Envoyer des troupes occidentales en Ukraine ? Guillaume Ancel, ancien officier, est l'invité de RTL Matin.
Regardez L'invité d'Yves Calvi du 28 février 2024 avec Yves Calvi.
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00:00 Vous êtes sur RTL.
00:02 7h, 9h, RTL Matin.
00:08 Il est 8h19, bonjour Guillaume Ancel.
00:10 Vous êtes ancien officier de l'armée française je le rappelle,
00:12 et vous venez de publier Saint-Cyr à l'école de la Grande Muette,
00:14 aux éditions Flammarion,
00:16 puis je renvoie également à votre blog "Ne pas subir".
00:18 Rien ne doit être exclu pour que la Russie ne puisse pas gagner cette guerre,
00:22 y compris l'envoi de troupes au sol.
00:24 C'est la première fois qu'un leader occidental, en l'occurrence Emmanuel Macron,
00:26 évoque une telle option militaire concernant l'Ukraine.
00:28 Il a brisé un tabou Emmanuel Macron ?
00:30 Oui, il a brisé un tabou, réintroduit au fond un débat qui était devenu un impensé dans notre société.
00:36 Après trois décennies de paix absolue en Europe,
00:39 nous étions persuadés que nous n'étions plus concernés par la guerre.
00:42 Je pense qu'il a eu raison de dire "malheureusement, pour faire la guerre,
00:46 il faut se battre si on veut gagner la paix".
00:49 Et c'est au fond, il met surtout fin à une espèce d'illusion
00:52 qui était de croire qu'on pouvait gagner la guerre en Ukraine par procuration.
00:55 Donc il nous dit "la guerre est toujours là,
00:57 et nous sommes concernés".
00:59 La guerre est toujours là, nous sommes concernés,
01:01 et à un moment nous serons obligés de nous impliquer.
01:03 De quel type de troupe parle Emmanuel Macron ?
01:05 Ce qu'on entend dans cette déclaration, c'est que des militaires français
01:07 vont aller se battre sur le front ukrainien.
01:09 Est-ce qu'il s'agit bien de cela ?
01:11 Ou en tout cas, est-ce que c'est une possibilité ?
01:13 C'est une possibilité, et bien sûr que maintenant tout le monde se rétracte
01:15 pour assurer leurs opinions publiques, en disant "mais non, il n'est pas question qu'on y aille et c'est ras".
01:19 Alors qu'en fait, ça fait l'objet de débats depuis le début de la guerre en Ukraine.
01:23 Et les premiers à l'avoir fait, ce sont les polonais,
01:25 qui nous ont dit "les ukrainiens ne gagneront pas seuls,
01:27 pourquoi ? Parce que leur pays est quatre fois plus petit que la Russie".
01:30 Donc si on veut réellement que l'Ukraine gagne,
01:32 et que l'Europe soit défendue, et bien oui,
01:34 à un moment on sera obligé de s'impliquer.
01:36 Pas forcément sous manière nationale.
01:38 On n'est pas obligé de dire que la Pologne déclare la guerre à la Russie,
01:40 ce qui serait une ineptie.
01:42 Mais d'envoyer des soldats dans une brigade internationale,
01:44 c'est exactement ce qu'avait fait la Russie de Poutine
01:47 au début de la guerre en Ukraine,
01:49 où il envoyait des régiments sans casquette russe,
01:51 en expliquant que c'était des milices séparatistes.
01:54 Donc au fond, ce ne serait que lui rendre la monnaie de sa pièce.
01:57 - Alors le ministre des Affaires étrangères, Stéphane Séjourné,
01:59 a précisé à l'Assemblée nationale,
02:01 il s'agirait plutôt d'opérations de déminage de cyber,
02:03 du médical, du soutien logistique,
02:05 et éventuellement des productions d'armes.
02:07 Il ne faut pas prendre ça au pied de la lettre, c'est bien ça, je vous ai compris ?
02:09 - Non, d'autant que ce sont des choses qu'on fait quasiment déjà.
02:12 C'est-à-dire qu'il y a déjà des experts français
02:14 qui s'occupent du matériel, de la maintenance,
02:17 de conseillers, d'une expertise.
02:19 Alors parfois, de l'autre côté de la frontière,
02:21 souvent ils sont sans casquette sur le territoire ukrainien.
02:23 - Quand le même ministre nous dit
02:25 "Certaines de ces actions pourraient nécessiter une présence sur le territoire ukrainien
02:28 sans franchir le seuil de belligérance",
02:30 ça veut dire quoi ? Qui fixe ce seuil ?
02:32 - En fait, ce seuil est totalement illusoire.
02:34 C'est de dire qu'il n'y a pas d'engagement direct,
02:36 c'est-à-dire de tir contre l'armée russe.
02:39 Mais le jour où les russes, et c'est quotidien,
02:41 tirent un missile, et que ça atteint une base
02:43 sur laquelle il y a des français,
02:45 la belligérance, elle est déjà là.
