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Jérôme Fourquet, sondeur, politologue, publie "La France d'après, tableau politique", aux éditions du Seuil.
Regardez Le débat du 05 octobre 2023 avec Yves Calvi et Amandine Bégot.

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00:00 Vous êtes sur RTL.
00:02 7h, 9h
00:05 RTL matin.
00:07 Bienvenue à vous qui nous rejoignez sur RTL, il est 8h19. Bonjour Jérôme Fourquet.
00:10 Bonjour.
00:11 Vous êtes directeur du département opinion à l'IFO, vous publiez "La France d'après",
00:14 "Tableau politique", c'est aux éditions du Seuil, votre livre sort demain en librairie.
00:18 Et vous le dites très simplement, il s'agit de comprendre ce qui se passe dans la tête des français.
00:22 Alors, "Carte", "Courbe", "Camembert" viennent illustrer vos analyses et invitent le lecteur à s'immerger dans le très fond de la société française contemporaine.
00:29 Qu'est-ce qui se passe dans notre tête ?
00:31 Beaucoup de choses. Et alors, le propos du livre aussi, le titre essaie de le rappeler, c'est de montrer comment cette France d'après,
00:38 celle dans laquelle on vit aujourd'hui, diffère très profondément de celle qu'on connaissait il y a encore une trentaine ou une quarantaine d'années.
00:44 Et le propos du livre, c'est d'essayer de faire toucher du doigt au lecteur l'ampleur de ces transformations sociales, économiques, culturelles,
00:52 qui, in fine, se sont répercutées électoralement. En fait, l'analyse électorale n'est qu'un prétexte pour rentrer, une clé d'entrée pour rentrer dans ces transformations,
01:01 cette métamorphose française.
01:03 Alors, justement, quelles sont ces grandes ruptures des trente dernières années qui redessinent notre pays ?
01:06 Spontanément, on vous dirait désindustrialisation, recul de l'agriculture, comme de la religion de la famille traditionnelle.
01:12 Vous nous dites, la virée chez Ikea en voiture a remplacé la messe dominicale. Ça nous dit quelque chose de plus important qu'il n'y paraît ?
01:17 Oui, bien sûr. Alors, on voit que pendant très longtemps, on a été structuré par cette matrice catholique.
01:22 D'un côté, l'influence du Parti communiste. De l'autre, on pourrait appeler ça le duopole Don Camillo Pépone.
01:28 Dans les années 60, 35% des gens vont à la messe et 25% votent communiste.
01:33 C'est 60% de la population, parce qu'il n'y avait pas de double compte, ceux qui avaient la carte n'allaient pas à la messe, qui étaient dans ces deux grandes familles.
01:40 Et aujourd'hui, les gens qui vont à la messe, c'est 3 à 4% de la population.
01:43 Et Fabien Roussel a fait 2,5% des voix. Et donc, le grand historien Jean-François Cyrenelli parle de cette France des années 60 qui fournissait des horizons d'attente.
01:53 Quand on était catholique, quand on était communiste, on croyait à quelque chose qui nous transcendrait et qui irait plus loin.
01:59 Aujourd'hui, ces horizons d'attente se sont dissipés. Et ce qui reste pour beaucoup, c'est la consommation, ces zones commerciales qui structurent nos paysages.
02:10 Ça se traduit dans le vote, ce que vous êtes en train de nous décrire ?
02:12 Oui, alors...
02:13 En se bouleversant d'une certaine façon.
02:15 Oui, tout à fait. Alors, on voit que les anciens fiefs ouvriers ont changé de couleur politique.
02:21 On voit également qu'aujourd'hui, on parle beaucoup d'industrie touristique, pour nous rappeler peut-être qu'on n'a plus trop d'industrie,
02:29 mais pour souligner le poids tout à fait central acquis par ces activités touristiques et de loisirs qui, là, pour le coup, structurent le paysage.
02:36 Alors, c'est intéressant parce que vous citez l'exemple de Barbizon en Seine-et-Marne, ces maisons de peintre, les visiteurs sont là tous les week-ends.
02:41 Et comme par hasard, ça vote Macron. Mais ce n'est plus du tout le cas dès qu'on fait quelques kilomètres. Expliquez-nous.
02:46 Oui, parce que du coup, du fait de cette activité économique très importante et qui est souvent très concentrée géographiquement sur des espaces restreints,
02:54 vous avez une manne financière qui se déverse, des touristes qui viennent dépenser, qui viennent séjourner.
02:58 Et donc, on a des activités économiques assez prospères. Donc, on a des enclaves comme ça qui se portent bien.
03:05 Des poches de confort ?
03:06 Oui, la France AAA, donc c'est les littoraux, c'est Barbizon, c'est le Haut-Conixbourg, Rocamadour, etc.
03:14 Et puis, vous citez la France des Grands Crus, par exemple, elle vote Macron elle aussi.
03:16 Voilà. Et puis, dès qu'on s'en éloigne un peu, la réalité est assez différente.
03:19 Autre exemple assez parlant, dans l'Est de la France, dans la Meuse, donc un département très frontiste,
03:25 eh bien, le petit village de Douaumont, qui était au lieu des batailles de 14-18, qui donc aujourd'hui vit du tourisme mémoriel,
03:32 vote à 40% pour Emmanuel Macron au premier tour, alors qu'à quelques kilomètres d'écart, c'est plutôt Marine Le Pen qui fait 40%.
03:39 Et donc, qu'est-ce qui se passe ? Il y a un écosystème très particulier qui concentre un afflux de richesses dans ces territoires.
