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Le politologue Pascal Perrineau publie "Le goût de la politique : un observateur passionné de la Ve République" aux éditions Odile Jacob.
Regardez L'invité d'Yves Calvi du 06 mars 2024 avec Yves Calvi.

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00:02 7h, 9h
00:06 RTL matin 8h21 bonjour Pascal Perrineau. Bonjour. Merci de nous rejoindre sur RTL.
00:11 Politologue, professeur émérite des universités à Sciences Po dont vous avez dirigé, je le rappelle, le centre de la vie politique française.
00:17 Vous éclairez le fonctionnement de la démocratie française, je devrais dire de la République depuis de nombreuses années et vous nous avez proposé
00:23 dans la vie tout à fait particulière de notre cinquième république
00:27 de faire un livre très personnel que vous nous proposez "Le goût de la politique" un observateur passionné de la cinquième république
00:33 sort aujourd'hui aux éditions Odile Jacob. D'où vous vient cette passion pour le fonctionnement bien spécifique de la démocratie française ?
00:40 Elle me vient
00:41 comme beaucoup de la famille, des choix familiaux.
00:45 Mon père et ma mère étaient des enfants de la seconde guerre mondiale.
00:49 Chacun dans leur zone, ma mère sur les marches de l'est, c'était une femme qui était devenue
00:54 allemande
00:56 pendant la guerre, puisqu'elle faisait partie de l'Alsace et de la Lorraine qui avait été
00:59 annexée. Elle avait été envoyée, c'était une expérience très traumatisante,
01:03 dans une famille allemande pour être nazifiée, ce qu'on faisait beaucoup
01:06 avec les jeunes alsaciens-lorrains qui étaient considérés comme pas très nets. Et mon père, lui, était un jeune professeur d'anglais,
01:13 très anglophile et très gaulliste.
01:16 Il avait le visage et l'oreille sans arrêt tourné vers Londres. Alors cette vocation a commencé très tôt, vous avez 15 ans en
01:23 1965 et l'homme qui vous fait vibrer, c'est pas Johnny Hallyday, c'est pas non plus Elvis Presley, c'est le général de Gaulle.
01:28 C'est le général de Gaulle, en effet. Je trouvais qu'il y avait, en dépit de la différence d'âge, 15 ans, 75 ans,
01:36 il y avait chez ce général de Gaulle un sens de l'épopée.
01:41 Il avait une manière de parler de la France qu'aucun homme politique n'avait.
01:49 Vous savez, dans ses mémoires, il parle de la France, cette "Madone aux fresques des murs". Il y avait quelque chose qui,
01:56 chez un jeune qui était à la recherche
01:58 de grandes histoires, de grands romans, il y avait quelque chose de romanesque chez de Gaulle.
02:03 Alors cette remarque qui parle de vous, finalement, certains ont leur vie marquée par les grandes dates des événements sportifs
02:07 ou affectifs. Vous, ce sont d'abord les élections. Lorsque je dois me repérer dans le temps écoulé,
02:12 la référence qui me vient spontanément à l'esprit est toujours une référence politique et particulièrement électorale.
02:18 Tout à fait. Encore aujourd'hui, vous me dites "1982, les cantonales de Mars".
02:22 Oui.
02:22 Vous me dites "1986, les législatives de Mars". Pourquoi ? Parce que j'ai une fascination
02:28 pour l'élection, non pas en tant que telle. L'élection est tout de même au coeur de ce qui nous rassemble tous.
02:34 Notre démocratie pluraliste à laquelle nous sommes attachés.
02:36 Mais l'élection, ce qui me passionne, c'est que c'est un symptôme. Un symptôme des fractures de la société française,
02:42 des évolutions de la société française. C'est comme ça que ça m'intéresse.
02:46 Quelle élection de notre Ve République vous a finalement le plus marqué, Pascal Perrine ?
02:50 C'est peut-être 1965, parce que c'est mon entrée en matière.
