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La France s'est beaucoup métamorphosée en seulement quelques décennies. Des mutations sociales, religieuses, politiques, un changement des modes de vie et des pratiques quotidiennes. Quel est le visage de la France en 2024 ? Jérôme Fourquet, politologue, directeur du département Opinions de l'institut de sondage IFOP est l'invité de RTL Soir.
Regardez L'invité de Yves Calvi avec Yves Calvi du 25 octobre 2024.

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Transcription
00:00RTL Soir. Yves Calvi et Agnès Bonfillon.
00:03Bonsoir Jérôme Fourquet.
00:04Bonsoir.
00:05Vous êtes analyste politique, grand expert de la géographie électorale
00:07et vous dirigez le département d'opinion de l'Institut de sondage IFOP.
00:11Et vous publiez aujourd'hui même un livre d'images, pas comme les autres,
00:14celui des métamorphoses françaises, illustré de façon tout à fait étonnante.
00:18En couverture, un gilet jaune, un flixbus, ces fameux autocars à prix modéré,
00:22et un vieux curé. C'est lui qui n'a plus sa place, le curé ?
00:26Alors vous voyez qu'il lit son livre, il s'en va sur la pointe des pieds,
00:31puis à côté de lui, il y a un bras avec un recouvert de tatouage
00:35pour illustrer ces grandes transformations que le pays a connues en quelques décennies seulement.
00:39En vous lisant, j'ai été stupéfait de l'ampleur des mutations qu'a connues notre pays en 40 ans.
00:43Pourtant je les ai vécues, mais on ne les a pas en tête d'une certaine façon.
00:47Voilà, c'est un peu comme quand on regarde un album de photos de famille,
00:50quand vous prenez les premières pages, vous connaissez tout le monde, c'est votre famille,
00:53mais vous dites, on a pris un petit coup de vieux quand même.
00:55Là c'est pareil, c'est en 40 ans seulement, les transformations étaient très fortes.
00:59Alors non pas qu'il ne se soit rien passé avant,
01:01mais comme vous l'indiquiez, c'est la vitesse et la profondeur
01:04de ces transformations qu'on a voulu mettre en images et en graphique
01:08dans ce livre « Métamorphose française », voilà, pour le grand changement.
01:12Je commence par un des chiffres qui m'a beaucoup marqué,
01:1425% des familles aujourd'hui sont monoparentales,
01:18c'est-à-dire un parent, un enfant, expliquez-nous.
01:20C'était 10% en 1990, nous dites-vous.
01:23Effectivement, donc on voit comment en 30 ans, la proportion a doublé,
01:27et aujourd'hui c'est un véritable sujet de société.
01:31Je vous prends deux exemples.
01:32Au moment de la mobilisation des Gilets jaunes,
01:34quand les Gilets jaunes rédigent leur fameux cahier de doléances,
01:37la première revendication, bien évidemment, c'est la suppression de la taxe sur l'essence.
01:42La deuxième revendication, c'était assurer le paiement des pensions alimentaires.
01:45Au début on s'est dit, mais qu'est-ce que cela vient-il faire dans la crise des Gilets jaunes ?
01:49Eh bien parce que beaucoup de ces mamans solos, comme on les appelle aujourd'hui,
01:52étaient sur les ronds-points lors de la crise des Gilets jaunes.
01:55Et puis plus proche de nous, autre crise qui a beaucoup secoué le pays,
01:59les émeutes de l'été 2023.
02:02Quand le ministre de la Justice de l'époque a donné des statistiques sur le profil
02:07des mineurs qui avaient été interpellés,
02:10eh bien 60% d'entre eux étaient issus de familles monoparentales.
02:14Et donc on voit comment ce changement dans la structuration des familles
02:18produit des effets sociétaux et la vitesse avec laquelle tout cela s'est produit.
02:22Alors au cœur de votre travail, il y a une France faite de mosaïques,
02:24comme le traduisent d'ailleurs les revendications identitaires.
02:28Les prénoms sont un révélateur ?
02:29Oui, alors c'est un révélateur de beaucoup de choses.
02:31D'abord de l'autonomisation de l'individu.
02:34En 1945, on est en plein baby-boom, il y a beaucoup d'enfants qui naissent en France.
02:38On dénombre 2000 prénoms différents, garçons et filles confondues.
02:41Aujourd'hui on est à plus de 13 000, avec moins de naissances.
02:43Donc on voit comment la palette s'est ouverte.
02:45C'est hurlissant.
