• il y a 8 mois
Journaliste et ancien directeur de Charlie Hebdo, il publie "Rire" aux Editions de l'Observatoire. Philippe Val est l'invité de Yves Calvi.
Regardez L'invité d'Yves Calvi du 09 avril 2024 avec Yves Calvi.

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00:02 Yves Calvi
00:06 RTL matin jusqu'à 9h. Mais oui 8h22. Bonjour Philippe Val. Bonjour Yves. Merci de nous rejoindre ce matin sur RTL.
00:13 Vous avez dirigé Charlie Hebdo mais aussi France Inter et vous publiez un nouvel essai intitulé
00:18 "Rire". Le livre paraît demain aux éditions de l'Observatoire et vous posez notamment cette question
00:22 "Pourquoi le monde est-il devenu si sérieux ?" Quelle est votre réponse Philippe Val ?
00:27 Il y a des tas de raisons mais je pense qu'une des raisons profondes c'est une espèce d'hystérie identitaire.
00:32 Plus les gens sont remplis d'eux-mêmes, moins les autres les intéressent
00:36 et plus même ils sont choqués et offensés par ce que sont les autres. Et tout devient sérieux, tout devient dramatique et tout devient violent.
00:44 Alors disons-le, vous traitez le thème du rire avec beaucoup de sérieux et vous avez raison.
00:48 Parmi les sucreries de votre livre, cette question "Le rire est-il de droite ?" Franchement j'ai bien envie de vous entendre.
00:56 Le rire en tous les cas, en tous les cas le rire est une surprise. Alors il y a évidemment des gens qui font rire
01:01 parce qu'ils ont devant eux un public qui est d'accord avec eux et
01:06 bon et puis c'est des gros coups d'oeil entre nous, ils ricanent parce qu'ils sont d'accord.
01:10 Pour moi le rire dont je parle c'est un rire de surprise. On est surpris, le corps
01:16 lui-même a un spasme qu'on n'a pas prévu d'avoir.
01:21 C'est une réaction et le rire est purement réactionnaire. Alors est-ce que réactionnaire ça veut dire toujours de droite ? Mais en tous les cas c'est réactionnaire.
01:28 Alors je vous cite "On objectera qu'aujourd'hui en France il n'y a pratiquement que des comiques de gauche, c'est tout le problème.
01:34 Ils ne sont pas drôles parce qu'ils sont de gauche ou alors ils sont de gauche parce qu'ils ne sont pas drôles."
01:38 Moi je vous avoue que j'ai beaucoup rire en lisant ça mais je voudrais bien que vous alliez un peu plus loin.
01:43 C'est-à-dire voilà quand on sait ce que la personne va dire, on n'est plus dans le grand rire.
01:49 On n'est plus dans le grand rire spontané comme vous avez là avec votre
01:53 avec votre chroniqueur Cavalier qui est incroyable, qui arrive à surprendre tous les jours.
02:00 J'ai une admiration sans borne pour les gens qui savent faire ça,
02:03 surprendre, on n'attend pas. Le rire c'est surtout quelque chose qu'on n'attend pas.
02:09 Est-ce qu'il y a de plus beau dans la vie souvent ?
02:11 C'est ce qu'on n'attend pas qui nous arrive. Pourtant être attaqué.
02:14 Il peut l'être aussi parce que le rire est tragique.
02:16 Il peut l'être aussi.
02:18 Être un artiste de gauche ça n'a plus beaucoup de signification aujourd'hui non ?
02:21 Tellement la gauche s'est diluée, polarisée, je ne sais pas comment dire les choses.
02:23 Ah bah là oui, en plus la gauche est devenue extrémiste.
02:26 Elle est devenue très sérieuse, elle est devenue idéologique.
02:29 On ne rit pas avec ces choses-là.
02:31 Donc à partir du moment où on ne rit pas avec ces choses-là, il y a un problème.
02:35 Alors je vais page 134.
02:36 "Nous vivons un de ces moments inquiétants de notre histoire, crévez-vous,
02:40 où le rire frivole est de nouveau malvenu, coupable, ennemi de classe, contesté dans sa nécessité."
02:47 Expliquez-nous, je pense que cette notion est très importante.
02:49 Oui parce que le rire, je pense que les grandes vertus, le courage, la sincérité, la franchise, l'honnêteté,
03:01 toutes ces choses éthiques sont formidables mais elles deviennent horribles
03:06 si au-dessus il n'y a pas la vertu de la frivolité et du rire.
03:10 C'est une vertu supérieure à toutes les autres vertus.
03:13 Sans le rire, toutes les autres vertus deviennent morbides, deviennent totalitaires, deviennent cruelles.
03:19 Il faut reprendre en main cette légèreté, cette frivolité.
03:25 Mais alors on a perdu cette légèreté ?
03:27 Beaucoup oui.
03:27 Pourquoi ?
03:28 Je pense qu'on a beaucoup perdu parce que la société est travaillée justement
03:32 par des tas de problèmes identitaires, des problèmes religieux.
03:35 J'ai des amis qui étaient aussi les vôtres qui sont morts parce qu'ils étaient drôles.
03:42 Donc le rire est scandaleux mais il faut absolument protéger,
03:48 il faut absolument faire que ce scandale puisse continuer à vivre, ce scandale du rire.
03:54 On en a besoin sinon nos sociétés mourront, mourront de tristesse ou de barbarie, de brutalité.
04:02 On voit bien des gosses qui se tuent entre eux, c'est du délire.
04:06 Le moindre rire normalement désamorce.
