Les économistes Julia Cagé, Éric Heyer et Shahin Vallée étaient les invités du Grand Entretien ce lundi pour évoquer les négociations commerciales et les bouleversements économiques suite aux nouveaux droits de douane américains. Plus d'info : https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/l-invite-de-8h20-le-grand-entretien/l-invite-de-8h20-le-grand-entretien-du-lundi-07-avril-2025-1969599
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00:00Qu'il est invité du 7-10 ce matin, qui sera à votre micro dans une heure, Léa ?
00:05Une grande romancière, depuis son concours il y a 25 ans pour « Trois femmes puissantes »,
00:09elle poursuit son œuvre ample, ambitieuse, avec cette écriture toujours aussi éblouissante.
00:13Son dernier livre, « Le bon Denis » au Mercure de France, est acclamé par la critique.
00:17Marine Diaz est notre invitée à 9h20.
00:19Et dans un instant, le grand entretien avec trois économistes pour comprendre les conséquences
00:25de la guerre commerciale de Donald Trump.
00:27Tous les jours, les humoristes de France Inter vous réveillent.
00:32Jordan Barbella qui se rend à Jérusalem pour assister à une conférence sur l'antisémitisme
00:36niveau audace.
00:37On n'a rien fait de plus fort depuis l'album de rap de Tony Parker.
00:40Il y a donc une vingtaine de femmes qui ont accusé Gérard Depardieu et il leur a déclaré
00:45« Oui, oui, oui ».
00:46Franchement, quand tu dors dans un Ibis Budget, c'est pas que t'as l'impression d'être
00:49en prison, mais quand même un peu celle d'être en cavale.
00:51La seule raison pour laquelle ils n'ont pas mis les toilettes sur le palier, c'est
00:54que le palier, c'est la rocade.
00:56Des humoristes toute la journée dans votre radio et quand vous voulez sur la chaîne
00:59YouTube de France Inter.
01:26Et table ronde ce matin dans le grand entretien sur l'onde de choc provoquée par la guerre
01:41commerciale lancée par Donald Trump.
01:44On peine encore à mesurer les conséquences.
01:47Une récession mondiale est-elle à venir ? On va poser la question à nos invités ce
01:52matin, Léa.
01:53Léa Pagé, économiste, professeure à Sciences Po Paris, lauréate du prix Hyrio Jansson,
01:58du meilleur économiste européen, ça c'était il y a trois jours, félicitations.
02:01Shaïne Vallée, vous êtes économiste, chercheure au conseil allemand pour les affaires étrangères,
02:05bonjour et bienvenue.
02:06Et bienvenue à Eric Ayer, économiste, directeur du département analyse et prévision de l'OFCE.
02:10Et avant de voir les conséquences, ce fait, Donald Trump a tiré un trait sur 80 ans de
02:18réduction progressive des barrières commerciales.
02:21En quelques jours, les droits de douane américains sur les importations du reste du monde sont
02:26passés de 2,5% à 25% en moyenne, au plus haut depuis les années 30.
02:32C'est une révolution économique et nous allons gagner, voilà ce que dit Trump samedi, promettant
02:40que le résultat final sera historique.
02:43Est-ce que vous reprenez ce matin les termes du président américain ? Nous vivons une
02:47révolution économique, une rupture historique dans le système économique international.
02:53Eric Ayer ?
02:54Oui, on peut dire comme ça, on peut dire que c'est le grand désengagement, mais attention,
02:58que des Etats-Unis de cette mondialisation.
03:00Effectivement, les droits de douane sont à peu près à 25%, mais que sur 13% du commerce
03:05mondial.
03:06Dans le 87%, ça n'a pas bougé, donc attention, c'est vraiment très ciblé pour l'instant
03:12sur les Etats-Unis et la question c'est est-ce qu'il y aura les ripostes ? Mais il me semble
03:15que le moment qui est le plus important, c'est la loi du plus fort qui revient, c'est-à-dire
03:20que ce que fait Donald Trump depuis son arrivée, c'est cela, c'est-à-dire dire en interne
03:24on va baisser l'impôt sur les personnes aisées et on va le remplacer par des droits
03:28de douane, c'est-à-dire des droits sur la consommation, donc c'est plutôt les ménages
03:31modestes qui vont être pénalisés.
