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Bernard Phelan vient de passer 8 mois de captivité en Iran. Aujourd'hui, il raconte les geôles, les interrogatoires et cauchemars, puis la reconstruction depuis. Il est l'invité de 9H10.

Retrouvez "L'invité de Sonia Devillers" sur
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Transcription
00:00 Sonia De Villere, votre invité a été retenu otage durant 8 mois, il a été libéré le 14 mai.
00:06 Et il est venu avec tout ce qui lui reste de sa détention, c'est-à-dire les savates en plastique
00:12 qu'il a portées pendant ses 8 mois de prison.
00:14 Bonjour Bernard Félan.
00:16 Bonjour Sonia.
00:17 Vous les avez posées là, sur la table, voilà, elles sont très abîmées.
00:20 En fait c'est tout ce qui reste de l'Iran, parce que quand on vous a arrêté, on vous a tout pris,
00:25 on ne vous a jamais rien rendu.
00:26 Exactement, je suis rentré avec un pantalon, un t-shirt, ses tongs et quelques livres,
00:35 mais toutes mes affaires étaient prises, passeport, carte.
00:38 Voilà, et vous m'avez apporté aussi le Irish Times, qui est LE journal irlandais.
00:46 Vous posez avec votre mari en une après votre libération, c'est l'édition du 29 mai.
00:53 Vous êtes franco-irlandais, vous êtes né en Irlande et on l'entend à votre très joli accent.
00:58 Vous avez multiplié les allers-retours en Iran depuis la réouverture de l'Iran au tourisme.
01:04 Ça fait longtemps que vous travaillez dans le tourisme.
01:06 En fait vous faisiez des voyages de repérage pour des tours opératoires.
01:09 Non, pas vraiment, j'ai tombé amoureux de l'Iran il y a très très longtemps, ça m'a fasciné.
01:14 J'y allais en famille, on était 6 en 2017, et j'ai croisé des gens dans le tourisme.
01:22 C'était mon ancien métier, j'ai travaillé pour le gouvernement irlandais en France.
01:25 J'ai dit à ces Iraniens qui organisent des voyages "Marche à pied, vous êtes vraiment bien organisés, il faut que vous vous climpiez".
01:31 Comme ça je me suis mis en contact et on est devenu des amis.
01:34 Tous les ans j'allais en Iran les aider à préparer des programmes pour les voyageurs.
01:40 C'est ça. Vous êtes arrêté sans que vous n'ayez jamais compris pourquoi.
01:46 Et vous allez être tout de suite soumis à une kyrielle d'interrogatoires plus absurdes les uns que les autres.
01:54 Oui c'était fou. On a interprété avec mon ami Rania que je n'ai jamais revu.
01:59 Je sais qu'il est sorti mais je n'ai pas beaucoup de nouvelles.
02:02 Et oui l'interrogatoire c'était comme dans les films.
02:07 On est en cellule d'isolement, on dort par terre avec un drap.
02:12 On ne sait pas à quelle heure il est, quel jour c'est.
02:15 Moi je me suis trompé d'une journée quand j'ai vu un calendrier.
02:18 Et je me suis trompé d'heure.
02:19 On ne sait pas trop quand ils passent les prières sur les opales heures.
02:24 Est-ce qu'ils ne bougent pas les horaires pour faire croire que c'est 5h et pas 19h ?
02:28 On est perdu dans le temps à ce point là ? Dès le début ?
02:32 Après une semaine à peu près.
02:34 Parce qu'on ne sort pas.
02:36 Chaque fois qu'on quitte la cellule on met un bandeau sur les visages, des menottes.
02:41 On ne sait pas si c'est pour aller voir l'interrogation,
02:43 si c'est pour marcher dans un cours fermé tout seul.
02:47 Donc on perd tous les repères.
02:50 - Tous les repères, voilà.
02:52 Vous êtes à ce moment là le 7ème otage français détenu en Iran.
02:58 On est en octobre 2022.
03:00 L'Iran s'est fait cette spécialité de diplomatie des otages.
03:05 Mais quel type de questions on vous pose au départ Bernard Félan ?
03:08 - C'était incroyable parce qu'au début en français,
03:14 ils ne voulaient pas donner son nom donc j'ai appelé Georges.
03:18 - Votre interrogateur vous l'appelait Georges ?
03:21 - Oui, parce qu'il ne voulait pas me donner son nom.
