Après la mort de Alexeï Navalny et la prise de Avdiivka, comment empêcher Vladimir Poutine de gagner la guerre ? Pour en parler, Marie Mendras, politologue au CNRS et au CERI-Sciences Po, auteure de "La guerre permanente. L'ultime stratégie du kremlin" (Calmann-Lévy, sortie le 21 février).
Regardez L'invité d'Yves Calvi du 19 février 2024 avec Yves Calvi.
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00:00 Vous êtes sur RTL.
00:02 7h, 9h
00:05 RTL matin 8h22 bonjour Marie-Mandras. Bonjour. Vous êtes politologue au CNRS et au CERI, professeure à Sciences Po Paris et vous publiez "La guerre
00:14 permanente l'ultime stratégie du Kremlin". Votre livre sort mercredi aux éditions Kalman Levy.
00:19 Il livre sa cinquième guerre contre des ennemis qui n'étaient pas une vraie menace nous dites vous Marie-Mandras.
00:24 C'est donc ça sa guerre permanente, sa stratégie pour rester au pouvoir ?
00:28 Absolument et c'est la guerre permanente à la fois
00:31 contre les Tchétchènes, contre les Syriens, contre les Georgiens, contre les Ukrainiens mais aussi
00:37 contre sa propre population en Russie. C'est à dire que j'insiste beaucoup sur le fait que bien sûr il y a une très forte
00:45 résistance en Russie, c'est bien pour ça
00:48 qu'ils ont fini
00:50 par tuer Alexei Navalny une dernière fois parce qu'ils ont essayé plusieurs fois depuis 2020 de le tuer.
00:58 Et que donc la guerre est
01:01 consubstantielle au régime puisqu'il faut toujours chercher à
01:06 anéantir l'autre. Et le problème c'est que les ennemis maintenant c'est quasiment la terre entière.
01:12 Mais dans les guerres du président russe, est-ce qu'on a évalué le nombre de morts
01:18 chez les soldats russes et donc le nombre de familles touchées par ces guerres permanentes depuis son arrivée au pouvoir ?
01:23 C'est une excellente question Yves Calvi parce que très souvent on présente dans nos médias les victoires de Poutine,
01:30 il vient de remporter ça, il vient de remporter ci, puis on nous montre toutes les destructions en Ukraine et voilà on a l'impression que
01:37 la Russie est derrière
01:40 son dictateur.
01:42 Les données que nous avons actuellement,
01:44 avec précaution mais qui ont été quand même reprises par des institutions sérieuses et des gouvernements,
01:51 c'est que du côté des Russes, c'est à la fois
01:54 les militaires, l'armée et les milices et la garde nationale,
01:58 les forces spéciales des services de renseignement, il faut voir c'est pas une armée, en deux ans de guerre
02:05 plus de
02:09 340 000
02:11 340 000 hommes ont été mis hors de combat et probablement
02:19 150 000 tués et les autres donc des blessés graves et des hommes qui ne pourront pas
02:25 retourner combattre. Et ça ne génère pas de révolte dans la population russe ? Bien sûr mais
02:31 comment l'exprimer dans une dictature ?
02:33 Je pense que vous avez suivi de très près les réactions
02:37 à la mort d'Alexei Navalny vendredi après-midi
02:43 et
02:46 j'ai relevé dans toutes ces villes de Russie où quelques dizaines ou quelques centaines de personnes avaient le courage,
02:53 en plus il fait très froid, de sortir avec une fleur ou une photo de Navalny
02:59 et de la poser sur un mémorial ou de faire comme pour Boris Nemsov
03:04 un mémorial là où il avait été tué.
03:08 Et
03:10 Poutine n'a même pas supporté ça puisque il y a eu
03:14 des centaines d'arrestations et plus de 150 personnes condamnées. En revanche
03:20 si vous allez sur les réseaux sociaux, là vous avez des millions de personnes qui expriment
03:27 leur colère et qui rendent hommage
03:31 à Navalny et qui demandent la fin de cette dictature.
03:36 Je précise que l'équipe de Navalny, ses proches, ont expliqué ce matin, il y a quelques instants, à l'agence France Presse,
03:41 que pour le troisième jour consécutif l'accès à son corps leur avait été refusé.
03:46 C'est sordide.
03:47 C'est sordide ?
03:48 C'est en disant sur la nature de cette dictature
03:52 complètement acculée et qui peut même pas supporter qu'un homme
03:58 déjà très affaibli, qui était incarcéré depuis plus de trois ans dans des conditions inhumaines, souvent au cachot, sans aucun soin
04:08 médical, il pouvait même pas supporter qu'il continue de respirer.
04:12 Ça vous en dit long sur la faiblesse de cette dictature ?
