Parlons Vrai chez Bourdin avec Florence Bergeaud-Blackler, anthropologue et auteure de “Le Frérisme et ses réseaux” (Editions Odile Jacob).
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00:00 - Sud Radio Parlons Vrai chez Bourdin, 10h30, midi 30. Jean-Jacques Bourdin.
00:06 - Il est 12h12 et j'ai le plaisir, et nous avons le plaisir, vous, auditrice, auditeur et moi-même,
00:12 de recevoir Florence Bergeau-Blacler, bonjour. - Bonjour.
00:15 - Merci d'être avec nous à nouveau. Je rappelle que vous étiez là le 30 janvier dernier pour la sortie de votre livre
00:22 "Le frérisme et ses réseaux", l'enquête, votre enquête, vous êtes anthropologue, vous êtes chercheuse, votre enquête,
00:32 aux éditions Odile Jacob, c'était la première radio, et ça avait provoqué beaucoup de réactions, Florence Bergeau-Blacler.
00:40 - Oui, d'ailleurs des réactions très positives. - Des réactions très positives.
00:43 Et depuis, on parle de vous et de votre livre. On en parle en bien, en mal. En mal, pas du livre.
00:51 Mais en parlant mal du sujet de votre livre, "Le frérisme", et ça a déchaîné.
00:59 Ça a déchaîné les passions. Des passions qui sont... des passions dangereuses, parfois.
01:05 Vous avez reçu des menaces de mort ? - Exactement. J'ai reçu un certain nombre de menaces, de calomnies, d'injures.
01:13 Ce qui était assez préoccupant, c'est qu'elles sont venues d'abord du milieu académique,
01:18 qui n'avaient manifestement pas lu mon livre, mais qui avaient décidé de me faire taire.
01:23 C'est en général comme ça que vos adversaires dans le monde académique s'y prennent, c'est-à-dire qu'ils vous discréditent.
01:29 - Le monde de l'université. - Ah oui, il y a des batailles féroces,
01:32 parce qu'il y a une partie militante qui n'entend pas que l'on mette certains sujets sur...
01:39 que l'on en débatte sur la place publique. Donc ce qu'ils font, c'est qu'ils arrivent immédiatement, le plus vite possible.
01:45 Si par exemple vous allez à l'ENS présenter vos travaux chez Gilles Kepel,
01:50 et bien ils vont saisir cette occasion pour bombarder les réseaux sociaux de calomnies, d'injures,
01:56 de façon à vous disqualifier, de vous discréditer, puisqu'ils le font depuis le monde académique, donc avec leur diplôme.
02:02 Et généralement ça marche. Sauf que là ça n'a pas marché, parce qu'ils ont été vraiment trop loin.
02:06 - Ils ont été trop loin, ça a provoqué ces menaces de mort. Vous êtes sous protection policière, aujourd'hui. - Voilà.
02:13 - Comment vivez-vous cela ? - Bon, c'est assez... c'est évidemment un dispositif sur le plan personnel qui est assez lourd,
02:20 mais je pense qu'il est indispensable, dans certains cas. Nous ne sommes plus qu'une poignée aujourd'hui à travailler sur l'islamisme en Europe.
02:28 Si nous ne sommes pas protégés, il n'y aura plus personne. Il y avait Gilles Kepel, il y avait Bernard Rougier,
02:35 il y a Hugo Michron aussi qui travaille sur ces sujets, mais à part nous quatre, on n'est plus du tout dans un travail critique de ces mouvements,
02:45 mais plutôt dans un travail apologétique, malheureusement, des mouvements de l'islam politique.
02:50 - Oui, parce que je rappelle que votre travail n'est pas un travail de militante, c'est un travail académique, c'est un travail de recherche,
02:59 c'est un travail qui est impartial, qui n'est pas partisan. Je voudrais le préciser, parce que c'est très important,
03:08 et le préciser justement pour toutes celles et ceux qui pourraient juger activement de la qualité de votre livre, c'est bien cela.
03:16 - Alors, on dit que je dénonce, et en fait je démontre. Alors, il est vrai que dans ce livre-là, je prends position parce que,
03:23 au regard de mes démonstrations, je constate que notre société démocratique libérale est en danger.
03:30 Donc, effectivement, à un moment donné, je prends position et je dis peut-être qu'on pourrait assurer de façon plus efficace
03:38 les conditions de notre débat démocratique, de façon à ce que des théocrates ne viennent pas briser notre démocratie.
