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Yann Queffélec publie "Suite Armoricaine" (Le Cherche Midi), ode bretonne, hommage à ses racines familiales. Il est l'invité de 9H10.

Retrouvez "L'invité de Sonia Devillers" sur
https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/l-invite-de-9h10

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Transcription
00:00 Sonia De Villere, votre invité est écrivain et fils d'écrivain.
00:03 Et c'est bien là toute l'affaire.
00:05 Bonjour Yannick Félec.
00:07 Bonjour Sonia De Villere.
00:08 Vous voilà réuni avec votre père outre-tombe.
00:12 Pour une fois.
00:13 Pour une fois, exactement.
00:14 Pour la première fois, peut-être pour la dernière, dans un seul et même livre intitulé
00:19 « Suite armoricaine, récit » et ça paraît aux éditions du Cherche Midi.
00:25 Et voilà, vous qui êtes le fils, vous préfacez les souvenirs d'enfance de votre père et
00:31 un psychanalyste se frotterait les mains.
00:33 Oui, d'ailleurs moi je ne me suis pas trop frotté les mains quand j'ai écrit cette
00:37 préface.
00:38 J'avais l'impression d'être un usurpateur, un pirate.
00:40 Mais j'ai toujours passé pour un pirate aux yeux de mon père.
00:42 Donc je pense qu'il n'a pas été totalement surpris là où il est de me retrouver dans
00:47 la position de pirate à l'orée d'une de ses œuvres magnifiques « Mémoire d'enfance
00:52 ».
00:53 Et là, il y a ce texte « Mémoire d'enfance de mon père », il y a un texte de votre
00:57 serviteur, du fils d'Henriqué Félec et là encore, je crois qu'il a dû être…
01:01 Je ne sais pas d'ailleurs ce qu'il en pense aujourd'hui.
01:04 Je lui demanderai un jour.
01:05 Oui, c'est ça.
01:06 Il est mort il y a une vingtaine d'années et ce texte « Mémoire d'enfance » dormait
01:10 dans un tiroir.
01:12 Il n'était plus accessible, il n'était plus disponible.
01:14 C'est donc l'idée d'un éditeur de le faire reparaître et de vous y associer.
01:19 Et voilà vos souvenirs d'enfance qui dialoguent, vos mémoires qui dialoguent à plusieurs
01:26 décennies d'écart.
01:27 Et c'est presque un siècle de Bretagne qui se raconte là, dans ces nombreuses pages.
01:32 Ce qui est extraordinaire, c'est que la Bretagne de mon père, qui est une Bretagne
01:36 extrêmement moderne après la Seconde Guerre mondiale et qu'il décrit dans sa modernité,
01:40 est aussi une Bretagne qui semble remonter au XIXe siècle.
01:45 Il est extraordinaire de voir que c'est encore une Bretagne imprégnée de toute cette
01:48 tradition bretonne, où l'on parle encore breton, où les paysages sont relativement
01:53 intacts, mais déjà où il y a la crainte des marais noirs, où les pétroliers sombrent
01:59 de temps en temps, polluant les rivages, où mon père pousse un cri d'alarme au sujet
02:04 du futur, au sujet du progrès.
02:06 D'ailleurs, il a beaucoup écrit sur le progrès.
02:08 C'est un breton de ce point de vue-là passionnant parce qu'à la fois il est imprégné de
02:13 l'antériorité de la Bretagne, de l'histoire de la Bretagne, et en même temps il est porté
02:16 vers un futur qu'il ne veut pas voir dénaturer.
02:19 Sa voix à Henri Kefelec.
02:21 Les choses en Bretagne prennent vite un air de passé, de souvenir.
02:26 J'ai reçu quelques fois des lettres me disant que je mettais trop l'accent sur les valeurs
02:31 de rêve en Bretagne et on me reproche un peu de tourner le dos à la réalité.
02:35 Je ne tourne pas le dos à la réalité.
02:37 Je pense qu'il y a des choses plus importantes et d'abord je pense que la Bretagne est belle
02:41 et que cela on ne le dira jamais assez.
02:43 L'être humain est né pour le bonheur.
02:45 Si on lui parle de la Bretagne, il ne faut surtout pas qu'on aille insister sur des
02:50 choses qui sont fausses d'ailleurs, sur l'amorosité, sur le terme.
