Ancien président du Crédit Lyonnais et ancien directeur adjoint de cabinet de Pierre Mauroy chargé des questions économiques (mai 1981-mars 1983), Jean Peyrelevade publie "Réformer la France" aux éditions Odile Jacob.
Regardez L'invité de RTL du 19 mai 2023 avec Yves Calvi.
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00:02 RTL Matin
00:06 Il est 7h43, excellente journée à vous tous qui nous écoutez sur RTL. Bonjour Jean-Pierre Levade.
00:11 Bonjour.
00:12 Merci beaucoup de prendre la parole ce matin sur RTL, on ne compte même plus les
00:15 responsabilités qui ont été les vôtres, notamment en tant que président de l'UEP et du Crédit Lyonnais, de la Bank Stern ou encore de Suez.
00:21 Vous avez aussi été directeur adjoint du cabinet de Pierre Moroy lorsque la gauche est arrivée au pouvoir en
00:26 1981. Nous allons y revenir car vous publiez aux éditions d'Il Jacob "Réformer la France".
00:31 Ça veut donc dire que ce travail n'a pas été fait par le président Macron ? Réformer ?
00:35 Exact.
00:37 Ça n'est pas un réformiste.
00:39 Pour réformer, il faut avoir deux qualités.
00:42 La capacité à établir un diagnostic sur l'état du pays dans toutes ses composantes.
00:48 Vous allez chez le médecin, il vous dit pas qu'est-ce qui va bien.
00:53 Il vous demande quel problème vous avez. Ça c'est le diagnostic.
00:57 Diagnostic global de la part de Macron sur l'état du pays,
01:00 inexistant.
01:02 J'ai essayé de construire le diagnostic dans mon bouquin. Et la deuxième chose, une fois que vous avez le diagnostic,
01:08 c'est quel est le remède sur long terme ?
01:12 Quelle est la vision longue que vous avez pour résoudre les problèmes que vous avez diagnostiqués ?
01:18 Vous êtes très vif concernant notre chef d'état. Je lisais l'un de vos commentaires.
01:21 Vous expliquez qu'Emmanuel Macron n'était pas un homme de rigueur. Pas de rigueur ou pas de vision ? Ce qui n'est pas la même chose.
01:27 Les deux en général.
01:30 Il n'a pas de vision, c'est-à-dire
01:33 vous avez entendu une description du pays
01:37 à 15 ans d'ici et le chemin qu'on prend pour y parvenir ? Jamais.
01:42 Et il n'a pas de rigueur, il n'y a qu'à voir l'état des finances publiques.
01:46 Alors outre votre critique concernant le quinquennat en cours, vous revenez surtout sur l'arrivée de la gauche au pouvoir en 1981 et ce sur quoi
01:53 on a envie de vous interroger ce matin. François Mitterrand est président de la République.
01:56 Il nomme Pierre Moreau à maire de Lille à la tête du gouvernement.
01:59 Alors ça commence bien puisque vous nous confiez, je cite, que comme la plupart des hommes politiques de gauche, il était largement
02:06 incompétent en économie. Vous parlez du Premier ministre que vous avez servi, Jean-Paul Le Made.
02:10 Oui. Là je veux bien des explications.
02:13 C'était un homme très rigoureux, très simple et très pragmatique.
02:17 Il savait qu'il ne connaissait pas l'économie,
02:21 mais est-ce que je peux ajouter que ça faisait plus de dix ans qu'on travaillait avec lui sur les sujets économiques
02:29 et que c'est allé jusqu'au point qu'il nous a demandé
02:32 explicitement - on était deux, Henri Guillaume et moi - il nous a demandé explicitement,
02:37 y compris d'ailleurs une fois qu'on était à Matignon, ça a continué, de lui donner
02:43 disons une fois par semaine un cours d'économie.
02:45 Le Premier ministre de la France, de ses plus proches collaborateurs, de lui donner des cours d'économie sur quoi ? Les taux de change, la balance commerciale ?
02:53 Tous les sujets qui posaient problème, tous les sujets qu'on trouvait dans la liste du diagnostic.
02:57 Des mots à corriger. J'ai envie de vous dire que cette modestie l'honore, non ?
03:02 C'était un homme exceptionnel, c'est un homme d'état, c'est-à-dire sa personnalité, son égo. Je constate que
03:09 que les égos
03:12 des hommes politiques souvent les empêchent de
03:16 de fonctionner, si je puis dire.
03:18 Lui, jamais.
03:22 Quand on n'était pas d'accord avec lui, on n'était jamais écrasé en disant "vous taisez".
03:29 Il nous disait "expliquez-moi, expliquez-moi pourquoi vous n'êtes pas d'accord,
03:33 expliquez-moi votre raisonnement". Ça pouvait être épuisant, ça pouvait durer des jours et des jours.
03:38 Mais il voulait choisir lui, dans sa tête, entre les différents arguments,
03:43 celui qui lui paraissait le meilleur.
03:45 Dites-moi, pas très doué en économie, on aurait pu dire la même chose du président Mitterrand, non ?
03:49 C'était pire !
03:49 Parce que Mitterrand, il cherchait pas à comprendre. C'est ça la différence.
03:53 Mitterrand, il écoutait des avis autour de lui,
03:56 dans tous les sens, et il sautait sur celui qui
04:01 conjoncturellement lui paraissait le mieux adapté à son discours politique.
