Laurène Daycard : une journaliste face aux féminicides - L'invité de Sonia Devillers

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Avec "Nos absentes" (Seuil), la journaliste Laurène Daycard nous livre le fruit de plusieurs d'années d'enquêtes sur les féminicides.

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Transcript
00:00 Sonia De Villers, pour votre invité, tout commence par le meurtre d'une mère de quatre
00:03 enfants dans la Marne en 2017.
00:06 Bonjour Lorraine Descartes.
00:07 Bonjour Sonia.
00:08 Soyez là, bienvenue.
00:09 Elle s'appelait Géraldine Soyer.
00:11 Vous ne l'avez jamais connue, vous ne l'avez connue que morte.
00:14 Mais vous l'avez connue parce que vous avez voulu plonger dans son intimité.
00:19 Oui, c'est vrai.
00:21 Quand j'ai commencé à travailler sur les féminicides conjugaux en France en 2016, c'est
00:25 la première affaire sur laquelle je me suis intéressée.
00:28 Géraldine Soyer, elle a été tuée dans la montagne de Reims par son ex-conjoint par
00:33 arme à feu.
00:34 Je le précise parce que c'est assez fréquent et qu'il y avait eu des signalements effectués
00:38 par ces filles mineures à la gendarmerie peu avant.
00:41 La maison était bourrée de flingues et les gendarmes ne se sont pas déplacés.
00:46 Non, mais c'est très fréquent et c'est effectivement la première affaire sur laquelle j'ai travaillé
00:51 et qui révèle pas mal de récurrence dans le passage à l'acte légal.
00:55 Et Géraldine Soyer, elle a été tuée dans l'espace public, elle a été tuée dans
00:59 une bibliothèque municipale sous les yeux d'une de ses enfants.
01:03 Donc les médias s'y sont intéressés.
01:06 Oui, les médias s'y sont intéressés.
01:08 C'était ce qu'on appelle toujours d'ailleurs un fait divers, c'est-à-dire que c'est le
01:14 meurtre en lui-même qui a été détaillé.
01:16 Je me rappelle en lisant les articles de presse à l'époque qu'il y avait un journal qui
01:20 disait "rien ne laissait présager le meurtre".
01:24 Et c'est d'ailleurs le point de départ de mon enquête puisque j'ai voulu remonter
01:28 l'historique de la violence et comprendre comment on en arrive là, comment un jour
01:32 un homme prend son fusil, traverse des champs et en arrive à pointer l'arme et à tirer
01:39 sur la femme qu'il était supposé aimer devant sa petite-fille.
01:41 C'est ça.
01:42 Et vous allez rencontrer la grand-mère qui va ré-enfiler son tablier de maman.
01:47 Pourtant elle avait donné déjà cette brave dame qui avait 71 ans.
01:51 À ce moment vous la rencontrez, donc elle va s'occuper des petits qui sont orphelins
01:57 de mère.
01:58 Et elle vous montre aussi le journal et elle vous dit, pour illustrer ce féminicide, ce
02:04 meurtre, ils ont été chercher leurs photos de mariage ?
02:06 Oui, c'est Brigitte, c'est la mère de Géraldine et la grand-mère des deux petites
02:10 orphelines.
02:11 Et elle me montrait effectivement ce journal et par la suite j'ai continué à travailler
02:17 auprès des familles de victimes.
02:18 La plupart du temps elles me parlent ou elles me font comprendre qu'elles ont mal vécu
02:23 cette période de traitement médiatique et ça s'apparente à une forme de maltraitance,
02:27 on peut dire, médiatique.
02:28 Et c'est assez symptomatique du mécanisme des violences faites aux femmes dans le sens
02:33 où ce qui est au cœur de la violence conjugale c'est une sorte de déshumanisation de l'autre.
02:38 Et très souvent ça fait écho à un traitement, en tout cas à l'époque quand j'ai commencé
02:42 à travailler, un traitement médiatique qui déshumanise les victimes et qui parfois,
02:46 même dans le pire des cas, va avoir une certaine empathie pour le meurtrier.
