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Louise Brévins s’est choisie un pseudonyme et s’est prostituée. Elle raconte son expérience dans « Pute n’est pas un projet d’avenir » (Grasset). Elle est l’invitée de 9H10.

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Transcription
00:00 Il est 9h08, Sonia Deviller, votre invitée a choisi de se prostituer pour sortir de la galère financière.
00:06 Bonjour Louise Brévin.
00:07 Bonjour.
00:07 Alors, lunettes, perruques et pseudonyme j'imagine ?
00:11 Et oui.
00:11 Et pseudonyme j'imagine.
00:13 Oui, c'était la galère financière, vous étiez une jeune maman et vous n'aviez pas de quoi élever votre fille dignement.
00:20 Alors, oui, c'était… On s'en sortait vaille que vaille quand même jusqu'à cette invasion de punaises de lit.
00:26 C'est ça.
00:27 De toute façon, il n'y a pas de mystère, généralement quand on devient mère à 19 ans.
00:31 C'est ça, c'est très jeune.
00:32 En première année d'université, qu'il n'y a plus le papa dans les clous et qu'on est toute seule,
00:39 généralement il y a souvent des problèmes financiers qui arrivent derrière.
00:43 Donc moi j'avais, comme je le dis dans le bouquin, j'ai pris un puis deux boulots,
00:46 j'ai pris des boulots de jour, des boulots de nuit, des boulots de week-end, des boulots les vacances.
00:49 Et puis il y a eu ce truc, le problème c'est qu'on est toujours sur le fil du rasoir et donc du coup ça peut basculer très vite.
00:55 Et en l'occurrence, là, ça a été cette invasion de punaises de lit qui coûtait littéralement un rein pour la désinfection,
01:01 qui a fait basculer dans l'autre sens parce que j'ai dû prendre un autre appartement.
01:06 Et puis c'était, mine de rien, c'est un cauchemar.
01:08 Et la puterie, comme vous dites, dans ce petit livre qui paraît chez Grasset,
01:12 petit livre choc intitulé "Putes n'est pas un projet d'avenir" et tout dénonce le titre.
01:17 Et bien la puterie, ça vous a permis de vous en sortir ?
01:21 Complètement.
01:22 C'est-à-dire que, effectivement, je défends ce titre "Putes n'est pas un projet d'avenir"
01:27 mais en attendant, quelque chose que je répète, c'est que la puterie m'a apporté bien plus qu'elle ne m'a pris.
01:32 À savoir, elle m'a permis effectivement d'élever ma fille dignement et entre deux mots, deux mots MAUX, j'ai choisi le moindre.
01:38 C'est-à-dire, on connaît, certes, ça sera ce que ça sera le jour où ma fille l'apprendra,
01:44 mais on connaît les dégâts de la précarité dans l'enfance des enfants.
01:47 On sait comment ils grandissent quand ils doivent voir leurs parents galérer perpétuellement
01:51 et ne pas savoir de quoi demain sera fait, vivre dans le stress et la pression de la précarité.
01:56 On sait l'impact que ça a sur ces jeunes adultes.
01:59 Et à tous les parents qui se disent "ma fille ne se prostituera jamais",
02:03 vous répondez "peut-être qu'elle bossera au McDo".
02:08 Je vous cite, Louise, "dans les deux cas, que ce soit avec une bite dans la bouche ou avec une charlotte sur la tête
02:14 et les mains dans la graisse, elles perdront temporairement leur dignité".
02:18 Oui, tout à fait.
02:19 C'est-à-dire qu'il y a plein de jobs précaires, parce que c'est aussi un bouquin qui tire à balles réelles sur les jobs précaires,
02:28 dans lesquels on n'est pas libre du tout ni de dire ce qu'on pense, ni d'être ce qu'on veut,
02:34 dans lesquels on est déshumanisé, dans lesquels on se fout pas mal de savoir quels sont tes projets,
02:39 quelles sont tes ambitions, quelles sont tes capacités, ne serait-ce que ça.
02:42 Savoir quelles valeurs ajoutées tu peux apporter.
