L'ex-grande voix de France Inter publie un nouveau roman "Mon oncle de Brooklyn" (Flammarion) Elle est l'invitée de 9h10.
Retrouvez "L'invité de Sonia Devillers" sur
https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/l-invite-de-9h10
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00:00 Le 7 9 30 sur France Inter.
00:06 Il est 9h08, Sonia, votre invitée ce matin est Paula Jacques.
00:09 Et ben voilà, Paula Jacques, bonjour Paula Jacques.
00:12 Bonjour, est-ce que je peux d'abord vous dire à quel point je suis heureuse de vous revoir
00:15 tous.
00:16 Et ben nous aussi.
00:17 De me retrouver dans ce studio, de constater que Nicolas Demorand ressemble de plus en
00:22 plus à Orson Welles.
00:23 Vous n'êtes pas la première Paula à me le dire et à chaque fois je suis écrasé
00:32 un peu plus.
00:33 Le voilà tout rouge.
00:35 Et ben soyez la bienvenue à la maison Paula Jacques.
00:37 Dans votre dernier ouvrage, mon oncle de Brooklyn qui paraît chez Flammarion, vous
00:42 racontez les trépidations d'une toute jeune journaliste envoyée à New York.
00:46 Figurez-vous qu'elle est pigiste.
00:48 Alors, elle doit ses revenus à un journal qui s'appelle Jeune Afrique.
00:51 Mais quand même, elle arrive à fourguer ses interviews à France Culture.
00:55 Bah tiens !
00:56 C'est vrai d'ailleurs, c'est un peu autobiographique ce livre.
00:59 Enfin, du moins, mon expérience de journaliste, pour le reste, tout est inventé.
01:03 Tout est inventé ou pas.
01:04 On va voir parce qu'il y a là des premières interviews qui sonnent assez vraies.
01:12 D'abord, cet oncle de Brooklyn.
01:15 Vous vous l'êtes inventé cet oncle de Brooklyn ? Pas tout à fait.
01:19 En fait, j'ai un oncle qui en Égypte était un playboy.
01:22 Vraiment, c'est le plus jeune frère de ma mère.
01:24 Il était splendide, champion de basketball, il draguait toutes les nanas.
01:27 Et nous sommes tous expulsés en 58.
01:29 Je ne sais pas ce qui se passe, il arrive à New York et tout d'un coup, il devient
01:32 juif ultra orthodoxe.
01:34 C'est-à-dire qu'il devient très pratiquant, très religieux et ça ne correspond pas du
01:38 tout à l'image que j'avais de lui.
01:41 Et vous, vous racontez l'histoire très triste d'un homme très observant qui, le
01:47 soir du Shabbat, dont il évidemment honore les règles scrupuleusement, hésite à tripatouiller
01:56 une chaudière, voire même à couper le courant.
01:58 Et la chaudière va exploser.
02:00 Et elle va broyer sa famille, sa maison et tuer sa femme.
02:05 Alors ça, Sonia, vous n'allez pas me croire, mais c'est un vrai fait divers que j'ai
02:09 vérifié dans les journaux.
02:10 Et l'homme en question, il a causé la mort de sept de ses enfants.
02:14 Et ça a été un choc.
02:15 J'ai lu tous les papiers et lorsqu'il m'a tout le monde stupéfait, il disait
02:19 "mes anges, j'ai tué mes anges, mais c'est la volonté de Dieu, c'est la volonté de
02:23 Dieu".
02:24 Il ne se sentait pas du tout coupable.
02:25 Et tout d'un coup, je me suis dit "voilà, j'ai un sujet en or, sauf que mon pauvre
02:28 oncle de Brooklyn, je ne tue que sa femme et pas ses enfants".
02:32 C'est ça.
02:33 Et voilà cette jeune journaliste française envoyée à New York, priée par sa mère
02:38 de se rendre au chevet de l'oncle de Brooklyn.
02:41 Et voilà la jeune journaliste française qui se retrouve face à cette communauté ultra-orthodoxe.
