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Régis Le Sommier est reporter de guerre, co-fondateur et directeur de la rédaction d’Omerta, après avoir passé de longues années comme directeur-adjoint de la rédaction de Paris Match. Au fil de sa carrière, il a obtenu des interviews avec des dirigeants de premiers plans parmi lesquels Bachar el-Assad, le président syrien récemment déchu. C’est une illustration de la façon dont l’Occident manœuvre la figure du Diable. Dans son ouvrage "Qui est le diable : l'autre ou l'Occident ?" Régis Le Sommier rappelle comment, de la Seconde Guerre mondiale où Staline est devenu l’allié de circonstance contre Hitler, au théâtre syrien, l’histoire récente montre une véritable instrumentalisation de la diabolisation en matière de géopolitique. Le Camp du Bien œuvre pour légitimer ce qui sert ses intérêts. En usant d’instruments de propagande, de ce "complexe militaro-intellectuel" décrit par Pierre Conesa, l’Occident a su transformer ses alliés en Diable à abattre au nom de prétendues valeurs démocratiques. Une pratique généralisée qui a conduit, par un droit international à géométrie à véritable, à une perte de crédibilité globale.

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00:00Quand on veut tuer son chien, on dit qu'il a la rage. Voilà comment on pourrait résumer ces dernières années de géopolitique internationale.
00:13C'est aussi comme ça que l'on pourrait peut-être commencer pour présenter cet ouvrage « Qui est le diable, l'autre ou l'Occident ? ».
00:18Régis Le Saumier, bonjour. Bonjour Élise. C'est votre dernier livre. Vous êtes grand reporter, ancien directeur adjoint de la rédaction de Paris Match.
00:27Vous êtes cofondateur et directeur de la rédaction d'Omerta actuellement. Ce nouveau livre, Régis Le Saumier, vous le présentez avec des portraits de ces fameux diables que l'on connaît bien au XXIe siècle.
00:40Finalement, diaboliser l'ennemi, c'est fondamental pour que tous les coups soient permis.
00:46Ça existe depuis la nuit des temps. Le diable, d'abord, la notion du diable est structurante pour beaucoup de sociétés, même dans la nôtre, puisque je fais le constat d'ailleurs que Dieu a moins d'importance, mais le diable reste totalement pertinent.
01:01Et on a toujours, évidemment, essayé de mettre Dieu dans notre camp. L'armée allemande portait une boue qui avait marqué « Gott mit uns », Dieu avec nous, et c'était pareil pour l'armée française en 1914.
01:15En fait, on dit toujours qu'on est dans le sens du bien, et en face, évidemment, c'est le mal, c'est la démonisation, l'idée étant de montrer l'adversaire sous ses pires oripeaux pour pouvoir justement se mettre en valeur et éventuellement évacuer des choses qu'on n'a pas tout à fait envie de montrer aussi.
01:35En fait, cette notion est extrêmement pertinente, mais elle a pris, avec l'âge médiatique dans lequel nous vivons, une coloration particulière, une coloration, je dirais, d'excommunication, c'est-à-dire que des personnages, et c'est ça qui m'intéressait dans le livre, et j'ai voulu revoir les quelques 20-30 années qui se sont passées à l'aune de ce concept, des personnages qui ont été dans notre camp, je pense à Saddam Hussein en particulier,
02:04c'est peut-être l'exemple le plus parachevé de quelqu'un qui n'a jamais été un saint, mais qui avait une utilité, une fonction dans, on va dire, l'échiquier international, et surtout pour l'Occident, puisque c'était celui qui servait de bouclier face à l'expansionnisme iranien, qui était déjà à l'œuvre à l'époque, Saddam ayant même déclenché une guerre que nous avons financée, nous l'avons armée, une guerre qu'on a oubliée complètement, la guerre Iran-Irak, qui a fait quand même un million de morts.
02:33Donc ce n'est pas rien qui a duré 10 ans, et pour laquelle finalement il a permis, on va dire, il nous a servi de bouclier. Le même Saddam Hussein…
02:41– C'était proxy occidental quelque part.
02:43– Quelque part, voilà, et il y en a eu d'autres, je parle évidemment de Kadhafi, Bachar al-Assad pour le vernis, on va dire, moderniste que lui trouvait, pour la Syrie que lui trouvait Jacques Chirac, par exemple, le fait qu'on va utiliser ces gens et d'un coup, à travers un processus, pour des raisons qui nous sont, on va dire, particulières, où il y a un changement dans notre approche de la géopolitique ou dans nos intérêts,
03:11la personne tout à coup devient, est excommuniée, mais excommuniée en notre temps, ça veut dire, c'est le nouvel Hitler, il faut s'en débarrasser, sinon c'est une menace pour la planète.
03:21Je me souviens en particulier de Saddam Hussein, je pense que c'est vraiment l'exemple parachevé, même s'il y en a d'autres.