02:44 Et donc du coup, en fait, la puterie, à minima, a eu le sens de me permettre d'exister, moi,
02:56 et au moins, quand il fallait prendre une pause, quand il fallait s'arrêter,
03:01 je pouvais me permettre de le faire et ça me rapportait un revenu qui était bien substantiel
03:06 par rapport à ce que je pouvais trouver dans ces jobs précaires.
03:08 Alors, ça s'appelle être indépendante et gagner sa vie, ça s'appelle être fière de gagner sa vie et retrouver de la confiance,
03:14 parce que tout simplement, on a de l'argent et vous vous dites que cette confiance, vous ne l'aviez jamais vécue auparavant.
03:21 Pour autant, vous ne glamourisez, mais alors absolument pas, la réalité de ce métier.
03:27 Et vous le racontez très crûment, ce métier qui bousille aussi,
03:33 et vous n'en cachez aucun des mots, MAUX,
03:40 vous qui avez pris des notes tout au long de cette expérience.
03:45 On va parler argent, 120 euros, 4 heures de massage pour 480 euros.
03:53 Comment vous êtes venue au massage d'abord ?
03:55 Alors, au départ, j'ai commencé, comme on pourrait dire,
03:59 ce que je disais, moi, c'était, en étant masseuse naturiste, j'étais demi-pute, j'étais semi-pute.
04:04 Donc, le premier mois, quand j'ai commencé, parce que forcément, je vous l'ai fait courte,
04:08 mais il y a énormément de choses qu'on ignore quand on se lance là-dedans,
04:11 enfin, je veux dire, il n'y a pas un manuel pour exercer dans la puterie.
04:14 J'étais pute pure, c'est-à-dire que j'étais ce qu'on pourrait considérer comme "escort girl",
04:19 c'est encore un niveau de langage qui est exactement la même chose que putain.
04:24 Mais donc, c'est quand on couche.
04:28 C'est là que j'ai rencontré Flo, et en fait, je me suis mise en couple avec Flo,
04:33 qui était l'un de mes premiers clients.
04:35 Et le truc, c'est ce que j'explique, c'est qu'on n'est pas dans Julia Roberts,
04:40 comment s'appelle le film ? "Pretty Woman".
04:42 Donc Flo n'était pas millionnaire, moi, je faisais ça pour régler mes dettes,
04:46 pour régler ma situation, pour être indépendante, il me fallait continuer.
04:49 Le fait d'être en couple ne faisait pas s'envoler mes dettes par magie.
04:54 Donc, du coup, il me fallait continuer, et j'ai mis en place, en fait, ce compromis,
04:58 finalement, avec Flo, qui était le compromis du massage naturiste.
05:02 Qu'est-ce que c'est qu'un massage naturiste ?
05:05 Un massage naturiste, c'est quand vous massez des hommes nus, en étant nus vous-même,
05:10 et vous les faites jouir, que ce soit par une fellation, en l'occurrence,
05:12 moi ici, c'était une fellation protégée, ou une branlette.
05:15 C'est ça. Alors, 480 euros pour 4 heures de massage.
05:20 Presque un semi-smic en une seule journée.
05:23 Mais mon calcul était biaisé, dites-vous, parce que vous dites,
05:27 je pourrais avoir honte de gagner autant d'argent.
05:30 Et pourtant, vous dites, 4 heures de massage, effective.
05:33 Mais, pour en arriver là, plusieurs jours de discussion pour organiser ces 4 massages.
05:38 Horaire modifié, jour modifié, mail, texto, appel pour organiser les rendez-vous,
05:41 pour en expliquer les modalités, obtenir confirmation,
05:44 assurer le service après-vente pour fidéliser le chaland, toujours en jouant la comédie,
05:49 3 heures supplémentaires de ménage, de lessive, de débouchage, des canalisations quasi-quotidiennes,
05:53 le prix du loyer de mon 30 mètres carrés où vous receviez les clients,
05:57 les factures d'eau, les factures d'électricité, le chauffage, l'assurance,
05:59 le prix de mon forfait téléphonique professionnel, les frais du compte bancaire professionnel,
06:03 le prix des capotes, de l'huile de massage bio, les bougies, les mouchoirs,
06:08 les 2 bidons de lessive et d'assouplissement par semaine, le maquillage.