02:46 Qu'elle va d'abord… comment dire…
02:50 C'est une tribu de papou au départ pour elle.
02:54 Elle ne comprend rien du tout à ces gens-là.
02:56 C'est-à-dire que les hommes, sous un climat de chaleur, toriques, portent d'immenses
03:00 chapeaux, des manteaux.
03:01 Les femmes ont des perruques qui recouvrent leurs cheveux.
03:03 Et ce sont des perruques beaucoup plus belles que leurs cheveux d'ailleurs, plus sexy.
03:06 Et curieusement, elles sont couvertes de bijoux.
03:08 Alors tout est conditionné par la soumission de la femme.
03:12 Par exemple, cette journaliste arrive dans cette famille qu'elle ne connaît pas et
03:15 tout le monde ne cesse de lui dire "mais tu n'es pas mariée, mais comment ça se
03:18 fait ? Quand est-ce que tu vas te marier ?" C'est la question fondamentale.
03:21 Les femmes doivent se marier et faire des enfants.
03:24 Et donc au début, mon personnage Eva est absolument interloqué.
03:27 Elle les déteste d'une certaine manière.
03:29 - Puisque ça n'est pas votre judaïsme à vous, Paula Jacques, qu'est-ce qui vous
03:32 les rend sympathiques ?
03:33 - Alors je vais vous dire.
03:35 Ce qui me les rend sympathiques d'abord, c'est que j'ai découvert une loi qui prévaut
03:40 dans toutes les communautés comme ça très serrées, qu'on ne comprend pas, qui vivent
03:44 un peu en autarcie.
03:45 Cette loi, c'est la sollicitude et l'entraide entre eux.
03:48 C'est-à-dire que dès que l'un de leurs membres tombe dans le malheur, tout le monde
03:52 se mobilise pour l'aider.
03:53 C'est comme ils formaient une espèce d'énorme famille.
03:55 C'est donc comme une espèce de bulle de verre de protection contre l'extérieur.
03:59 Et quand on est migrant en Amérique, où on dit qu'il y a tous les possibles, mais
04:03 c'est quand même une jungle urbaine, le fait de se retrouver ses semblables, d'être
04:09 tous unis par la même foi, de se retrouver, de pratiquer les mêmes choses, c'est une
04:12 chance extraordinaire parce que c'est un pays assez dur quand même.
04:15 - Oui, parce que l'Amérique, ça peut être une immense promesse d'émancipation, une
04:19 immense promesse d'ouverture au monde.
04:21 Et vous finissez par rendre assez, comment dire, attachante une communauté qui est très
04:25 fermée au monde et qui n'émancipe pas, au contraire, qui rappelle ses oailles et
04:30 qui les met sous clé.
04:31 - Oui, c'est vrai.
04:32 Mais vous savez, il ne faut pas confondre avec les ultra-orthodoxes ashkénazes, toutes
04:37 proportions gardées, qui sont beaucoup plus féroces, plus fermées, qui ne parlent pratiquement
04:41 l'anglais.
04:42 Alors que d'après ce que j'ai pu en juger, parce que j'ai été faire mon enquête,
04:45 les Juifs qui sont devenus ultra-orthodoxes aux États-Unis ont gardé une espèce de
04:48 joie de vivre, de gaieté orientale, de goût de la vie, c'est-à-dire qu'ils consomment
04:53 beaucoup, ils sont très matérialistes, ils ne se soucient pas tellement des questions
04:56 spirituelles.
04:57 Et ça n'a rien à voir avec les ashkénazes qui en ont tellement bavé, qu'ils sont durs,
05:02 qu'ils sont fermés.
05:03 Les femmes fabriquent des enfants à la tonne, les hommes ne travaillent pas, ils vont à
05:08 la choule à la synagogue sans arrêt.
05:10 Ça n'a rien à voir.
05:11 - Et puis votre jeune personnage se rend compte que finalement c'est son unique famille.
05:16 - Mais c'est ça, c'est la voix du sang.
05:17 - Et alors ma question, c'est, est-ce qu'aller à la rencontre de gens qui sont déracinés,
05:23 ça aide à comprendre ses racines ?