03:47 Donc, oui, je prends position, mais à l'issue de 30 ans de recherche. - Voilà, oui, c'est pas...
03:53 - C'est une position éclairée. - Ce n'est pas un pamphlet contre l'antrisme des frères musulmans.
03:58 Ce sont des recherches sur la réalité de l'antrisme des frères musulmans.
04:03 - C'est ça. Et évidemment, mes adversaires ont voulu en faire, le décrire comme un pamphlet antisémite, islamophobe,
04:11 enfin je ne sais plus quelle calomnie et tout ça passera par la justice, je ne laisserai pas faire ça.
04:18 - Vous avez déposé plainte déjà ? - Oui, j'ai déposé des plaintes contre ces individus qui sont des délinquants de l'université
04:25 et qui ne nous permettent plus aujourd'hui de travailler. Ce qui était grave avec...
04:29 - Mais qui sont ces délinquants d'université ? - Je ne vais pas citer des noms.
04:33 - Ce ne sont pas des noms, mais ce sont des professeurs ? - Oui, ce sont des gens qui ont eu dans toute leur carrière
04:41 tous les avantages d'être des fonctionnaires, qui en ont profité pour faire l'apologie de certains mouvements de l'islam politique
04:49 et qui maintenant, retraités par exemple, vont trop loin dans la calomnie et qu'il faut simplement... auquel il faut répondre.
04:59 - Est-ce qu'il y a derrière une volonté politique, vous pensez ? - Oui, bien sûr.
05:03 - Ils sont politiquement marqués ? - Oui, bien sûr. Il est très très facile de les lire.
05:09 Il faut les lire, comme j'appelle quand on lise mon livre, il faut aussi lire le livre de Sarkozy.
05:15 - Votre livre est passionnant, je l'ai vu, je l'ai dit le 30 janvier lorsque vous êtes venu ici pour cette première interview.
05:22 Je l'ai dit, c'est la raison pour laquelle j'avais souhaité que vous veniez et je vous remercie encore une fois d'avoir accepté cette invitation.
05:29 Mais votre livre est passionnant parce que c'est un vrai travail de recherche et on a besoin de ce travail de recherche.
05:36 Florence Bergeau-Blackler, vous deviez tenir une conférence demain à la Sorbonne à propos de votre livre, sur le sujet de votre livre.
05:45 Mais que s'est-il passé ?
05:47 - Alors j'avais été invitée au mois de février par le responsable du diplôme universitaire laïcité qui m'avait invitée.
05:54 Et j'ai appris par lui lundi soir que la doyenne de la faculté de lettres de la Sorbonne entendait suspendre ma conférence.
06:06 Les motifs n'étaient pas très clairs et puis suspendre jusqu'à quand ?
06:10 - Sans explication aucune ?
06:12 - Sans explication, sans même m'avoir contactée directement. Alors il s'agirait de problèmes de sécurité, mais alors pourquoi ne m'a-t-elle pas appelée ?
06:19 Je l'aurais soit rassurée puisque moi je n'avais pas d'élément sur les réseaux sociaux me montrant qu'il y avait des manifestations d'étudiants contre ma conférence.
06:28 Donc en disant à l'organisateur qu'elle ne voulait pas jeter de l'huile sur le feu, elle accrédite d'une certaine manière mes détracteurs.
06:40 Ce qui donne de lourdes responsabilités puisqu'on sait que les détracteurs en question ont tellement excité les réseaux sociaux que ça a conduit à des menaces de mort.
06:50 Donc le fait pour la Sorbonne de ne pas même me consulter, de ne pas même discuter avec moi, de ne pas même, je ne leur demande même pas de lire mon livre,
06:59 mais de suspendre comme ça pour ne pas jeter de l'huile sur le feu c'est vraiment accréditer les terroristes intellectuels.
07:05 Je sens votre colère à propos de la Sorbonne, du report de cette conférence, parce que vous avez l'impression peut-être d'être trahi par le monde universitaire.
07:14 Pas trahi mais abandonné dans tous les cas.
07:18 Ce n'est pas nouveau mais le fait d'avoir reçu des menaces de mort, d'être obligé de vivre sous protection policière m'a donné peut-être un peu plus d'élan pour dénoncer ce qui se passe
07:28 et puis aussi parce que je suis très inquiète pour l'avenir de la recherche.
07:32 Je montre dans mon livre que l'entrisme frériste existe bien.