06:12 Et j'ajouterais, les heures passées sous la douche, ne seraient-ce que pour récupérer son corps.
06:18 Oui, ce dont je parle aussi. Effectivement.
06:21 Après, parce qu'effectivement, on parle souvent de l'argent,
06:24 l'idée de la pute est souvent associée à l'idée de l'argent facile.
06:28 Il y a même un truc encore plus assidieux, c'est que c'est assimilé à l'idée de l'argent facile
06:33 par l'ensemble de la population, par l'ensemble de la société.
06:35 Mais pour les mecs, se rajoute en plus l'idée d'associer l'utile à l'agréable pour les femmes.
06:40 Moi, c'est un concept qui me fait beaucoup rire.
06:42 Pourtant, on parle beaucoup de la puterie, on en parle de la prostitution,
06:45 ça existe depuis toujours dans la société, depuis toujours, il y a des témoignages qui sortent sur le sujet.
06:48 Si la puterie, c'était de l'argent facile qui joint l'utile à l'agréable,
06:52 mais toutes les femmes seraient putes, pourquoi est-ce qu'on a encore cette idée-là
06:56 qui traverse l'air ?
06:59 Alors l'agréable, on va en parler.
07:01 L'utile, vous dites néanmoins que vous avez vu beaucoup de filles qui ont du mal à décrocher
07:05 parce que le cash rentre et que quand on a du cash, c'est dur de s'en défaire.
07:11 Oui, sans compter que le cash rentre d'une façon perpétuelle.
07:14 C'est-à-dire que ce n'est pas comme en fin de mois, vous avez tout le cash qui rentre à la fin
07:17 et vous devez le dispatcher sur votre mois pour pouvoir régler vos frais.
07:20 Là, vous avez du cash qui rentre de façon perpétuelle.
07:22 Vous ne savez plus c'est quoi un début, un milieu, une fin de mois.
07:25 Donc du coup, effectivement, on s'habitue à ce que l'argent rentre de façon permanente,
07:30 même si toujours aléatoire.
07:32 Mais surtout, et c'est ce que je dis dans le livre,
07:34 on n'imagine pas revenir à un mode de vie où la donne serait différente.
07:37 C'est drastique comme changement.
07:39 Moi, ça m'a fait peur à un moment donné parce que j'avais peur de ne pas réussir.
07:42 Il m'a fallu faire un changement drastique, m'habituer à vivre avec quatre fois moins que ce que j'avais
07:46 pour pouvoir me dire "tu y arrives".
07:48 En fait, tu peux passer de 4000 euros à 1000 euros par mois et y arriver, donc tu peux arrêter.
07:53 Ce client qui n'arrive pas à jouir.
07:56 Ce client, parce que je dis "ce client".
07:59 Ce client, c'est comme une sorte de générique, on va dire.
08:02 C'est le stéréotype du client qui n'arrive pas à jouir
08:05 et qui donc veut aller toujours plus loin dans ce qu'il vous impose.
08:09 Ça veut dire vous pénétrer avec les doigts alors que vous refusez.
08:13 Ça veut dire vous embrasser alors que vous le refusez et que vous avez été très claire là-dessus.
08:18 Ça veut dire vous empoigner les seins et vous faire mal.
08:21 Et si jamais vous avez l'air de montrer que vous n'aimez pas ça, il sera de plus en plus violent.
08:27 Et si vous avez l'air de montrer que vous aimez ça, il sera de plus en plus violent.
08:31 Il va continuer en tout cas.
08:33 Oui, alors ces clients-là sont une majorité.
08:36 C'est-à-dire qu'ils ne sont pas tous aussi excessifs qu'à ce moment-là à ce qui a été décrit.
08:40 Mais les clients de toute façon sont des enfants à qui tu donnes la main et qui veulent prendre le bras.
08:45 Ils viennent et ils essaieront d'en avoir davantage.
08:48 Et je parle de ça pour 80% des clients au moins.