03:33D'un point de vue des aides humanitaires, on retire l'USA, donc on ne se soucie pas
03:38finalement des prix modestes au niveau mondial et d'un point de vue du commerce, on sort
03:43du multilatéralisme et on va vers le bilatéral, du face-à-face et puisque je suis important,
03:47je vais imposer tout le monde, y compris des pays modestes, donc c'est plutôt le retour
03:52de la loi du plus fort.
03:53Julien Cagé, vous êtes d'accord ? C'est un point de bascule, le retour de la loi du
03:56plus fort, un vrai moment de révolution ? Tous les logiciels qu'on connaissait jusque-là
04:02explosent ?
04:03C'est un vrai moment de révolution politique, moi je pense que ça caractérise la fuite
04:07en avant finalement des républicains états-uniens vers le nationalisme, ce qui est assez étonnant
04:11finalement, ce sont les républicains qui font le tournant protectionniste, ça vient
04:16finalement à la suite et comme une conséquence de l'échec des politiques libérales réganiennes
04:22depuis des dizaines d'années, elles ont abouti à un échec en termes d'industrialisation,
04:27d'emplois, de croissance économique aujourd'hui aux Etats-Unis et donc face à cet échec des
04:32politiques réganiennes, on cherche des boucs émissaires, le bouc émissaire pour Donald
04:36Trump, c'est l'étranger, donc il va aller ponctionner finalement le reste du monde.
04:41Je pense qu'aussi il y a une vraie panique chez Donald Trump et chez toute une partie
04:45des républicains états-uniens qui est d'avoir perdu d'une certaine manière la main sur
04:50l'économie mondiale et sur le commerce international et de facto ils ont perdu en partie la main
04:54au cours des dernières décennies face à la Chine, face aux pays émergents, si vous
04:58regardez la dette extérieure des Etats-Unis, elle a atteint un niveau extrêmement élevé
05:02après plus de 30 ans de déficit commerciaux et si on regarde en fait ce niveau de la dette
05:06extérieure, dans un contexte où potentiellement on va avoir une remontée des taux d'intérêt,
05:11il y a aussi quand même un vrai risque macroéconomique pour les Etats-Unis qui va être en termes
05:15de remboursement de cette dette-là, donc en fait on peut comprendre la rationalité
05:20entre guillemets derrière la réflexion de Donald Trump, ce qui est complètement irrationnel
05:25c'est la manière dont c'est fait, c'est l'impréparation, c'est l'imprévision, c'est
05:30le fait d'avoir des mesures qui sont bilatérales.
05:32Vous comprenez la cohérence ? Non, il n'y a pas de cohérence dans les
05:34politiques mises en œuvre, il y a une cohérence dans le questionnement.
05:38Bah oui, réinterroger aujourd'hui la concurrence internationale, réinterroger l'effet de
05:44l'entrée de la Chine maintenant il y a quasiment 30 ans dans l'OMC et les conséquences que
05:48ça a eues sur l'industrie américaine, réinterroger la soutenabilité du déficit de la balance
05:53commerciale.
05:54Pendant des décennies, on a eu des Etats-Unis qui avaient un déficit très fort de leur
05:57balance commerciale mais qui avaient un excédent de leur balance des paiements parce que finalement
06:00les revenus financiers leur permettaient de compenser ce déficit de la balance commerciale.
06:05Aujourd'hui, vous avez des Etats-Unis qui ont un déficit de la balance commerciale
06:08et un déficit de la balance des paiements.
06:10Vous avez une remontée des dons-intérêts, une dette qui est forte, donc la question
06:13est comment on va faire pour payer ça ? S'ils ne s'interrogeaient pas là-dessus, il y
06:16aurait quand même aussi un tout petit problème macroéconomique global.
06:19Est-ce que vous comprenez, Shaheen Valley, intellectuellement vous aussi ce qu'il essaye
06:23de faire Donald Trump ? Oui, je pense que la révolution qu'il essaye
06:27de lancer sur l'économie mondiale est compréhensible pour les raisons que Julia a évoquées.
06:32Julia n'a pas évoqué la question du taux de change qui est aussi une question importante.
06:36Il y a eu l'entrée de la Chine dans l'OMC en 2000 avec un non-respect tacite des règles
06:41de l'OMC et en plus une manipulation effective du taux de change.