03:27Vladimir Poutine, je prends l'exemple de Vladimir Poutine quand Emmanuel Macron est élu, la première démarche qu'Emmanuel Macron fait à l'international, c'est d'inviter Vladimir Poutine, de le recevoir à Versailles, en grande pompe, en espérant remettre à zéro les relations franco-russes et partir sur des nouvelles bases,
03:50donc on utilise tout le faste de Versailles, Emmanuel Macron n'est absolument pas obligé d'inviter Vladimir Poutine à Versailles, et on fait d'ailleurs même les accords de trianon, de coopération, donc il y a tout un chantier qui est mis en œuvre, diplomatique,
04:06et aujourd'hui, évidemment, Poutine, après l'agression contre l'Ukraine, est devenu démonisé, comme un personnage qu'on veut abattre, dont on va mettre à terre l'économie, mais je trouve qu'il y a une répétition, c'est pour ça que j'ai fait ce livre, il y a une répétition de ce type de comportement, avec à chaque fois, et là j'en viens à l'âge médiatique, une narration imposée.
04:32Et c'est ça qui me dérange en tant que journaliste, moi je suis journaliste, je suis un homme de fait, quand je vais quelque part sur un théâtre, quand je vais faire une histoire au bout du monde, si l'histoire telle que je l'imaginais n'est pas telle que je la vois, je ne vais pas rester dans l'histoire telle que je l'imaginais.
04:50Je vais raconter que les rebelles, machin, ils torturent aussi, ils ont assassiné, que des personnages avec qui j'ai pu traîner en Syrie sont des véritables assassins, je vais le dire, voilà, je vais le dire parce que c'est mon job, et aussi, parfois, la personne, justement, le mauvais camp ou le camp d'en face, je vais essayer de raconter aussi ce qui s'y passe.
05:14Moi j'ai toujours eu le goût de l'autre, en fait, et l'autre, parfois, est le diable, c'est-à-dire, pourquoi le goût de l'autre, ça veut dire que je ne me suis jamais contenté quand j'allais sur les champs de bataille avec l'armée française, par exemple, sur Barkhane, ou avec l'armée américaine en Irak, j'ai passé un temps considérable avec l'armée américaine, d'abord, j'habitais aux États-Unis, j'étais correspondant de Paris Match, c'est pour ça que j'allais avec les GIs,
05:38quand j'avais un GIs qui, dans un quartier chiite, en observant les portraits qu'il y avait, me disait, c'est incroyable, il y a des portraits du Christ, c'est pour nous accueillir, alors que c'était l'imam Ali, je ne vais pas ne pas le raconter, ça, vous voyez, même si ça fait partie des gens avec qui je suis, qui sont les plus civilisés, peut-être, par rapport aux chiites qui sont en face, encore que, mais, voilà, ce que je veux dire, c'est, je me suis toujours projeté en essayant d'imaginer ce qui se passait en face, ce qui se passait de l'autre côté,
06:06et quand on gratte, et quand on y va, et c'est pour ça aussi que j'ai fait ce livre, parce que la vérité du terrain, qui est le nom d'un des livres que j'avais écrits avant, vous éclaire parfois, et vous disent, on est à côté de la plaque, on essaie d'expliquer ça, mais en fait, en réalité, quand on va sur place, c'est aussi un livre pour encourager les gens à aller sur place.
06:26– Alors justement, vous parlez de compréhension multiple, c'est ce narratif-là dont vous parliez, paradoxalement, c'est un peu ce que racontait d'ailleurs Pierre Conesa, qu'on a déjà reçu ici, le fameux complexe militaro, bien sûr, à plusieurs reprises, le fameux complexe militaro intellectuel.
06:42Finalement, vous disiez tout à l'heure, il y a ce fameux camp du bien qui se réclame de Dieu par opposition au diable, on a le sentiment quelque part que ça autorise tout, notamment tuer le diable, puisque vous avez parlé de Saddam Hussein, il a finalement été condamné à mort, on peut penser aussi à Kadhafi, le leader libyen, qui a été assassiné dans des conditions pas très droits de l'hommesse, que j'allais dire, ça permet de tout faire.
07:11– On a le droit de tout tuer, c'est-à-dire, quand vous sortez et vous revenez et qu'on vous met au visage le côté artificiel, et quand vous revenez de ces reportages-là, à l'époque, je me souviens, j'étais passé sur France Culture, quelques confrères ont noté, voilà, on trouvait, on est satisfait, on dit on a fait un job, et puis on revient, on est soulagé.
07:39Aujourd'hui, le problème, c'est quand on revient chez nous, on risque d'être snipé, on risque d'être, attention, on n'est pas allé dans le bon camp, on est allé en Russie, il a passé deux semaines avec des soldats russes, il y en a d'autres qui ont fait ce côté ukrainien, et c'est très bien, il faut quand même montrer les deux réalités.
07:59Mais non, ça ne fonctionne plus, pourquoi ? Parce que je vous dis, on est aujourd'hui dans l'ère des narrations, c'est-à-dire qu'il faut imposer une narration et que toute entorse à cette narration est considérée, et de toute façon excluante, ou considérée comme faisant le jeu de l'adversaire.
08:15– Ce point de non-retour, vous le racontez très bien dans ce livre, chers amis, évidemment, c'est sur la boutique de TVL, sur tvl.fr, vous pouvez y aller dès à présent.