02:47 La belligérance, elle est du côté russe.
02:49 - En même temps, il y a-t-il déjà des militaires français,
02:51 mais de façon officieuse, selon vous,
02:53 sur le territoire, sur place, en Ukraine ?
02:58 Est-ce que c'est une idée qu'on peut retenir ?
03:00 - Oui, bien sûr. Il y a des soldats français,
03:02 il y a des soldats polonais, il y a des soldats américains,
03:04 qui sont sur place,
03:06 qui sont évidemment en mode discret,
03:08 c'est-à-dire qu'ils ne sont pas là pour représenter une armée nationale.
03:10 Ce n'est pas l'armée qui est engagée,
03:12 ce sont des experts, des conseillers.
03:14 Et par exemple, ce sont des experts français et britanniques
03:17 qui vérifient les paramétrages de tir
03:19 des missiles Scalp et Storm Shadow
03:21 qu'on a livrés aux ukrainiens
03:23 pour être sûrs qu'ils ne visent pas des cibles en Russie.
03:25 - Donc, nous conseillons les ukrainiens
03:27 dans l'utilisation des armes qu'on leur a fournies,
03:29 sur le terrain ?
03:31 - On va plus loin, c'est souvent nous qui leur fournissons les cibles.
03:33 En fait, on leur apporte du renseignement,
03:35 du conseil et de la formation.
03:37 On le fait beaucoup sur le territoire européen,
03:39 notamment en Pologne ou en Roumanie,
03:41 mais on le fait aussi sur le territoire ukrainien,
03:43 discrètement, mais certainement.
03:45 - Est-ce que l'Ukraine, au moment où nous en parlons,
03:49 en plus des munitions et du matériel,
03:51 on y reviendra dans quelques instants,
03:53 aurait besoin de troupes supplémentaires pour gagner sa guerre ?
03:55 - Très clairement, en fait, l'Ukraine manque de munitions,
03:57 mais elle manque aussi de bras.
03:59 Encore une fois, parce que c'est un petit pays,
04:01 aujourd'hui c'est un pays de moins de 40 millions d'habitants
04:03 qui affronte un empire menaçant de 140 millions d'habitants.
04:05 Donc, il manque de bras,
04:07 et le simple fait d'envoyer 50 à 60 000 hommes,
04:10 remarquablement armés et formés,
04:12 ce qui est le cas des armées en Europe,
04:14 renverserait totalement le front.
04:16 On voit bien que nos cultures, nos civilisations,
04:18 nos sociétés n'y sont pas encore prêtes,
04:20 mais il faut que l'idée chemine,
04:22 et c'est en ça que la déclaration de Macron était importante.
04:24 - Elle déclenche en tout cas, au minimum,
04:26 un état d'esprit, on nous prépare à quelque chose,
04:28 parce que, excusez-moi, mais cette option
04:30 est très loin de faire consensus côté occidental.
04:32 Les Allemands, les Italiens, les Espagnols,
04:34 les Britanniques, les Suédois, les Américains,
04:36 tous nos alliés sont contre.
04:38 Même le chef de l'OTAN n'a pas l'air ravi.
04:40 Tout le monde joue la comédie,
04:42 ils sont forcés d'y aller.
04:44 - Le secrétaire de l'OTAN a raison de dire qu'il est con,
04:46 parce que ce n'est surtout pas l'OTAN qui doit s'engager contre la Russie,
04:48 ce serait une guerre mondiale.
04:50 Par contre, quand tous les chefs d'état disent qu'ils y sont opposés,
04:52 ce qu'ils ne disent pas,
04:54 ou qu'ils devraient rajouter après la virgule,
04:56 c'est qu'ils en discutent tous ensemble.
04:58 - Le fait d'en discuter ne veut pas dire que pour autant
05:00 ils vont déclencher quoi que ce soit ?
05:02 - Non, mais Macron n'a pas dit qu'il déclenchait quelque chose.
05:04 Il a dit que cette option n'était pas exclue.
05:06 Ça ne veut pas dire qu'il s'est engagé.
05:08 - C'est une nuance qui est un peu difficile à traduire,
05:10 et qui à mon avis explique le retour très négatif de tous ses alliés.
05:14 Mais par contre, les 50 pays alliés qui soutiennent l'Ukraine,
05:18 aujourd'hui réfléchissent activement à l'option de "comment on fait pour que l'Ukraine gagne ?"
05:22 parce qu'il n'y aura pas de paix durable en Europe
05:24 tant que Poutine sera au pouvoir et fera cette guerre, bien sûr.
05:28 - Si on envoyait des militaires, effectivement, une coalition,
05:30 comment réagirait Poutine ?
05:32 - Il ne faut surtout pas que cette coalition soit timbrée
05:34 autant que l'Union Européenne.
05:38 Sinon, on escaladerait le conflit, ce qui n'est absolument pas le cas.
05:42 Il faut qu'elle soit sous un mandat international.