08:52 Et d'une façon plus ou moins subtile, d'une façon plus ou moins respectueuse.
08:56 Mais surtout au-delà de ça, ce qui fait qu'on se sent souillé vraiment à un certain moment.
09:01 Je prends des pincettes avec ce mot parce qu'encore une fois,
09:04 je ne voudrais pas du tout cracher sur tous ces hommes qui ont été infiniment respectueux des conditions qui avaient été fixées.
09:09 De tous ces hommes qui ont accepté qu'à partir du moment où on leur disait non, ils respectaient le non.
09:14 Mais ils tentent tous.
09:16 Et ça c'est terrible parce qu'en fait c'est ce que je décris dans le bouquin.
09:18 Il y a ce rôle, vous savez, ce fameux rôle d'Alma qui est tellement différente de Louise.
09:23 C'est-à-dire qu'on joue un rôle de façon perpétuelle parce que c'est indispensable, c'est inhérent à notre activité.
09:29 Le rôle, de toute façon, le jeu d'acteur, c'est ce qu'il faut.
09:31 - Alma, c'est le pseudo du pseudo.
09:33 - Voilà.
09:34 - Parce que là pour l'auditeur de France Inter, qui est Louise ?
09:37 Elle n'existe pas, qui est Alma ?
09:38 Eh bien c'est la femme que Louise avait inventée pour faire fantasmer le client.
09:41 - Merci.
09:43 Parce que ce que j'explique toujours d'une façon très claire, c'est que quand on arrive chez un client en disant
09:47 "Bonjour, je m'appelle Alma, j'ai 26 ans, je suis passionnée par l'univers du bien-être
09:51 et cette activité me permet de faire de nouvelles rencontres, le temps de trouver pour moi ce que j'ai réellement envie de faire de ma vie",
09:56 eh bien ça va être beaucoup plus vendeur que de dire "Bonjour, je m'appelle Louise, j'ai 30 ans, le bien-être, j'y connais R et je m'en bats les reins.
10:03 Mais par contre j'ai vraiment besoin de ces 120 balles pour payer mon loyer et nourrir ma gamine",
10:06 qui date de voir commencer par un bout, en l'occurrence ton bout à toi.
10:10 Forcément, si le mec en face de toi croit que la fille ferait n'importe quoi, si n'importe quoi d'autre lui permettait de toucher le même salaire,
10:15 il ne va jamais jouir. Et le fait qu'il le jouisse, c'est ce qui t'assure d'être payé.
10:19 Donc du coup, en fait, le rôle d'actrice, c'est 50% du salaire de la pute. Donc on n'est jamais libre de dire ce qu'on pense.
10:24 Ça a été l'une des raisons pour lesquelles j'ai écrit ce bouquin d'ailleurs, c'est pour pouvoir dire à tous ces hommes, les gars,
10:29 pendant tout ce temps, voilà qui j'étais réellement, voilà ce que je vivais réellement, mais voilà surtout ce que je pensais réellement.
10:36 France Inter 9h19, Louise Brévin est mon invitée. "Pute n'est pas un projet d'avenir".
10:43 À quoi ça sert et comment on s'en sort ? Parce que de ce pognon-là, en fait, on va faire quelque chose.
10:48 Je mets le feu, je veux tout brûler, je veux voir ça dans vos yeux.
10:56 Y'a rien qui m'excite si on n'est plus tous les deux.
11:00 Serre-moi un revêt, charge et je remets le feu.
11:06 T'as compris, je mets le feu, ouais.
11:08 Si près du but, non, je lâcherai rien pour eux.
11:12 J'ai tout niqué, t'as pas niqué, dis-moi Dieu.
11:16 Serre-moi un revêt, charge et je remets le feu.
11:21 Tous les jours en survête, je tourne en rond jusqu'au matin.
11:25 Une petite voix dans ma tête, crie ton nom, ça rend zinzin quand j'arrive à fermer les yeux.
11:30 Sur ma vie, je fais un feu, du mal à supporter l'échec.
11:34 Mon cerveau ne fait jamais de break, je calcule pas le temps qu'il fait.
