Le politologue, spécialisé dans l'analyse géopolitique et stratégique, publie "La guerre des mondes : le retour de la géopolitique et le choc des empires" aux éditions de l'Observatoire.
Regardez Le débat du 04 octobre 2023 avec Yves Calvi et Amandine Bégot.
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00:02 9h, RTL Matin.
00:05 Il est 8h24, l'heure de retrouver notre invité. Bonjour Bruno Tertrais.
00:09 Bonjour.
00:10 Vous êtes géopolitologue, directeur adjoint de la Fondation pour la Recherche Stratégique,
00:13 et vous publiez "La guerre des mondes, le retour de la géopolitique et le choc des empires".
00:17 C'est aux éditions de l'Observatoire et le livre sort aujourd'hui même en librairie.
00:21 Bruno Tertrais, je vous cite "La guerre des mondes" a donc commencé.
00:24 De quelle guerre et de quel monde parlez-vous ?
00:26 C'est une guerre à la fois militaire, mais aussi politique, économique, technologique.
00:30 Ça sera assez différent de la guerre froide qu'on a connue au XXe siècle.
00:34 Et les mondes dont je parle, ce sont deux grandes familles, on va dire, pas deux blocs, mais deux familles.
00:38 Une plutôt libérale, plutôt occidentale, et l'autre plutôt eurasiatique, si vous voulez,
00:43 évidemment dominée par la Chine et par la Russie.
00:45 Et donc une guerre des valeurs, une guerre culturelle entre deux mondes, c'est ça ?
00:48 Oui, bien sûr, c'est aussi une guerre culturelle, une guerre de valeurs,
00:51 parce qu'aujourd'hui, Xi Jinping et Vladimir Poutine veulent refaire le monde à leur image.
00:57 Et c'est un monde qui ne nous convient pas, à nous occidentaux.
01:00 Est-ce qu'on peut dire les démocraties face au reste du monde ?
01:02 Pas tout à fait, parce que la famille libérale, elle n'est pas entièrement démocratique.
01:07 Regardez la Hongrie aujourd'hui, elle n'est pas exactement dans le même type de démocratie que nous.
01:14 Et puis, de l'autre côté, si j'ose dire, il y a aussi des empires qui veulent prendre leur revanche,
01:19 mais qui ne sont pas forcément des pays fascistes.
01:23 Donc, il ne faut pas parler de bloc, ce n'est pas un retour à la guerre froide,
01:27 ce sera quelque chose d'un peu plus flou, mais ça durera peut-être aussi longtemps que la guerre froide.
01:32 Et vous expliquez que l'invasion de l'Ukraine par la Russie en février 2022 nous a fait rentrer dans une nouvelle ère.
01:36 Un monde où se déroulera une guerre d'influence permanente,
01:39 Moscou et surtout Pékin essayant d'attirer les États du Sud vers ceux de l'Est.
01:43 Je viens de vous citer.
01:44 Oui, ce qu'on appelle parfois le Sud global, c'est-à-dire le reste du monde,
01:48 qui est devenu un vaste terrain de jeu pour les empires et pour les grandes puissances.
01:52 Il s'agit, là encore, comme au temps de la guerre froide,
01:55 on parlait du tiers-monde à l'époque, aujourd'hui on ne dit plus le tiers-monde
01:58 parce que beaucoup de ces pays sont très développés.
02:00 Il s'agit de les attirer de notre côté, d'un côté et de l'autre,
02:04 pour voter ensemble à l'ONU et pour, évidemment, dominer la planète in fine.
02:09 On peut parler quand même d'une volonté de revanche de la Russie et de la Chine sur l'Occident ?
02:16 Oui, c'est très clairement aujourd'hui le revanchisme chinois et russe
02:21 qui ont l'impression qu'ils ont été maltraités par l'Occident depuis 30 ans,
02:26 ce qui est à mon avis pas tout à fait vrai, mais en tout cas c'est une perception qui est réelle.
02:30 Il y a un sentiment de revanche, voire de vengeance, dans la tête de dirigeants
02:35 comme Vladimir Poutine et Xi Jinping, très clairement.
02:38 Alors, il y a un État-clé au milieu de cette guerre d'influence, dont on parle peu, c'est l'Inde. Pourquoi ?
