Les enjeux géopolitiques sont partout même et surtout au sein des Jeux olympiques, qui s'imposent comme l'événement mondial le plus médiatisé d'un monde globalisé. Comment sport et enjeux de pouvoirs s'entremêlent ? C'est ce qu'explique Pascal Boniface, directeur de l'Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS), dans une BD illustrée par Tommy, "Géostratégix : un monde de Jeux", aux éditions Dunod.
Regardez L'invité d'Yves Calvi avec Yves Calvi du 02 mai 2024
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00:00 7h-9h, RTL Matin.
00:04 - Il est 8h22, bonjour Pascal Boniface. - Bonjour.
00:06 - Merci de nous rejoindre sur RTL pour notre matinale.
00:08 Vous dirigez l'Institut de relations internationales et stratégiques, l'IRIS,
00:11 et vous publiez "Géostrategix", un monde de jeux aux éditions du Nau.
00:16 Ça fait 2 X, le livre sort aujourd'hui.
00:18 Les enjeux géopolitiques des Jeux Olympiques racontés en dessin avec beaucoup d'humour,
00:22 sans planche, illustrés par le dessinateur Tommy,
00:25 pour comprendre les grandes thématiques qui vont marquer ce grand rendez-vous mondial.
00:28 Je rappelle que nous sommes à 84 jours des JO.
00:30 Alors un peu d'histoire, les premiers JO se sont tenus en l'an 776 avant Jésus-Christ à Olympie,
00:36 ensuite tous les 4 ans jusqu'en 393, et puis alors là le trou,
00:40 puisqu'il faudra attendre 15 siècles.
00:42 C'est notre baron Pierre de Coubertin à qui on doit cette renaissance.
00:45 Pourquoi une si longue absence Pascal Boniface ?
00:47 - Parce qu'il n'y avait plus l'unité du monde grec qui permettait ces jeux,
00:51 et que le baron de Coubertin a voulu recréer une sorte d'unité mondiale,
00:54 et en fait au départ européenne,
00:55 parce que les premiers jeux c'est des jeux entre occidentaux, entre blancs,
00:59 il y a une dizaine de nations.
01:00 Ce n'est pas du tout l'universalisme qui représente les jeux aujourd'hui,
01:04 où toutes les nations, toutes les disciplines,
01:07 - Se côtoient.
01:07 - Et toutes les catégories physiques se côtoient.
01:10 - Alors les jeux renaissent en 1896 à Athènes, tout un symbole.
01:14 Vous écrivez qu'ils deviennent un mélange d'idéal pacifique, universaliste,
01:17 que vous venez de nous expliquer,
01:18 mais aussi de défense, avec d'impératifs de défense nationale.
01:21 Expliquez-nous ça.
01:22 - Oui effectivement, parce que le baron de Coubertin a deux objectifs géopolitiques,
01:25 alors qu'il disait qu'il ne fallait pas mélanger sport et politique.
01:28 Alors le premier c'est de pacifier,
01:30 de contribuer à la pacification des relations internationales,
01:32 parfait, très bien.
01:33 Et le deuxième c'était de renforcer un peu la jeunesse française,
01:36 puisque la défaite de 1870
01:38 était attribuée à une meilleure préparation physique des Prussiens,
01:41 gymnastique, équitation, etc.
01:44 Et le baron de Coubertin voulait renforcer le physique des Français
01:47 pour éventuellement pouvoir prendre une revanche.
01:49 - Donc rassurez-nous, le sport dans tout ça, il en est quand même question un peu.
01:52 - Oui bien sûr, parce que c'est un moyen, c'est un outil.
01:54 C'est quand même un outil de rapprocher les peuples,
01:57 de les mettre en contact, de créer des contacts.
01:59 En fait on le voit bien,
02:00 on ne fait pas du sport avec les pays avec lesquels on est en guerre,
02:03 mais qu'avec des pays avec lesquels on a des relations pacifiques,
02:05 même si elles sont parfois de rivalité.
02:07 - Pourquoi les Jeux Olympiques continuent-ils de nous émouvoir,
02:10 même quand on n'est pas forcément impassionné de sport ?
02:12 Moi pendant les JO, je regarde même le lancement du disque féminin,
02:15 pour vous donner un exemple, voyez ?
02:16 - Oui effectivement, d'une part parce qu'ils sont uniques,
02:18 ils ont lieu tous les 4 ans.
02:19 S'ils avaient lieu tous les ans, on serait un peu moins intéressé.
02:22 Et puis une fois encore, c'est l'universel.
02:25 Toutes les nations, la Coupe du Monde,
02:27 je suis comme vous, passionné de football,
02:28 mais la Coupe du Monde de football, c'est 32 nations, bientôt 48.
02:31 Là, tout le monde est là.