11:38 Ici, tous les jours sont fériés, je sais pas comment m'habiller.
11:42 Quels pyjamas je vais enfiler, chérie, si tu t'es prends de moi.
11:46 S'te plaît, ne t'attache pas, ne fais pas comme moi.
11:49 Non, je suis pas là pour ça.
11:52 Moi, je mets le feu, je veux tout brûler, je veux voir ça dans vos yeux.
11:58 Y'a rien qui m'excite si on n'est plus tous les deux.
12:02 Serre-moi un revêt, charge et je remets le feu.
12:07 T'as compris, j'mets le feu.
12:10 Si près du but, non, je lâcherai rien pour eux.
12:13 J'ai tout niqué, t'as paniqué, dis-moi adieu.
12:17 Serre-moi un revêt, charge et je remets le feu.
12:21 J'ai peur du temps qui passe, peur des gens, des crasses.
12:43 J'arrive dans ta vie, pas de préavis.
12:47 J'en fous ton avis, je vis pas, je survis.
12:51 Donc pour ça, je mets le feu, je veux tout brûler, je veux voir ça dans vos yeux.
12:59 Y'a rien qui m'excite si on n'est plus tous les deux.
13:03 Serre-moi un revêt, charge et je remets le feu.
13:07 Je remets le feu.
13:10 Emma Péter, feu !
13:12 France Inter, le 7 9 30, l'interview de Sonia De Villers.
13:18 Et feu, ça lui va très bien à mon invité Louise Brévin avec son pseudo, ses lunettes,
13:24 sa perruque, mais une certaine vitalité puisqu'elle n'a rien perdu de cette vitalité en étant
13:30 pute, comme elle le dit elle-même.
13:32 Elle publie chez Grasset ce très court témoignage très percutant.
13:35 Pute n'est pas un projet d'avenir.
13:38 Dans cette expérience qui aura duré 4 ans, Louise, vous dites, vous écrivez, que finalement
13:47 l'image des hommes va se dégrader, qu'ils en viennent à se ressembler tous, que finalement,
13:54 pervertissant l'image du père, l'image du mari, l'image du frère, l'image du fils,
13:59 quel que soit leur âge et quel que soit leur statut social.
14:02 Oui, complètement, parce qu'on se fait souvent une idée de qui sont les clients de la pute,
14:08 alors qu'en fait ils sont la société tout entière.
14:10 C'est pour ça, il y a quelque chose dont j'ai bien pris conscience, c'est que je pensais
14:13 écrire sur les hommes, mais je n'ai écrit que sur des clients de la puterie.
14:16 C'est quelque chose que j'ai conscientisé et pourtant c'est quand même assez difficile
14:20 tant il y a un panel énorme de la société qui passe entre nos murs finalement, parce
14:25 qu'en fait les clients de la pute c'est tous les âges, toutes les nationalités, toutes
14:28 les religions, tous les milieux sociaux.
14:29 Et tous ces gens viennent te trouver avec un besoin qui est similaire, qui est identique,
14:36 qui est en fait le besoin de jouir.
14:37 Parce que ça c'est quelque chose dont on ne parle pas assez souvent, de la sexualité
14:41 des hommes comme besoin.
14:42 Et ça mériterait d'être dit parce que c'est l'une des choses fondamentales que
14:46 j'ai comprises.
14:47 La sexualité des hommes est un besoin, ce n'est pas un luxe, ce n'est pas un caprice,
14:50 ce n'est pas un désir, c'est un besoin.
14:52 On m'a déjà opposé le fait que non, les hommes et les femmes…
14:55 - Ce n'est pas que un besoin, la sexualité des hommes.
14:58 Et je vois pas pourquoi les hommes auraient une sexualité qui s'apparente plus à un
15:02 besoin que celle des femmes.
15:03 - Exact, c'est justement quelque chose qu'on m'a déjà opposé.
15:06 Non, les hommes ont les mêmes besoins que ceux des femmes.