03:23 Je lui ai dit "vous me donnez un faux nom" mais non.
03:26 Il m'appelait Bernard.
03:28 - Et il s'adresse à vous en français ?
03:30 - Pas très bien mais plus tard il y a un autre interrogateur,
03:32 je crois qu'il a été dépêché d'Iran,
03:35 il parle en français impeccable, Henri,
03:38 et lui portait des gants chirurgicals blancs.
03:40 On voyait ses poils, je ne sais pas pourquoi.
03:42 Mais bon ça a frayé un peu.
03:44 Et les questions c'était...
03:46 - Celles de Georges d'abord ?
03:48 - Georges lui posait des questions.
03:49 "Bon vous êtes marié, oui, vous êtes marié avec qui ?"
03:52 J'ai dit "Roland Benello" et il me dit "mais c'est pas le nom d'une femme".
03:55 Je lui ai dit "bah non parce qu'en Europe, on peut dans beaucoup de pays se marier entre hommes".
03:59 "Ah bon, vous avez des enfants ?"
04:01 "Non"
04:02 "Et vous ne l'avez pas adopté ?"
04:04 J'ai dit "tiens c'est bizarre comme question".
04:07 Je ne le tendais pas à ça.
04:09 - Mais vous n'avez pas eu, comment dire,
04:11 vous n'avez pas craint de révéler votre homosexualité
04:14 et le fait que vous soyez marié avec un homme
04:16 dans un pays où l'homosexualité est si réprimée ?
04:20 - Non, parce que moi ça fait 5 fois que je suis allé dans l'Iran,
04:23 j'ai jamais eu de moindre question là-dessus.
04:25 Quand vous demandez à la chambre double, les Iraniens,
04:28 de tous les jours, sont des gens très ouverts,
04:30 c'est des gens très éduqués.
04:32 Et je savais qu'ils ne venaient pas me torturer physiquement.
04:38 Et je ne pouvais pas cacher.
04:40 De toute façon, je ne pouvais rien cacher,
04:41 parce que j'avais mon ordinateur et mon téléphone.
04:43 Donc si je cache quelque chose, après je vais avoir des reprises.
04:46 Donc ça ne sert à rien de cacher.
04:47 - C'est ça.
04:48 Donc vous avez préféré être...
04:49 - Honnête dès le départ.
04:50 - Honnête, c'est ça.
04:52 Mais quand on vous pose des questions sur les gilets jaunes,
04:54 quand on vous pose des questions...
04:56 Enfin, c'est extrêmement difficile de comprendre pourquoi on est là.
04:59 - Oui, oui.
05:00 Il y a une question au départ qu'ils m'ont posée,
05:02 je lui ai dit "vous répétez".
05:04 Ils m'ont dit "pourquoi en Europe, il y a des manifestations des gens nus ?"
05:08 - Des gens nus ?
05:09 Pourquoi est-ce que les gens manifestent nus ?
05:11 - Parce qu'il y avait, je ne sais pas, en Danemark,
05:13 des manifestants à vélo ou quelque chose.
05:15 Mais ils focalisaient des questions comme ça.
05:17 Je leur ai dit "je ne sais pas, on est libre en Europe,
05:20 on peut faire ce qu'on veut dans beaucoup de pays".
05:22 - A partir de quand vous êtes transféré dans cette prison
05:25 où vous allez être détenu dans ce qu'on appelle le bloc de Satan ?
05:28 - Quand j'ai eu une situation médicale qui n'était pas géniale,
05:32 je pense qu'ils avaient un peu peur de me garder dans ce bâtiment d'interrogation.
05:38 Donc, ils m'ont emmené à l'hôpital.
05:41 Et là, j'ai passé trois jours menotté au lit avec un garde 24/24.
05:46 Ils ont fait des tests, je ne sais pas,
05:48 ils m'ont fait des perfs, je ne sais pas de quoi.
05:50 Et après, je pensais retourner à l'interrogatoire.
05:54 Et non, on m'emmène à la fameuse prison centrale de Machad.
05:58 - Benjamin Brière vient de passer trois ans en prison de façon arbitraire.
06:04 Arrêté en mai 2020 pour avoir pris des photos en drone dans ce parc naturel.
06:08 La zone était interdite.
06:10 Il a été accusé d'espionnage malgré ses protestations.
06:13 Depuis 100 jours, il était en grève de la faim.