07:39 - Des frères musulmans.
07:40 - Voilà, des frères musulmans existent depuis au moins 30 ans dans l'université.
07:44 Il a fait son travail et aujourd'hui il n'y a plus personne pour faire des travaux critiques, pour ouvrir des débats, de vrais débats.
07:51 - Et même pour le révéler, même pour le dire, même pour l'expliquer.
07:56 - Depuis Samuel Paty ça s'est encore aggravé, il y a une peur.
08:00 C'est la peur qui domine, ce n'est pas forcément des raisons idéologiques, c'est la trouille.
08:07 - C'est la trouille, tout simplement.
08:09 Donc, il paraît qu'elle serait reportée votre conférence ?
08:15 C'est ce que vous avez appris ?
08:17 - Voilà, j'ai appris que la Sorbonne avait donc validé le report de cette conférence au 2 juin, où je me rendrai bien évidemment.
08:27 Donc j'en suis heureuse, je pense qu'il y a déjà beaucoup de monde qui s'est inscrit.
08:32 Donc ça me donnera l'occasion peut-être de faire connaître mon travail, et tant mieux.
08:37 - Et tant mieux, et tant mieux.
08:39 Alors, les pouvoirs publics, j'ai vu que le ministère de l'Intérieur, Gérald Darmanin, voulait vous recevoir.
08:45 Vous avez reçu l'invitation ?
08:47 - En fait j'ai demandé une audience auprès du ministre de l'Intérieur, je lui ai écrit une lettre,
08:52 et effectivement il me l'a accordée, donc je dois être reçue dans les semaines qui viennent.
08:58 - Qu'allez-vous lui dire ?
08:59 - Je vais lui parler des problèmes de sécurité que nous connaissons.
09:02 Je fais la même invitation à la ministre de l'Enseignement et de la Recherche.
09:07 - Vous n'avez rien de ce côté-là ?
09:09 - De ce côté-là je n'ai aucune réponse.
09:11 Je crois avoir lu dans Le Monde qu'elle me ferait recevoir par un collaborateur.
09:17 - C'est quand même invraisemblable.
09:19 - Je n'ai pas été informée directement.
09:21 - C'est invraisemblable.
09:22 - Mais je pense qu'il y a des solutions à trouver pour réintégrer le débat sur les sujets.
09:28 Il n'y a pas que la question de l'islamisme, il y a d'autres sujets qui deviennent préoccupants,
09:32 qui sont interdits, qui sont "cancelés" comme on dit, la "cancel culture", la culture de l'effacement.
09:37 Mais il y a des solutions, à condition d'en parler, à condition de comprendre comment ça fonctionne,
09:42 et il faut réfléchir ensemble sur ce qu'on peut faire.
09:45 Donc il y a des solutions et c'est de cela dont je voudrais parler.
09:50 - Parler au ministre de l'Intérieur, qui lui a réagi bien.
09:55 Dites-moi, Florence Bergeau-Blackler, rappelez-nous exactement votre travail sur l'antrisme des frères musulmans.
10:05 Depuis des dizaines d'années, ça date...
10:09 - Oui, ça fait 30... La première fois que je rentre dans une mosquée fréeriste, il y a 30 ans, c'était à Bordeaux.
10:17 Donc j'ai commencé, je ne savais pas tellement bien où j'étais, et j'ai compris les choses un peu de l'intérieur.
10:24 Donc sans lire au départ, mais juste par mon travail d'observation participante d'anthropologue.
10:31 Et après, c'est après que j'ai commencé à comprendre de l'intérieur comment toutes ces idées se diffusaient.
10:37 - Cette volonté souterraine, cette volonté souterraine de conquérir les esprits.
10:43 C'est ça le travail.
10:45 - Tout à fait, c'est une conquête par la séduction.
10:49 On n'est pas du tout dans le djihadisme violent avec les frères, on est dans quelque chose de beaucoup plus sournois,
10:55 d'invitation à la dawah, à la prédication, pour effectivement suivre un plan, le plan de Dieu,
11:03 qui est d'accomplir la prophétie califale, d'instaurer la société islamique.
11:09 Voilà, ce sont des théocrates.
11:11 - Ce ne veut pas dire qu'ils vont y arriver, ça veut dire qu'ils travaillent à le faire.
11:15 C'est ça qu'il faut regarder.
11:17 - Et ce qui est intéressant c'est de raconter ce qu'ils font.