02:53 Il faut montrer vraiment comme c'est un paysage divers et comme c'est un paysage qui apprend
03:01 constamment à l'homme à être heureux.
03:04 *Saskia de Ville : Henri Kefelek en 1969.
03:10 Yann Kefelek, vous avez écrit, vous avez dit ce rapport extrêmement douloureux que
03:17 vous avez eu avec votre propre père, avec Henri Kefelek.
03:20 Cet homme que vous avez aimé, l'homme de votre vie et qui ne vous a pas aimé, qui
03:25 ne vous a pas donné d'amour quand vous étiez enfant, qui vous a donné des fessées magistrales,
03:30 qui vous a offert des livres de poésie et qui vous a vu arriver avec une immense méfiance
03:35 en littérature.
03:36 *Henri Kefelek, author de « La vie de mon père »*
03:37 D'abord, je suis une larme parce que je viens d'écouter la voix de mon père que
03:40 je n'ai plus entendue depuis 1992.
03:42 *Saskia de Ville*
03:43 Oui, j'ai dit une vingtaine d'années, mais en fait c'est une trentaine d'années.
03:45 *Henri Kefelek*
03:46 Une trentaine d'années.
03:47 C'est vrai qu'il a une très belle voix.
03:48 Je trouve qu'il parle extrêmement justement de la Bretagne.
03:51 Il confirme ce que probablement je lui ai emprunté, c'est-à-dire une certaine vision
03:56 de la Bretagne de tradition et de modernité.
03:58 Du coup, j'ai oublié votre question, mais je vais m'empresser d'y répondre.
04:03 *Saskia de Ville*
04:04 C'est-à-dire que vous, vous avez écrit un livre en 2015 qui s'appelle « L'homme
04:06 de ma vie ». C'est un immense hommage à ce père, à ce père magistral, à ce père
04:12 qui avait les yeux bleus et pas vous.
04:14 *Henri Kefelek*
04:15 Quelle horreur ! Quelle honte !
04:16 *Saskia de Ville*
04:17 Mais c'est aussi le récit d'une enfance…
04:18 *Henri Kefelek*
04:19 Je suis enrheu, je suis enrheu pour les yeux bleus.
04:20 *Saskia de Ville*
04:21 Pour les yeux bleus.
04:22 C'est aussi le récit d'une enfance extrêmement douloureuse, de ce père qui ne donnait pas
04:27 d'amour.
04:28 *Henri Kefelek*
04:29 Attendez, une enfance extrêmement douloureuse ? Pas extrêmement douloureuse, douloureuse
04:33 et secrètement douloureuse.
04:34 Mais moi j'ai un appétit de vivre incommensurable.
04:38 Je pense d'ailleurs que cet appétit de vivre dérangeait mon père.
04:41 C'est-à-dire qu'il avait beau me rembarrer, vouloir me remettre à ma place, c'est-à-dire
04:45 à ma place de numéro 2 chez ses fils et non pas de numéro 1 parce que le droit d'aînés
04:51 était extrêmement important pour lui.
04:53 Malgré tout, j'avais le sourire, j'avais une véritable joie de vivre qui je pense devait
04:58 l'encombrer et qu'il ne comprenait pas.
05:00 Mais il n'y a pas de doute qu'intérieurement, je recherchais l'amour de mon père, je recherchais
05:05 le regard de ses yeux bleus qui ne descendait jusqu'à moi que lorsqu'il avait l'intention
05:09 de me punir et de me reprocher quelque chose.
05:12 Et sinon, il n'y a pas de doute, c'était quelqu'un qui était toujours extrêmement
05:16 négatif à mon égard.
05:18 Je n'ai jamais entendu un compliment de sa part.
05:20 Fort heureusement, ma mère était là pour rééquilibrer les choses dans le sens de mes
05:25 intérêts.
05:26 Mais de sa part, non, il n'y a pas de doute, je n'ai pas reçu d'amour et j'en souffre
05:30 encore aujourd'hui.
05:31 - Ce qui est très émouvant, Yannick Félec, c'est d'ouvrir les mémoires d'enfance de
05:34 votre père et de lire ses pages à lui sur son père à lui.
05:40 - Tout est là, son père à lui.
05:44 C'est qu'il n'a pas assez connu son père.
05:46 Son père est parti sous les drapeaux en 1917.
05:49 Il est mort héroïquement à Verdin.