15:09 Ce à quoi je réponds, si c'était vrai, pourquoi est-ce que 85% des personnes sur
15:15 les sites de prostitution sont des femmes ? Et les 15% qui restent, quelle est la part
15:19 de prostitution homosexuelle dedans ?
15:20 - Alors écoutez, une jeune écrivaine qui s'appelle Emma Becker, dont on a beaucoup
15:27 médiatisé le témoignage et le livre qui s'appelait « La maison », elle a été
15:32 prostituée dans une maison close à Berlin.
15:34 Écoutez-la parler de la sexualité, non pas des femmes en général, mais des putes.
15:39 - Ça m'est arrivé de prendre du plaisir.
15:42 C'était ça que je trouvais intéressant dans cette expérience.
15:45 Avec un homme qui vous indiffère, peut-être qu'il y a une connexion plus facile entre
15:49 le corps et la tête, puisqu'on s'en fiche.
15:51 Mais j'étais d'ailleurs pas la seule à jouir.
15:53 Beaucoup de collègues étaient très habitués à jouer, beaucoup de collègues d'ailleurs
15:56 se plaignaient à la fin de la journée d'avoir pas joui.
15:58 Et c'est quelque chose que je trouvais merveilleux parce que ça montre vraiment que les idées
16:03 reçues qu'on a sur le bordel et sur ce corps de femme qui subit et qui souffre n'est
16:07 pas toujours vrai.
16:08 - Alors les idées reçues ? - Alors je pense que déjà d'une part évidemment
16:13 il y a autant de manières de vivre la puterie qu'il y a de personnes pour le faire.
16:16 Moi dans mon témoignage, ce que j'ai dit n'engage que moi et la façon dont je l'ai
16:20 vécu.
16:21 Mais pour ma part, j'étais déjà pas spécialement libynineuse en arrivant dans la puterie.
16:25 Mais alors en la quittant, je l'étais moins que jamais.
16:27 Jamais, jamais, jamais je n'ai joui en quatre ans.
16:32 De toute façon, je n'ai jamais laissé personne m'approcher d'assez près.
16:35 Enfin même pendant la période pute pure, je n'ai jamais joui.
16:38 C'est-à-dire que pour ça, ça veut dire que dans ce cas-là, tu te plonges dans le
16:40 fantasme des autres, à savoir le fantasme des hommes qui viennent te trouver pour ça.
16:44 Et moi c'est quelque chose que j'ai toujours refusé de faire.
16:46 J'ai toujours été très en recul justement par instinct de protection.
16:48 - Et c'est ça qui est intéressant dans votre texte Louise Brévin, c'est qu'il y a l'idée
16:53 que vous n'êtes pas une victime, vous l'avez choisie, ça vous a servi et ça peut servir
16:59 à partir du moment où on peut s'en sortir et on peut servir de ce pognon-là pour faire
17:02 autre chose.
17:03 En revanche, vous dites haut et fort « l'eczéma qui vous a bouffé le corps », vous dites,
17:09 je l'ai dit tout à l'heure, « les heures passées sous la douche avec cette huile poisseuse
17:13 dont vous n'arrivez plus à vous défaire et ce corps que vous n'arrivez plus à faire
17:16 votre », vous dites qu'au fait, on paye pour que la pute se déshumanise.
17:20 C'est là l'argent, c'est ça, c'est à ça qu'il sert l'argent.
17:23 - Quelle sonore s'islame, arrestée et à se taire, oui complètement.
17:26 Effectivement, je n'y suis pas arrivée par volonté.
17:30 Je sais qu'Emma Baker le dit dans le début de son livre, elle dit « je ne sais pas si
17:35 j'y étais pour écrire un livre ou si j'y étais parce que c'était un univers qui me
17:38 fascinait ». Moi, je sais très bien que… - Ou parce qu'elle avait besoin de gagner
17:41 trois ronds elle aussi éventuellement.
17:43 - Mais ça, ce n'est pas dit parce que mine de rien, il y a quand même toute une partie
17:46 sur l'argent qui est cachée.
17:47 De toute façon, je pense que la prostitution fascine parce qu'elle cumule deux tabous
17:50 bien français que sont le cul et l'argent.