05:25 - Mais d'abord, moi je ne me suis pas du tout posé la question quand je suis arrivée
05:28 en France.
05:29 Vous savez, j'étais un peu comme les personnages de votre livre que j'ai tant aimé.
05:32 Je voulais être française, me fonder en la masse.
05:35 D'ailleurs, je racontais que j'étais suédoise, que mon père était diplomate, enfin et même,
05:40 je vais vous dire, je poussais la Russe jusqu'à aller voir des films en suédois pour retenir
05:47 des mots de suédois à placer dans la conversation.
05:49 Et je vous assure, Sonia, c'est souvent…
05:51 - Vous ne vouliez pas être égyptienne, vous ne vouliez pas être juive égyptienne.
05:54 - Je ne voulais pas.
05:55 Je voulais être française et me fonder en la masse.
05:58 Et c'est vers 17-18 ans, en disant « Le dernier des justes », que tout d'un coup,
06:01 ça m'a sauté à la figure et que mon judaïsme est revenu.
06:04 Mais moi, je ne suis pas du tout croyante, mais je suis terriblement attachée à l'histoire
06:10 mythologique et historique, parce que beaucoup entrent dans la mythologie depuis 2000 ans,
06:15 de ce peuple qui a réussi à survivre à tant de persécutions, à tant de malheurs,
06:20 à tant de volontés de destruction.
06:21 Pourquoi ? Pourquoi sont-ils restés les mêmes depuis 2000 ans ? C'est une question qui
06:26 me taraude.
06:27 New York, 1989.
06:29 - Mon fils ne reviendra jamais dans ce coin.
06:33 Seulement parce que c'est le pigment de son scène.
06:36 - Youssef Hawkins n'a eu que 16 ans.
06:38 Une victime innocente qui est devenu un symbole de la bitteresse raciale qui continue de diviser
06:42 une ville en tristesse.
06:43 Un tir qui, encore une fois, a brisé les feuilles d'intolérance entre les Blancs et les Blancs.
06:48 - Youssef ! Youssef ! Youssef !
06:52 - Paula Jacques, vous projetez votre jeune journaliste, votre double littéraire, dans
06:58 un New York en pleine effervescence.
07:00 Un jeune homme noir a été sauvagement assassiné par des Blancs.
07:06 La ville est en proie aux émeutes, aux pillages.
07:11 Et il y a là-dedans quelque chose qui se télescope.
07:15 - Je suis complètement épatée que vous ayez retrouvé finalement l'archive de Youssef
07:19 Hawkins qui est dans mon livre, c'est "Le jeune noir qui se fait massacrer" en 89 et
07:23 vous avez retrouvé l'archive.
07:24 C'est magique.
07:25 C'est la radio, c'est magique.
07:27 - Vous faisiez la même chose quand je vous invitais des écrivains, vous faisiez exactement
07:31 la même chose.
07:32 Mais c'est intéressant parce que ce télescope dans ce livre, comme dans l'œuvre de Philippe
07:37 Roth par exemple, la question de la haine des Juifs qui en fait taraude l'Amérique,
07:42 quoi qu'on en dise, en fait taraude l'Amérique de manière assez profonde et depuis très
07:46 longtemps, et celle de la haine des Noirs.
07:48 Alors moi, ce qui m'intéressait dans ce livre, je suis partie sur deux présupposés.
07:52 Ce qui m'intéressait, c'était de parler finalement des communautés qui ont été
07:55 ségrégées, humiliées, esclavagisées, ce qui n'est pas le cas des Juifs, mais j'ai
08:01 voulu vraiment établir une espèce de liaison entre les Juifs américains et les Noirs américains.
08:06 Les Juifs américains ont énormément soutenu la cause abolitionniste.
08:10 Ils ont participé à la lutte contre les droits civiques et jusqu'aux années 60, 70, 80,
08:15 il y avait vraiment un élan de solidarité entre les Juifs et les Noirs.
08:19 Ils faisaient cause commune contre le racisme.