06:44Donc les Américains sont, à mon avis, intellectuellement légitimes à se poser des questions.
06:48Là où je pense qu'il y a un gros problème, c'est sur la méthode qui est employée.
06:51C'est une méthode qui se concentre uniquement sur les tarifs douaniers en pensant que c'est
06:56l'alpha et l'oméga des déséquilibres mondiaux et je pense que ça, c'est une grosse erreur.
07:00Et surtout, moi, ce qui m'inquiète pour revenir sur ce que disait Eric, c'est pas seulement
07:05la réaction américaine, mais la contre-réaction qui vient.
07:07On n'a pas évoqué encore la réponse des Chinois, qui est très importante.
07:12Les Chinois ont augmenté eux-mêmes leur droit de douane de 34%.
07:15En réalité, ils étaient fondés à faire beaucoup plus parce que le droit de l'OMC
07:21leur autorise à répondre aux tarifs douaniers américains en faisant un dollar pour un dollar.
07:25Ce qui aurait pu amener la Chine à faire des tarifs douaniers contre les Etats-Unis
07:28de l'ordre de 60%.
07:29Ils se sont restreints à faire que 34%, alors qu'eux-mêmes ont déjà 20% plus les 34%
07:35qui ont été introduits cette semaine.
07:37Et donc, moi, ce qui m'inquiète, c'est l'escalade aujourd'hui.
07:39C'est-à-dire qu'on rentre dans une spirale dans laquelle la Chine, puis demain, ça a
07:43été évoqué avec votre invité plus tôt, Stéphane Séjourné, l'Union européenne,
07:47répondent et qu'on rentre dans une boucle infernale qui nous sort non seulement du champ
07:52purement commercial et tarifaire, mais qui nous mène peut-être avec une réponse américaine,
07:56avec des sanctions financières contre la Chine, voire même des sanctions financières
07:59contre l'Union européenne à terme.
08:00On va voir la réponse, la réponse que doit être l'Union européenne, puisqu'ils commencent
08:05à préparer des choses, mais pour l'instant, ils n'ont pas actionné complètement le
08:10bouton rouge, enfin le bouton vert en l'occurrence.
08:12Mais juste pour revenir à ça, vous essayez de comprendre la cohérence intellectuelle
08:17les uns et les autres de Donald Trump.
08:18Vous dites, oui, il a raison d'une certaine manière de se poser les questions.
08:23C'est la fin de la mondialisation heureuse, ça n'a pas marché, on a tenté le coup,
08:27ça n'a pas marché.
08:28C'est un peu ce que vous dites tous les trois, non ? Si je me trompe ? Et pourtant,
08:31on lisait avec Nicolas toute une littérature d'économistes ces derniers jours qui réagissaient
08:37à ce que fait Trump.
08:38Je vous en cite un, au Monde, Bruno Cavalier, économiste à Odo-BHF.
08:42Hormis les inconditionnels de Trump, tout le monde pense que ce plan est un désastre
08:46économique.
08:47Oui, les deux sont compatibles.
08:49On peut dire que c'est un désastre économique et en même temps que ce qui nous pousse à
08:53ça, c'est un questionnement légitime sur les déséquilibres mondiaux, la surévaluation
08:57structurelle du dollar et le fait que ce problème-là crée des déséquilibres mondiaux
09:02qui sont problématiques pour l'économie mondiale.
09:04Ou alors vous pouvez voir les droits de douane non pas comme un instrument économique mais
09:08juste un rapport de force.
09:10Encore une fois, si c'est la loi du plus fort, que veut faire Donald Trump ? Il veut
09:14à la fois réduire son déficit budgétaire par des recettes.
09:16Donc il a besoin finalement, effectivement, de droits de douane un peu plus élevés.
09:20Il ne restera pas à ces niveaux-là, les droits de douane.
09:23Ils vont redescendre à combien ? On ne sait pas, mais aux alentours de 10%.
09:26Et pourquoi ? Parce qu'il a besoin de recettes supplémentaires.
09:29Quand ils vont descendre ? Il y aura des négociations.
09:32Donc on va essayer d'expliquer.
09:33Là, il y a des négociations.
09:34Il y a 50 pays qui sont en train de négocier aujourd'hui, mais on va négocier nous aussi
09:39les Européens.
