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Le chanteur, originaire d’Algérie, est revenu sur sa terre natale après plus de 60 ans d’exil. Il nous raconte.

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Transcription
00:00 Il est 9h08, Sonia De Villers, votre invitée, a commencé par écrire une chanson sur son retour en Algérie.
00:07 Une chanson qui s'intitule « Je reviens ». Bonjour Patrick Bruel.
00:11 Bonjour Sonia.
00:11 Et voilà, comme dans les contes de fées, un enfant qui dit « je reviens » et ensuite ça se produit pour de vrai.
00:17 Comme si les mots avaient un pouvoir.
00:19 Ils ont le pouvoir. À un moment donné, comme quand on était petit, mon grand-père me disait « quand quelque chose te travaille, couche-le sur papier ».
00:26 Et en effet, j'ai probablement couché sur papier ce fantasme de revenir.
00:31 Je l'ai couché pour rester debout peut-être.
00:33 Et j'avais besoin d'y aller.
00:36 Non mais vraiment, vous écrivez une chanson qui s'intitule « Je reviens » dans laquelle vous décrivez le retour en Algérie.
00:42 Vous avez quitté l'Algérie en 1962, vous aviez trois ans.
00:46 Vous n'y avez jamais, jamais, jamais remis les pieds.
00:49 Vous n'avez jamais revu la terre algérienne depuis 60 ans.
00:52 Vous écrivez une chanson et quelques semaines après la sortie de l'album, au mois de novembre, ça se produit.
00:58 Exactement comme vous l'avez écrit.
01:00 Exactement, ça se produit.
01:01 C'est-à-dire que je fantasme ce retour de ma maman et moi dans l'avion en train de regarder des photos et main dans la main, poser les pieds à Tlemcen.
01:08 Au mois de juin dernier, j'écris cette chanson parce que je me dis « maintenant, il est temps de rendre cette histoire tangible ».
01:16 Et au même moment, je prends ça comme un signe évidemment,
01:20 au même moment, les autorités algériennes me font savoir que ça leur ferait plaisir que Patrick Bruel revienne en Algérie et qu'il puise avec sa maman.
01:26 Alors à l'époque, personne ne savait que la chanson que j'écrivais pouvait traiter de ce sujet.
01:30 Je prends ça comme un signe, je termine la chanson très vite.
01:33 Le voyage s'organise grâce à monsieur l'ambassadeur Saïd Moussi.
01:38 Et les choses deviennent extrêmement fluides et nous sommes partis la semaine dernière avec maman.
01:43 L'avion va bientôt atterrir, tu caches tes larmes dans un sourire.
01:53 J'avais quel âge ? Trois ans à peine. Et nous voilà tous les deux à Tlemcen.
02:07 Moi le gamin, moi le berbère. Parti de rien, parti d'une guerre.
02:17 Tellement damné à hésiter, à me demander comment te retrouver.
02:28 L'album s'intitule encore une fois, il est paru au mois de novembre.
02:32 60 ans sans voir l'Algérie. Vous avez des souvenirs ?
02:36 Non, uniquement ceux de la mémoire collective, de ce qu'on m'a raconté.
02:41 Et puis j'ai eu cette chance de grandir dans un discours très doux, apaisé.
02:48 Jamais de mots violents, jamais de sensation de haine, jamais de revanche.
02:56 Toujours une description de cette vie intercommunautaire extraordinaire.
03:00 Ce discours, c'était celui ?
03:02 Celui de mon grand-père, celui de ma grand-mère, celui de mes oncles.
03:05 Ça veut dire que toute la famille est partie en même temps ?
03:07 Quasiment en même temps. Maman et moi, on est partis les derniers.
03:10 Mes oncles, les tantes et mes grands-parents étaient déjà partis.
03:15 Et nous on est partis tous les deux. Un peu vraiment les derniers, maman et moi.
03:20 Et c'était pour ça que c'était important de revenir tous les deux, main dans la main.
03:25 Et ce qui a été magnifique, c'est cet accueil.
03:27 Alors cet accueil, c'est à Tlemcen.
03:30 C'est pas loin du Maroc, pas loin de la frontière marocaine.
03:34 Là où vous avez passé vos trois premières années, vous êtes né à Oran, je crois.
03:37 - Tlemcen. - À Tlemcen.
