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Suite de notre série consacrée aux 40 ans du VIH : à 80 ans passés, Bernard Bousset nous raconte son année 1983, l'apparition du Sida et la disparition à venir des amis, de l'amour. Gamin gay du Sud-Ouest post-1945 devenu figure commerçante du Marais parisien, Bernard Bousset est l'invité de 9H10.

Retrouvez "L'invité de Sonia Devillers" sur
https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/l-invite-de-9h10

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Transcription
00:00 Sonia De Villers, suite de votre série spéciale consacrée aux 40 ans de la découverte du
00:06 virus du SIDA, en 1983, votre invité est heureux, l'homosexualité a été enfin dépénalisée.
00:15 Et il a rencontré l'homme de sa vie.
00:17 Bonjour Bernard Bousset.
00:18 Bonjour.
00:19 Voilà, l'année 83.
00:21 Pour vous, les homosexuels, en 1983, comment dire, la vie devait avoir changé.
00:29 Quelque chose semblait plus léger parce que l'homosexuel, enfin, avait été dépénalisé.
00:36 En 82.
00:37 En 82.
00:38 Et en 83, la catastrophe.
00:42 La catastrophe.
00:43 Mais cette dépénalisation du SIDA, il y a eu toute une génération qui ne peut pas,
00:48 comment dire, qui ne peut pas comprendre ce que ça a été pour vous, comme libération,
00:53 comme soulagement.
00:54 Oui, c'était des années de combat et de lutte.
00:57 Moi, je pense que toute ma vie a été consacrée au fait qu'être un délinquant parce qu'on
01:03 était homosexuel ou un malade, parce que c'était une maladie, était insupportable
01:08 à vivre.
01:09 Ça a été un calvaire.
01:10 Jusqu'à l'élection de Mitterrand en 81, qui avait promis de bannir le délit d'homosexualité.
01:16 Et en 82, la loi est passée.
01:18 Ça a été une fête folle.
01:20 Dans les bars, on est sortis des trous, parce qu'on vivait presque tous dans des trous,
01:25 en province, pas à Paris.
01:26 Mais on a fait la fête.
01:27 Écoutez, cet extrait des dossiers de l'écran, c'était sur Antenne 2, 1984.
01:34 Pour la première fois, la télévision française consacre un débat public à être homosexuel
01:39 en France.
01:40 Écoutez ça.
01:41 C'est un routier de Marseille qui nous dit pourquoi n'y a-t-il pas d'autres personnes
01:47 que des personnalités sur le plateau.
01:48 Je suis routier homosexuel.
01:50 Et il précise pourquoi certaines municipalités ont actuellement des brigades anti-homosexuelles
01:55 la nuit.
01:56 Je donne un exemple.
01:57 Aix-en-Provence.
01:58 Et cela semble être corroboré par un appel d'un détective privé, je le laisse pour
02:03 ce qu'il a prétendu être, qui dit "l'homosexualité est révoltante.
02:06 Nous avons créé, avec des collègues de la corporation, un service chargé de nettoyer
02:10 certains quartiers de Nice de ce fléau".
02:13 Entre guillemets, bien sûr.
02:15 Voilà, la communauté homosexuelle française, et pas que française, évidemment, mais marquée
02:21 dans sa chair par ces années de peur, de clandestinité, traquée en réalité.
02:28 Oui, ça continuait.
02:30 Ce n'est pas parce que la loi était passée qu'il n'y avait pas des rafles.
02:34 Il y avait des contrôles de police.
02:36 Dans les bars, il y avait des PV.
02:38 On était encore contrôlés en permanence.
02:41 A Paris, on vivait à peu près correctement.
02:45 Mais en province, c'était toujours l'opprobre de tout le monde.
02:49 En 1983, Bernard Bousset, vous vivez à Paris.
02:52 Vous êtes né à Dax.
02:54 Vous vivez à Paris.
02:55 Justement, ça faisait partie aussi des libertés à conquérir, l'anonymat des grandes villes,
03:03 la capitale, ce que Paris pouvait vous offrir.
03:06 Vous êtes amoureux.
03:08 Vous avez rencontré l'homme de votre vie.
03:10 - Oui, Philippe.
03:11 - Philippe.
03:13 Et puis, ça bat sur la communauté gay, sur vous, sur vos amis, sur votre entourage.
03:20 Ça bat le sida.