05:50 Je dis héroïquement parce que je ne me fais pas d'illusion là-dessus.
05:53 On a reçu des lettres témoignant du fait qu'effectivement, mon grand-père, Joseph
05:57 Kefelec, s'était comporté en héros à Verdin, était mort à Verdin.
06:01 - Je lis, Henri Kefelec.
06:03 J'ai été élevé par ma mère dans ce qu'elle appelait le souvenir de mon père.
06:07 La notion combinait les souvenirs personnels que ma mère gardait de son mari au souvenir
06:12 idéal qu'une famille et un pays se devaient de garder d'un homme qui était mort pour
06:17 les défendre.
06:18 - Oui, voilà.
06:19 Tout est dit avec ces mots.
06:22 Mais ce qui n'est pas dit en revanche, c'est que mon père a toujours été en manque de
06:25 son père.
06:26 Et lorsqu'il a vu arriver sur la terre son premier fils, mon frère Hervé, que je salue
06:31 et que j'ai toujours aimé, dont je n'ai jamais été jaloux, et bien mystérieusement,
06:35 il a retrouvé en lui tous les traits excellents de son propre père qu'il n'avait pas connu.
06:41 Vous avez parlé de psychanalyse au début de l'émission, on y est.
06:45 C'est-à-dire que mon frère aîné, pardon, moi aussi je suis très bon, était pour mon
06:51 père le père qu'il n'avait pas suffisamment connu.
06:52 Et moi, j'arrivais comme un cheveu dans cette belle soupe bretonne.
06:56 Qu'est-ce que je venais faire ? Pourquoi est-ce que j'étais là ? Je le dérangeais,
07:00 je risquais de faire de l'ombre à son fils né.
07:03 Non, j'étais là uniquement parce que moi aussi je voulais mon père à part entière.
07:08 Et alors si je cherche encore à faire dialoguer en miroir, mais c'est cette édition qui
07:13 veut cela, vos deux récits, Yann Kéfélek et celui de votre père mort il y a 30 ans,
07:18 Henri Kéfélék, il y a deux histoires de paradis perdus.
07:22 Parce que cette Bretagne d'hier et d'aujourd'hui, elle est faite aussi de déchirements, d'abandons,
07:27 de regrets.
07:28 Elle est faite de lieux qui sont des maisons, qui sont des jardins, qui sont des vallées,
07:33 qui sont des plages, qui sont des galets, qui sont des rochers où le souvenir s'est
07:39 ancré, s'est enraciné.
07:41 Et ce sont des endroits où vous n'avez plus pu aller.
07:44 Alors il y a Morgate pour votre père et les pages sur Morgate sont magnifiques dans les
07:50 mémoires d'enfance d'Henri Kéfélék.
07:53 Et vous, il y a l'Aber-Hildut.
07:55 Alors je ne vais pas comparer ces deux deuils, celui de mon père et le mien.
08:01 Tout à l'heure, on n'a pas cité les marées descendantes pour les choses qui ont été
08:04 perdues.
08:05 Les marées descendantes et les marées montantes.
08:06 Mon père était non seulement en deuil de Morgate, de ce village de vacances où il
08:12 allait, mais également en deuil de la ville de Brest qui était sa ville d'enfance, écrasée
08:17 sous les bombes alliées en 1944.
08:21 Et ça, évidemment, il en a souffert.
08:24 Il en a souffert jusqu'à la fin de ses jours.
08:26 Moi, j'étais en deuil et je suis en deuil de ce petit village finistérien, l'Aber-Hildut,
08:32 où nous avions une maison de vacances dont j'avais l'impression que c'était une maison
08:35 de toute l'année, que c'était une maison éternelle.
08:38 Quand je pense, j'ai l'impression d'y avoir toujours vécu.
08:40 De n'avoir jamais fait à Paris qu'une sorte d'escale où il y a eu ma scolarité.
08:46 Et à part ça, cette maison me manque à chaque instant.
08:50 Encore aujourd'hui, elle me manque.
08:51 Et lorsqu'on me propose d'aller y passer un séjour, les nouveaux propriétaires, je
08:55 refuse de m'y rendre.
08:56 Je vais garder ma maison intérieure telle qu'elle est.
08:59 Et je la ressens pleinement, d'ailleurs, en moi.
09:02 Je retrouve l'odeur des guémons au pied de l'escalier qui me lait à la grève.