09:40Donc ça va petit à petit, mais pas redescendre à zéro comme avant ou à 2%.
09:43Ça va rester avec à peu près 10%.
09:46Pourquoi ? Parce qu'il a besoin de recettes pour financer son budget.
09:48Mais il a aussi besoin de résorber son déficit commercial, comme ça a été rappelé tout
09:54à l'heure.
09:55Comment ? Il le fait non pas en réduisant les importations, mais en augmentant les exportations.
10:00C'est ce qu'il veut faire.
10:01Il veut augmenter les exportations.
10:02Comment veut-il le faire ? C'est-à-dire en utilisant les droits de douane.
10:06C'est « je vais te faire une ristourne de droits de douane, mais toi, tu vas me passer
10:09des commandes ». C'est ce qu'il souhaite.
10:11Je ne dis pas que c'est souhaitable.
10:13La négociation, que veut-il avec ces droits de douane ? Il veut avoir l'eau du Canada,
10:18il veut avoir les minerais du Groenland, il veut avoir les terres rares de l'Ukraine,
10:21il veut avoir chez nous en Europe, qu'on lui passe des commandes militaires.
10:26Il veut qu'on lui achète le Génel.
10:28Donc il veut avoir énormément de commandes pour remonter les exportations.
10:33Le problème aujourd'hui, c'est que l'économie américaine, il faut faire un peu de conjoncture,
10:36est au taquet de ses capacités productives.
10:39Aujourd'hui, l'économie américaine est en incapacité à répondre à toutes ses
10:43demandes.
10:44Son souhait, et c'est là où ça va bloquer, c'est que les étrangers viennent investir
10:50aux Etats-Unis.
10:51Et ça, ça ne se fait pas du jour au lendemain, donc l'inflation sera inévitable dans ce
10:56contexte-là.
10:57Et c'est là où il faut entendre le président français dire qu'il faudrait arrêter d'investir
11:03aux Etats-Unis.
11:04Sinon, c'est Donald Trump qui va petit à petit gagner, ou en tout cas un peu moins
11:08perdre dans son plan.
11:09Vous l'entendez, Emmanuel Macron, il l'a dit.
11:11Il l'a dit clairement il y a quelques jours.
11:13Il a dit à l'attention des industriels, des investisseurs, qui ont déjà commencé,
11:16on ne va pas se mentir.
11:17Toutes les grandes boîtes françaises ont déjà commencé, depuis l'élection de Trump,
11:21à aller investir là-bas.
11:22Arrêtez d'investir là-bas.
11:23Arrêtez d'investir là-bas.
11:24Oui, sauf que, c'est très bien de le dire, il faudrait prendre des mesures politiquement
11:29un tout petit peu plus contraignantes que des demandes aux investisseurs.
11:32Vous avez quand même une rationalité du point de vue de l'investisseur économique,
11:35s'il n'y a pas de contraintes politiques qui sont pesées, d'aller ouvrir directement
11:39des usines aux Etats-Unis à partir du moment où vous avez des droits de douane.
11:42C'est ce que fait Rodolphe Saadet au lendemain de l'investiture de Donald Trump.
11:46Il promet un milliard d'euros d'investissement pour échapper aux droits de douane.
11:49Nous, on a un président de la République, on a un gouvernement.
11:51Le travail du gouvernement, ce n'est pas de demander normalement à des acteurs économiques,
11:55c'est de mettre en place des politiques économiques afin de faire en sorte que les
11:59acteurs économiques soient, dans ce cas, davantage en faveur de l'économie française
12:04Ça veut dire de la baisse des impôts sur les sociétés, ça veut dire des mesures
12:09attractives que vous n'utilisez pas forcément, Julia Kelly ?
12:11Non, pas forcément.
12:12Déjà, il y a plusieurs choses à mettre en place.
12:15Un, il y a la politique commerciale.
12:16C'est-à-dire que si vous avez une entreprise française qui va ouvrir une usine aux Etats-Unis
12:21et qu'on a des droits de douane réciproques du point de vue de l'Union Européenne, ça
12:24va aussi faire des coûts supplémentaires pour cette entreprise française.
12:27Deuxièmement, je pense que la réponse doit être au niveau de l'Union Européenne.