03:21 Ça a été d'abord des mois d'incompréhension.
03:24 - C'est-à-dire ?
03:25 Tant qu'on ne savait pas ce que c'était en 1983, les journaux ont publié, et je me
03:32 souviens de la couverture de Match, le cancer gay.
03:35 C'est-à-dire que les homosexuels avaient attrapé une maladie dont on ne connaissait
03:41 pas encore les causes.
03:43 On ne savait pas que c'était un virus.
03:44 Le virus a été découvert en 1983, je crois.
03:47 Vous avez reçu hier le prix Nobel de médecine.
03:49 Et donc, des tests ont été créés pour savoir si on avait été contaminé ou pas.
03:56 Et là, c'est là que tout le monde s'est rendu compte, étant donné que ce virus était
04:00 sournois.
04:01 Il existait déjà depuis quelque temps.
04:03 Les gens, comme ils ont fait la fête, comme des fous, puisque avec la libération...
04:09 - Avec la dépénalisation.
04:11 - Avec la dépénalisation de l'homosexualité, il y a eu des fêtes chéantes.
04:15 Et du coup, le virus a circulé partout.
04:18 Et quand le test est apparu, ça a rendu compte que mon ami était contaminé, mon frère
04:24 était contaminé.
04:25 - Philippe était contaminé ? - Oui.
04:26 - Ça, il l'a appris quand, votre compagnon ?
04:30 - Les tests ont été...
04:31 Lui, c'était en 1985.
04:33 - En 1985.
04:34 Alors, vous êtes en couple.
04:38 Philippe est contaminé, et vous ?
04:42 - Et moi, du coup, c'est lui qui a fait le test le premier.
04:47 Quand j'ai appris et qu'il a appris qu'il était contaminé, forcément, ça a été...
04:52 Qu'est-ce qu'on fait ? Parce que c'était la condamnation assurée.
04:58 On enterrait toutes les semaines nos pères Lachaise, nos amis.
05:03 - Donc, c'est dix ans avant les trithérapies.
05:07 - Dix ans avant les trithérapies.
05:09 Et ça a apparu en 1995.
05:10 - Il n'y avait rien pour arrêter la mort ?
05:12 - Non, il y avait des traitements.
05:13 L'AZT, qui était un traitement terrible sous perfusion.
05:17 Les perfusions étaient tellement violentes que les veines étaient brûlées.
05:23 On n'arrivait plus à piquer dans les bras parce que les veines se déchiraient.
05:26 On leur mettait des grosses compresses d'alcool pour désinfecter et tenir.
05:31 Et Philippe, on le piquait dans les pieds parce qu'on ne pouvait plus le piquer dans
05:36 les bras.
05:37 C'était des traitements horribles.
05:39 Ils attrapaient des pneumopathies, le caposi, on voyait des gens décharnés avec des plaques
05:50 sur le visage.
05:51 Non, on a vécu l'horreur, c'était terrible.
05:54 Et moi, je ne pouvais pas faire le test en me disant que si j'apprends que je suis séropositif,
06:00 je n'aurai pas la force de soigner mon ami.
06:02 - Ça veut dire que vous ne faites pas le test en 80 ?
06:04 - Non, je n'ai jamais fait le test.
06:05 Je ne l'ai fait que quand Philippe était mort.
06:08 - Vous êtes resté pendant 10 ans sans faire le test ?
06:13 - Oui.
06:14 Je n'ai pas eu le courage, je n'avais pas la force.
06:15 Il fallait qu'il y en ait bien un sur les deux qui puisse résister au fait parce qu'on
06:21 s'effondre quand on apprend qu'on est séropositif.
06:23 On sait qu'on va être condamné.
06:25 Moi, les traitements qu'il subissait et tout, il fallait pouvoir supporter ça.
06:30 On ne pouvait pas être deux à être soignés parce que quand on était séropositif, on
06:34 avait un traitement d'AZT qui était un traitement épouvantable, qui ne soignait pas d'ailleurs.
06:39 Mais on a tout essayé.
06:40 Il y a eu des protocoles où on injectait des anticorps.
06:45 Ça ne marchait pas non plus.
06:47 Rien n'a marché jusqu'à la trithérapie en 95.
06:50 Mais jusqu'en 95, on a enterré tout le monde.
06:54 Moi, la même année, j'ai enterré mon ami et mon frère en 94.
06:57 - Alors, votre frère qui était séminariste.