17:52 - Et qui vont très bien ensemble.
17:54 - Mais oui, moi, je n'y suis pas entrée de gaieté de cœur, je n'y suis entrée parce
17:59 que je n'avais pas le choix, c'était un besoin vital.
18:01 Mais par contre, je ne regrette absolument pas d'y être allée, je ne regrette pas
18:05 mon parcours, je ne regrette pas non plus d'en être sortie, c'est quelque chose
18:08 qui ne me manque pas depuis que j'ai arrêtée.
18:10 Vous disiez « se déshumaniser l'âme, rester sourire, se taire, voilà le prix
18:15 réel de la pute ». Oui, c'est vrai.
18:17 Et on revient encore à cette notion de rôle dont je vous parlais tout à l'heure, où
18:22 quand on est Alma, en fait, on est dans ce rôle dont on ne peut pas sortir.
18:25 Et c'est ce que j'ai aussi à un moment donné, quand les clients ne respectent pas
18:29 les limites que tu as fixées, tu ne sais pas s'ils paient pour louer une personne
18:33 ou s'ils paient pour une prestation.
18:34 Et c'est un distingo qui fait toute la différence.
18:37 Et ça, c'est vraiment vrai.
18:38 Parce qu'en fait, la puterie serait un métier comme un autre si jamais les clients
18:43 respectaient les limites que tu avais fixées.
18:45 Ça pourrait être un projet d'avenir, mais ce qui fait que ça ne l'est pas, c'est
18:49 justement ça.
18:50 - D'où l'idée qu'il faut savoir s'arrêter, qu'il faut savoir s'écouter, avant que
18:54 le retour en arrière ne soit plus possible, avant que l'on ne devienne indifférente
19:00 à notre propre corps.
19:01 - Complètement.
19:02 Parce que la justification du tarif de la pute, c'est d'être le réceptacle de
19:05 tous les fantasmes.
19:07 Sauf quand on reçoit 300 mails par semaine, on ne peut pas.
19:11 C'est comme si vous mettiez une seule personne avec 300 mecs en face qui tirent leur fantasme
19:15 sur elle à balles réelles.
19:16 Et elle, elle réceptionne tout ça dans le corps.
19:18 Et c'est pour ça qu'à un moment, je fais vraiment ce parallèle avec les comptes
19:21 Mimz et les comptes My Only Fans qui pullulent aujourd'hui sur Internet.
19:24 La puterie en ligne où les filles se prennent à l'abri parce qu'on ne les touche pas.
19:29 On se dit "c'est moins grave, elles font des cams, on les touche pas".
19:31 Mais non, parce qu'en fait je dis "méfiez-vous comme de la peste du viol cérébral".
19:35 Parce que devoir répondre aux fantasmes de 160...
19:38 - Un écran, ça ne protège pas de tout.
19:40 - Et même pire encore, c'est-à-dire que ce que ces filles s'infligent à elles-mêmes
19:44 est parfois pire que ce qu'un mec pourrait leur infliger.
19:47 Sans compter que devoir gérer les fantasmes d'un mec en face de toi, en one-to-one pendant
19:51 une heure, c'est autre chose que d'avoir à gérer les fantasmes de 160 mecs en même
19:55 temps sur un live de 4 heures par derrière un écran.
19:58 Et là c'est le viol cérébral.
19:59 Et je dis "faut s'en méfier comme de la peste".
20:01 - Ovidie aussi a écrit des lignes très percutantes sur le sujet.
20:06 Vos pages sur les petites annonces et les abréviations qui pullulent sur les sites
20:12 des scores sont tordantes de rire.
20:14 "Bonjour TBM, je suis plutôt WF, genre PSE, mais aujourd'hui j'aimerais quelque chose
20:20 de plus calme, type GE, DFK, donc je cherche un FBSM".
20:24 Donc je cherche un FBSM avec une finition BBJ.
20:29 C'est quoi la finition BBJ ?
20:31 - Berbac blowjob.
20:32 - Alright ! Bonne journée Louise Brévin.
20:36 Pute, n'est pas un projet d'avenir, ça paraît chez Grasset.

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