03:39 Donc vous êtes né à Tlemcen, vous êtes revenu à Tlemcen.
03:42 - Votre maman était... - Aînée aussi à Tlemcen.
03:44 Ensuite, on a fait deux jours à Tlemcen, on est allé à Oran.
03:47 Ouh là, mon père est né à Oran.
03:50 Et ensuite, on a terminé à Alger.
03:51 - L'accueil a été chaleureux partout ? - Plus que ça.
03:54 C'était plus que chaleureux, c'était un accueil où les gens voulaient me signifier.
03:59 À quel point ils étaient heureux de me voir.
04:02 Les mots qu'on a le plus entendu, c'était "Bienvenue chez vous", "Bienvenue chez toi",
04:06 "Tu es ici chez toi", "Merci de revenir",
04:09 "J'espère que vous êtes heureux", et puis cette émotion extraordinaire de voir l'émotion de ma mère.
04:20 Parce que finalement, comme je vous le dis, moi je n'en avais pas de souvenirs.
04:23 Là, on partait à la recherche de ses souvenirs à elle, et des souvenirs que je n'ai pas eus.
04:28 Donc c'était...
04:30 - Qu'est-ce que vous avez retrouvé ? Qu'est-ce qui est resté intact, Atlemsen ?
04:33 - Visiblement, presque tout.
04:35 - Presque tout ? - Presque tout est intact.
04:37 - Ce qui est une chance, parce qu'il y a beaucoup de gens qui ont fait le voyage à l'envers,
04:40 et qui ont eu ce déchirement de voir les maisons rasées, remplacées par des immeubles, par des cités.
04:47 - Non, puisqu'on a eu la chance d'aller dans l'école où ma mère enseignait,
04:49 on a été accueillis merveilleusement par les enseignants, par les enfants.
04:54 En plus, c'était assez joli, parce que dans cet album, il y a une chanson qui s'appelle "L'Instit",
04:57 où je rends hommage à ma maman qui était institutrice.
05:00 Et donc je suis arrivé là-bas, et les enfants m'ont chanté la chanson.
05:05 Les enseignants étaient là, on leur a sorti les registres,
05:09 où ma maman a revu des moments de vie.
05:14 Et ensuite, on est allé dans les maisons qu'on avait habitées, celles où je suis né,
05:18 ensuite celles où elle a grandi,
05:20 ensuite celles que mes grands-parents ont achetées quand elle avait 16-17 ans.
05:26 Et ça a été formidable, l'accueil dans les maisons des gens qui, aujourd'hui, habitent dans ces maisons,
05:30 qui étaient tellement heureux de nous voir arriver.
05:32 Et ce qui était très joli aussi, c'était que dans la maison de mes grands-parents,
05:36 la première chose que les gens qui nous ont reçu ont faite,
05:40 c'était de nous montrer l'acte de vente.
05:42 C'était important pour eux de nous montrer que la maison avait bien été vendue par mon grand-père,
05:46 et qu'elle n'avait pas été prise ou quoi que ce soit.
05:50 C'était vraiment très joli.
05:52 - De toute façon, les maisons, c'est très important.
05:54 Quand on a quitté un pays, quand on a quitté une maison,
05:57 les maisons, c'est très très important.
05:58 - Et puis de y revenir, il y a eu des moments très émouvants,
06:04 parce que j'ai imaginé géographiquement qui faisait quoi.
06:09 Et puis voilà, c'était très beau.
06:11 Ensuite, on est allé aussi, évidemment, au cimetière de Tlemcen,
06:14 on est allé sur la tombe du Ravencaua,
06:18 ensuite on est allé voir le cimetière.
06:20 Et maman a eu une très jolie phrase quand elle a vu le cimetière juif,
06:23 parce qu'elle avait un peu de mal à y aller, elle avait peur,
06:25 parce qu'on lui avait dit que le cimetière était un peu à l'abandon,
06:28 qu'il n'était pas entretenu ou tout ça.
06:31 Et quand elle l'a vu, elle a été très très émue, vraiment très émue,
06:36 en disant "c'est juste la nature qui a repris ses droits".
06:38 Mais il n'a pas été saccagé, il n'a pas été vandalisé,
06:41 il n'a pas été... Voilà, c'est resté...
06:43 Pour elle, c'était important.
06:45 - Quand vous êtes arrivé en France en 1962, début 1963,
06:49 vous arrivez à Argenteuil. Pourquoi Argenteuil ?