06:59 - Qui a été séminariste et qui a été au fonctionnaire.
07:02 - Voilà, au fonctionnaire.
07:05 Et qu'il a appris quand ? La même année que Philippe, sa séropositivité ?
07:10 - Il a appris deux ans après.
07:11 Il a beaucoup tardé à faire le test.
07:12 Ils avaient tellement peur, mais qu'il fallait le faire quand même.
07:15 Quand ils avaient des problèmes pulmonaires, c'est le médecin qui est obligé à faire
07:21 le test.
07:22 Donc, il a appris là aussi qu'il était séropositif et il est mort la même année
07:26 que mon frère.
07:27 - Évidemment, on sent dans votre voix la terreur de ces années-là.
07:31 Une terreur psychique, une terreur physique, ne serait-ce que de vivre entouré par la
07:38 maladie en permanence, jour et nuit.
07:40 Est-ce que vous avez le souvenir aussi d'une forme de fraternité, de solidarité très
07:46 forte au sein de la communauté ?
07:48 - Oui, oui.
07:49 Là, on n'était plus une communauté, on était une tribu.
07:51 Une tribu pour faire la guerre.
07:53 On a créé des associations.
07:55 Il y avait ACT UP, il y avait AIDE.
07:58 J'ai créé le SNEC justement parce qu'il y a eu de gros problèmes pour la prévention.
08:04 - On va en parler.
08:05 - Donc, on était très, très solidaires.
08:09 Il y avait des congrès partout.
08:10 On allait au ministère de la Santé.
08:12 À l'époque, c'était BARZAC, je crois, la ministre de la Santé, qui n'y comprenait
08:17 rien d'ailleurs.
08:18 Personne n'y comprenait rien.
08:19 Mais nous, on était fou furieux.
08:21 Je me souviens, un jour, il y avait une réunion avec ACT UP, AIDE et d'autres associations
08:25 - les soldats perpétuels, l'indulgence et tout ça - où on parlait de prévention
08:30 et on voyait l'impuissance des pouvoirs publics.
08:32 On demandait de la prévention partout.
08:34 On demandait à ce qu'il y ait des affiches, des préservatifs distribués.
08:38 C'était interdit.
08:39 Distribuer des préservatifs, c'était sanctionné par un PV.
08:43 Et donc, je me souviens, fou de rage, on s'est tous levés, on a renversé le bureau
08:47 du ministre.
08:48 Mais bon, on a fait ACT UP envoyer du sang sur les murs.
08:55 C'était violent.
08:56 C'était très violent.
08:57 Mais parce qu'on était au désespoir de tout.
08:59 - C'est ça.
09:00 Ça n'a pas sauvé ni Philippe, ni votre frère, mais ça a sauvé des centaines de
09:05 milliers de gens derrière.
09:08 Grâce à vous.
09:10 Il est 9h19, vous écoutez France Inter.
09:14 Suite de cette série spéciale d'interviews consacrées aux 40 ans de la découverte du
09:18 virus, du SIDA, l'interdiction de la distribution des préservatifs.
09:22 On en parle justement avec vous, Bernard Bousset.
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11:48 "Tears for Fears", "Mad World", 1983, évidemment.
12:00 France Inter, le 7 9 30, l'interview de Sonia De Villers.
12:06 Le SIDA, qualifié de "cancer gay", fera 40 000 morts en France.
12:13 - Je suis la génération du SIDA. Je m'en suis tiré.
12:16 J'en suis toujours étonné, d'ailleurs, de m'en être absolument tiré.
12:20 Et donc, parmi mes amis, ça a été un carnage.
12:23 J'avais l'impression de perdre un ami tous les 3 mois.
12:25 Ça a été vraiment très, très dur.
12:27 - Ce nouveau virus apparaît pour beaucoup comme la preuve scientifique
12:31 que l'homosexualité est un danger.
12:33 - Je crois que le SIDAIC, si vous les emploiez ce mot-là,
12:37 celui-là, il faut bien le dire, est contagieux par sa transpiration,
12:42 sa salive, son contact.
12:43 C'est un espèce de lépreux.
12:45 Et celui-là, je souhaiterais qu'il soit dans un centre
12:48 avec un personnel spécialisé, avec des règles d'hygiène strictes.
12:52 - Ça, c'était la voix de Jean-Marie Le Pen.
12:55 Ça, c'était Jean-Marie Le Pen à la télévision française en 1987.