02:50 C'est ça, parce que Géraldine, quand elle était jeune, plus jeune que vous, plus jeune
02:55 que moi, elle adorait danser sur ça.
02:56 Et c'est ça, Lorraine Descartes, reconstituer la vie d'une femme, c'est savoir ce qu'elle
03:10 aimait porter comme vêtements, qui étaient ses copines, ce qu'elle aimait dans le boulot,
03:15 ce qu'elle aimait lire, ce qu'elle faisait de ses week-ends, de ses soirées, des histoires
03:22 qu'elle racontait à ses enfants et des musiques sur lesquelles elle dansait quand elle était
03:25 étudiante.
03:26 Oui, c'était une fêtarde, c'était littéralement une bonne vivante, Géraldine Soyer.
03:31 Ça m'aimait un petit peu que vous mettiez cette musique.
03:36 Et puis après, vous n'avez plus lâché.
03:38 Après Géraldine, vous n'avez plus lâché.
03:40 Oui, en fait, j'avais commencé à travailler sur les féminicides au sens large, pas que
03:48 conjugales à l'étranger.
03:49 Et en fait, à un moment, j'étais en Turquie et je rencontrais des mères qui venaient
03:55 de perdre leur fille.
03:57 Et en fait, je me suis dit, cette histoire, elle est pour les pages "grand reportage des
04:02 journaux", mais en fait, je pourrais raconter exactement la même chose en France.
04:06 Et je me suis fait la promesse.
04:07 C'est ça qui est intéressant, puisque là, je parle à une journaliste qui nous raconte
04:10 à la première personne ce que c'est que d'être journaliste face aux féminicides.
04:13 Voilà la journaliste.
04:14 D'un côté, il y a la rubrique "faits divers" en France.
04:17 Et puis à l'étranger, on fait du grand reportage.
04:19 En fait, l'idée, c'est de faire du grand reportage en France.
04:21 Oui, c'était ça.
04:22 C'était ça.
04:23 C'était difficile à l'époque, mais c'était en 2016.
04:25 Il n'y avait pas encore un immense intérêt médiatique pour les féminicides conjugaux.
04:29 Donc forcément, j'ai fait preuve de détermination, ça on peut le dire.
04:34 Et j'ai continué à travailler dessus toutes ces années parce que ces affaires m'ont
04:38 habité.
04:39 Je pense que l'écriture du livre, ça m'a permis de...
04:42 Alors, l'écriture du livre, nos absentes, parce que vous leur dédiez à ces femmes,
04:47 nos absentes, à l'origine des féminicides.
04:49 C'est votre enquête.
04:50 Elle paraît au seuil.
04:53 Il y a d'abord eu une longue enquête en 2018 où un à un, vous avez égréné chaque
04:59 cas de femmes assassinées par un conjoint ou par un ex-conjoint.
05:07 Ça a donné lieu à une enquête dans Mediapart.
05:11 Parmi elles, il y avait Razia Askari.
05:15 Le 30 octobre 2018, Razia Askari descend du tramway.
05:18 Son mari fend la foule et la poignarde par trois fois.
05:21 La jeune afghane meurt en pleine rue, aux yeux de tous.
05:24 L'émotion est immense et immédiate.
05:27 Le père de trois enfants avait porté plainte sept fois, dont quatre fois à Besançon.
05:31 Plus jamais ça ! Plus jamais ça !
05:35 Voilà, elles ont des noms, elles ont des prénoms.
05:39 Parfois, c'est difficile d'enquêter, dites-vous, Lorraine Descartes, parce que parfois, elles
05:44 ne font...
05:45 Alors, il y a celles qui ont été salies par le traitement médiatique dont on a ressorti
05:48 les photos de mariage, dont on a tordu la vie.
05:51 Et puis, il y a celles qui n'ont fait l'objet que de deux lignes.
05:55 Oui, parfois, cette année-là, quand je me suis plongée dans cette grande enquête,
06:01 il y avait beaucoup d'affaires.
06:02 Je ne pouvais pas remonter jusqu'au contact, enfin, aux proches, parce que je travaillais
06:07 avec le consentement des familles, parce qu'il n'y avait aucune information.