06:52 - On est arrivé à Maison-Alfort tout de suite,
06:57 parce qu'une partie de la famille était à Maison-Alfort.
06:59 Et je crois que maman a trouvé un poste d'institutrice à Argenteuil,
07:02 elle a été nommée là-bas.
07:04 - Parce qu'Argenteuil, qui est dans le Val-d'Oise...
07:06 - Dans le Val-d'Oise, oui. On habitait l'école.
07:08 - C'est un des grands foyers aussi de la résistance algérienne en Ile-de-France.
07:12 Donc il y a beaucoup beaucoup de familles algériennes
07:15 qui ont vécu à Argenteuil.
07:17 Il y a même des enfants d'Argenteuil qui ont été
07:21 les élèves de votre maman à Clemson.
07:23 - Alors ça c'est extraordinaire cette histoire.
07:24 - Et après l'exil, qu'ils l'ont retrouvée comme institutrice à Argenteuil.
07:28 - Ça c'est fou, et notamment Redouane,
07:31 qui travaille chez vous, dont la maman était en classe.
07:35 Elle a eu ma maman comme institutrice en 1961 à Clemson,
07:38 et a eu la même institutrice en 1964 à Argenteuil,
07:42 à l'école Jean Jaurès, où nous habitions,
07:45 puisqu'on avait le logement de fonction dans l'école.
07:47 Et moi j'étais à Jules Gued, à côté, chez les garçons,
07:49 puisque maman était institutrice à Jean Jaurès, à l'école de filles.
07:53 - Mais ça signifie qu'à Argenteuil,
07:55 tout le monde était mélangé.
07:57 - Oui. - Tout le monde.
07:58 Tous les rapatriés étaient mélangés,
08:00 avec les Algériens d'origine musulmane,
08:02 avec les Algériens d'origine juive,
08:04 avec les Pieds-Noirs, tout le monde était mélangé à Argenteuil.
08:07 - Mais c'était...
08:10 Tant mieux, ça a été une chance pour nous d'arriver à cet endroit
08:13 et de voir un tel accueil, une telle...
08:17 rapidité d'intégration.
08:19 Et c'était...
08:21 Ben ouais, une municipalité très ouverte,
08:23 une municipalité communiste, à l'époque.
08:26 C'était vraiment...
08:27 - Donc vous n'avez aucun souvenir de...
08:29 - De l'Algérie.
08:30 - De tension ?
08:31 - Non. - Vous n'avez aucun souvenir de douleur ?
08:34 Vous n'avez aucun souvenir de récits douloureux dans la famille ?
08:39 - Non, il y a eu...
08:41 Le souvenir était parfois sur une...
08:44 sur l'évocation d'un soleil qui pouvait un peu manquer,
08:48 ou d'une vie, de ce partage.
08:52 - Et qu'est-ce qu'ils vous ont raconté de la guerre ?
08:55 Les grands-parents, les oncles, votre mère ?
08:57 - On disait beaucoup les événements, à l'époque.
09:00 - On disait les événements.
09:01 - Ce qui était une...
09:02 C'est pour ça que dans la chanson, je dis "parti de rien, parti d'une guerre".
09:05 Moi, je pense qu'il faut nommer les choses.
09:06 Et ce n'était pas des événements, c'était une guerre, une vraie guerre.
09:10 Donc ça a été...
09:14 Un discours...
09:16 Il ne revenait pas trop dessus, je pense.
09:18 Mon grand-père ne revenait pas trop dessus.
09:20 C'était...
09:21 Mais...
09:23 Mais c'était signifié quand même.
09:24 C'était signifié, c'était une guerre, bien sûr.
09:27 Ça avait été difficile, ça avait été douloureux.
09:30 Beaucoup d'incompréhension,
09:31 beaucoup d'amalgame,
09:34 beaucoup d'erreurs.
09:38 - Et ça, ça a été raconté à l'enfant que vous étiez ?
09:40 Un petit peu ?
09:41 - Ça a été raconté.
09:42 Pas uniquement par eux, ça a été raconté aussi par l'histoire,
09:45 ça a été raconté par la presse, par la littérature.
09:48 - Il est 9h18, vous écoutez France Inter et c'est Patrick Bruel.
09:52 Vous êtes rentré dimanche, samedi, dimanche ?