13:00 Vous venez d'entendre un extrait d'un documentaire qui s'appelle "Homo en France"
13:04 et qui va faire l'ouverture de la soirée ce soir de France 2.
13:08 C'est un film d'Aurélia Perrault.
13:11 Vous avez entendu la voix de Vincent Dedienne.
13:12 Vous avez entendu le témoignage de Gérard Harraud,
13:14 ancien ambassadeur de France aux Etats-Unis,
13:17 et Jean-Marie Le Pen, les SIDAIC, les lépreux, en 1987.
13:22 Et si je signale cette soirée ce soir, c'est que d'abord,
13:24 France Inter est partenaire de ce film "Homo en France"
13:27 et nous en sommes fiers.
13:29 Et que par ailleurs, c'est suivi d'un deuxième documentaire,
13:31 celui d'Ariane Chemin et d'Emmanuel Hamon,
13:34 "Homosexuel. Les derniers condamnés" et Bernard Bousset,
13:37 qui est face à moi, qui a 81 ans.
13:40 Vous êtes magnifique à 81 ans.
13:41 Moi j'aimerais bien vous ressembler à 81 ans.
13:44 Me dit "Les derniers condamnés", c'est moi.
13:46 Et en effet, on peut vous voir ce soir à la télévision.
13:50 Bernard Bousset, vous avez dirigé un sauna.
13:52 Vous avez dirigé des bars qui ont été des lieux
13:55 de convivialité absolument extraordinaires au cœur du Marais,
13:58 le quartier gay de Paris.
14:00 En 90, vous avez fondé le Syndicat National des Entreprises Gays,
14:03 justement pour se battre, se battre et faire que ces lieux-là
14:09 ne soient pas que des lieux de fête, mais aussi des lieux de prévention.
14:11 Oui, donc, quand il n'y avait pas assez de prévention,
14:17 on se battait et des établissements, des associations, pardon,
14:21 qui distribuaient des préservatifs étaient sanctionnés par des PV
14:25 parce que c'était interdit.
14:27 On ne trouvait même pas les préservatifs en pharmacie.
14:30 Il fallait les demander aux pharmaciens, comme quelque chose de honteux.
14:33 Et donc j'ai décidé, après une réunion à la préfecture de police,
14:38 qui avait réuni tous les patrons d'établissements pour fermer les établissements,
14:42 on avait dit "ce n'est pas possible, ce sont les seuls endroits
14:46 où on pourrait faire une prévention efficace".
14:48 Donc c'est là qu'on a décidé de créer le SNEG,
14:50 pour se battre et avoir de la prévention à l'intérieur des établissements.
14:57 C'est ça. Alors ces établissements, justement, qui ont été des lieux si particuliers
15:01 et qui ont tellement marqué la mémoire de la communauté homosexuelle,
15:04 ça a été des lieux de contamination, ça a été des lieux de prévention,
15:07 ça a été des lieux, on en a parlé, de cette fraternité de la communauté gay.
15:11 Il faut savoir que c'est aussi toute une génération d'homosexuels
15:15 qui a, comment dire, été massivement aussi chassés de leur famille.
15:20 C'est-à-dire des individus qui ont été extrêmement isolés, souvent, parfois répudiés.
15:25 Complètement. Quand j'allais à l'hôpital voir Philippe, je voyais...
15:30 Votre compagnon.
15:32 Oui, mon compagnon. Pour moi c'était tellement évident.
15:35 Il y avait des services entiers qui étaient consacrés au sida.
15:38 Et dans les chambres, il y avait des malades du sida qui ne recevaient jamais de visite.
15:44 Les familles les avaient totalement rejetés.
15:47 Pour l'amour de Philippe, sa famille n'est même pas venue.
15:50 Je me souviens qu'un jour, il était...
15:52 En 94, il est mort.
15:54 Oui, la famille n'est pas venue.
15:56 Un jour, il me disait, parce qu'il avait été chassé, parce qu'il est homosexuel,
16:01 il avait été chassé de sa famille, et il m'avait dit un jour qu'il n'était pas bien,
16:06 je voudrais appeler ma maman, j'ai dit "écoute, appelle-la", il m'a dit "mais j'ose pas".
16:10 Et j'ai dit "appelle-la".
16:12 Donc il fait le téléphone, il tombe sur son père, et il dit "c'est Philippe".