02:33 Et puis aussi, tous les sports, c'est la grande variété.
02:36 Il n'y a pas d'exclusion.
02:37 Et je dois dire que même en termes d'universalistes,
02:39 il y a même maintenant une équipe depuis Rio de réfugiés.
02:42 Des gens qui ont dû fuir leur pays à cause de la guerre
02:45 peuvent participer aux Jeux grâce à une équipe de réfugiés.
02:47 Ça, c'est une très belle initiative du CIO.
02:49 - Les JO sont toujours une vitrine importante,
02:51 même pour un pays comme la France.
02:52 On en a vraiment besoin ?
02:53 - Ah oui, bien sûr, bien sûr.
02:55 On va être au cœur du monde, au centre du monde.
02:57 Tous les regards vont être tournés.
02:59 Il y aura des milliards de spectateurs.
03:01 Il y a non seulement les visiteurs, bien sûr,
03:03 mais en fait, les plus beaux monuments parisiens
03:05 vont être mis en lumière aux yeux du monde entier.
03:08 Londres est devenue une ville touristique très attractive
03:11 après les Jeux de Londres.
03:12 Paris est déjà une capitale du tourisme.
03:13 Elle sera renforcée après 2024.
03:16 Il n'y aura peut-être pas plus de touristes que d'habitude en 2024.
03:18 Les gens vont dire "je ne vais pas à Paris-Stalin, il y aura trop de monde".
03:20 Mais ensuite, il y a plein de gens qui auront vu le Louvre,
03:23 qui auront vu le Grand Palais, le Château de Versailles,
03:26 qui vont dire "ah tiens, je vais y aller l'année prochaine".
03:28 - Donc, briller, c'est exister ?
03:30 - Oui, effectivement.
03:31 Les Jeux permettent d'être un endroit sur la carte
03:33 et chacun veut exister aux yeux du monde entier.
03:36 - Alors, vous qui êtes un spécialiste des relations internationales,
03:39 les Jeux Olympiques, est-ce que ça a un impact sur le plan géostratégique ?
03:42 Et si oui, pourquoi ?
03:44 - Parce que c'est un instrument de puissance.
03:46 Vous existez, comme vous l'avez dit, aux yeux du monde entier.
03:48 Pendant la guerre froide, le tableau des médailles d'or
03:51 entre l'Union Soviétique et les Etats-Unis
03:53 devait révéler quel était le meilleur système.
03:55 Et chacun le mettait en avant.
03:56 Et donc, là, rappelez-vous de Gaulle.
03:58 Le Gaulle n'était pas un fan de sport,
03:59 mais il arrive au pouvoir en 1960.
04:02 C'est le pire résultat pour la France aux Jeux Olympiques de Rome.
04:05 Il n'y a que cinq médailles, dont aucune d'or.
04:07 Et il y a ce célèbre dessin de Feuzan,
04:09 montrant le Gérard Legault en basket et en sur-vêtements,
04:11 ce qu'il n'a jamais mis de nid l'un de l'autre,
04:13 disant "décidément, dans ce pays, je dois faire tout moi-même".
04:16 Effectivement, il a redonné une politique sportive à la France
04:19 pour qu'on ne soit plus humilié aux yeux du monde entier.
04:21 - Alors, concernant nos JO, j'ai envie de vous dire,
04:23 la facture reste floue.
04:24 Des milliards d'euros d'argent public tout de même.
04:26 On n'arrive pas à savoir entre 3 et 5 milliards,
04:29 selon le président de la Cour des Comptes, Pierre Moscovici,
04:32 qui habituellement est quand même un peu plus précis.
04:34 Comment expliquez-vous ça ?
04:35 - Alors, d'une part, l'inflation.
04:36 Mais de l'autre part, le coût est limité.
04:37 Ça sera une enveloppe de 7 milliards.
04:39 C'est fini les jeux gigantesques où Pékin dépense 40 milliards
04:43 et Pékin pouvait se le permettre pour l'existence du monde entier.
04:45 La plupart des infrastructures existaient déjà,
04:48 à part la piscine qui a été construite en Seine-Saint-Denis
04:51 et le village olympique qui servira de logement après.
04:54 Donc, grosso modo, c'est 7 milliards,
04:56 peut-être un peu plus du fait de l'inflation, le Covid.
04:58 Tous ces budgets n'étaient pas prévus en 2017
05:01 quand on a obtenu les jeux.
05:03 Mais grosso modo, c'est une facture qui est contenue.
05:06 - Alors, on connaît à peu près la facture,
05:08 mais est-ce que les retombées économiques sont prévisibles ?
05:11 - Alors, oui, grosso modo, les jeux payent les jeux
05:13 parce qu'il y aura les touristes, les droits télé,
05:16 la contribution du CIO.