11:21 C'est un vrai travail, encore une fois, c'est un vrai travail de recherche,
11:25 mais presque journalistique.
11:27 Oui, c'est une enquête aussi.
11:30 - Alors il y a des travaux qui ont été faits sur le salafisme,
11:33 parce que le frérisme est une sorte de salafisme, c'est un peu compliqué.
11:37 Donc il y a des travaux qui ont montré les territoires conquis de l'islamisme,
11:41 mais il y a une chose, à mon avis, que je développe dans le livre et qui est nouvelle,
11:46 c'est l'emprise sectorielle, par secteur, donc la santé, l'université, bien sûr les écoles.
11:53 - Oui, ce sont les secteurs qui sont les premiers investis.
11:57 - Voilà, c'est ça.
11:58 - Santé, école, université.
12:00 - Voilà, tout ça a été pensé, donc je mets en regard des textes,
12:05 des principaux influenceurs des frères musulmans,
12:08 comme Kardaoui ou Mahoud Oudi,
12:10 et on voit que ce qu'ils ont annoncé qu'ils feraient dans les années 80-90,
12:15 eh bien ils l'ont fait.
12:17 Donc ils suivent des consignes, ils suivent des plans.
12:20 - Ils gagnent du terrain ou pas ?
12:22 - Oulah, bien sûr, puisqu'il n'y a personne qui les arrête.
12:25 Donc évidemment, on ne peut pas leur reprocher, ils sont toujours dans la loi,
12:29 c'est ça qui fait que c'est assez difficile, ils passent sous les radars,
12:33 mais ils avancent, et personne ne les arrête, c'est tout à fait naturel.
12:38 Pourquoi ne pas essayer ? On ne peut pas leur reprocher.
12:41 - Oui, personne ne les arrête, mais vous, vous êtes un révélateur,
12:44 un révélateur de la situation.
12:46 D'ailleurs, ce n'est pas votre rôle de les arrêter.
12:49 - Ce n'est pas mon rôle de les arrêter, moi mon rôle c'est de faire comprendre
12:52 comment ça fonctionne, et libre à une société de savoir quel modèle,
12:55 sous quel modèle et sous quel régime elle veut vivre.
12:58 - Oui, le but est politique, il est religieux et politique.
13:01 - Il est politico-religieux. - Il est politique avant tout.
13:04 - Politico-religieux, c'est indissociable, ça n'est pas un parti politique,
13:08 parce qu'il y a cette dimension justement du plan, du salut,
13:12 qui rend les choses beaucoup plus complexes,
13:15 mais c'est un mouvement qui avance, pas qu'en France, c'est européen.
13:19 - Pas qu'en France. - Le frérisme c'est vraiment européen,
13:22 c'est adapté aux sociétés, aux démocraties libérales,
13:25 donc ça se produit dans toutes les sociétés, aux Etats-Unis aussi,
13:29 en Australie aussi, mais l'Europe est particulièrement fragile.
13:33 - Mais la cancel culture participe. - Elle fait le sale boulot.
13:37 - Elle fait le sale boulot, évidemment. - Bien sûr, elle détruit,
13:41 et après elle déconstruit, elle culpabilise,
13:45 elle nous rend vulnérables, et après le ferraillage...
13:49 - Et elle permet l'arrivée de... - C'est ce que fait par exemple Agi+
13:53 la chaîne Qatari pour les jeunes européens,
13:58 c'est une chaîne qui met en avant les problématiques déconstructionnistes
14:02 du wauquisme, et qui pourtant payée par le Qatar,
14:06 qui finance aussi... - C'est le Qatar qui finance...
14:09 - Oui, qui finance aussi les fermes du Monde, donc il y a un lien évident
14:12 entre cette déconstruction wauquiste qui rend
14:16 nos jeunes un petit peu culpabilisés, inquiets,
14:20 qui abîme cette jeunesse. - Le Qatar devant lequel on se prosterne parfois.
14:24 - Oui, ça encore, oui, c'est encore une chose. - C'est autre chose.
14:27 - Mais oui, les valises de billets à Bruxelles, oui, bien sûr.
14:31 - C'est la réalité. Merci d'être venue nous voir, Florence Bergeau-Blacler.
14:35 Merci, je rappelle le titre de votre livre à lire, absolument,
14:39 "Le frérisme et ses réseaux", c'est aux éditions Outil Jacob.
14:43 Merci beaucoup. Il est 12h27, André Bercoff.