16:17 Il l'a raccroché au nez.
16:19 C'est terrible.
16:21 Et il était déjà gravement malade à ce moment-là.
16:23 Il était malade, il voulait voir sa mère une dernière fois.
16:26 Et il ne l'a pas vue.
16:29 J'ai l'impression qu'au sein de la communauté, justement,
16:31 je suis extrêmement ému par ce que vous racontez,
16:34 vous vous êtes substitué les uns les autres, justement,
16:38 à ces mères qui avaient répudié leur fils, à ces pères qui raccrochaient au nez de leurs enfants.
16:42 Ah oui, nous étions...
16:44 On compensait tout ça.
16:46 On apportait des vêtements, on lavait le linge de malade,
16:49 on allait les...
16:51 Moi je me souviens des regards avec une terreur dans les yeux,
16:56 quand je passais dans le couloir et que je voyais...
16:58 Ils me regardaient comme ça et dans les yeux on voyait la terreur.
17:00 Moi j'aurais voulu oublier tout ça.
17:04 Bon ça revient, ça m'émeut, ça me...
17:06 - Oui, c'est ça, parce qu'en fait...
17:09 Les homosexuels qui n'ont pas succombé au ravage de ces années-là,
17:15 ils vivent quand même avec ces fantômes.
17:18 Ils vivent... Enfin, jusqu'à la fin de leur vie,
17:21 ils porteront l'image de ces fantômes qui sont morts du sidalzin après les autres.
17:25 - Il y a beaucoup de fantômes que l'on porte.
17:27 Moi à 81 ans, je porte beaucoup de fantômes.
17:30 Il n'y a pas que ceux-là.
17:32 J'étais condamné parce que j'étais homosexuel.
17:34 - En justice.
17:36 - Également. Mais on a été...
17:38 - Donc les flics, les juges...
17:40 - Les juges, les malades...
17:42 Parce que pour l'OMS, on était malades, il fallait nous soigner.
17:46 Quand les parents apprenaient que...
17:48 - Les fonctionnaires, les ministres, ça fait beaucoup.
17:51 - Ça fait beaucoup, oui.
17:54 - Ils refusaient de vous soigner au départ.
17:55 - Il y en a, oui. Heureusement qu'il y a eu des médecins courageux.
17:58 Le docteur Rosenbaum...
18:00 - Oui, Rosenbaum, on en a parlé avant l'ouverture de l'émission.
18:03 - Il a été un des premiers à chercher des traitements.
18:05 Je me souviens, le pauvre, jour et nuit, on l'appelait,
18:08 il était toujours disponible.
18:10 Il a soigné beaucoup de mes amis qui sont morts.
18:12 Moi, j'ai perdu...
18:14 Il me reste deux amis rescapés de l'époque, qui ont mon âge.
18:16 - Il y a eu en 1994, c'est-à-dire juste au moment de l'arrivée des trithérapies,
18:20 d'ailleurs on peut le dire, Philippe, votre amoureux,
18:23 il est mort juste avant les trithérapies.
18:26 En fait, il y a un spot d'act-up, un spot de pub à la télévision,
18:31 et c'est un déjeuner à la campagne.
18:33 C'est une belle table, il y a une vingtaine de convives,
18:36 et la table est gaie, elle est joyeuse.
18:38 Et l'année d'après, il y a une chaise avec quelqu'un qui manque,
18:42 et l'année d'après, il y a plusieurs convives qui manquent,
18:44 et à la toute fin, il reste une personne toute seule à la table.
18:47 - C'est ce qui m'est arrivé.
18:49 - À vous ? - Oui.
18:52 J'ai trouvé une photo, parce que suite à l'interview d'Ariane Chemin,
18:57 j'ai cherché, parce que dans des photos, j'avais déménagé tout le week-end dans des cartons,
19:01 et j'ai retrouvé une photo d'un Noël où on était 14,
19:04 et sur les 14, j'ai vu qu'il ne restait que moi.
19:07 - Merci Bernard Bousset. - Merci à vous.
19:10 - Merci beaucoup d'avoir été mon invité ce matin.
19:13 C'est la fin de l'interview, Nicolas, vous êtes à Cannes ?
19:16 - Oui, et je vous embrasse très fort, embrassez très fort votre invité pour moi aussi.
19:21 - Je suis très émue. - On l'entend et on le comprend.
19:24 Merci infiniment Sonia.

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