12:31Et j'ai trouvé Stéphane Séjourné de manière relativement inquiétante, peu claire ce
12:38matin en termes de réponse au niveau de l'Union Européenne.
12:40Il y a deux choses à faire au niveau de l'Union Européenne.
12:42Un, s'interroger, il le dit, sur le tarifaire.
12:45Et je pense que cette interrogation en termes de droits de douane, elle doit se poser non
12:48seulement vis-à-vis des Etats-Unis, mais également vis-à-vis d'un certain nombre
12:51d'acteurs.
12:52Encore une fois, la réponse de Donald Trump n'est pas la bonne, la question posée est
12:56la bonne.
12:57Et ce n'est pas parce que Donald Trump tout d'un coup dit « on a peut-être un tout petit
13:00problème par exemple de manipulation du taux de chance avec la Chine », « on a un petit
13:04problème de déficit commercial et de désindustrialisation avec la Chine », ce n'est pas parce que
13:08Donald Trump lui dit que ça doit interdire à l'Union Européenne de s'interroger sur
13:12la politique commerciale à mettre en œuvre, non seulement vis-à-vis des Etats-Unis, mais
13:16également vis-à-vis de la Chine.
13:17Première chose.
13:18Deuxième chose, je pense que ce protectionnisme ne doit pas être fait à l'aveugle comme
13:22le fait aujourd'hui Donald Trump.
13:24C'est absurde la manière dont il fait ses calculs, alors il les détaille très bien,
13:27il propose des hypothèses sur les élasticités, etc.
13:29Mais il va taxer tout le monde de manière bilatérale, je pense qu'il faut avoir une
13:32réflexion sur un protectionnisme qui soit à la fois environnemental, qui soit à la
13:36fois social et qui soit enfin, parce que vous mentionnez l'impôt sur les sociétés, fiscal.
13:41Et un dernier point, pour le dire, Eric Ayer disait tout à l'heure qu'il fait ça pour
13:45son budget.
13:46Pourquoi il a un problème budgétaire Donald Trump ? Parce qu'il a baissé les impôts,
13:50y compris les impôts et surtout d'ailleurs sur les plus favorisés.
13:53Je pense qu'aujourd'hui, si l'Europe introduit des doigts de douane, ça doit être pour investir.
13:57Investir dans l'avenir, investir dans l'éducation, dans l'enseignement supérieur, dans la santé,
14:02dans la recherche, tout ce que désinvestissent aujourd'hui les Etats-Unis et de ce point
14:05de vue-là, on a quand même une opportunité historique.
14:07L'Union Européenne est-elle faible ou prudente, Shaheen Valley, à ce stade ?
14:13À ce stade, prudente, mais aussi parce qu'elle est en train de changer de logiciel, c'est-à-dire
14:16que l'Union Européenne jusqu'à présent espérait pouvoir négocier avec les Etats-Unis
14:20et on l'a vu dès le soir de l'élection américaine, la présidente de la commission
14:24a tendu la main en disant que les Etats-Unis étaient un grand partenaire, un grand partenaire
14:27commercial et qu'il faudrait négocier.
14:28Je pense qu'on se rend compte avec ce qui vient de se passer, que nous allons peut-être
14:32devoir rentrer dans une attitude beaucoup plus musclée et devoir mettre sur pied une
14:35politique commerciale de dissuasion que nous n'avons pas eue jusqu'à présent.
14:38Je pense que c'est le grand défi de la semaine qui s'ouvre.
14:41Les ministres du commerce extérieur se retrouvent aujourd'hui à Bruxelles pour discuter en
14:44partie de ça et se mettre d'accord sur la réponse aux tarifs douaniers sur l'acier
14:51et l'aluminium qui a déjà été annoncé.
14:54Qu'est-ce qu'il faut faire ? Vous avez publié une tribune.
14:56Parce qu'il y a le risque de la spirale dont vous parliez tout à l'heure.
14:58Il y a le risque de la spirale mais malheureusement je pense qu'on est obligé de répondre.
15:02En fait, il y a trois grandes catégories de réponses.
15:03Il y a la réponse dite canadienne, c'est-à-dire de répondre avec force, ou la réponse chinoise
15:07de répondre avec force en espérant dissuader.
15:09Il y a la réponse mexicaine, c'est de tenter de négocier.