06:16 La sœur de Benjamin Brière avait du mal à cacher son émotion.
06:19 - Les parents, ils ont fondu en larmes.
06:21 C'est une torture qu'il vit depuis trois ans.
06:24 Un fils en prison, ils n'ont pas fermé l'œil depuis trois ans.
06:28 - Et vous voici au bloc de Satan.
06:31 Vous savez pourquoi ça s'appelle comme ça, cet endroit ?
06:34 - Non, on était un peu en prison dans la prison.
06:38 - En prison dans la prison.
06:39 - On était vraiment bloc, on était peut-être 75, 80 en tout, dans plusieurs cellules.
06:44 - Voilà, vous allez être dans la même cellule que cet autre Français,
06:47 Benjamin Brière, qui est beaucoup plus jeune que vous.
06:49 - Voilà, il avait... Maintenant, il a 38 ans, je crois.
06:52 Et c'était un soulagement, parce qu'il y avait des prisonniers politiques.
06:56 En Iran, ils font une mélange des prisonniers politiques et des prisonniers de droit commun.
06:59 Donc on avait tous les types de prisonniers.
07:02 Il y en a un qui parlait bien anglais, d'autres qui parlaient un petit peu.
07:05 Mais Benjamin Brière, c'était génial.
07:07 Il parlait français, il connaissait la maison, entre guillemets.
07:10 - Trois ans de détention.
07:11 Quand vous parlez de prisonniers politiques, Bernard Félan,
07:14 il faut savoir que vous êtes arrivé au moment...
07:17 Enfin, vous êtes arrêté, pardonnez-moi, au moment où l'Iran s'embrase.
07:21 C'est-à-dire le lendemain de l'arrestation de Mahmoud Mahmoudi,
07:25 et du début des manifestations.
07:28 C'est-à-dire, quand on parle de prisonniers politiques, c'est quoi ?
07:31 C'est des jeunes Iraniens qui manifestent ?
07:35 - Il y avait une cellule dans notre bloc,
07:39 où il y avait, je crois, une vingtaine de prisonniers, des jeunes.
07:43 Très jeunes, 19 ans, 18 ans.
07:46 Et eux, ils n'avaient pas le droit de sortir,
07:48 même pour faire un peu de cuisine, pas le droit de téléphoner, pas le droit de visiter.
07:52 Moi, dans ma cellule, il y avait des prisonniers politiques.
07:56 Il y en avait un qui était là, Taj,
07:59 ça fait sept ans qu'il est là, il a été condamné au mort.
08:03 Son condamnation a été renversée il y a deux ans, mais il n'a pris que quelques mois.
08:07 - C'est ça.
08:08 - Tous les jours, il appelle sa femme pour prévenir, il n'est pas mort.
08:10 - C'est ça. Parce que vous étiez détenu avec les condamnés à mort.
08:14 Et ce qu'il faut savoir, c'est que les condamnés à mort du bloc de Satan,
08:17 ils sont exécutés par pendaison.
08:19 - Mais ce n'est pas que cette attaque qui est terrible.
08:22 C'est un prison officiellement de 9500.
08:25 - 9500 détenus ?
08:26 - Officiel, mais en réalité, environ 20 à 30 000.
08:29 Machade, c'est la deuxième ville d'Iran, 4 millions de personnes.
08:33 Et c'est tous les prisonniers qui vont être pendus,
08:36 la dernière nuit, dans notre bloc.
08:39 C'est ça.
08:40 - Et votre cellule, vous êtes 16 ?
08:42 - Environ 16, peut-être capacité de 25, 30, ça bouge,
08:46 des fois il y a 18, 19, c'est dans les arrivées et départs.
08:49 Moi je n'entendais pas, parce que j'ai pas eu l'insomnie de faire,
08:52 mais régulièrement, ils entendaient des gens qui pleuraient
08:55 dans les cellules aquatiques, parce qu'ils allaient pendus
08:58 le matin suivant après la prière.
09:00 - Et votre sœur, qui s'est beaucoup battue,
09:02 et qui a beaucoup pris la parole pendant votre détention,
09:05 elle animait ce qu'on appelle un comité de soutien,
09:07 disait "il faut bien se rendre compte que mon frère est malade,
09:11 a des problèmes cardiaques, a des problèmes d'arthrite,
09:14 il n'a pas de chaise, il a des lits superposés,
09:17 il ne peut s'asseoir nulle part, il mange debout,
09:20 il n'a pas de fenêtre, il a seulement des barreaux,
09:23 l'hiver il fait -5, ils n'ont pas de chaussettes".
