dit, c'était fait
01:19:02 et qu'on passait à autre chose
01:19:05 - Oui, toujours pareil, on ne fait pas de vagues
01:19:08 mais voyez c'est important parce que le fait que vous n'ayez pas été écouté
01:19:11 et protégé
01:19:14 puisque là on l'entend bien dans la manière dont vous parlez
01:19:17 que ça a été une violence pour vous
01:19:20 c'est pas étonnant que ça se reproduise encore une fois
01:19:23 - Ça s'est reproduit plusieurs fois
01:19:26 dans ma vie, j'avais l'impression
01:19:29 que ça se répercutait à chaque fois
01:19:32 et les gens de confiance, je ne m'adressais plus aux gens de confiance
01:19:35 parce que les gens de confiance ne m'entendaient pas
01:19:38 j'étais un peu comme
01:19:41 un baillon, on ne comprenait pas ce que je disais
01:19:44 donc je me suis tué, pendant un an je ne parlais plus
01:19:47 j'étais bien sage
01:19:50 dans mon coin
01:19:53 et il faut dire aussi qu'en parallèle
01:19:56 j'avais un problème avec ma mère qui me considérait un peu comme un objet
01:19:59 - De toute façon, je voulais vous poser la question
01:20:02 avant 14 ans
01:20:05 il y a forcément eu de la maltraitance parentale
01:20:08 d'une certaine manière parce que sinon
01:20:11 à 14 ans vous n'auriez pas été dans une telle sidération
01:20:14 et encore une fois, je crois que c'est important que vous le compreniez
01:20:17 c'est à dire que ce n'est pas vous qui n'avez pas su réagir
01:20:20 c'est qu'on avait fait de vous déjà une victime
01:20:23 - Oui, et même pour ajouter, on voit bien par ailleurs
01:20:26 que la réaction de votre mère, à mon sens, même si on comprend
01:20:29 que de son côté il peut y avoir une forme de sidération, c'est important de la rappeler
01:20:32 elle est quand même surprenante, c'est à dire que sans référer
01:20:35 d'une certaine manière à Dieu ou à la religion
01:20:38 tout du moins dans un souci de sexe-pied
01:20:41 de certaines erreurs, fautes, etc.
01:20:44 ce n'est pas forcément le plus adapté
01:20:47 puisque c'est bien vous la victime, je ne vois pas de quelle faute
01:20:50 vous pouvez même vous faire pardonner ou quoi que ce soit
01:20:53 c'est là que c'est surprenant, et par ailleurs
01:20:56 dans l'échéma de violences, violences sexuelles notamment
01:20:59 on se rend compte qu'il y a un risque de répétition parce qu'on revit systématiquement
01:21:02 la même sidération, et ça malheureusement c'est bien un mécanisme
01:21:05 aussi qui est traumatique
01:21:08 - Oui, il y a ça, et puis il y a le prédateur
01:21:11 qui repère la personne
01:21:14 qui a déjà été victime
01:21:17 - C'est ce que je me suis dit en fait - Absolument Bruno
01:21:20 - Mais vous m'avez bien compris longtemps après si vous voulez
01:21:23 - Oui, vous comprenez quand vous...
01:21:26 - C'est un adulte qui était traité très tardif
01:21:29 c'est vrai que par le passé
01:21:32 je considérais un peu le côté chevaleresque
01:21:35 des choses, tout le monde était beau, tout le monde était gentil
01:21:38 j'étais un peu trop naïf en fait
01:21:41 je ne sais pas, je voyais le monde en qui monde
01:21:44 et ça m'a... dans ma sexualité
01:21:47 après, je l'ai répercuté aussi
01:21:50 ça veut dire qu'en fait je faisais plaisir
01:21:53 à l'autre, mais j'avais aucun plaisir pour moi en fait
01:21:56 je me mettais à disposition
01:21:59 de quelqu'un
01:22:02 - Oui, vous étiez dans le désir de l'autre, mais parce qu'on ne fait pas de vagues
01:22:05 je pense que vous avez dans votre enfance
01:22:08 pas été écouté non plus dans vos propres désirs
01:22:11 vous avez... alors après
01:22:14 sans doute que la relation à la mère, je suppose que vous l'avez travaillée
01:22:17 et qu'il y a quelque chose à comprendre
01:22:20 - Oui, j'ai fait l'EMDR, j'ai fait comme une de vos auditrices
01:22:23 qui a fait l'EMDR, j'ai fait deux fois
01:22:26 l'EMDR, un par rapport à l'amour de personnes
01:22:29 de ma famille et l'autre par rapport à ma vie
01:22:32 vis-à-vis de ma mère et vis-à-vis de ce problème
01:22:35 qui s'est passé, enfin de ces viols à répétition
01:22:38 qui se sont faits, parce que j'étais
01:22:41 j'ai compris que j'étais une proie
01:22:44 et que j'étais une proie, mais qui
01:22:47 me laissait faire en fait, complètement
01:22:50 j'avais aucun...