08:21 Et puis sont arrivés les Black Panthers, les Black Muslims, et les choses se sont dégradées.
08:25 Mais moi, ce que je voulais, c'était mettre en parallèle deux communautés discriminées
08:30 et voir, et d'ailleurs, dans mon livre, ce n'est pas par hasard que mon héroïne rencontre
08:35 un écrivain dont elle va tomber follement amoureuse, qui est un fameux traître du
08:39 reste sur le plan amoureux, mais passons, et lui, il est en train d'écrire un livre.
08:43 - Un fameux bon coup et un fameux traître.
08:45 - Voilà.
08:46 Vous avez bien résumé la situation.
08:48 Il est en train d'écrire un livre sur les causes communes, les divergences et les convergences
08:52 des Juifs et des Noirs.
08:53 Et donc, mon personnage se balade entre cette famille juive orthodoxe qui se remet du terrible
09:00 accident qu'a causé l'un des leurs, et la ville est en effervescence et son ami écrivain
09:05 va l'introduire dans tout le gratin nord-africain.
09:09 Les artistes, les cinéastes, les journalistes, et donc, elle va vraiment participer aux deux
09:15 camps, un moment crucial pour la ville puisqu'il y a un maire noir pour la première fois qui
09:20 se présente aux élections.
09:21 - Voilà, qui se présente et qui va être élue pour la première fois.
09:24 New York va avoir un maire noir.
09:27 Alors, évidemment, c'est l'heure du disque.
09:29 On a choisi Madonna, Like a Prayer, parce que c'est New York, en 1989.
09:33 Et puis ensuite, je vais vous demander si cette interview que la jeune héroïne fait
09:39 de Spike Lee, ça a été la vôtre et si ça s'est vraiment passé comme ça.
09:43 Si vous, à cet âge-là, vous avez rencontré Toni Morrison.
09:46 Si vous, jeune journaliste à France Culture, Paula Jacques, vous avez rencontré Arletty
09:51 à la fin de sa vie.
09:53 - ♪ Life is a mystery ♪
09:57 ♪ Everyone must stand alone ♪
10:01 ♪ I hear you call my name ♪
10:06 ♪ And it feels like home ♪
10:13 ♪ ♪ ♪
10:20 ♪ When you call my name ♪
10:23 ♪ It's like a little prayer ♪
10:25 ♪ I'm down on my knees ♪
10:27 ♪ I wanna take you there ♪
10:29 ♪ In the midnight hour ♪
10:31 ♪ I can feel your power ♪
10:33 ♪ Just like a prayer ♪
10:35 ♪ You know I'll take you there ♪
10:38 ♪ I hear your voice ♪
10:42 ♪ It's like an angel sighing ♪
10:46 ♪ I have no choice ♪
10:48 ♪ I hear your voice ♪
10:52 ♪ Feels like flying ♪
10:55 ♪ I close my eyes ♪
10:59 ♪ Oh God, I think I'm falling ♪
11:03 ♪ Out of the sky ♪
11:05 ♪ I close my eyes ♪
11:09 ♪ Heaven help me ♪
11:12 ♪ When you call my name ♪
11:14 ♪ It's like a little prayer ♪
11:16 ♪ I'm down on my knees ♪
11:18 ♪ I wanna take you there ♪
11:20 ♪ In the midnight hour ♪
11:22 ♪ I can feel your power ♪
11:24 ♪ Just like a prayer ♪
11:26 ♪ You know I'll take you there ♪
11:29 ♪ Like a child ♪
11:33 ♪ You whisper softly to me ♪
11:37 ♪ You're in control ♪
11:39 ♪ Just like a child ♪
11:43 ♪ Now I'm dancing ♪
11:46 ♪ It's like a dream ♪
11:50 ♪ No end and no beginning ♪
11:54 ♪ You're here with me ♪
11:56 ♪ It's like a dream ♪
12:00 ♪ Let the choir sing ♪
12:03 ♪ When you call my name ♪
12:05 ♪ It's like a little prayer ♪
12:07 ♪ I'm down on my knees ♪
12:09 ♪ I wanna take you there ♪
12:11 ♪ In the midnight hour ♪
12:13 ♪ I can feel your power ♪
12:15 ♪ Just like a prayer ♪
12:17 ♪ You know I'll take you there ♪
12:19 ♪ When you call my name ♪
12:21 ♪ It's like a little prayer ♪
12:23 ♪ I'm down on my knees ♪
12:25 ♪ I wanna take you there ♪
12:28 ♪ In the midnight hour ♪
12:30 ♪ I can feel your power ♪
12:32 ♪ Just like a prayer ♪
12:34 ♪ You know I'll take you there ♪
12:38 ♪
12:43 Si tout se passe bien, vous l'aurez dans la tête toute la journée,
12:45 comme ça vous penserez à moi et vous penserez à Paula Jacques.