05:44 C'est ce qu'on avait fait lors de la première guerre du Golfe,
05:46 et pendant la guerre en Irak.
05:48 On sait faire, ça ne pousse pas énormément de difficultés.
05:50 - Ça ne s'appelle pas une guerre mondiale, ce qu'on est en train de décrire ?
05:52 - Non, si on ne déclenche pas la guerre contre la Russie, c'est le deuxième point.
05:56 Il faut afficher dès le départ qu'on ne se bat qu'en Ukraine.
05:58 Il n'est pas question de dépasser la frontière russe et de menacer la Russie.
06:02 La question se posera quand on arrivera proche de la Crimée.
06:04 Mais si on arrive proche de la Crimée, je pense que l'armée russe sera tellement déstabilisée
06:09 que la question ne sera plus chez nous, mais plutôt sur la manière dont le régime russe éliminera Poutine.
06:14 Parce que Poutine ne peut rester au pouvoir que tant qu'il inspire la terreur et qu'il ne recule pas.
06:18 - Le porte-parole de l'ambassade russe à Paris expliquait encore hier
06:22 que tous les territoires qui étaient en ce moment envahis faisaient partie désormais de la Grande Russie.
06:28 - Oui, j'ai dialogué avec lui hier et ça m'a rappelé mes premières années dans l'armée
06:34 où j'étais négociateur chez l'Ekmer Rouge.
06:36 Quand on est face à un tel déni de la réalité, de toute façon ça ne sert à rien à discuter avec ce genre de personnes.
06:43 On voit bien qu'il n'y a aucune négociation possible avec Poutine,
06:46 parce qu'en fait il se moque de nous. Il est d'accord pour négocier à condition d'avoir tous les gains.
06:50 - Est-ce que le président de la République a raison de vouloir réveiller au minimum les Européens
06:54 face aux risques de guerre longue et d'un éventuellement épuisement du soutien à l'Ukraine ?
07:00 - Il a d'autant plus raison que le risque en réalité aujourd'hui, ce n'est pas la guerre,
07:04 c'est que Poutine nous propose un cessez-le-feu.
07:06 Parce que son armée n'est pas assez forte actuellement pour pouvoir envahir toute l'Ukraine.
07:12 Et en réalité son objectif ce n'est pas de gagner tout de suite,
07:14 c'est d'obtenir un cessez-le-feu pour avoir les deux ou trois années pour renforcer son armée.
07:18 Et là, il viendra gagner l'Ukraine et après il s'attaquera à d'autres pays.
07:22 Donc il faut que nous, on sorte de ce syndrome de Munich, de se dire
07:26 on va négocier une paix factice alors qu'en fait c'est la guerre qui nous pend au nez.
07:30 - Des journalistes estoniens viennent de dévoiler des documents révélant l'ampleur de la propagande russe
07:34 pour intoxiquer son propre peuple.
07:37 Le budget qui y est consacré est tout simplement faramineux.
07:40 1 milliard 100 millions d'euros chaque année dépensés par le Kremlin.
07:43 Un montant qui sert à déployer un contrôle idéologique par la télévision, Internet, les journaux et même le cinéma.
07:49 La Russie est définitivement une société totalitaire ?
07:52 - Oui et d'ailleurs on le voit en France très clairement.
07:55 Prenez le cas du Rassemblement National aujourd'hui.
07:57 Les discours qu'ils tiennent font que peut-être qu'il faudrait l'appeler plutôt Russie-nation.
08:02 C'est effrayant de voir que systématiquement les visions de Poutine sont relayées par des grands partis en France
08:10 et qui font qu'on essaie d'endormir l'opinion publique sur le fait que pas du tout, on n'est pas menacé par Poutine.
08:16 Et d'ailleurs, d'après eux, cette guerre ne nous concernerait pas.
08:18 C'est inquiétant pour un mouvement qui se voulait patriotique mais on se demande de quel patriotisme on parle.
08:23 - Alors on a bien compris le jugement que vous portez sur le comportement du Rassemblement National.
08:27 Les Russes sont-ils un peuple conditionné et aveuglé ?
08:30 - On le voit à travers l'effort de la guerre informationnelle.
08:33 Le but de cette guerre, il est affiché par le gouvernement russe, c'est d'asseoir leur emprise totale sur la mentalité,
08:42 sur la culture, sur les réactions de la société.
08:44 Et puis tous ceux qui essayent de s'y opposer sont systématiquement écrasés.
08:48 Hier, on a posé la question au porte-parole de la disparition d'Alexis Navalny
08:53 et il nous a répondu "mais il ne faut plus en parler, la page est tournée".
08:56 - Merci beaucoup Guillaume Ancel, ancien officier de l'armée française.
08:59 Je rappelle que vous venez de publier "S'insire à l'école de la grande muette" aux éditions Flammarion,
09:03 le récit de vos années d'apprentissage au sein de cette école militaire aussi prestigieuse.
09:07 Très bonne journée.
09:08 [SILENCE]