09:06 Je revois, je croise le regard de ces premiers crabes que j'ai vu pêcher.
09:10 Je revois le portique dans le jardin, etc.
09:12 J'entends la voix de ma grand-mère.
09:13 C'est une maison qui est pleine de toute cette vie de mon enfance à laquelle je reste
09:18 follement attaché.
09:19 Mais ces maisons d'enfance, elles ont un pouvoir matriciel absolument phénoménal.
09:26 Ce sont des mamans, ces maisons.
09:30 On ne renonce jamais à l'odeur de sa mère.
09:32 On ne renonce jamais à l'odeur de ces maisons.
09:35 Et j'en ai qu'à fermer les yeux pour respirer cette odeur de vestibule faite de
09:42 bois et de renfermés et d'iode qu'il y avait dans cette maison finistérienne.
09:46 Et votre père disait de Morgat que cette maison qu'il avait tant aimée et que la
09:52 famille n'en était pas propriétaire, la propriétaire va vendre cette maison à un
09:55 prix bien trop élevé pour eux, ce qui était vécu comme une humiliation.
09:59 Et donc il faut quitter cet endroit.
10:01 Et évidemment c'est toujours pareil.
10:02 Les parents pensent qu'on sera heureux dans bien d'autres endroits.
10:05 Mais pour les enfants c'est un arrachement, c'est un déracinement.
10:08 Et votre père dit « Morgat, elle est devenir pour nous un paradis perdu, parfaite image,
10:13 gens et paysages, de la douceur et de la vérité de vivre ».
10:17 Il est 9h19, vous écoutez France Inter, Yann Kefelec est à mon avis.
10:23 Les petites coupures, les petites griffures, les simples grattignures font de grandes douleurs.
10:31 Les petites morsures, les petites blessures, les simples déchirures font saigner bien
10:42 des cœurs.
10:43 T'es tombé amoureux, mon petit général.
10:48 Et l'amour t'a blessé, t'es tombé de cheval.
10:53 Mais surtout tu t'en veux, en tombant c'est fatal.
11:01 T'as cassé ton jouet, une épée sans la lame.
11:05 Vraiment ça la fout mal, mon petit général.
11:10 Les petites coupures, les petites griffures, les simples grattignures font saigner bien
11:22 des cœurs.
11:23 Les petites coupures, les petites brûlures, les simples éraflures font couler bien des
11:33 pleurs.
11:34 Dans ta vallée de larmes, mon petit amiral, tu appelles au secours les pompiers de l'amour.
11:45 Vraiment ça la fout mal, de nager aussi mal.
11:49 Les petites coupures, les petites griffures, les simples grattignures font de beaux souvenirs.
12:02 Les petites coupures, les petites griffures, les simples grattignures font te faire grandir.
12:13 C'est une allégorie, mon petit Zacharie, une esquisse, un croquis d'un instant de ta vie.
12:25 Le jardin sous la pluie, tes films s'y continuent.
12:32 Ta mère te l'avait dit, tes sœurs d'ironie et ton père te crie.
12:41 Si t'as peur, n'aie pas peur, n'aie pas peur de l'amour.
12:47 Si t'as peur, n'aie pas peur, n'aie pas peur de l'amour.
12:52 Si t'as peur, n'aie pas peur, n'aie pas peur de l'amour.
12:57 Quelle est jolie cette chanson de Daniel Auteuil, "Les petites coupures".
13:03 Mon invité c'est Yann Kefelec et vous allez entendre, un jour de 1988, pile l'année où votre père a publié ses mémoires, sa voix.
13:12 Vous étiez invité tous les deux dans une émission de télévision.
13:15 France Inter, le 7 9 30, l'interview de Sonia De Villers.
13:20 L'univers de Romanesque appartient à Jean et encore une fois je pense qu'il faudra plus tard jeter un coup d'œil d'ensemble.
13:25 On dirait qu'il a une espèce de prédilection pour les enfants mal aimés.
13:29 C'est d'ailleurs à la louange du poète qui est en lui.
13:33 Il y a un chant pour la détresse du monde qui est spécialement symbolisé par les enfants.
13:38 Parce que je crois que c'est ça qui fait le plus chavirer le cœur des gens.
13:43 Et voilà c'est le bordel parce que vous et votre père, Yann Kefelec et Henri Kefelec, c'est le bordel.