06:11 Il n'y avait parfois même pas de prénom, etc.
06:13 C'était par exemple l'histoire d'une jeune femme qui se serait appelée Nabila.
06:18 Et en fait, elle avait été tuée...
06:20 À l'époque, j'habitais à Saint-Ouen.
06:21 Elle avait été tuée en face de chez moi.
06:24 Et par exemple, ça, c'est une affaire où je n'ai jamais pu remonter le fil de cette
06:27 histoire.
06:28 Vous leur demandez beaucoup à ces familles que vous rencontrez.
06:33 Oui.
06:34 C'est pour ça que vous avez décidé de mettre beaucoup de vous dans cette enquête ?
06:38 Oui, en fait, c'est un travail d'équipe avec les familles.
06:42 C'est un engagement de travailler, parce que quand on participe à une enquête, il
06:46 faut aussi me donner accès à des pièces du dossier, etc.
06:48 Et puis, évidemment, ça va de soi un engagement émotionnel, mais toutes les familles avaient
06:52 envie de participer.
06:53 Ils avaient besoin de raconter.
06:55 Je pense qu'elles adhéraient à ma démarche et qu'elles la comprenaient aussi.
06:58 Et oui, au fur et à mesure des années, je pense que c'est la forme du livre qui m'a
07:03 autorisé à ça, qui est un récit-enquête.
07:06 C'est de parler, de faire aussi coexister la voix de la journaliste avec la voix de
07:10 la femme et aussi peut-être de m'interroger sur pourquoi est-ce que pendant autant d'années,
07:16 j'ai été aussi concentrée sur toutes ces histoires.
07:21 Absorbée par ces histoires.
07:23 Qu'est-ce qui te motive, vous demande votre maman ? Est-ce que c'est ma violence à
07:28 moi ? Est-ce que c'est celle que j'ai vécue ? Parce que oui, votre propre maman
07:33 a vécu des violences quand vous étiez jeune.
07:35 Et ça, petit à petit, ça réémerge dans le livre.
07:40 Oui, effectivement, j'ai voulu questionner aussi le rapport à la violence dans ma famille,
07:47 toute proportion gardée évidemment par respect pour les miens.
07:49 Et je pense que c'est compréhensible à la lecture du livre.
07:51 Mais effectivement, j'ai été confrontée dans ma cellule familiale à une scène de
07:58 violence physique.
07:59 Et j'ai voulu la questionner parce que je pense qu'à l'époque, on n'en avait pas
08:04 parlé.
08:05 Je pense que c'est important de réussir à verbaliser la violence parce que ça peut
08:10 créer des lésions dans la vie des adultes à venir.
08:14 Des lésions et des liaisons.
08:17 C'est joli.
08:18 Pour le psychanalyste, ce soir, ce sera un beau moment entre la liaison et la lésion.
08:24 Oui, et d'ailleurs, c'est intéressant parce qu'il y a plusieurs enfants dans votre
08:28 famille et chacun a un souvenir différent de cette scène de violence entre votre père
08:32 et votre mère.
08:33 Oui, c'est un témoignage personnel.
08:35 Et d'ailleurs, mon père m'a dit que c'était mon ressenti et que j'avais le droit d'écrire
08:40 sur cette histoire parce que ça m'appartenait aussi.
08:43 Je pense que ça a été extrêmement libérateur, qui m'autorise.
08:45 Peut-être que des personnes vont se dire que je n'avais pas demandé l'autorisation,
08:49 mais en tout cas, c'est quand même bien de le faire avec le consentement de toutes
08:52 les personnes.
08:53 Et la difficulté que j'ai eue à parler de ce souvenir de violence, j'ai souhaité
08:59 en parler dans le livre parce que je pense que ça en dit beaucoup sur la difficulté
09:02 pour tout le monde à parler de la violence quand elle touche aux personnes qu'on aime.
09:07 Et ça, c'est vrai.
09:08 C'est pour ça que c'est difficile de parler des violences conjugales, parfois les voir
09:12 aussi parce que c'est les personnes qu'on aime le plus.