09:26 - Non, non, c'était terrible.
09:28 On a pu enfin, grâce à Caroline et l'organisation de Roland,
09:34 les gens ont envoyé des chaussettes,
09:37 les écharpes c'est interdit, les bonnets c'est interdit,
09:40 les gants c'est interdit,
09:42 la bouillotte c'est interdit,
09:45 donc la bouteille de Coca-Cola remplie d'eau chaude,
09:48 pour tenir au chaud.
09:50 C'était la plus froide année depuis 10 ans à Machad, cet hiver.
09:54 - C'est ça. Donc il y a eu 3 mois de froid absolument ?
09:58 - En plus le gaz iranien ne marchait plus,
10:03 parce qu'il faisait trop froid,
10:05 et en plus j'ai le gaz gelé.
10:07 - Alors voilà, vous écoutez France Inter, il est 9h19,
10:10 mon invité s'appelle Bernard Félan,
10:12 il a été libéré il y a 6 semaines,
10:14 après 8 mois de détention en Iran.
10:16 Vous allez nous raconter Bernard,
10:18 cette grève de la faim, cette grève de la soif,
10:21 vous allez nous raconter surtout,
10:23 les conditions de votre retour à Paris.
10:26 - Merci.
10:29 - Je suis assis dans la station de la route,
10:32 j'ai un ticket pour mon destin.
10:36 Sur une tour d'une nuit,
10:42 je porte mon sac à dos et ma guitare en main,
10:45 et chaque arrêt est bien plané,
10:48 pour un poète et une bande d'un homme.
10:52 Vers la maison,
10:55 je souhaitais être à la maison.
11:00 A la maison, où mes pensées s'échappent,
11:03 A la maison, où ma musique joue,
11:06 A la maison, où mon amour m'attend en silence.
11:12 Chaque jour, un rêve inoublié
11:15 de cigarettes et de magazines.
11:22 Chaque ville me ressemble à elle,
11:25 les films et les fabriques,
11:28 et chaque visage étrange me rappelle
11:31 que je rêve d'être à la maison.
11:37 Je souhaitais être à la maison.
11:43 A la maison, où mes pensées s'échappent,
11:46 A la maison, où ma musique joue,
11:49 A la maison, où mon amour m'attend en silence.
11:55 Ce soir, je chanterai de nouveau,
11:58 je jouerai le jeu et je m'en prétendrai.
12:03 Mais toutes mes mots me reviennent
12:08 dans les sombres de la médiocrité.
12:11 Comme l'emptinesse et la harmonie,
12:13 je dois avoir quelqu'un pour me confier.
12:17 A la maison, où ma musique joue,
12:20 A la maison, où mon amour m'attend en silence.
12:25 A la maison, où mes pensées s'échappent,
12:28 A la maison, où ma musique joue,
12:31 A la maison, où mon amour m'attend en silence.
12:37 En silence.
12:42 « Homeward Bound », Simon Agarfonkel, 1966.
12:47 Voilà, mon invité est franco-irlandais,
12:49 donc il rigole de mon accent.
12:50 Vous voulez nous le prononcer ?
12:54 « Homeward Bound »
12:56 « Homeward Bound »
12:57 « By Simon Agarfonkel »
12:58 Voilà, je prends des cours d'anglais.
13:00 Bernard, c'est quelqu'un de très fort.
13:09 Il a choisi cette grève de la faim
13:11 et c'est le seul arme qu'il a.
13:12 Je lui ai envoyé un message ce matin en disant
13:14 « S'il te plaît, stop ! Mange, bois ! »
13:17 Il ne prend plus de médicaments non plus depuis début janvier.
13:20 Son médecin est très inquiet pour sa santé également
13:22 parce qu'il a des problèmes cardiovasculaires.
13:25 Il a ces yeux qui ont des problèmes et il devient aveugle.
13:29 Il voit 1,50 m aujourd'hui.
13:32 Donc il n'est pas soigné correctement
13:34 et donc il a des problèmes aussi.
13:36 Et donc on est extrêmement inquiet pour sa santé.
13:39 Il risque vraiment de mourir dans cette prison à Machade.
13:42 Caroline Félan, votre sœur Bernard Félan
13:45 qui a été vraiment la tête de pont médiatique
13:48 de votre comité de soutien.