05:18 Et puis, disons que là aussi,
05:20 en termes d'heures de publicité aux yeux du monde entier,
05:23 comment on le mesure ?
05:25 C'est difficilement chiffrable.
05:26 Après, il faut que les jeux soient réussis.
05:28 Il faut que le système de transport fonctionne.
05:30 Il faut que la sécurité soit assurée.
05:32 Mais si la cérémonie sur la Seine,
05:34 première dans l'histoire des jeux,
05:36 une cérémonie en dehors du stade,
05:37 aux yeux du monde entier une fois encore,
05:39 est une réussite, que la sécurité est assurée,
05:41 ce sera une formidable publicité pour Paris et pour la France.
05:44 - On présente parfois les JO comme une parenthèse heureuse.
05:46 Ils bouleversent l'ordre du monde d'une certaine façon ?
05:49 - Non, disons qu'ils donnent une bonne image.
05:52 La Jamaïque brille avec Usain Bolt.
05:54 Il permet, les grands sportifs sont des ambassadeurs
05:56 de leur pays, qui leur permet d'exister sur la carte du monde.
05:59 Donc, en fait, c'est un instrument de puissance.
06:01 On distingue toujours en géopolitique
06:02 la puissance dure, l'armée, l'économie,
06:04 et la puissance douce, le soft power,
06:06 c'est l'image d'un pays.
06:07 Et les sportifs contribuent à l'image d'un pays.
06:10 - Alors, je voyais que le président Macron souhaitait,
06:11 je cite, "une trêve olympique, un arrêt des conflits mondiaux
06:14 pendant la durée des épreuves".
06:15 Pardonnez-moi, mais c'est ridicule.
06:16 Les JO n'ont jamais empêché une guerre,
06:18 ni même une guerre mondiale.
06:20 - C'est un souhait pieux, mais effectivement,
06:22 on aimerait que ça puisse être possible.
06:25 Mais entre les jeux et la guerre, c'est la guerre qui gagne.
06:27 - Alors, nonobstant, l'ordre du monde,
06:29 peut-il être, si ce n'est réglé, en tout cas discuté
06:31 lors d'une compétition sportive telle que les JO ?
06:33 Est-ce que c'est déjà arrivé ?
06:35 - Alors, il y a eu des grandes scènes.
06:36 Écoutez, la boycotte par les États-Unis,
06:38 des jeux de Moscou,
06:40 la victoire de la Hongrie contre l'équipe soviétique
06:42 juste après l'intervention à Budapest.
06:45 Il y a des grandes victoires effectivement symboliques comme ça,
06:48 où on envoie un message, et rappelez-vous,
06:50 du geste de Carlos S. Smith à Mexico,
06:52 qui attire l'attention du monde entier
06:55 sur les discriminations dont les Noirs sont victimes aux États-Unis.
06:58 - Est-ce qu'on peut imaginer qu'il en parle de nos JO
07:00 avec le président chinois la semaine prochaine ?
07:02 - Oui, bien sûr. - C'est un sujet d'actualité internationale ?
07:04 - C'est un sujet, parce que la Chine a hébergé les JO en 2008,
07:06 puis en 2020, pour les jeux d'hiver.
07:09 La Chine compte aussi sur le sport pour exister.
07:12 Pendant très longtemps, la Chine s'est mise à l'écart du domaine sportif,
07:14 et maintenant, elle tient à exister,
07:16 et être, elle aussi, présente dans cette scène symbolique de la puissance.
07:19 - Alors, puisque j'ai la chance de vous tenir,
07:21 je voudrais évoquer avec vous, quand même,
07:23 une information publiée ce matin dans nos différentes éditions.
07:25 Les États-Unis accusent Moscou d'avoir utilisé une arme chimique,
07:28 la chloro-pikrine, sur le front ukrainien.
07:31 C'est évidemment une violation des conventions internationales.
07:34 Est-ce possible ?
07:35 - Alors, si c'est possible, il faut rester à vérifier,
07:37 ça serait gravissime, parce que ça veut dire que la Russie
07:40 s'affranchit des règles qu'elle a elle-même promues et signées.
07:43 Et donc, on le voit qu'elle le fait pour la Corée du Nord,
07:46 en violent l'embargo sur la Corée du Nord
07:48 pour obtenir des sous-munitions, etc.
07:50 Et donc, alors que l'arme chimique,
07:52 on sait que ce n'est quand même pas un avantage décisif dans une bataille,
07:56 si elle l'a fait, c'est que vraiment, elle s'affranchit de toutes les règles.
07:58 Cela reste à vérifier.
07:59 - Merci beaucoup, Pascal Boniface.
08:01 Je rappelle le titre de votre bande dessinée, "Géostrategix".