13:49 C'est le bordel parce que vous êtes invité de tirer à Ardisson, parce que c'est dans une boîte de nuit.
13:53 Parce qu'il y a du monde partout.
13:55 - Les bains douches.
13:56 - Voilà, c'est les bains douches.
13:57 Et en 1988, Henri Kefelec est là, cravaté jusqu'au menton.
14:01 Et il parle de vous, il parle de vos romans.
14:04 Et il dit cette prédilection que vous avez de raconter le monde à travers les yeux d'un enfant mal aimé.
14:09 Ah bon ?
14:11 - C'est vrai, j'aime bien son expression, le chant de la détresse du monde.
14:15 Mais j'aurais aimé qu'il me dise ça un tout petit peu plus tôt.
14:18 Et qu'il puisse éventuellement reconnaître en moi un enfant mal aimé.
14:22 Lorsque j'étais dans la peau de cet enfant mal aimé par lui, en tout cas.
14:27 Alors je pense que par la suite, il a fait amende honorable.
14:30 Qu'il s'est dit que je n'ai peut-être pas toujours été à la hauteur.
14:33 Particulièrement lorsqu'il a lu ce livre "Les Doses barbares" qui ne raconte absolument pas mon histoire.
14:37 D'ailleurs, mais où tout de même, il est question d'un enfant qui cherche...
14:40 - C'est votre deuxième roman, je crois.
14:42 Et c'est le roman primé par le Prix Goncourt.
14:44 - C'est mon troisième livre, mon deuxième roman.
14:46 Effectivement primé par le Prix Goncourt.
14:49 C'est à cette occasion d'ailleurs que Thierry Ardisson nous reçoit.
14:53 Je pense qu'il est intéressé lui-même par cette relation père-fils.
14:56 Un peu particulier qu'il est à nôtre.
14:58 Et je crois qu'il n'est pas peu étonné d'entendre mon père parler aussi chaleureusement de ce fils qu'il a plutôt repoussé lorsqu'il était jeune.
15:05 Mais après tout, moi j'étais extrêmement...
15:07 Je me rappelle maintenant cette émission.
15:09 J'étais extrêmement heureux et intimidé de la présence de mon père à cette émission.
15:14 Et sidéré de l'entendre dire ce que nous venons de l'entendre dire.
15:18 Savoir que le chant de la tétresse du monde était ma voix.
15:22 - Les éditions du Cherche Midi décident de republier, de rééditer les mémoires d'enfance d'Henriqué Félec.
15:29 Vous préfacez ce texte et puis vous y ajoutez un récit à vous, un récit d'enfance.
15:35 Un récit qui vient se nouer dans les terres armoricaines, je l'ai dit.
15:39 Où il est question de pluie.
15:41 Il pleuvait tout le temps.
15:43 - J'adorais ça. Il pleuvait tout le temps.
15:44 J'espère qu'il va bientôt pleuvoir.
15:46 Qu'il va redevenir à la mode en Bretagne.
15:48 Et que les hordes touristiques qui s'abattent aujourd'hui sur la Bretagne...
15:52 - Parlons-en justement des hordes touristiques qui s'abattent aujourd'hui sur la Bretagne.
15:56 Parce que quand Henriqué Félec raconte la Bretagne, c'est ça qui m'a beaucoup frappé.
16:00 Il raconte une terre si lointaine et si inconnue de ses lecteurs.
16:05 - C'est vrai. C'était bien que ces terres soient la lointaine.
16:10 Mais c'était également des terres inconnues, des terres méconnues et des terres mal aimées historiquement.
16:15 Aujourd'hui, on est un petit peu étonné de voir tous les gens aller en Bretagne
16:18 en s'estimant avoir une espèce de droit sur la Bretagne, un droit familial sur la Bretagne.
16:22 Je ne peux pas rencontrer de ces nouveaux touristes qui vont en Bretagne sans les entendre dire
16:26 "Mais moi je suis un peu breton, mais j'étais breton".
16:30 - Vous êtes épouvantable quand vous dites ça, Henriqué Félec.
16:35 Parlez-nous de cette grand-mère.
16:37 Parce que moi ce qui m'a beaucoup ému, c'est que cette grand-mère maternelle,
16:40 au fond, vous fait vivre quelque chose qui est de l'ordre de ce que vous fait vivre votre père.
16:45 Vous l'aimez cette grand-mère et elle n'en veut pas de votre amour.