15:12Et il y a ceux qui disent qu'il vaut mieux rien faire et laisser les Américains payer
15:15le coût de leur propre politique.
15:16Donc moi je pense qu'il faut répondre avec force et ça, ça veut dire répondre avec
15:19des mesures tarifaires.
15:20Donc on serait fondé, nous aussi, à imposer des tarifs douaniers sur les biens américains
15:25et potentiellement des tarifs douaniers très élevés qui pourraient aller jusqu'à 40%.
15:28Je pense qu'on n'ira pas jusque-là mais je pense qu'il faut signaler qu'on est capable
15:31d'imposer des tarifs douaniers sur tous les biens américains.
15:33C'est pour ça que la question qui a été posée un peu plus tôt sur le bourbon, pour
15:37moi, est devenue un peu secondaire parce qu'en réalité on va devoir imposer des tarifs
15:40douaniers sur tous les biens américains et le bourbon y passera donc se battre aujourd'hui
15:43sur ça.
15:44Ça me paraît un petit peu…
15:45Donc des tarifs généraux et pas ciblés ?
15:47Oui, des tarifs généraux sur tous les biens américains.
15:49Et quoi d'autre ?
15:50Deuxièmement, il faut qu'on agisse sur les services parce qu'en réalité les points
15:53de vulnérabilité américaines sont surtout sur les services financiers d'une part,
15:57donc restreindre l'accès des fonds américains à l'épargne européenne, restreindre l'accès
16:01des banques américaines au marché financier européen et surtout les services numériques
16:06sur lesquels on peut faire plusieurs choses.
16:08On pourrait invoquer des tarifs douaniers sur les services numériques, on pourrait
16:12avoir une nouvelle taxe sur les services numériques.
16:14En 2018, on avait essayé de mettre sur pied une taxe européenne sur les services numériques
16:18qui avait échoué et du coup certains États membres l'avaient fait puisque l'Union
16:21n'avait pas réussi à le faire.
16:22Faire une taxe sur quoi ? Sur X, sur Facebook, sur Meta ?
16:27Sur tous les revenus des grandes plateformes numériques et on pourrait même interdire
16:32X.
16:33Par exemple, aujourd'hui le Digital Service Act nous permet de suspendre X pour non-respect
16:40des règles de modération du contenu.
16:42Donc on pourrait aller très loin.
16:43Eric Guerre, vous n'êtes pas d'accord ?
16:44Globalement, je suis d'accord, mais peut-être avec de la nuance.
16:47Vous avez vu haucher la tête.
16:49Pour la réponse sur les biens, pourquoi ? Parce que globalement aujourd'hui, il faut
16:53faire très attention, nos modèles ne sont pas exactement faits pour simuler ce type
16:57de chocs qui sont des chocs un peu irréels parce que ça fait à peu près depuis 1930
17:03qu'on n'a pas vu de chocs aussi violents et encore 1930 ce n'était pas aussi violent.
17:06Mais globalement, que nous disent nous-mêmes les résultats de nos simulations, c'est
17:09qu'aujourd'hui, sans riposte, c'est quand même les Etats-Unis qui perdent le
17:13plus dans les pays développés, beaucoup plus que l'Europe.
17:16Donc on peut dire, et c'est la réponse de l'économiste, ils se font mal, donc
17:19laisse-les faire, it's economic stupid, ils vont revenir sur leurs décisions, tu n'as
17:24pas besoin de t'infliger un peu les pertes.
17:27Oui, c'est clairement ce qu'on sent, que ce soit à la Commission européenne, Ursula
17:33von der Leyen, les grands dirigeants, on a l'impression que c'est faites-vous mal
17:35encore 3-4 mois et vous allez revenir.
17:37Exactement.
17:38Quand vous faites de la riposte, que nous disent nos modèles, c'est qu'on se fait
17:41un peu plus mal à nous, c'est-à-dire qu'on détériore notre bien-être, mais
17:45on détériore nettement le leur, c'est-à-dire qu'on leur fait encore plus mal.
17:49Est-ce qu'on rentre en négociation pour leur faire encore plus mal, pour leur dire
17:52« allez, maintenant, ça te fait tellement mal que tout le monde va venir contre ».