09:54 - On est rentré dimanche soir.
09:56 - Oui, c'est ça, qu'il vient tout juste de rentrer d'Algérie
09:58 où il est revenu pour la première fois avec sa mère qui a 87 ans.
10:02 Je l'ai vieilli d'un an, mon excuse.
10:04 - Elle vous écoute en plus.
10:06 - Et bien alors, on va parler d'elle.
10:07 L'instit, c'est pour elle.
10:12 Elle enseignait les numéros et les couleurs de l'arc-en-ciel
10:17 Comme autant de petits barreaux pour se construire une grande échelle
10:21 Elle leur a donné la baissée, leur offrait des récitations
10:25 À tous ces enfants mal armés en guise de petites munitions
10:30 Elle leur parlait de tous les livres, elle leur a appris toutes les lettres
10:34 Pour devenir des hommes libres et se fabriquer des fenêtres
10:37 Et même le dernier des cancres écoutait la chartreuse de Parme
10:41 Elle disait qu'une main tachée d'encre est une main qui ne tiendra pas d'arme
10:45 Elle leur apprenait, voyez-vous, qu'un livre peut changer une vie
10:50 Elle leur apprenait, voyez-vous, qu'un livre peut être un ami
10:57 Elle avait le rêve un peu fou qu'un livre peut changer une vie
11:07 Et qu'il n'y a de voyous que des gens qui n'ont rien appris
11:12 Aujourd'hui je repense à elle, à toutes les vies qu'elle a changées
11:19 Avec ses consonnes, ses voyelles et toutes les phrases qu'elle a semées
11:23 Je la revois à son bureau, la tête penchée sur le côté
11:26 En train de réparer leurs mots comme on soignerait des blessés
11:30 Elle leur apprenait, voyez-vous, qu'un livre peut changer une vie
11:36 Elle leur apprenait, voyez-vous, qu'un livre peut être un ami
11:42 Elle avait le rêve un peu fou qu'un livre peut changer une vie
11:50 Et qu'il n'y a de voyous que des gens qui n'ont rien appris
11:57 Cette maîtresse était ma mère, de la voir un peu partagée
12:03 Je me sens riche de soeurs et frères que je n'ai jamais rencontrées
12:08 Fleurs libres et fleurs sauvages, que la vie puisse les arroser
12:12 D'amour, de savoir et d'ouvrage, autant qu'un jardin de pensées
12:18 * Extrait de Sonia De Vilaire *
12:22 L'Instit, l'album s'appelle encore une fois
12:24 * Extrait de Sonia De Vilaire *
12:31 Mon invité s'appelle Patrick Bruel, il a fait le retour en Algérie, le voyage à l'envers avec sa mère
12:36 La semaine dernière, ils sont rentrés dimanche, il nous raconte vous avez quitté l'Algérie en 1962
12:41 Vous n'avez jamais pu y retourner
12:43 Et quand on écoute cette chanson ensemble, Patrick Bruel, les souvenirs remontent
12:47 Les souvenirs d'Argenteuil où votre mère était institutrice
12:50 Les souvenirs de la première classe dans laquelle elle a été, puis de la seconde école dans laquelle elle a enseigné
12:55 Je vous écoute, partagée, puisque vous les avez racontés à moi, raconté aux auditeurs
13:00 Non, c'était la première école à Argenteuil, ensuite il y a la deuxième école à Argenteuil, à la cité de la Gaude
13:07 Où on arrive et le directeur s'appelait M. Abdelrahim et son fils Rachid était mon copain
13:14 Et on n'a jamais été question de quoi que ce soit d'autre que de partage, que d'amitié, que d'aller dans sa famille
13:25 Que de faire les seules comparaisons et le seul challenge qu'on avait c'était de savoir si son couscous était meilleur que celui de ma mère
13:31 Et évidemment celui de ma mère était meilleur, mais on était là, il n'y avait pas de scission entre juifs et arabes en Algérie dans ces années-là
13:45 Ça va arriver plus tard avec l'importation du conflit israélo-palestinien
13:50 Qui aujourd'hui pèse sur les juifs d'origine algérienne qui voudraient revenir en Algérie
13:56 Évidemment il y a un chanteur célèbre qui s'appelle Enrico Macias qui ne peut pas rentrer en Algérie