04:05 Vous êtes en train de me dire qu'il n'avait pas le sens de l'État ?
04:07 Il l'avait,
04:09 mais pas sur ces sujets-là. Il l'avait certainement en politique étrangère, en matière de défense,
04:16 en matière de cohésion sociale.
04:20 Et le miracle, si je puis dire, c'est qu'il a choisi Pierre Monroy comme Premier ministre.
04:24 Alors il y a des choses extraordinaires dans votre livre, puisque vous expliquez que notre premier chef de gouvernement de gauche, en l'occurrence Pierre Monroy,
04:30 a immédiatement compris qu'avec l'application du programme de réforme,
04:34 il faudrait ensuite préparer un retour à la rigueur.
04:37 Bien sûr.
04:38 Donc il accepte de prendre, si je puis dire, le périphérique, pour après aller au cœur de la capitale.
04:42 Oui, exactement.
04:43 Pourquoi ? Parce que c'était impossible de ne pas le faire en...
04:45 Parce que...
04:46 L'un de gauche arrivant au pouvoir ?
04:47 Parce que François Mitterrand avait été élu sur un programme de 110 propositions,
04:52 donc en tout cas dans le programme de François Mitterrand, même si c'était pas très cohérent,
04:56 il y avait une certaine vision de l'avenir du pays.
04:58 Oui.
04:59 Donc Pierre Monroy considérait de son devoir de loyauté vis-à-vis de François Mitterrand et du Parti Socialiste
05:06 d'appliquer l'intégralité du programme de réforme.
05:10 Il savait depuis le premier jour que ça détruirait ou que ça démolirait les équilibres économiques,
05:16 et donc depuis le premier jour, il savait qu'il faudrait fabriquer ce qu'il a appelé lui-même, un peu plus tard,
05:24 le tournant de la rigueur.
05:25 Le tournant de la rigueur.
05:26 Oui.
05:27 Même l'expression est une invention de Pierre Monroy ?
05:28 L'expression est de lui.
05:29 Avec le recul du temps, est-ce que vous avez des regrets ?
05:33 Oui, un seul.
05:35 C'est que je comprends que tant qu'il était Premier ministre,
05:38 il ne pouvait pas s'exprimer en tant que social-démocrate, en tant que réformiste,
05:44 contre la vision beaucoup plus radicalisée en matière économique et sociale de François Mitterrand.
05:51 Mais une fois qu'il a quitté son poste de Premier ministre,
05:55 je regrette qu'il n'ait pas lui-même engagé la bataille pour l'affirmation de la social-démocratie et du réformisme.
06:04 Il a préféré se retirer maire de Lille et président de l'International Socialiste.
06:08 Ça nous dit aussi quelque chose de lui.
06:10 Comme Jacques Delors s'est retiré aussi.
06:11 Comme Jacques Delors.
06:12 Donc tous les réformistes n'ont jamais osé engager le combat.
06:15 Le combat que j'essaye moi de réaviver.
06:19 Alors, on vous doit quand même les débuts du déficit français.
06:22 C'est un cycle sur lequel on n'est jamais revenu.
06:25 Vous en êtes conscient ?
06:26 Oui.
06:27 Vous assumez ?
06:28 J'assume parce que nous avons fait un début de déficit,
06:38 mais avec un déficit qui, à la fin de la période de Pierre Morat,
06:43 devait représenter de l'ordre de 40% je crois du PIB.
06:48 C'était encore très mesuré.
06:50 Oui, c'est pas 100% ça c'est sûr.
06:52 La dette publique, pardon.
06:54 C'est pas le déficit, la dette publique.
06:56 La dette publique.
06:58 Le déficit était de l'ordre de 2%, enfin inférieur au 3%.
07:04 Et la suite a été bien pire.
07:08 A l'époque ça n'était pas un souci.
07:10 Les chiffres que nous avions n'étaient pas un souci par comparaison
07:12 avec les autres Etats européens.
07:14 En tout cas, on voit que vous assumez.
07:16 J'ai une dernière question à vous poser.
07:17 Je reviens au président Macron.
07:19 Parce que le contre-exemple de Pierre Morat est une façon de parler aussi d'aujourd'hui.
07:23 Il est immobile ou immobilisé ?
07:26 Quand on voulait, on se dit qu'Emmanuel Macron à l'Élysée, c'est du temps perdu.
07:30 C'est mon sentiment.
07:33 C'est-à-dire, moi je n'ai pas changé d'opinion récemment à ce sujet.
07:38 J'ai toujours pensé depuis le premier jour qu'il n'avait pas de vision de long terme.
07:42 Et donc quelqu'un qui est élu comme président de la République,
07:46 qui capte l'intégralité du pouvoir,
07:51 qui étouffe son ou ses premiers ministres,
07:55 qui veut décider de tout,
07:57 qui parle sur tout,
07:59 et qui n'a pas de vision de long terme,
08:01 ce n'est pas un réformiste, une fois de plus.
08:03 Le diagnostic est à retrouver dans votre livre qui parait aux éditions.
08:06 Elie Jacobs, réformer la France.
08:08 Jean Perlewaed, merci d'avoir pris la parole ce matin sur RTL.
08:11 [SILENCE]