02:52 1965, c'est la première élection du président par le peuple, sous la Ve République, et c'est l'élection du général de Gaulle,
03:00 qui jusqu'au dernier moment, imaginez ça aujourd'hui, de Gaulle ne fait même pas campagne à la télé.
03:04 Il a un creneau, il ne fait même pas campagne à la télé. Alors qu'aujourd'hui, il se précipite dès qu'ils ont deux minutes
03:09 pour que leur frimousse se montre à la télévision.
03:12 Donc, il y avait une espèce de distance par rapport à la télévision qui était extraordinaire.
03:17 Et puis, c'était l'apparition des grandes fêtes républicaines.
03:22 Une élection présidentielle, une campagne présidentielle, c'est une grande fête républicaine.
03:26 Et ça fascinait l'adolescent que j'étais.
03:30 Alors, dans votre livre "Les Confessions", vous avez été militant socialiste.
03:32 Je prenais en 1977 ma carte du PS, où j'habitais alors.
03:36 Vous devenez le collaborateur de Georges Daillon, maire du socialisme du 3e arrondissement.
03:40 C'est un intime de François Mitterrand, qui se moque ensemble, je cite, des oseaux de mai 68,
03:45 qui leur permettront quand même d'arriver au pouvoir. Expliquez-nous ça.
03:48 - Ah bien sûr, vous savez, la politique c'est très pragmatique.
03:52 Les oseaux, ils en ont eu besoin. Ils en ont eu besoin jusqu'au cœur du parti socialiste.
03:56 Ils ont fait alliance avec certains oseaux.
03:58 Mais, voilà, j'ai discuté avec Georges Daillon.
04:02 Georges Daillon, c'était un homme de la gauche modérée.
04:05 C'était un réformiste qui était, entre nous, extrêmement anticommuniste.
04:09 Mais ça ne l'avait pas empêché de soutenir l'union de la gauche.
04:11 - Alors, en l'occurrence, c'est l'entourage de Michel Rocard dont vous saluez la qualité dans votre livre.
04:15 - Ah, tout à fait. Tout à fait.
04:17 Ça m'avait surpris, parce qu'avant de quitter la politique dans son côté actif, militant,
04:23 en effet, j'ai fait un petit tour. D'ailleurs, je dédie mon livre à Jacques Julliard,
04:27 qui était un homme extrêmement important auprès de Michel Rocard.
04:31 Et j'ai découvert là, comment dire, très souvent, des hommes et des femmes,
04:37 des militants, qui avaient une certaine rigueur intellectuelle
04:41 et qui avaient une certaine hauteur de vie qu'on ne trouve pas toujours dans les appareils politiques.
04:47 - Au rayon des anecdotes amusantes de votre livre, il y a le moment où vous vous êtes interviewé
04:50 par la télévision chinoise à la suite de l'élection d'Emmanuel Macron en 2017.
04:54 Racontez-nous en quelques mots.
04:56 - Alors, c'était extraordinaire. J'ai vu débarquer dans mon bureau,
04:58 pour l'élection de Macron, la télévision chinoise.
05:01 Et ils m'ont dit, en effet, ils intervenaient en plus avec une toute petite caméra.
05:06 Donc je n'étais pas très impressionné.
05:08 Mais quand je leur ai dit, c'est pour le journal de ce soir,
05:12 qui, je crois, a lieu à 19h, en effet, je leur ai dit,
05:15 mais il y a combien de millions d'électeurs ?
05:18 Et alors là, ils m'ont donné un chiffre littéralement astronomique.
05:20 Ils m'ont dit, vous savez, monsieur, en plus de ça, on vous demande en une minute et demie
05:25 de nous dire ce qui s'est passé.
05:27 Donc là, je me suis souvenu de mes vieux maîtres à Sciences Po,
05:30 qui me disaient, écoutez, Perrineau, ce qui se conçoit bien s'énonce clairement.