13:50 Même si vous, en Iran, vous avez assumé votre homosexualité,
13:54 vous avez assumé être mariée à un homme
13:56 en se disant qu'il valait mieux assumer
13:58 plutôt qu'essayer de cacher les choses
14:00 et de subir des représailles derrière.
14:02 Votre époux en France, lui, s'est mis un petit peu en retrait.
14:07 Et tous vos camarades gays,
14:10 vous êtes co-actionnaire d'un bar gay qui est mythique
14:13 dans le Marais qui s'appelle le Cox,
14:15 se sont mis eux aussi un petit peu en retrait
14:17 parce qu'ils ont eu peur de nuire à votre cause.
14:20 Oui, c'est très bizarre comme situation.
14:22 On parlait de...
14:23 Comme c'était le Gay Pride et il y a plein d'amis qui ont parlé.
14:26 C'est bizarre.
14:27 Vous manifestez votre homosexualité dans la prison.
14:29 Manifesté, je n'ai pas caché.
14:31 J'ai caché un petit peu des autres prisonniers
14:33 mais je n'ai pas caché des autorités.
14:35 Ici, Roland et les amis cachaient leur vie.
14:39 C'est le monde à l'envers.
14:41 C'était le monde à l'envers, c'est ça.
14:43 Cette grève de la faim, vous l'avez décidée seul ?
14:46 Oui, complètement.
14:48 J'ai dit que je n'en pouvais plus.
14:50 Ma santé n'était pas bonne.
14:53 J'étais fatigué.
14:55 Ma vue détériorait à vitesse.
14:58 C'était terrible.
14:59 Je disais à Benjamin...
15:01 À Benjamin Brière, votre co-détenu français.
15:03 Je ne vois plus les chiffres de la pendule.
15:05 C'est bizarre.
15:07 Il dit "oui mais on est qu'à 4 mètres maintenant, c'est diminué".
15:11 Donc j'ai décidé de cette façon.
15:13 Un jour, j'ai rempli un formulaire en anglais.
15:20 Quelqu'un m'a dit le titre.
15:22 J'ai emmené mes médicaments.
15:24 Je me suis dit que j'étais en grève de la faim, de la nourriture, des médicaments.
15:26 Vous avez cessé vos traitements ?
15:28 Oui, j'ai cessé mon traitement.
15:30 J'ai envie de les faire paniquer.
15:32 Je ne suis pas très jeune.
15:34 Je ne suis pas en forme.
15:36 J'ai des tensions qui paniquaient.
15:38 C'est-à-dire que, de ce qu'on comprend, les Iraniens ne veulent pas d'un otage qui meurt en prison ?
15:44 Voilà.
15:45 Et ça, vous l'aviez compris ?
15:46 J'avais compris ça très très tôt.
15:48 Je savais que les Iraniens ne voulaient pas non plus me voir.
15:50 Je les ai dit.
15:51 Ils voulaient que je sois en blancard, ou en chaise volante, ou pire, en cercueil.
15:55 Si vous ne faites pas attention...
15:58 Mais c'est mon père qui m'a demandé, après 17 jours, d'arrêter.
16:03 Votre père qui est très âgé ?
16:05 Qui a 97 ans.
16:07 Qui crevait littéralement de peur pour vous ?
16:09 Voilà.
16:10 Qui me fait des vigiles, veillé devant l'ambassade d'Iran à Dublin.
16:16 Avec son ami, un copain de 101 ans.
16:20 Tous ces gens devant l'ambassade.
16:23 97 et 101 ans ?
16:25 Ah si, et le gouvernement iranien qui disait que ça menaçait la sécurité de l'ambassade.
16:30 Vous avez vécu des trucs psychologiquement absolument effarants.
16:35 Vous avez vécu un simulacre de procès.
16:37 Où on vous a annoncé une peine de prison alourdie par rapport aux réquisitions du procureur.
16:45 Ça vous est tombé dessus.
16:46 On vous a menacé que vous restiez enfermé pendant 6 ans.
16:51 Vous avez vécu... Mais je voudrais qu'on parle de votre retour.
16:55 Je voudrais qu'on parle de votre retour parce que vous arrivez en France.
16:59 C'est évidemment un immense soulagement.
17:02 On se souvient de votre sœur, de son émotion, de ses larmes, de vos parents.