17:56Donc c'est ça, en gros, est-ce qu'on se fait encore un peu plus mal pour leur faire
17:59beaucoup plus mal.
18:00Moi, il me semble qu'on peut rentrer dans cette logique, c'est ce que déchaîne,
18:04mais globalement, est-ce que c'est sur les biens ? Non, sur les biens, on ne peut pas
18:07être au niveau de leur taxe, parce que d'abord, on n'a pas les mêmes importations
18:12qu'eux, et on a besoin de leurs importations.
18:13Donc là, il faut vraiment agir de façon, avec les mesures anti-coercivées…
18:17Mais est-ce qu'on n'a pas des grandes capacités de substitution face aux importations américaines ?
18:21Beaucoup plus grandes que celles qu'eux.
18:23Non, mais c'est surtout, il faut les créer.
18:24Moi, c'est ça qui m'a frappé ce matin dans l'interview de Stéphane Séjourné,
18:27il dit « attention, par exemple, sur les services numériques, nous n'avons pas de
18:29substituts ». C'est un problème, c'est un des problèmes de l'Union européenne
18:33depuis des années.
18:34On n'a pas de moteur de recherche, on n'a pas de réseaux sociaux.
18:36Et du coup, ces réseaux sociaux, Chahine mentionnait X, sont utilisés, y compris
18:40par indirectement l'administration Trump et Elon Musk, pour influencer le débat politique
18:45en Europe.
18:46Je veux dire, c'est l'occasion aujourd'hui de se dire au niveau de l'Union européenne…
18:49Mais c'est vrai, on fait quoi ? Oui, mais c'est l'occasion, mais là, tout de suite,
18:51on ne l'a pas.
18:52Il y a des substituts.
18:53Vous avez le droit de le faire.
18:54Il y a des substituts, il y a un truc qui s'appelle le Blue Sky, par exemple, on peut en inventer
18:57d'autres.
18:58Vous avez un réseau social X, vous arrêtez X, vous ne faites pas tomber l'économie
19:02européenne demain.
19:03Vous investissez davantage dans les moteurs de recherche de l'Union européenne, il y
19:06en a.
19:07Je veux dire, on a des outils.
19:08Thierry Breton a travaillé avec DoT, il y a eu la mise en place du DMA, du Digital
19:11Market Act, du DSA pour réguler les réseaux sociaux.
19:14Finalement, ces outils sont aujourd'hui contournés en grande partie par les plateformes
19:17états-uniennes.
19:18Vous avez Facebook, quand on lui réclame des données, qui va dire « Attendez, si
19:21vous nous mettez aujourd'hui une amende, on va augmenter les droits de voix des États-Unis
19:26face à l'Union européenne ». De toute façon, aujourd'hui, Donald Trump
19:28augmente ses droits de douane.
19:29Donc, à un moment donné, il faut, un, arrêter d'être complètement gentil, et notamment
19:33sur les services numériques, parce qu'il y a un vrai enjeu de souveraineté, de réagir
19:37en investissant les ressources supplémentaires qu'on va retirer, par exemple de la mise
19:40en place de tarifs, dans ces services numériques.
19:42Donc vous, vous êtes pour être dur.
19:43Enfin, de souveraineté industrielle et numérique en Europe.
19:46Et je pense que c'est un moment historique et un tournant historique.
19:49Il faut quand même le saisir.
19:50Non mais il faut être dur, mais uni.
19:51Il faut être uni.
19:52C'est-à-dire que si on n'y va pas de façon unifiée, ce n'est pas la peine.
19:55Donc ça veut dire aussi qu'il y aura des perdants quand on dit que l'Europe va y perdre,
19:58mais ce n'est pas tous les pays européens qui vont y perdre de même manière, et tous
20:00les secteurs ne vont pas y perdre de la même manière.
20:02Donc ça veut dire qu'il va falloir mettre en place des mesures de compensation aussi
20:06en Europe.
20:07Et surtout, ce qu'on a dit un peu, me semble-t-il, tous les trois, c'est changer de modèle.
20:10Aujourd'hui, penser que ce sont uniquement les États-Unis qui sortent de la mondialisation
20:14comme cela, sans aucune raison, non, l'Europe est aussi responsable.
20:18On a, depuis maintenant des années, des excédents structurels au niveau de notre commerce extérieur,
20:24en Allemagne, aux Pays-Bas notamment.