14:02 Qui le demande depuis des années, qui ne peut pas rentrer en Algérie
14:05 Je pense que ça se fera, bien sûr, parce qu'évidemment il y a beaucoup de contradictions
14:12 À la fois il peut y avoir une appréhension à ce que quelqu'un revienne
14:16 Puis une fois que la personne revient, avec l'échange, avec le sourire, avec la nature de ce que sont les Algériens
14:23 Qui sont accueillants, qui sont souriants, qui sont heureux de pouvoir revenir
14:28 Il faut composer avec une minorité extrêmement radicalisée, extrémiste, qui s'est opposée
14:33 Et qui s'est opposée publiquement à votre retour en Algérie matriculière
14:36 Oui, mais c'est infime et je ne les laisserai pas nous enlever le bonheur et l'émotion qu'on a vécu de voir maman revenir sur les lieux de son enfance
14:49 Et un homme qui revient également sur les lieux de son enfance
14:53 Et qui en plus, vont être accueillis à 100% de manière absolument merveilleuse
15:00 Je ne veux même pas mettre une ombre à ce tableau, je veux me tourner vers l'avenir
15:06 Et dire que cet échange est important
15:11 Votre mère avait pu y retourner une fois
15:14 Oui, une fois
15:15 Une fois
15:16 C'était très difficile en revanche, dans les années 90
15:19 Pour faire une petite surprise à la télévision
15:23 Une petite surprise à la télévision, c'était Jean-Pierre Foucault qui voulait vous faire une surprise à la télévision
15:27 Oui, c'était des grandes années
15:29 C'était une sacrée soirée
15:31 Mais elle n'avait pas pu, avec Arcadie, c'était parti
15:34 Mais leur matériel avait été confisqué, donc ils n'avaient pas pu filmer
15:38 Mais maman avait acheté comme ça, par hasard, un petit Instamatic à l'aéroport
15:43 Elle avait pu faire quelques photos de sa maison et de l'endroit
15:46 Donc elle avait reçu une émotion
15:51 Et moi, par transitivité, j'avais reçu aussi l'émotion de savoir qu'elle avait pu y aller
15:57 Mais c'est rien à côté de ce qu'on vient de vivre
16:00 Qu'est-ce que c'est que le déracinement dans une famille ?
16:04 Qu'est-ce que c'est que cette blessure-là ?
16:06 Comment est-ce qu'elle reste, cette blessure-là ?
16:08 A quoi on la sent ? A quoi on la renifle ?
16:10 Comment est-ce qu'on voit que ça ne guérit jamais, vraiment complètement ?
16:14 La difficulté de partir, la difficulté de faire une valise
16:18 Moi, ça m'intrigue d'ailleurs, parce que j'avais trois ans quand je suis parti
16:24 Je n'ai évidemment pas souffert de ce départ, de ce déracinement
16:27 Quand on parlait de mon enfance, j'ai une chanson qui s'appelle "Raconte-moi"
16:31 Je m'adresse à ma maman, où je dis "Elle a mis des paravents pour une enfance sans larmes"
16:35 Les difficultés, elle les a rencontrées, moi je ne les ai pas vues
16:38 J'ai eu une enfance tout à fait joyeuse dans cette école à Argenteuil
16:41 Et puis ensuite, par la suite, à Paris
16:43 Mais aujourd'hui encore, j'ai du mal à faire une valise
16:47 J'ai une peur panique à l'idée de me mettre devant une valise
16:53 De savoir ce que je vais prendre, je fais des listes
16:57 Je me dis "Non, je deviens fou"
16:59 Au bout d'un moment, ça fait rire tout le monde
17:02 Mes enfants, ma compagne
17:06 Tout le monde me dit "C'est..."
17:08 Il faudra refaire le voyage avec vos enfants
17:10 Vous avez deux fils qui sont grands
17:12 Voilà, et qui ont vécu ce voyage un peu par procuration
17:16 Comme beaucoup de gens d'ailleurs, quand je vois les réactions sur Instagram
17:18 Quand je vois à quel point ce voyage a été pris affectivement en compte par tant de gens
17:25 Tant de gens se sentent touchés
17:27 Et tant de gens me marraient dans la rue, me parlent depuis lundi
17:30 C'est assez bouleversant de voir à quel point...
17:32 Vous referez le voyage avec vos fils ?