01:22:53 je combattais rien en fait
01:22:56 - C'est important d'en avoir conscience même après, il n'est jamais trop tard
01:22:59 il y a un message que vous portez en même temps, qui est peut-être un message assez dur
01:23:02 en même temps c'est un message d'espoir, c'est-à-dire au bout d'un moment qu'on peut aussi
01:23:05 avoir une compréhension de soi, de ce qui s'est passé sans culpabiliser
01:23:08 en se disant qu'au bout d'un moment il y a quelque chose qui est
01:23:11 inhérent déjà à ce qu'est l'agresseur
01:23:14 à ce qu'est un état de sidération, et puis
01:23:17 de la manière, et moi j'y crois plus que tout
01:23:20 de la manière dont on a été conçu en quelque sorte
01:23:23 c'est-à-dire l'environnement qui nous était offert, et quand on se retrouve dans quelque chose
01:23:26 où on est réduit un peu à l'état d'objet, victime de violences etc
01:23:29 et qu'il y a une manière de penser l'enfant en société
01:23:32 qui est quand même quelque chose d'assez rabaissant
01:23:35 voire même "chosifié" dont vous parlez là
01:23:38 et bien on se rend compte des conséquences que ça peut avoir par moment
01:23:41 et c'est pour ça que mon combat aussi, je le porte aujourd'hui de manière assez forte
01:23:44 c'est aussi de lutter contre ces violences-là
01:23:47 qui font que certains enfants sont réduits à l'état de chose
01:23:50 et je trouve que votre témoignage là-dessus est éclairant
01:23:53 parce que je vois bien toutes les conséquences que ça peut avoir
01:23:56 et beaucoup de victimes, d'ailleurs de nombreuses, et notamment des hommes
01:23:59 parlent effectivement de cette manière-là en se disant qu'ils avaient le sentiment
01:24:02 d'être réduits à l'état d'objet quand ils étaient enfants.
01:24:05 - Mais c'est marrant que vous parliez sur les hommes parce que j'ai un peu
01:24:08 par moment la colère vis-à-vis des féministes
01:24:11 j'ai rien contre les femmes, c'est pas ce que je veux dire
01:24:14 - Bah non, vous avez parlé des féministes, vous avez pas parlé des femmes
01:24:17 - Voilà, c'est ça que je voulais dire
01:24:20 c'est toujours leur combat à elles et jamais avec
01:24:23 certains hommes, c'est-à-dire que les garçons
01:24:26 les enfants qui ont grandi sont devenus des hommes
01:24:29 mais ils ont quand même subi ça
01:24:32 - Alors moi je serais un peu plus nuancé que vous parce que vous voyez
01:24:35 moi j'ai beaucoup de personnes, je pense notamment
01:24:38 je peux le dire ici à l'antenne, je pense à la Fondation des Femmes
01:24:41 et d'autres qui agissent quand même dans la lutte contre les violences
01:24:44 faites aux femmes qui sont à nos côtés, pour le dire comme ça
01:24:47 à nos côtés, nous les hommes, de cette manière-là
01:24:50 face aux violences qu'on a subies, enfants, et qui sont conscientes aussi
01:24:53 que cette société qui finalement chosifie les enfants
01:24:56 et qui est finalement très genrée aussi des fois sur la manière
01:24:59 dont on pense les hommes, avec beaucoup de virilité ou avec
01:25:02 une vision très sexiste aussi des filles, etc. ça a des conséquences
01:25:05 qui sont terribles en premier lieu pour les enfants
01:25:08 - Bien sûr, mais je pense que ce que veut dire Bruno, et je crois qu'il a totalement raison
01:25:11 c'est que souvent, chez les féministes, on entend toujours
01:25:14 "faute du patriarcat des hommes", etc.