12:47 C'était Madonna, 1989, Like a Prayer.
12:50 France Inter, le 7 9 30, l'interview de Sonia De Villers.
12:56 Les critiques ont dit que le film était dangereux, qu'il ne devait pas sortir l'été,
13:02 que j'avais fait ce film pour susciter des émeutes.
13:04 Alors que je l'ai fait pour ouvrir un débat sur le racisme.
13:10 C'est un problème qui n'est pas seulement américain, c'est un problème mondial.
13:15 Les critiques du festival de Cannes font les snobs et disent que c'est un problème américain.
13:24 Mais c'est faux.
13:29 Je connais un tas d'Algériens, d'Africains qui sont victimes de racisme en France.
13:37 Ce n'est pas seulement l'Amérique, c'est dans le monde entier.
13:43 Interview de Spike Lee en 1989, Paula Jacques publie Mon oncle de Brooklyn.
13:49 Et voilà son double littéraire, une journaliste d'une trentaine d'années,
13:53 pigiste à la fois pour France Culture et pour Jeune Afrique,
13:56 qui rencontre Spike Lee. Et ça se passe très mal.
14:00 Il est effroyablement méprisant. Est-ce que vous avez rencontré Spike Lee ?
14:04 - Alors j'ai rencontré Spike Lee. Dans mon livre, l'interview se passe en 1989,
14:09 donc c'est autour de Do the Right Thing.
14:11 Le film dont il parle, moi, c'est beaucoup plus tard, j'ai interviewé.
14:14 Mais ça a été une rencontre abominable.
14:16 Il me reçoit dans les bureaux de la production en France,
14:19 et puis j'arrive et il me tourne le dos quasiment, il a les pieds sur la table,
14:23 il ne me regarde pas, il lève les yeux aussi, il soupire.
14:26 Chaque fois que je lui pose une question, il se détourne.
14:29 Et j'ai senti un truc vraiment, ça m'a fait réfléchir,
14:32 c'est ce qu'on appelle le racisme inversé. Vraiment.
14:35 Il me détestait parce que j'étais blanche. Et ça, c'est vrai, je l'ai vraiment ressenti.
14:39 Et ça a été alors, à un moment donné, je me suis fâchée,
14:41 puis j'ai dit écoutez, Monsieur Spike Lee, si ça vous embête,
14:43 je m'en vais. Il a dit non, non, ça reste, c'est resté.
14:45 Finalement, on a fait l'interview, ça ne s'est pas trop mal passé.
14:48 Et à la fin, il m'a dit oui, oui, vous avez de bonnes ondes.
14:51 Enfin, il s'est rattrapé comme il a pu, quoi.
14:54 Mais j'en ai gardé un souvenir, mais vrai, donc je l'ai asserré dans le...
14:58 L'interview que j'ai imaginée est différente puisqu'il s'agit sur un autre film.
15:02 - Mais il y a probablement plus d'un souvenir autobiographique.
15:06 - Bien sûr. - Dans les premières interviews de cette jeune journaliste.
15:09 Par exemple, la rencontre avec Arletty. Arletty, monument du cinéma français.
15:15 Arletty, Colabo, pendant la guerre, on s'en souvient.