05:34 - 135 millions de télévision, nous sommes bien d'accord.
05:37 Alors dans ce livre, vous revenez sur ce que vous appelez un bouleversement politique.
05:40 En quelques années, le Front National, écrivez-vous,
05:42 est passé de la marginalité au statut d'une des forces les plus importantes du pays.
05:46 181 000 électeurs en 1974, 13 millions en 2022.
05:50 Comment l'expliquez-vous ?
05:52 - Alors, si vous voulez, d'abord, je crois à la force des signaux faibles.
05:56 Lorsque, dans les années 80, j'étais un jeune enseignant à Sciences Po, Grenoble,
06:00 j'avais noté au cantonal, le fameux cantonal de 1982,
06:04 le fait qu'il y avait des candidats du Front National, qui à l'époque n'étaient rien.
06:08 Jean-Marie Le Pen avait fait 0,7% en 1974, donc vous voyez, c'était un candidat marginal.
06:13 Eh bien, ici et là, sur des terrains très particuliers,
06:17 de communes fracturées, en difficultés économiques et industrielles,
06:21 j'avais remarqué la capacité du Front National à faire des scores
06:25 aux alentours de 10%, 11%.
06:27 Et je me suis dit, on en reparlera.
06:29 On en reparlera parce qu'il y a là un extraordinaire symptôme
06:33 des difficultés de la société française.
06:36 Ça va s'exprimer électoralement de plus en plus.
06:39 Et les difficultés, c'est quoi essentiellement ?
06:42 C'est une nation française qui, à partir des années 80,
06:45 rentre dans les grands vents de la globalisation.
06:48 Du monde ouvert, ouvert économiquement, ouvert aux flux migratoires,
06:53 ouvert parce qu'il y a la construction européenne qui continue.
06:56 Et la nation française a plus de mal que d'autres nations européennes
07:01 à s'adapter à ces grands vents de la mondialisation.
07:04 Et au fond, ça continue aujourd'hui avec un Rassemblement National
07:08 qui est devenu le premier parti français.
07:10 Il peut accéder au pouvoir présidentiel ?
07:14 Oui, oui, oui. Il peut accéder parce que le plafond de verre,
07:18 comme on dit, vous savez, qui bloque la dynamique du Rassemblement National,
07:22 existe toujours, mais il est tellement fracturé qu'il peut céder à la pression.
07:28 Plausible ou probable au moment où nous parlons ?
07:30 Vous qui observez le cœur de notre vie politique depuis 40 ans.
07:33 C'est plausible. Rien n'est probable parce que ces élections auront lieu en 2027.
07:38 Et Dieu sait, on l'a vu avec l'Ukraine et autre chose,
07:41 si l'actualité peut déranger les équilibres les mieux établis.
07:45 Avant de nous séparer, je retiens en tout cas comme un aveu
07:47 ou peut-être la synthèse d'une vie ces propos de la fin de votre livre.
07:50 Aujourd'hui comme hier, je reste passionnément modéré.
07:53 Oui, tout à fait. La passion, je l'ai toujours mis,
07:56 ça a commencé très jeune, mais je dois peut-être me soigner.
07:59 Mais la passion n'a jamais débouché chez moi sur un goût pour les extrêmes.
08:03 Je me méfie en effet des extrêmes quels qu'ils soient,
08:07 parce qu'ils rêvent la réalité. Ils n'aiment pas le monde tel qu'il est
08:11 avec la volonté modeste de le changer, d'en faire évoluer les lignes.
08:15 Moi, c'est le cas. Et donc je suis en effet passionnément modéré.
08:19 Un gagnant pour 2027 ?
08:21 Un gagnant pour 2027. J'espère qu'il sera dans le sens de la passion modérée
08:26 qui est la mienne pour satisfaire le citoyen que je suis.
08:29 Mais l'observateur n'est peut-être pas complètement en phase avec le citoyen.
08:33 Merci.
08:34 !

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