02:46Autre élément qu'on peut tirer de ces prénoms,
02:49on voit la persistance de certaines cultures régionales.
02:51Dans certaines régions, les prénoms bretons en Bretagne par exemple.
02:55Le poids de l'immigration.
02:5621% des nouveaux-nés aujourd'hui reçoivent un prénom arabo-musulman.
03:00C'était 1% en 1960.
03:02Et puis également l'américanisation du pays.
03:04Avec 10%, à peu près 10% des garçons, des petits garçons qui aujourd'hui naissent,
03:09qui reçoivent un prénom anglo-saxon.
03:11Les fameux Kevin, Jordan, Dylan, etc.
03:13Alors, je ne parle pas que de l'Église ou du Parti communiste.
03:16Nous aussi, les grands médias, nous sommes frappés.
03:19La télévision ne joue plus son rôle d'unificateur.
03:21Chacun regarde son média, nous dites-vous.
03:23Oui, alors...
03:24C'est vrai pour la radio aussi, d'une certaine façon, bien sûr.
03:26Tout le monde connaît les audiences.
03:28Et donc, ces grands médias, ce qu'on appelle des médias de masse,
03:31avaient comme fonction de diffuser une grille de lecture commune.
03:34Je prends l'exemple de la première chaîne de télévision,
03:38qui faisait 45% d'audience dans les années 80.
03:42Et donc, le lendemain matin, il n'y avait pas de replay.
03:44Donc, le lendemain matin, dans la cour d'école, à l'atelier,
03:46ou à la machine à café...
03:47On ne parlait que de ça.
03:48La moitié des gens avaient regardé la même chose à la même heure.
03:50Et aujourd'hui, toutes ces audiences sont fragmentées.
03:53Dans les jeunes générations,
03:54on regarde davantage encore les écrans,
03:58mais d'autres écrans que la télévision.
03:59Et donc, tout cela participe aussi à l'archipellisation du pays.
04:03Dites-nous, c'est si important que ça, l'implantation des McDonald's ?
04:06Et qu'est-ce que ça révèle ?
04:07Alors, les McDonald's, c'est plus de 1600 restaurants en France.
04:11Donc, le pays de la gastronomie...
04:121600 !
04:131600 restaurants.
04:15Et le McDonald's a la France comme deuxième marché mondial après les Etats-Unis.
04:20Et quand on regarde les chiffres...
04:22On peut faire référence à l'actualité immédiate aux Etats-Unis.
04:26Vous savez que Donald Trump s'est fait filmer dans un McDonald's.
04:28Puisqu'aux Etats-Unis, avoir travaillé chez McDonald's,
04:32c'est s'identifier à la classe moyenne.
04:34Eh bien, en France, un jeune sur dix,
04:36un jeune sur dix de moins de 35 ans,
04:38a déjà travaillé chez McDonald's une fois dans sa vie.
04:41C'est extraordinaire, ce chiffre.
04:42Cette France en mille morceaux que vous nous décrivez,
04:44est-ce qu'elle a encore des choses à partager ?
04:47Alors, oui, bien sûr.
04:48On voit qu'il y a des grands moments de célébration, de communion collective,
04:53en positif et de manière festive.
04:56On a tous en mémoire la belle parenthèse des Jeux Olympiques cet été,
05:01où les Français ont fait corps positivement,
05:04dans les moments plus tristes ou plus sombres également.
05:07On se souvient des mobilisations après Charlie Hebdo,
05:10après l'assassinat de Samuel Paty.
05:13Donc, il y a encore des moments et des forces de rappel
05:16qui permettent de faire bloc et de faire corps.
05:18On a longtemps dit, il y a deux Frances,
05:20celle des grandes villes et celle des territoires ruraux,
05:22vécues comme abandonnées.
05:24Est-ce que c'est toujours vrai ?
05:25Et éventuellement, est-ce que ça s'aggrave ?
05:27Alors, c'est pas évident...
05:29Ou c'est un lieu commun un petit peu facile ?
05:30Alors, il faudrait même nuancer davantage...
05:33Je vous en prie, on a...
05:34En disant, voilà, on a la France des grandes métropoles,
05:38la France dite périphérique,
05:41qui s'en tire plus ou moins bien,
05:43avec notamment des grands contrastes
05:45selon que ces territoires soient, par exemple,
05:48à dominante touristique ou non.
05:50Si vous habitez dans la France du Sud,
05:52ou la France des littoraux,
05:54on peut être assez loin d'une grande métropole,
05:57être dans des endroits où il fait très bon vivre,
05:59où il y a un niveau de développement économique
06:01tout à fait satisfaisant.