15:19 Arletty à la fin de sa vie. Vous l'avez rencontrée, Paula Jacques ?
15:23 - Alors écoutez, à ce moment-là, je travaillais à l'Oreille en coin.
15:26 Et Arletty, vous savez qu'elle habitait pas loin de la maison de la radio.
15:29 Et moi, c'était mon idole, j'adorais Les Enfants du Paradis.
15:32 Et donc j'ai réussi à décrocher une interview avec elle et j'étais aux Anges.
15:35 Et donc je prends mon agra. - Elle vous dit ce qu'elle raconte dans le livre ?
15:38 - Absolument, je peux le dire très vite. - Ah bah, allez-y.
15:41 - Voilà. Donc je sonne à la porte, elle m'ouvre. Elle était encore très belle, très vieille,
15:45 avec un bandeau, complètement aveugle. Elle me voit pas, elle me fait entrer très sympa.
15:49 On s'assoit et l'interview est un régal. Étincelle de goye, d'intelligence,
15:55 de choses marrantes sur son enfance, le Paris de l'époque.
15:58 Et il y avait un portrait de Céline, l'écrivain au mur.
16:00 Et je lui dis, je demande de parler de Céline, son amie.
16:03 Et là, elle commence à hurler que Céline est la grande victime des Juifs,
16:07 que c'est eux qui ont peint ce bonhomme, qu'en fait c'était un brave mec,
16:11 que c'est à cause de lui que l'épuration était obligée de partir.
16:15 Et puis ensuite, elle enchaîne en disant que ce pays, que ça continue,
16:18 que le pays est gangréné par les Juifs. On est sous Mitterrand.
16:23 Elle m'explique que le gouvernement est juif, les médias sont juifs, le cinéma est juif.
16:28 Et à ce moment-là, je l'arrête et je lui dis, "Madame Arletty, j'ai quelque chose à vous dire."
16:32 Elle me dit "Ah oui, quoi ?" Je dis "Voilà, je suis juive."
16:35 Un silence et puis elle dit "Ah, vous êtes juive, c'est bien, c'est très bien."
16:40 Je dis "Mais qu'est-ce qui est bien ?" elle me dit "Mais c'est bien d'avoir le courage de l'avouer."
16:45 Et je vous assure, Sonia, que je l'ai passé ce bout-là à l'émission de l'Oreille en coin.
16:50 Et là, on n'a plus les archives. Voilà, donc ça c'est complètement authentique.
16:54 - Vous savez quoi ? Si vous nous lancez le défi, on va y arriver, on va aller retrouver ses archives.
16:58 - Mais non, malheureusement, à l'Oreille en coin, à cette époque, on n'archivait pas les reportages.
17:02 - Et puis, c'est le climax du livre, c'est la rencontre entre cette jeune journaliste et Toni Morrison.
17:10 Et c'est un magnifique entretien que vous retranscrivez, question-réponse, ce qui n'arrive jamais dans un roman.
17:18 - Mais c'est ce qu'il faut faire, hein, plutôt que de le résumer.
17:22 Tout le livre tend là-dessus, parce que le livre est tendu par le fait qu'elle n'a...
17:26 Toni n'arrête pas de lui poser des lapins, donc elle est obligée de prolonger son séjour.
17:29 - Tous les journalistes, François Bunel le premier, racontent la même chose.
17:33 Tous ceux qui ont voulu rencontrer Toni Morrison n'ont pas attendu une heure, deux heures, trois heures.
17:38 Ils ont attendu une semaine, deux semaines, trois semaines, un mois, trois mois avant de pouvoir l'avoir.
17:43 - Alors, en ce qui me concerne, moi j'ai rencontré Toni Morrison à Paris, pas du tout pour "Beloved", ce livre qui avait eu le prix Pulitzer.
17:50 - En 87. - Oui, beaucoup plus tard.
17:52 Et je dois dire, vous allez me trouver prétentieuse, que ça s'est très bien passé entre nous.
17:57 Elle m'a beaucoup aimée, je ne sais pas pourquoi, moi évidemment j'étais complètement à genoux devant elle.