03:45 Alors, parmi les curiosités de vos analyses, dans cette France d'après, il y a nos modes de consommation qui définissent parfois nos identités, voire nos choix électoraux.
03:52 Alors, vous décrivez la France du café, ça j'ai trouvé ça extraordinaire, celle qui utilise des capsules vote Macron,
03:57 et celle qui utilise des dosettes, plutôt Le Pen.
04:00 Le Pen et Mélenchon. Alors, si on refait l'histoire un peu du marché du café, il y a une rupture dans ce marché au début des années 2000,
04:07 avec une grande marque, qu'on ne va pas citer, que tout le monde connaît, qui introduit la machine à café à capsules.
04:13 Et puis, rapidement, d'autres concurrents se mettent à développer des ersatz avec les fameuses dosettes.
04:19 Et donc, quand on regarde sociologiquement comment tout ça est distribué, il y a ceux qui peuvent se payer le premium,
04:24 qui s'achètent la capsule, et ceux qui sont cantonnés à imiter, qui font la dosette.
04:29 Et Marine Le Pen a très bien identifié tout ça, je pense que ce n'est pas pour rien qu'elle s'est implantée dans le bassin minier du Pas-de-Calais,
04:38 et elle voit bien le poids qu'a acquis la consommation dans la construction de nos identités,
04:42 et elle parle à ce que j'ai appelé le "groupetto" de la société de consommation, c'est-à-dire la partie de la population qui est décrochée,
04:48 qui bien que travaillant, n'arrive plus à se payer les standards, et qui en ressent une forme de déclassement très importante.
04:53 Alors justement, Jérôme Fourquet, qu'est-ce qui vous frappe le plus dans cette France d'après vous ?
04:58 Alors, moi ce qui me frappe beaucoup, c'est encore une fois l'ampleur de la transformation,
05:03 et on rappelle, parce que les auditeurs ont vécu tout ça en direct,
05:08 mais qu'au premier tour de l'élection présidentielle de 2022, Valérie Pécresse et Annie Dalgaux,
05:13 qui étaient les deux représentantes de nos deux grands partis historiques, ont fait à deux le score cumulé de 6,5% des voix.
05:21 Donc Éric Zemmour tout seul fait 7%, et Jean Lassalle fait 3%.
05:25 Et donc on a parlé d'un effet Big Bang, où l'ensemble du paysage a été comme blasté,
05:30 le paysage électoral, par ces phénomènes.
05:33 Donc c'est ça qui moi m'a le plus saisi, quand on regarde l'histoire de longue durée,
05:37 parce qu'on était plutôt habitué à des évolutions, là on a une vraie rupture.
05:40 Alors restons dans une autre rupture, allons au cœur de la question même.
05:44 Une victoire de Marine Le Pen en 2027 est-elle devenue possible, voire probable ?
05:49 Alors, on n'est pas devin, et donc il faut être très prudent, et il peut se passer énormément de choses.
05:56 À la lumière de cette transformation ?
05:59 Oui, alors, cependant, ce qu'on peut dire, c'est que jusqu'à 2022,
06:03 il nous paraissait halifaupe au regard des analyses et des chiffres,
06:07 comme tout à fait improbable l'hypothèse d'une victoire de Marine Le Pen,
06:10 et cette hypothèse-là, aujourd'hui, on la considère, au regard de nos chiffres,
06:15 comme étant plausible, non pas certaine et avérée, mais plausible.
06:18 C'est la première fois ?
06:20 Moi, de mon point de vue, c'est la première fois que je fais ce diagnostic-là, depuis 2022.
06:25 Je donne quelques chiffres, en 2002, pour la première fois,
06:28 un membre de la famille Le Pen, Jean-Marie Le Pen, arrive au deuxième tour de l'élection présidentielle,
06:32 il fait face à Jacques Chirac, Jacques Chirac a 20 millions de voix d'avance sur Jean-Marie Le Pen au deuxième tour.
06:38 En 2017, Marine Le Pen accède à son tour au deuxième tour, contre Emmanuel Macron,
06:44 11 millions de voix d'avance au profit d'Emmanuel Macron, l'année dernière, 5,5 millions de voix d'avance.
06:50 Alors, on ne va pas projeter les courbes, en disant que la prochaine fois sera "la bonne" pour le Rassemblement National,
06:56 mais il faut s'interroger sur ce que j'appelle dans le livre "la montée des eaux bleu-marine",
07:01 notamment, vous m'avez interrogé sur ce qui m'avait marqué,
07:05 moi, ça fait longtemps que je travaille sur ces sujets, je suis originaire de l'Ouest de la France,
07:09 et quand on regardait les scores de Jean-Marie Le Pen au deuxième tour en 2002, en Mayenne,
07:15 dans le centre de la Bretagne, dans le Limousin, les scores étaient de 10%.
07:19 Aujourd'hui, le "tarif" au deuxième tour, dans ces endroits-là, pour Marine Le Pen, c'est 30 à 35% des voix en 2022,
07:28 donc on a multiplié par 3 les scores en 20 ans,
07:31 et ces scores Mayennais, du centre Bretagne ou autres, sont ceux qu'on observait dans le Vaucluse, il y a 20 ans.
07:38 Et donc on peut dire que, quelque part, les plafonds sont devenus les planchers aujourd'hui,
07:43 et donc c'est ça qui m'interroge beaucoup sur les mécanismes qui ont abouti à cette situation.
07:47 Merci beaucoup Jérôme Fourquet, votre livre "La France d'après", tableau politique.
07:50 tableau politique.

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