01:25:17 alors que souvent, il y a une mère qui quelque part
01:25:20 est responsable parce qu'elle a
01:25:23 chosifié son fils, ou parce qu'elle a porté son fils
01:25:26 comme un enfant roi qui deviendra ensuite
01:25:29 un homme violent, enfin je veux dire... - Non, non, c'est très juste
01:25:32 c'est un peu mon histoire aussi d'ailleurs avec la position de ma mère, ou la non-position
01:25:35 - Voilà, je veux dire, ok, il y a
01:25:38 des hommes qui sont responsables, mais il y a aussi des femmes
01:25:41 qui sont responsables, et je pense que malheureusement
01:25:44 on a entendu tout à l'heure le témoignage de Fabrice avec
01:25:47 cette mère qui visiblement violente aussi son enfant
01:25:50 enfin bon, je crois que malheureusement
01:25:53 il y a de la violence
01:25:56 chez les hommes et chez les femmes, et je crois que c'est ça
01:25:59 que vous vouliez dire Bruno - Oui, parce qu'on voit beaucoup
01:26:02 en fait, je ne parle pas au niveau des associations comme vous parliez
01:26:05 à Arnaud, c'est plus au niveau de la télé
01:26:08 quand vous voyez, cette diffusion
01:26:11 est plus centrée sur les femmes, et on parle
01:26:14 très très très... jamais des hommes en fait
01:26:17 jamais de... et ça me
01:26:20 par moments ça me met en colère, et je ne l'exprime pas
01:26:23 parce que je ne veux pas que mon entourage le sache
01:26:26 et donc du coup je suis dans une espèce de colère
01:26:29 qui des fois, bon, ben...
01:26:32 - Alors cette colère, vous savez Bruno, elle vient de votre sentiment
01:26:35 d'injustice - Oui, oui, je suis d'accord
01:26:38 - C'est important que vous le compreniez parce que la colère, il faut la sortir
01:26:41 ne la gardez pas pour vous, et vous avez raison
01:26:44 de le dire là, je suis ravie de vous entendre et vous avez le droit d'être
01:26:47 en colère et de le dire, parce que la colère, si on ne la
01:26:50 sort pas, elle fait des dégâts à l'intérieur de nous
01:26:53 - Oui, oui, non mais, je vous avouerai
01:26:56 maintenant, je suis adulte, j'ai 52 ans
01:26:59 j'ai plus envie
01:27:02 d'avoir des relations, comme disait
01:27:05 une de vos éditrices, ça me répugne en fait
01:27:08 j'ai plus envie de tendresse
01:27:11 de quelque chose, je sais que c'est impossible
01:27:14 pour créer un couple
01:27:17 avec quelqu'un, puisque moi je suis un homme homosexuel
01:27:20 voilà, vous l'aviez compris
01:27:23 mais j'ai tellement
01:27:26 j'ai tellement peur du sexe
01:27:29 que ça me bloque complètement
01:27:32 et je préfère rester seul, ça fait 6 ans, 7 ans que je n'ai rien fait
01:27:35 - Je crois que, alors je pense
01:27:38 Bruno, qu'il faut plus le dire
01:27:41 si vous rencontrez quelqu'un qui vous plaît
01:27:44 dites le, je crois que
01:27:47 et d'ailleurs je trouve que dans le milieu gay
01:27:50 la communication sur la sexualité est beaucoup plus facile que dans
01:27:53 le milieu hétéro, donc non, restez pas seul
01:27:56 je pense que vous pouvez rencontrer un homme qui sera aussi ravi
01:27:59 d'avoir de la tendresse et puis
01:28:02 vous verrez bien, ça montre aussi
01:28:05 qu'il y a encore des choses qui n'ont pas été suffisamment travaillées
01:28:08 et que vous pouvez peut-être faire avancer aussi
01:28:11 mais soyez confiant, moi je connais beaucoup
01:28:14 d'homosexuels, j'ai beaucoup d'amis
01:28:17 et sincèrement, il y a autant de tendresse
01:28:20 chez un gay ou un hétéro que chez une femme
01:28:23 parfois plus même
01:28:26 - Et après vous pouvez aussi, est-ce que vous avez déjà rencontré un psychologue ?
01:28:29 - Oui, non
01:28:32 j'ai fait 10 ans
01:28:35 de psychiatrie
01:28:38 j'ai eu 2 fois de l'EMDR
01:28:41 et je passe par VAC, ça veut dire qu'il y a des moments où ça va très très bien
01:28:44 je suis bien avec mon corps, avec moi-même
01:28:47 et puis il y a des moments de creux et là
01:28:50 je pense que tous les 10 ans, il faut que je revoie quelqu'un
01:28:53 pour me remettre à flot, avoir un soutien
01:28:56 - Oui, parce que vous venez de loin
01:28:59 et merci de ce témoignage fort aussi
01:29:02 on est en fin d'émission, je suis obligée de rendre l'antenne
01:29:05 mais merci aussi
01:29:08 merci à tous de tous ces témoignages différents
01:29:11 qui font avancer les choses, merci à Arnaud Gallais
01:29:14 demain on sera avec Frédéric Lenoir, philosophe
01:29:17 et on abordera évidemment un tout autre sujet
01:29:20 et tout de suite je vous laisse en compagnie d'Alexandre Delovane