17:34 Je le referai avec mes fils et j'espère le refaire aussi avec mes frères
17:37 Parce que là, j'avais vraiment voulu partir seul avec maman
17:40 Et je pense que les autres viendront
17:43 Mes enfants ont très envie de venir, bien sûr
17:45 Parce que toute l'histoire du déracinement dans toutes les familles
17:48 C'est aussi l'histoire de la transmission
17:50 Il y a quelque chose qui s'est brisé entre le pays d'avant et le pays de maintenant
17:54 Donc il y a quelque chose qu'il faut réparer, qu'il faut renouer
17:57 "Réparer", c'est le mot dans tous les sens du terme
18:01 Ce voyage servait aussi à réparer
18:04 Nous devions réparer, certainement
18:07 Et puis de l'autre côté aussi, il y a des choses à réparer
18:10 Et c'est en se rencontrant, c'est en se parlant
18:13 C'est en se regardant, surtout
18:15 Il y a eu de très jolis silences pendant ce voyage
18:17 Vous vous imaginez chanter en Algérie ?
18:20 Plus que ça, pour moi ça devient très concret
18:23 J'espère qu'on va organiser un concert
18:25 Vraiment ?
18:26 Vraiment, oui
18:27 Je pense que la boucle serait bouclée
18:29 Je serais la cerise sur le moque-rode
18:33 Et puis il y a une histoire aussi qui vous accompagne depuis longtemps
18:39 C'est celle des films d'Arcadie
18:41 Vous étiez tout jeune, je crois que c'est votre premier film
18:44 Le premier film, oui
18:45 Le coup de sirocco, c'est votre premier film
18:46 Vous avez 18-19 ans quand vous tournez
18:48 Oui, j'avais 18 ans
18:50 Et d'ailleurs c'était assez joli à Alger de terminer le voyage
18:53 par une visite sur la tombe de Roger Hanan
18:58 On a terminé le voyage à Alger comme ça, c'était la dernière chose qu'on ait faite
19:01 Le coup de sirocco raconte l'histoire d'Arcadie
19:04 et en même temps la mienne
19:06 Sauf qu'à l'époque ce n'est pas tourné en Algérie
19:08 Non, on avait tourné à Bizerte, en Tunisie
19:10 comme le Grand Carnaval d'ailleurs
19:12 parce qu'à l'époque c'était très compliqué
19:14 mais depuis Arcadie a réussi avec l'aide des autorités
19:21 à tourner, je crois que "Ce que le jour doit à la nuit" il l'a tourné en Algérie
19:25 Et il vient d'achever un film autobiographique
19:28 Il vient d'achever un film absolument magnifique
19:32 Et là cette fois ça y est c'est tourné en Algérie
19:34 Il l'a tourné à Alger
19:36 Avant de partir vous êtes allé voir la tombe de Roger Hanan
19:39 Oui, je voulais terminer là-dessus
19:43 parce que c'était important, Roger est très aimé, très respecté en Algérie
19:48 Il a été un des merveilleux vecteurs entre ces deux Algéries
19:55 Il a été le lien entre les rapatriés et entre les Algériens
20:02 Moi ça a été mon premier papa de cinéma
20:05 C'était important
20:07 Et puis toute votre vie vous vous êtes cherché des papas
20:10 C'est mon grand plaisir, je les ai trouvés parfois dans ma vie
20:15 Je les ai rencontrés, tout comme Guy Carcassonne par exemple
20:18 Je pense toujours à ces moments-là, parce que lui avait été un des premiers à aller à Tlemcen
20:21 Il nous a envoyé des photos à ma maman
20:23 Et puis j'ai trouvé beaucoup de papas dans les livres
20:26 C'est vrai que cette chanson "L'Instit" fait hommage au livre
20:31 Et qui sort d'ailleurs au même moment que le livre d'un ami à moi
20:34 qui s'appelle Mathieu Hélène et qui a sorti un livre absolument magnifique
20:36 qui s'appelle "La compagnie des voyants"
20:38 qui est un livre d'utilité publique
20:40 qui vous donne à quel point envie de plonger dans la lecture
20:44 Il donne l'importance des mots, l'importance du livre
20:47 Je tenais à en parler parce que pour moi c'est un livre important
20:52 Voilà, l'album s'appelle "Encore une fois"
20:55 Parfois on écrit une chanson et ensuite ça devient le réel
20:58 Merci Sonia De Ville

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