20:26Ça, ce n'est pas un modèle de grand pays, ça, c'est un modèle de petit pays, d'accord.
20:30Et quand on est un grand pays, on doit dire qu'on doit être beaucoup plus équilibré.
20:33Donc ça veut dire, c'est ce que veut dire Chahine aussi, les Allemands sont en train
20:36de le comprendre en faisant des plans de relance gigantesques.
20:38Il faut aller dans cette voie.
20:39C'est notre modèle intérieur qui doit nous tirer aussi.
20:43Vous êtes d'accord.
20:44Je pense qu'il faut être dur, mais il faut aussi avoir une perspective de long terme
20:47et qui est que cette guerre commerciale doit se terminer par une paix commerciale.
20:51Et cette paix, elle ne peut, à mon sens, que se sceller dans le cadre d'un grand accord
20:56multilatéral qui ferait à la fois une baisse des tarifs douaniers qui sont en train d'augmenter,
21:01mais aussi un accord sur les taux de change.
21:02Et je pense qu'une partie de l'administration américaine pousse dans ce sens-là, notamment
21:05le directeur du Trésor et Stephen Mayer, le conseiller économique de la Maison-Blanche,
21:10qui eux disent au fond, le vrai problème de l'économie américaine, c'est la surévaluation
21:13structurelle du dollar.
21:14Et il faut qu'à terme, on ait un accord et cet accord pourrait prendre la forme d'un
21:18accord dans lequel la Chine accepterait de réévaluer sa devise, accepterait de relancer
21:22son économie pour réduire son surplus, l'Union européenne et le Japon accepteraient de faire
21:27la même chose.
21:28Ça semble bien puisqu'on est déjà en train de le faire, notamment avec les changements
21:31de politique en Allemagne qu'a évoqué Eric, et en retour, les États-Unis baisseraient
21:35leurs tarifs douaniers et réduiraient leur déficit budgétaire.
21:40Ce grand accord, il est possible, mais il est possible que si nous, Européens, on rentre
21:45dans cette négociation avec une main forte.
21:46Moi je suis complètement d'accord, notamment sur la question du taux de change et des
21:49taux de change manipulés, mais là c'est quand même une manière de penser les choses
21:52comme il y a 30 ans.
21:53Je pense qu'on ne peut plus juste penser aujourd'hui en termes de grands accords commerciaux et
21:56de taux de change, il faut rajouter la question environnementale, ce qu'a commencé à faire
21:59mais pas assez l'Union européenne, il faut rajouter la question du dumping fiscal, encore
22:03une fois, parce qu'il faut quand même protéger justement une imposition suffisante des sociétés,
22:08il faut aussi rajouter quand même la question du dumping social, il est quand même temps
22:12de le faire au niveau international.
22:13On va avoir une recomposition finalement de ce commerce international, qui nous est
22:17imposé en partie par les décisions erratiques de Donald Trump, mais il faut en tirer profit,
22:22et ça suppose de s'interroger sur un certain nombre d'autres dimensions, et franchement
22:25la question environnementale et la question fiscale, c'est aujourd'hui le bon moment
22:29pour les reposer, et c'est le bon moment pour l'Union européenne de poser ce rapport
22:32de force.
22:33Donc il ne faut pas ne pas parler de taux de change, mais il faut aller au-delà du
22:36taux de change.
22:37Vous êtes un peu optimiste.
22:38Ça me semble un petit peu optimiste, mais on a quand même une fenêtre d'opportunité
22:41pour faire tout ça, qui est que la France sera la présidence française du G7 l'année
22:45prochaine, au même moment où les Etats-Unis auront la présidence française du G20.
22:48Donc les Etats-Unis ont pour le moment déserté toutes les institutions multilatérales et
22:52les forums de discussion internationales sur la politique économique, mais on peut espérer
22:55qu'il y aura peut-être une fenêtre à ce moment-là.
22:56Il y a encore quelqu'un qui croit au multilatéralisme, c'est donc vous, vous êtes l'avant-guerre.
23:00C'est moi ! Et il a eu le mot de la fin !
23:04Chahine Vallée, merci, c'était vous.
23:07Eric Keyer, merci, Julia Acagé, merci également.
23:10France Inter, huit heures.