02:43 D'abord parce que c'est, depuis cette année, le premier pays au monde par la démographie.
02:48 Alors que la Chine, dont on a parlé pendant 40 ans à cause de sa démographie,
02:53 700 millions de petits chinois, disait Jacques Dutronc, a commencé sa décroissance démographique.
02:59 Donc, s'il fallait parier sur la Chine ou sur l'Inde pour les 50 ans qui viennent,
03:04 moi je parierais maintenant désormais sur l'Inde, qui est en train juste de commencer son décollage économique
03:10 et qui deviendra probablement un grand pays développé au XXIe siècle.
03:14 Mais est-ce que pour autant, les choix que fera l'Inde dans sa compétition avec la Chine
03:18 sont déterminants pour le reste du monde et pour la paix du monde ?
03:21 Alors l'Inde, c'est un pays qui a une grande tradition de non-alignement,
03:24 elle ne veut être ni à l'Est ni à l'Ouest, pour simplifier.
03:27 Aujourd'hui, elle dit "moi je voudrais être multi-aligné", c'est-à-dire être parfois avec l'Amérique, parfois avec la Chine.
03:33 Seulement voilà, la Chine qui est sa grande voisine, et qui d'ailleurs essaye de grignoter un peu de territoire indien
03:39 chaque année, est de plus en plus perçue comme une menace pour l'Inde.
03:43 Et donc, moi mon pari, c'est que l'Inde finira, sans devenir véritablement un état allié des États-Unis et de l'Europe,
03:50 finira par glisser vers l'Occident, et ce sera évidemment un atout de poids dans cette guerre des mondes.
03:56 Quelle place pour la France et l'Europe dans cet affrontement ? L'Occident, Adbo, l'Est ?
04:00 Oui, l'Occident, Adbo, l'Est, mais l'Europe, c'est vrai qu'elle a encore du travail,
04:04 si elle veut devenir véritablement une puissance géopolitique.
04:07 D'abord, son manque d'unité, on le connaît, et puis elle est en déclin démographique.
04:12 Elle a quand même pas mal de faiblesses.
04:14 Moi, le pari que je fais, c'est que finalement, tout ça, ça sera plus une épreuve de faiblesse qu'une épreuve de force,
04:19 et que les faiblesses chinoises, russes et autres, sont plus importantes finalement que les faiblesses occidentales.
04:26 Quel est l'endroit le plus dangereux de la planète au moment où nous parlons ? Taïwan ?
04:29 Oui, ça reste Taïwan, parce que c'est le seul endroit où pourrait commencer une guerre mondiale,
04:33 qui pourrait se transformer en guerre nucléaire.
04:36 Donc, c'est très clairement l'endroit le plus dangereux de la planète.
04:38 Ça ne veut pas dire que je prédis une guerre pour Taïwan.
04:41 Je pense que les cordes de rappel, si vous voulez, c'est-à-dire ce qui détend un peu la possibilité d'une guerre,
04:47 notamment d'une invasion délibérée de Taïwan par la Chine, reste solide, mais un accident est toujours possible.
04:53 Un dernier mot avant de nous séparer. Où en est-on de la guerre en Ukraine ? Ça va durer ?
04:58 On est en 1915-1916.
05:00 C'est-à-dire que c'est une guerre longue. Certains d'entre nous l'avaient prédit, malheureusement.
05:06 Il ne va pas forcément se passer grand-chose.
05:08 Il y aura des moments où il y aura des percées, mais je ne vois pas le dispositif russe s'effondrer complètement.
05:16 Même si on a déjà vu ça dans l'histoire, parfois une armée s'effondre complètement.
05:20 Donc, le Kremlin parie sur la lassitude ?
05:22 Oui, tout à fait. Et malheureusement, je pense qu'ils n'ont pas tout à fait tort.
05:25 Ils parient sur le fait qu'en 2024, les Européens vont commencer à se lasser et Donald Trump sera peut-être élu.
05:32 Il ne faut pas s'y tromper. Vladimir Poutine joue la montre et il pense que le temps est avec lui.
05:37 Merci beaucoup Bruno Tertrais. Tout cela est passionnant.
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