18:02 Et à chaque fois qu'elle venait à Paris, elle demandait à me voir.
18:04 Donc j'étais très heureuse.
18:06 Et l'interview qui est reproduite dans le livre, je l'ai inventée en quelque sorte,
18:10 mais de manière cohérente par rapport à ce que je sais d'elle, puisque ça portait sur un autre livre.
18:14 - D'ailleurs, il y a un moment où vous esquissez quelque chose sur sa vie amoureuse.
18:22 Elle se moque de vous.
18:24 - Alors je vais vous faire rire.
18:26 Je suis très amie avec Dominique Bourgois, son éditrice, qui m'a raconté plein de trucs sur Toni que j'ai mis dans le bouquin.
18:33 Et donc elle a lu mon livre et elle me dit à un moment donné, vous savez, il y a un truc qui ne va pas.
18:37 "Toni, elle ne vous aurait jamais dit ça." Je dis quoi ?
18:39 Elle me dit "Elle ne vous aurait jamais parlé de sa vie privée."
18:42 Et c'est là que je l'ai coincée, je lui ai dit "Dominique, je vous ferai écouter les archives, c'est exactement ce qu'elle m'a dit.
18:48 On a parlé de sa vie privée, de son mari qu'elle a quitté, etc."
18:52 Et là, ce truc-là, je ne l'ai pas inventé.
18:56 - Et Toni Morrison vous dit "Au fond, je me sens assez libérée de cette vie de femme, de cet impératif sexuel, de séduction, de ce devoir conjugal, etc."
19:10 Parce qu'en fait, cette énergie-là, ça me permet d'écrire.
19:12 - Exactement, exactement.
19:14 Donc, toutes les interviews sont réelles, un peu retravaillées mais réelles.
19:19 - Voilà, alors quel est le secret d'une interview ?
19:22 Quand on est face à un géant du cinéma, comme Cory Smackey qui raconte, et là je suis sûre que c'est vrai.
19:30 - C'est vrai, il se roule par terre, il me dit "Mes films c'est de la merde."
19:33 Je lui dis "Mais monsieur Hackey, il ne m'aime pas du tout, allez, je vous emmène dîner."
19:37 Et très souvent, alors moi j'avais marqué un truc, vous aussi sans doute Sonia,
19:41 plus les artistes sont grands, plus ils sont géniaux, plus ils ont de doutes sur leur travail.
19:46 Les médiocres, ils arrivent, ils disent "Je suis génial, tout est formidable."
19:49 Mais les grands, ils sont toujours dans "Je suis très en dessous de ce que je peux faire."
19:54 Et ça, c'est très intéressant.
19:55 Je crois que, bon, le secret, je ne vais pas vous apprendre ce que c'est que le secret d'une interview.
19:59 Vous êtes passé maîtresse en la matière.
20:01 - Pas du tout.
20:02 - Mais je vous dirais, d'abord, c'est préparer un peu quand même, à ne pas se pointer sans l'avoir lu.
20:07 Et puis c'est l'attention.
20:08 C'est vraiment la personne que vous avez en face de vous,
20:12 si vous l'intéressez vraiment, si elle peut vous parler, si elle va parler à quelqu'un qui l'écoute.
20:18 Parce que vous savez, très souvent, les journalistes, ils s'écoutent eux-mêmes,
20:21 beaucoup, avant de poser leurs questions et tout ça.
20:23 N'est-ce pas Nicolas ?
20:24 - Pourquoi vous me regardez ?
20:26 Non, c'est écouter son invité.
20:28 Oui, oui, écoutez son invité.
20:30 - Allez, Paul Ajak, mon oncle de Brooklyn, il y a du vrai, il y a du faux là-dedans.
20:35 C'est son roman qui sort chez Flammarion.
20:39 Merci Paul Ajak, merci d'être venu nous voir.
20:41 - Merci Sonia, vous m'avez fait un immense plaisir.
20:44 - A nous aussi.
20:45 - Merci beaucoup Sonia.