09:14 Mais souvent, c'est parfois un parent ou un compagnon.
09:19 - Et alors, est-ce que c'est propre à votre génération de journalistes, parce que vous
09:22 êtes beaucoup plus jeune que moi, ou est-ce que c'est propre aux enquêtes sur les féminicides,
09:29 c'est-à-dire l'idée qu'on va mettre du jeu J-E dans une enquête journalistique,
09:35 alors que le propre du travail de journaliste, justement, c'est de sortir de soi pour aller
09:39 vers les autres et vers des sujets qui ne sont pas les nôtres ?
09:42 - Oui, après là, on parle d'un livre et le livre, c'est une démarche d'autrice.
09:46 Et je pense que ce livre, j'ai réussi à l'écrire à partir du moment où je me suis
09:49 dit que ma voix, elle est légitime et elle peut coexister.
09:52 Elle peut raconter aussi des choses que je ne pourrais pas raconter si je me cantonne
09:56 seulement à la voix de la journaliste.
09:57 Et je pense que ça a été fait.
09:58 Ce n'est pas tout le livre, c'est en filigrane.
10:01 Je pense que ça accompagne et ça permet de raconter d'autres choses.
10:06 C'est un livre de non-fiction.
10:08 Donc la journaliste, quand j'enquête dans la presse, c'est une autre démarche.
10:14 Ce n'est pas tout à fait la même chose.
10:15 - Une autre voix.
10:16 Il est 9h18, vous écoutez France Inter.
10:18 Lorraine Descartes est mon invitée.
10:20 On va replonger dans ces cas de féminicide que vous avez documentés jusqu'à, petit
10:26 à petit, entrer et plonger dans la tête de ceux qui les commettent ces violences.
10:34 Parce qu'on dit pudiquement des violences faites aux femmes, vous vous dites des violences
10:38 commises par les hommes.
10:40 - Je te regarde pousser, il sonne un peu de travers.
10:51 On dirait tu n'as pas l'air en forme.
10:55 En forme de ce qu'il faudrait.
10:59 My girl, maintenant je te vois.
11:05 My, my girl, je te connais déjà.
11:11 My, my girl, je danserais avec toi.
11:18 My, my girl, my girl.
11:22 Je te regarde danser, mon cœur une étoile tissée.
11:30 Dans le mauvais corps, j'imagine un tuteur à tort.
11:35 Si le vent, si le vent veut te transformer en fleur.
11:39 My girl, maintenant je te vois.
11:45 My, my girl, je te connais déjà.
11:51 My, my girl, je danserais avec toi.
11:58 My, my girl, my girl.
12:05 My girl, maintenant je te vois.
12:11 My, my girl, je te connais déjà.
12:18 My, my girl, je danserais avec toi.
12:24 My, my girl, my girl.
12:31 [Musique]
12:57 My girl, maintenant je te vois.
13:03 My, my girl, je te connais déjà.
13:10 My, my girl, je danserais avec toi.
13:16 My, my girl, my girl.
13:24 Laura Cahen et Pyjama, My Girl.
13:29 France Inter, le 7 9 30, l'interview de Sonia De Villers.
13:35 Mon invité, Lorraine Descartes, son livre, Nos absentes, à l'origine des féminicides,
13:41 paraît au seuil.
13:43 Qui commence par un avertissement, Lorraine, que je vais retrouver car je me le suis dû
13:48 m'en noter, mais ne bougez pas, je l'ai, je l'ai, voilà, je l'ai.
13:52 Les noms de famille des meurtriers ne sont pas mentionnés, il n'y a aucun travail de
13:57 mémoire à effectuer envers les criminels, ce sont des victimes dont il faut se souvenir.
14:02 Oui, nos absentes, ce sont les héroïnes de mon livre et les survivantes aussi et je
14:07 pense qu'il y a une forme de fascination collective pour la figure du bourreau et qu'en fait
14:14 il faut renverser aussi cette narration et rendre honneur à celle qui le mérite.
14:21 En fait, c'est ces femmes qui sont présentes dans le livre.