04:16 Ce n'est pas le premier à être tué, pourtant apparemment ce pouvoir reste stable et même s'il est contesté...
04:22 Il n'est pas du tout stable, c'est une dictature.
04:24 Comment peut-on parler de la stabilité d'une dictature ?
04:26 Comment peut-on parler de la stabilité ?
04:29 Parce qu'il s'impose par la violence.
04:30 C'est pas une stabilité.
04:32 C'est exactement ce que vous venez de dire.
04:36 Garder le pouvoir à tout prix, garder l'impunité pour simplement survivre.
04:43 Mais, vous savez, en Russie, ça fait maintenant deux ans que ça dure, comme on vient de le dire, il y a déjà beaucoup de victimes.
04:51 Il n'y a pas du tout une Russie consentante.
04:55 C'est beaucoup plus compliqué.
04:57 Alors justement, je vous cite dans votre livre, l'élection manipulée est à la fois une grande force et une grande
05:02 vulnérabilité du système Poutine, nous dites-vous. L'urgence pour Poutine est de garder le pouvoir en Russie.
05:07 Expliquez-nous, ça peut paraître paradoxal.
05:10 Bien sûr, c'est qu'au fil des années,
05:12 Poutine a
05:15 utilisé de plus en plus la violence. La violence
05:19 en Syrie, en Georgie, en Ukraine, et il a aussi utilisé une violence de plus en plus extrême
05:28 contre ses propres...
05:31 contre les Russes. Bien sûr. J'ose même pas dire contre ses citoyens, ils ne sont plus
05:35 citoyens.
05:37 Au fond, à un moment,
05:40 ce qui devenait absolument essentiel pour le tyran,
05:44 c'était de maintenir l'illusion d'un plébiscite populaire.
05:49 Alors, tout est manipulé.
05:52 Les résultats sont écrits d'avance, pour avoir été observatrice électorale,
05:57 avant que la dictature ne s'installe vraiment. Je peux vous dire que j'ai vu dans certains cas où les résultats
06:03 avaient été fournis vers, voilà, 14h dans l'après-midi, de qu'est-ce que la commission électorale locale devait sortir.
06:12 Donc, Poutine ne sera pas élu ou réélu à la mi-mars.
06:17 Il est en train d'essayer de se
06:20 redonner une sorte d'armure, et c'est
06:25 qui, bien entendu, ne fonctionnera pas. Et je crois que c'est à nous,
06:28 vraiment, et à vous les journalistes, d'être prêts et de dire dès aujourd'hui, ce n'est pas une élection.
06:35 Car dans une dictature violente, on ne peut pas choisir, donc on ne peut pas voter.
06:40 Je vous cite Marie Maindrasse,
06:42 "Même s'il s'obstine à continuer la guerre, Vladimir Poutine ne la gagnera pas.
06:46 L'invasion de l'Ukraine est la guerre de trop. Ce sera ma dernière question. Expliquez-nous.
06:50 C'est une évidence.
06:52 C'est-à-dire que nous avons tendance à réagir
06:56 en disant, "l'armée russe a repris la petite ville d'Avdiv-K, donc c'est une grande victoire".
07:03 Nous ne sommes pas du tout dans ce type de guerre aujourd'hui. On est dans une guerre d'usure.
07:09 Personne ne va aller beaucoup plus longtemps dans l'offensive sur le front.
07:15 Donc, les Russes vont, comme les Ukrainiens, être sur la défensive.
07:21 L'armée russe n'est pas en très bon état. Elle a peut-être plus de munitions que les Ukrainiens,
07:27 mais elle est très très seule à combattre. Elle combat en terrain étranger.
07:32 Et donc, elle ne pourra pas tenir éternellement,
07:37 surtout si nous aidons totalement l'Ukraine.
07:42 Je ne vois pas en quoi cette guerre est une guerre de conquête.
07:47 C'est une guerre de destruction.
07:49 Poutine ne cherche pas à conquérir et gouverner l'Ukraine.
07:53 Il ne va pas demain s'attaquer à un pays de l'OTAN. Il n'en a pas les moyens.
07:58 Il faut comprendre que derrière cette violence et cette pulsion de destruction,
08:03 il y a quelque chose de très très mortifère.
08:10 Et nous devons comprendre que la vie va continuer en Ukraine,
08:17 et qu'en revanche, en Russie, il va y avoir tout à reconstruire
08:22 après la chute du régime Poutine et la fin de la guerre.
08:27 Donc, c'est bien au régime Poutine qu'il faut s'attaquer
08:32 et défendre le plus possible les prisonniers politiques incarcérés en Russie
08:39 pour qu'ils puissent survivre.
08:41 - Oui.
08:42 [SILENCE]