16:48 Vous êtes le vaurien qui l'encombre.
16:50 - Moi j'aime bien les gens qui ne m'aiment pas mystérieusement.
16:52 C'est étrange, j'ai l'impression qu'ils ont raison de ne pas m'aimer, donc je vais vers eux.
16:56 C'est complètement, c'est le syndrome de Stockholm.
16:58 Alors ma grand-mère, elle était tout à fait d'accord avec mon père
17:01 lorsqu'elle pensait que j'étais trop bruyant, que je riais trop,
17:04 que je prenais la parole à table quand il ne fallait pas, que j'arrivais en retard au repas, etc.
17:09 J'étais une espèce de garnement, mais un garnement sympathique,
17:14 toujours de bonne humeur et toujours prêt à rendre service.
17:18 Donc ça, on ne pouvait pas ne pas me créditer de cette qualité-là.
17:22 Ma grand-mère, je pense qu'elle était une personne un peu triste,
17:26 qui n'avait qu'une envie, elle aussi, c'est d'être aimée,
17:30 qui réunissait son monde dans cette belle maison, comme ça, sous la pluie,
17:34 chaque été, aux grands dames de ses belles-filles,
17:37 elle rêvait de Côte d'Azur, de Farniand...
17:40 - Votre mère rêvait de soleil.
17:41 - Ma mère rêvait de soleil, mais ma mère était une sacrée bretonne.
17:45 Quand elle rêvait de sud, ma mère n'allait pas vers la Côte d'Azur,
17:48 elle allait vers la Bretagne sud.
17:50 Et déjà, la Bretagne sud, c'était la trahison pour ma grand-mère.
17:54 Et lorsque ma mère nous emmenait justement du côté de Morgate,
17:56 où mon père avait passé ses vacances,
17:58 ou lorsqu'elle nous emmenait à Bellisle, en nous disant "vous allez voir,
18:01 il y aura des pédalos, il y aura des perroquets, il y aura des palmiers".
18:05 J'avais l'impression comme ça qu'on allait aux Antilles,
18:07 quand on allait à Bellisle.
18:09 Et à Bellisle, il pleuvait.
18:11 - Je voudrais un dernier mot sur le péché,
18:14 qui est partout dans votre texte, à vous.
18:17 On ne s'en débarrasse jamais du péché, même quand il pleut.
18:21 On se demande pourquoi Dieu nous punit en Bretagne.
18:24 - Alors ça, c'est un cancer, le péché, la culpabilité,
18:26 c'est un cancer qui m'a été enseigné par mon père et qui continue...
18:30 - Inoculé.
18:31 - Inoculé par mon père, mais j'aime bien enseigner aussi,
18:34 parce que c'était un prof.
18:36 Il était aussi capable d'être un petit prof de culpabilité et de fautes.
18:39 Il ne cessait de dire "tu as tort" et d'expliquer pourquoi on avait tort.
18:42 Et encore aujourd'hui, j'ai l'impression d'avoir tort à chaque instant,
18:45 comme si mon père allait me reprocher, mais n'importe quoi,
18:47 d'être venu à cette émission ce matin, parler de lui, par exemple.
18:51 "Mais qu'est-ce que tu es allé raconter, encore une fois ?"
18:53 Non, je suis en train de raconter ce que j'espère être sa vérité,
18:57 ma vérité, notre vérité, tout en lui disant,
19:00 "pape, mon père, je t'ai toujours aimé, je t'ai toujours admiré,
19:03 et je continue à considérer que c'est un immense écrivain
19:06 qui n'est plus assez lu, mais qui le sera de nouveau dans un temps prochain."
19:10 - Vous avez failli dire "papa" ?
19:12 - J'ai failli dire "papa".
19:14 - Et moi je raconte que pendant que le disque,
19:18 quand j'ai lancé le disque tout à l'heure, vous vous êtes retourné
19:20 et vous avez pensé qu'il était là, derrière vous.
19:22 - Mais parce qu'il est là, tout simplement.
19:24 Il ne faut pas se faire des illusions, il est là.
19:26 - Yann et Henri Kefelec, "Cossingne suite à Morricaine",
19:29 ces récits qui paraissent au Cherche Midi.
19:31 Merci.
19:33 - Merci Sonia Davider. A bientôt, papa.
19:35 - Et merci Sonia. Dans un instant, totemique.

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