14:25 Il y a un cas que vous documentez de manière plus longue, plus approfondie que d'autres.
14:30 Ça va se terminer par le procès du meurtrier.
14:35 Mais vous, vous commencez par l'histoire d'une femme qui a réchappé, Magali, puis
14:41 d'une femme dont il a eu la peau, Céloa, et enfin vient Sofiane, le procès.
14:50 Oui, il y a des histoires qui s'entremêlent dans le livre.
14:54 L'histoire de Céloa, elle est extrêmement importante.
14:56 C'est une dame sur laquelle j'ai écrit grâce au soutien de sa famille, à qui je salue d'ailleurs.
15:03 J'ai rencontré Céloa la première fois à l'Institut Médico-Légal de Paris pour
15:08 la reconnaissance du corps, c'est quand même un truc qui ne s'oublie pas.
15:11 Et effectivement…
15:12 D'ailleurs, quand vous êtes face à sa dépouille, elle porte encore des marques de sévices.
15:17 Oui, c'est un meurtre à main nue, c'est assez rare, il faut le préciser.
15:22 Normalement, c'est plutôt par arme à feu ou arme blanche.
15:25 Et en fait, l'histoire de Céloa, c'était une actrice d'ailleurs, et c'était une
15:32 dame très identifiée, assez connue dans son quartier à Charonne.
15:35 Je le dis dans le livre, c'est une dame que j'aurais aimé rencontrer.
15:37 Ça avait l'air d'être quelqu'un de génial.
15:39 Charonne, c'est dans le 11e arrondissement à Paris.
15:42 Oui, et en fait, l'histoire de ce meurtre, elle est intéressante parce qu'elle s'ancre
15:47 dans tout un historique de violence et de récidive de la part du meurtrier, qui avait
15:53 déjà été condamné une dizaine de fois et qui avait notamment un jour tiré à balle
16:01 en direction de son ex-compagne Magali, qui figure dans le livre, qui est une histoire
16:05 extrêmement importante.
16:06 Je pense qu'elle permet de comprendre aussi les mécanismes de la violence conjugale et
16:12 du contrôle qui s'instaure.
16:14 Et c'est un homme que j'ai ensuite vu au moment du procès, effectivement, qui a questionné
16:20 je pense la figure du monstre et qui m'a permis aussi de comprendre que même lui,
16:28 je pense qu'il a été reconnu comme une personnalité psychopathique au moment du procès.
16:32 Parce qu'à la fin de votre ouvrage, vous allez à la rencontre du monstre, comme vous dites.
16:38 Entre guillemets, les monstres n'existent pas.
16:41 Et c'est important de le dire parce qu'en fait, on renvoie souvent la violence conjugale
16:45 à la figure de l'autre, etc.
16:46 Que ce soit le pays étranger, le pauvre ou même le cas social.
16:51 Il y a quelque chose d'assez méprisant socialement ou culturellement, je pense, dans l'appréhension
16:55 des violences conjugales, alors qu'en fait, c'est quelque chose qui traverse toutes les
16:58 couches de la société.
16:59 Il y a une pluralité des profils dans le livre.
17:02 Et c'est aussi quelque chose que...
17:05 Mais de la même manière que vous êtes effarée parce que vous avez beau contacter
17:09 les associations d'aide aux victimes implantées dans les beaux quartiers les plus chics à Paris,
17:13 par exemple, et vous voyez bien qu'il y a tout autant de violence conjugale chez les
17:18 grands bourgeois.
17:19 Oui.
17:20 Le problème, c'est qu'on en parle encore moins qu'ailleurs.
17:22 Et qu'on se déplace encore moins qu'ailleurs au commissariat.
17:25 Oui, c'est paradoxal.
17:26 Statistiquement, il y a moins de plaintes.
17:28 Ça se résout plutôt dans les salons feutrés des avocats.
17:32 Et effectivement, s'il y a moins de plaintes, ça veut dire qu'il y a moins de condamnations
17:37 et donc peut-être plus d'impunité dans ces milieux-là.
17:42 C'est assez étonnant.