17:08 Mais au fond, l'État français a été plus que discret à votre retour.
17:15 Oui, la cellule de crise de Quai d'Orsay a été super.
17:18 Il y a des gens magnifiques là-dedans.
17:21 Mais j'étais un peu étonné, surtout quand j'ai parlé avec Florence Omna.
17:27 Florence Omna, c'est notre consoeur du monde qui vous a consacré un long papier,
17:31 un magnifique papier qui nous a donné envie de vous rencontrer.
17:34 D'ailleurs, on vous invite à le lire.
17:36 Il faut savoir que quand elle avait une quarantaine d'années,
17:38 Florence Omna a été détenue en otage pendant plusieurs mois.
17:41 Donc elle a vécu cette expérience.
17:43 Oui, elle a vécu une expérience beaucoup pire que moi.
17:46 Mais elle était un peu étonnée.
17:48 Elle m'a dit qu'il y avait quelqu'un qui était à l'aéroport.
17:51 Parce que pour elle, il y avait Jacques Chirac qui était à l'aéroport.
17:53 Jacques Chirac qui téléphonait à sa famille.
17:56 Une fois, les parents truient un post-it sur le frigo.
17:59 Jacques Chirac a téléphoné.
18:01 Nous, il y avait un chef des cabinets.
18:05 Donc, la ministre des Affaires étrangères n'était pas là.
18:08 Elle n'était pas là, elle était en Suède.
18:10 Ni Premier ministre, ni Président de la République.
18:12 Personne, personne.
18:13 Ça fait partie de la négociation avec les Iraniens.
18:15 De ne pas faire une grande fête médiatique autour de notre tour.
18:18 C'est possible.
18:20 Mais en même temps, ça n'empêche pas un petit coup de fil,
18:23 ou un petit lettre.
18:24 Rien.
18:25 Rien.
18:26 Rien, rien.
18:27 C'est violent.
18:28 Ah oui, mais c'est...
18:30 Pour le mesure de temps, quand je parle avec d'autres personnes,
18:32 d'autres otages à l'étranger,
18:34 et des gouvernements ailleurs,
18:38 en Irlande, j'ai dit "c'est bizarre, il n'y a personne ici
18:41 qui se manifeste".
18:43 C'est vrai que le contraste avec l'Irlande,
18:45 parce que pour le coup, le gouvernement irlandais
18:47 a été extrêmement présent auprès de votre famille.
18:50 Oui, avec famille.
18:51 Le Président de la République a écrit des lettres personnelles
18:53 que les diplomates irlandais ont ramenées au prison.
18:56 Il les a remises par téléphone.
18:58 Et le Président irlandais,
19:02 qui se disait avec sa femme tous les soirs,
19:03 "je prie pour la ressortie de Bernard".
19:05 Et puis, il y a autre chose
19:07 que vous vivez aujourd'hui.
19:09 Il y a des fonds d'aide aux victimes du terrorisme en France.
19:13 On le sait depuis le Bataclan, malheureusement.
19:15 Mais alors, pour un ancien otage, rien.
19:18 Il n'y a pas d'aide financière, pas d'accompagnement.
19:21 Très compliqué.
19:22 On avait Benjamin en essai avec un avocat,
19:25 parce que c'est très compliqué,
19:26 les démarches administratives.
19:27 Donc il faut trouver un avocat qui est prêt à le faire.
19:30 Elle n'a pas le moyen.
19:31 Moi, je n'ai aucun revenu pendant ces sept mois.
19:33 Et là, on se retrouve à acheter
19:35 une ordinateur à réconditionner,
19:37 acheter un téléphone, tout.
19:40 Recommencer sa vie.
19:41 J'attendais un peu, je ne sais pas, un cadeau,
19:44 mais voilà un petit peu pour vous redémarrer, un soutien.
19:47 Allez-vous faire bichonner, aller au resto, machin.
19:51 Sortez, amusez-vous.
19:53 - Une allocation, quelque chose en fait.
19:55 - Oui, mais bon, j'ai la famille qui m'aide.
19:58 Mais c'est très compliqué, redémarrer la vie.
20:02 - Après ça. - Oui.
20:03 - Merci beaucoup, Bernard Félan.
20:05 Merci pour ce témoignage.
20:07 Et puis voilà, vous pouvez ranger vos tongs.
20:09 - Merci Sonia, c'était...
20:11 (rires)

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