04:08 Quand on rit ensemble de quelque chose, on se reconnaît comme frère humain,
04:12 même si on n'est pas du tout d'accord, même si on n'est d'accord sur rien.
04:15 Alors est-ce qu'on riait plus c'est mieux avant Philippe Vall ?
04:19 Je peux vous chanter "C'était mieux avant".
04:20 Vous savez c'est Norbert qui faisait ça dans son spectacle,
04:22 c'est mettre debout tout son public et on chantait "C'était mieux avant".
04:26 Non, non.
04:26 En vous lisant, par moments je me suis posé la question.
04:29 Non, parce qu'il y a toujours eu, dès l'Antiquité, dans l'esprit européen,
04:37 la civilisation européenne, le rire a toujours eu une place très forte,
04:40 parfois une place très scandaleuse.
04:42 On ne peut pas imaginer la renaissance sans le rire de Rabelais, c'est impossible.
04:46 Mais aujourd'hui, il y a des gens qui sont extraordinairement drôles.
04:50 Enfin, notre ami Pierre Rivière, Blanche Gardin, Rémi Gervais,
04:54 et même des génies, enfin Rémi Gervais est un génie.
04:59 Mais il y en a d'autres, il y en a eu au XXe siècle, Lou Bich,
05:04 même des grands artistes, même Proust est à mourir de rire quand on le lit.
05:07 Mais je n'avais pas vu comme ça.
05:08 C'est un humoriste.
05:10 Oui, c'est un humoriste.
05:12 Oui, oui, Marcel Proust, l'humoriste, il faut juste que je change un peu ma vision des choses.
05:17 Il n'y a pas de grands artistes qui ne soient pas drôles.
05:19 Shakespeare est à mourir de rire, Balzac est à mourir de rire.
05:23 Mais vraiment, tous les grands artistes sont drôles.
05:27 Un grand artiste triste, un petit artiste.
05:29 Alors, qu'est-ce qui ne vous fait pas rire ?
05:31 J'avais envie de le faire à l'envers plutôt que de vous demander ce qui vous fait rire aujourd'hui.
05:34 On vient de le comprendre, ce qui vous fait rire.
05:35 Qu'est-ce qui ne vous fait pas rire, Philippe Valle ?
05:37 Ce qui ne me fait pas rire, c'est les gens qui croient à des choses
05:44 qui sont à fond dans leurs croyances, qui sont dangereux, qui sont tristes,
05:50 qui ne veulent pas que les autres rient, qui trouvent que le rire les offense.
05:54 Ça, ça ne me fait pas rire du tout.
05:55 C'est pour ça que vous nous dites "si l'on ne peut pas rire de tout, on peut en revanche rire de n'importe quoi".
05:59 Oui, je pense que c'est vraiment ça.
06:02 On peut rire de n'importe quoi, mais ça dépend de la façon dont on s'y prend.
06:06 Je pense qu'il y a...
06:08 Moi, je parle du rire tragique.
06:10 Il n'y a pas de grand rire sans une conscience tragique.
06:14 Et il y a quelque chose de fraternel dans le fait de surmonter nos tragédies à tous.
06:21 Parce qu'on va tous mourir, parce que le monde est parcouru par des violences extrêmes, etc.
06:26 Et cette force de rire, c'est une dignité humaine.
06:29 Alors, en tout cas, parmi les moments saisissants de votre livre, et ce sera ma dernière question,
06:32 il y a votre analyse et votre regard sur l'opposition Zelensky-Poutine.
06:36 Et je pense que c'est un lien direct avec ce que vous êtes en train de nous expliquer.
06:39 Il y en a un des deux qui a de l'humour.
06:41 Il y en a un des deux qui est un comédien extraordinaire.
06:44 Un comédien extraordinaire qui est rentré dans l'histoire.
06:47 Il est rentré dans son personnage de fiction.
06:50 Ce qui est le cas de plein de grands personnels historiques.
06:52 De Gaulle, Churchill.
06:54 De Gaulle avait parfaitement conscience qu'il avait créé un personnage qui s'appelait le général De Gaulle.
06:59 Il en parlait souvent.
07:00 Il dit "moi j'aimerais bien aller à la campagne, mais De Gaulle ne peut pas, il faut qu'il reste là".
07:04 Et qu'il travaille...
07:06 Donc Zelensky est un merveilleux personnage, un homme d'État.
07:12 Il n'y a pas de grands hommes d'État qui ne soient pas un peu des artistes,
07:15 qui ne soient pas un peu artistes.
07:17 Et qui aient une distance entre leur personnage civil,
07:20 comme vous et moi, avec ses faiblesses, ses fragilités.
07:24 Et qui ont fabriqué un personnage fort, qui leur permet d'être très libre.
07:28 Et c'est dans la distance entre ces deux personnages qui sont,
07:33 que l'humour frétille, que l'humour irradie,
07:36 que l'humour a cette espèce de grésillement atomique.
07:40 - J'ai l'image de Poutine au moment où on se parle.
07:42 - Mais Poutine il n'est pas drôle du tout.
07:44 - Justement c'est ça...
07:45 - Ou alors il ne le sait pas.
07:46 - Ou alors il ne sait pas ce qu'il n'est pas drôle du tout, qui me fait rire moi.
07:48 Merci beaucoup Philippe Valle.
07:49 Votre nouvel essai "Rire" sort donc demain en librairie aux éditions de l'Observatoire.
07:53 Très bonne journée à vous.
07:54 - Merci. - Merci à vous.
07:55 [SILENCE]

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