17:43 C'est quelque chose que je développe dans le livre avec des témoignages, etc. de survivantes.
17:49 Et pour revenir aux auteurs de violences conjugales, effectivement, j'ai fait une immersion assez
17:54 longue dans un centre de prise en charge et de responsabilisation pour les auteurs de
17:59 violences conjugales, qui a servi de modèle au développement d'une trentaine de centres
18:02 en France, dans le cadre du Grenelle.
18:04 Je travaillais déjà en tant que journaliste du côté des auteurs.
18:08 Et là, j'ai voulu faire une immersion plus prolongée.
18:10 C'était extrêmement passionnant parce que ça permet aussi de comprendre ce qui se
18:14 passe dans la tête d'un homme qui agresse sa compagne, que ça soit physiquement ou
18:19 évidemment de manière économique, psychologique.
18:22 En tout cas, qu'il y ait un système de contrôle qui s'instaure.
18:25 Et ça permettait effectivement d'aller au-delà de l'idée que c'est des monstres ou que
18:30 c'est d'autres choses, et de les comprendre.
18:36 Et je pense que c'est important de comprendre aussi ce qui se passe dans leur tête parce
18:39 que ce n'est pas les excuser et ça permet de lutter contre.
18:43 Puisque le problème des violences conjugales, c'est aussi énormément la récidive et
18:46 qu'un homme, quand il est condamné, très souvent, il se victimise.
18:50 D'ailleurs, la victime, à l'inverse, souvent se culpabilise pour les faits qu'elle subit.
18:54 Cette inversion, elle est au cœur même de la mécanique.
18:56 Et pour qu'un homme se responsabilise, souvent, il faut accompagner la condamnation d'une
19:02 prise en charge, comme c'est le cas à Arras.
19:05 Un dernier mot, Lorraine Descartes, sur tous les phénomènes d'emprise.
19:09 Manifestement, en France, on manque de mots d'ailleurs sur ces prises de contrôle sur
19:13 l'autre pour les qualifier par rapport aux anglo-saxons.
19:17 Là, vous en décrivez notamment chez Laetitia Schmitt, des choses extrêmement insidieuses,
19:24 en réalité.
19:25 Oui, avec l'histoire de Laetitia Schmitt ou avec des survivantes que j'ai évoquées
19:30 tout à l'heure quand on a parlé des "beaux quartiers".
19:33 C'est par exemple une dame qui me disait "mon conjoint adorait me cacher des objets et faire
19:38 croire qu'ils n'avaient jamais existé ou alors qu'ils avaient été volés par quelqu'un
19:41 d'autre".
19:42 C'est une dame qui habitait dans une assez belle propriété, quand son conjoint partait
19:47 en voyage d'affaires, il lui coupait le gaz, elle vivait dans une maison gelée et elle
19:51 chauffait l'eau du bain pour les enfants avec la bouilloire.
19:54 Et c'est ça aussi la violence conjugale.
19:55 Et aussi, quelque chose qui m'étonnera toujours, c'est à quel point ça passe beaucoup par
19:59 la nourriture.
20:00 Des scènes d'humiliation de cuisine ou alors par exemple, cette dame qui habitait dans
20:05 cette belle propriété, elle n'avait pas assez accès à des ressources financières
20:09 et du coup elle peinait pour se nourrir et nourrir aussi les enfants.
20:13 Et c'est aussi ça la violence conjugale.
20:15 Et comme souvent ça se fait sans que l'entourage ne le sache, c'est aussi ce qui fait que c'est
20:21 très difficile pour une femme d'être crue quand elle en parle, surtout s'il n'y a pas
20:26 eu de violence physique, parce que parfois une victime de violence conjugale n'est jamais
20:29 violentée physiquement ou alors pas avant la fin, le moment de la séparation par exemple.
20:34 Et que l'accès à la preuve, il est extrêmement compliqué si jamais on n'a pas une lecture
20:39 de tout ce climat et de ces années et de repérer la violence aussi dans ces détails
20:44 et dans ces formes de contrôle.
20:46 absente à l'origine des féminicides, Lorraine Descartes.

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