06:02Donc, c'est une espèce de mosaïque également sur le plan territorial.
06:05On avait beaucoup dit au moment du Covid
06:08que ça allait être la revanche des villes moyennes.
06:10Et on voit que dans beaucoup de ces villes moyennes
06:13qui n'ont pas forcément d'attrait touristique,
06:15il n'y a pas eu la manne du télétravail,
06:17il n'y a pas beaucoup de gens qui sont venus s'installer.
06:19Et qu'en revanche, les télétravailleurs ont préféré
06:22ce qu'ils pouvaient s'installer dans les couronnes périurbaines.
06:24Et donc, le télétravail a amplifié l'étalement urbain,
06:28ou, pour les cadres, les stations balnéaires.
06:31Donc, on a vu un rush, notamment, sur tout le littoral atlantique.
06:34Le mot de mosaïque revient régulièrement dans ce livre,
06:37vous venez de l'utiliser.
06:39On a vécu une sorte de parenthèse enchantée avec les Jeux olympiques,
06:41on regardait tous la même chose au même moment.
06:43C'est un moment où on se fait une culture et des émotions communes.
06:46Voilà, et des souvenirs communs.
06:47Exactement.
06:48Des souvenirs communs, et donc c'est ça qui permet à un pays de se tenir ensemble.
06:52En plus, nos athlètes ont eu la bonne idée de remporter des médailles très rapidement.
06:57Donc, les JO ont commencé sur de bons rails.
07:01Et donc, il restera, bien sûr, une trace au long cours de tout cela.
07:05Mais attention à ne pas considérer que c'était le moment normal.
07:10On pourrait comparer cette période un peu avec ce qui se passe chaque année au Brésil,
07:15qui est un pays qui est très fragmenté.
07:17Et le temps du carnaval, tous les quartiers de Rio
07:20défilent, font la fête ensemble.
07:24Peut-être font-ils d'autant plus qu'ils savent que le reste de l'année,
07:26ils vivent chacun dans leur quartier.
07:28Est-ce que ça existe encore, Jérôme Fourquet, ce qu'on appelait le récit national ?
07:31C'est un grand sujet.
07:33On avait fait une enquête à l'IFA pour la Fondation Jean Jaurès,
07:35en demandant à un échantillon de français qui vous parle de la France.
07:39Et on s'apercevait que ce n'étaient plus les politiques.
07:42Pour les personnes les plus âgées, c'était les écrivains.
07:46Et pour les jeunes générations, c'était les auteurs de séries
07:49qui racontaient la France.
07:50Et on avait, autre résultat de cette enquête, 45% qui vous disaient personne.
07:55Et donc, c'est aussi ça, le spleen français, c'est que personne,
07:59pour beaucoup de français, plus personne ne parle d'un récit national.
08:03Je vous laisse 30 secondes, vous qui nous regardez vivre et qui nous sondez depuis des années,
08:06qu'est-ce qui vous frappe le plus dans la France de 2024 ?
08:09Encore une fois, c'est l'ampleur de cette transformation.
08:11On est à quelques jours de la Toussaint.
08:14Et donc, on montre dans ce livre comment en 1980, c'est pas si vieux,
08:19il y avait 1% des obsèques qui donnaient lieu à une crémation.
08:21Et aujourd'hui, c'est 43%.
08:23Donc, les choses n'avaient pas bougé pendant plusieurs millénaires.
08:26Et en 4 décennies, on est devenu quasiment à majorité sur cette pratique de la crémation.
08:32Incroyable, merci beaucoup Jean-Fourquay, grand expert de la géographie électorale,
08:35directeur du département opinion de l'Institut de sondage IFOP.
08:39Votre livre « Métamorphose française », on vient de les entendre,
08:41paraît donc aujourd'hui aux éditions du Seuil.
08:43Merci à vous.
08:44Dans un instant, le journal de 18h30, puis direction les Etats-Unis,
08:47où la culture des armes à feu est totalement ancrée dans la société américaine,
08:51au point de voir des distributeurs de munitions à l'entrée des supermarchés.
08:55Et tout cela à quelques mètres d'une école.
08:57Et puis à 18h45, le grand reporter Laurent Valdiguier nous expliquera tout
09:00sur les derniers bondissements dans l'affaire qui oppose Mbappé au Paris Saint-Germain.
09:04C'est un litige à 55 millions d'euros, je vous le rappelle.
09:06A tout de suite.

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