08:23Vous le racontez très bien, notamment avec cette fameuse interview de Bachar el-Assad, où concrètement il y a un avant et un après pour vous, une fois que, vous le dites d'ailleurs, j'ai approché le diable, c'est…
08:33– J'étais contaminé, oui, j'étais contaminé, d'autres aussi ont eu des soucis, enfin, je pense à Jean-Clement Bruneau, à David Pujadas, qui à l'époque, à chaque fois que quelqu'un approchait Bachar, il fallait, c'était, on a l'impression…
08:47– Il fallait un cercle de décompression.
08:49– Oui, où il y avait des conditions à poser, il y avait des questions à poser, moi j'avais posé toutes les questions, sauf que ce n'était pas prévu, en fait j'avais décroché cette interview, j'avais travaillé dans mon coin,
08:59j'avais passé deux ans à la négocier avec une personne en Syrie, d'ailleurs dont j'ai eu des nouvelles depuis la chute de Bachar, qui est toujours en Syrie d'ailleurs, enfin c'est très étonnant ce qui se passe en ce moment,
09:13mais là aussi ça ne correspond pas tout à fait au narratif, voilà, et donc j'étais tellement heureux d'avoir eu un scoop, j'étais à Paris Match, c'était la culture du scoop.
09:26– Et vous attendiez à être interrogé par tous vos confrères, raconte-nous cette histoire, et pas du tout.
09:31– Pas du tout, je me suis pris en frontale Laurent Fabius, qui était ministre des affaires étrangères à l'époque, comme quoi c'était scandaleux, etc.
09:39– Vous avez interrogé un homme qui ne méritait pas d'être sur terre.
09:42– C'est ça, c'est ce qu'il avait dit, mais surtout, j'avais posé un micro, enfin j'avais tendu le micro, ça voulait dire, moi j'essayais de comprendre,
09:51pourquoi à l'époque où je l'ai interviewé, il y avait déjà 200 000 morts, 3 millions de Syriens qui étaient à l'étranger, et je voulais essayer d'approcher,
10:00mes questions étaient visées à essayer de comprendre la relation, la nature de la relation entre Bachar el-Assad et son peuple.
10:07C'est quelqu'un qui avait vécu à l'étranger, et ce que j'ai trouvé, c'est que cette vie à l'étranger, cette occidentalisation du personnage,
10:15ce côté, ce caractère bien propre sur lui, etc., son côté un peu geek aussi, très branché informatique que j'ai remarqué,
10:25faisait qu'il était un peu déconnecté de la réalité syrienne, ce qui n'est pas du tout le cas de son père Hafez,
10:32qui était un Alaouite pauvre, premier dans sa famille à être allé à l'école, etc.,
10:36qui avait une vraie notion du rapport fondamental, on va dire, qui existe en Syrie, c'est-à-dire entre la minorité Alaouite et la majorité sunnite.
10:45Et en fait, déjà d'avoir réussi à mettre en lumière des choses comme ça, à travers cette interview, pour moi j'apportais ma pierre à l'édifice.
10:54– Le problème de votre pierre à l'édifice, c'est quand vous comprenez avec cet entretien que Bachar el-Assad vous explique
10:59qu'États-Unis et États islamiques marchent main dans la main pour le frapper.
11:03– Alors oui, d'une certaine façon, il y a ça.
11:06Alors après, vous savez, toutes les apparences, ce qui est clair, c'est qu'il dit,
11:12il joue la carte des religieux fondamentalistes contre moi et contre les laïcs pour briser la Syrie, en fait.
11:19Fondamentalement, il n'a pas entièrement tort quand on dit ça, mais vous vous rendez compte,
11:23aujourd'hui on peut l'analyser, à l'époque c'était impossible de dire un truc comme ça, c'était pas possible.
11:29Pourtant ça s'était déjà produit avec les talibans.
11:31Ce qui est intéressant avec les talibans, c'est qu'on a un jeu, enfin avec les moudjaïdines
11:36qui ont précédé les talibans, où les américains ont joué cette carte des religieux fondamentalistes,
11:40quitte à faire exploser le pays à cause d'eux ou grâce à eux, et en fait à briser la nation,
11:49et ça peu importe le coup, et ce qu'on peut se rendre compte aussi,
11:53c'est qu'en général ça fait des décennies de carnages et des décennies de chaos.
11:58Et même si les talibans sont arrivés au pouvoir, qu'ils avaient maintenu un semblant de l'unité nationale,
12:04ils ont accueilli Ben Laden, il y a eu le 11 septembre, enfin tout ça c'est lié.
12:08Et à chaque fois, on joue cette carte du religieux.
12:11Les talibans reviennent 20 ans après, on se dit, ah oui, souvenez-vous, août 2021,
12:15ils vont être inclusifs, Jean-Yves Le Drian avait dit, qui était ministre des affaires étrangères à l'époque,
12:21qu'il pensait qu'il y aurait une personnalité d'opposition, etc.
12:25En réalité, rien ne s'est fait de tout ça, et les femmes ont été invisibilisées plus que jamais,
12:31ils ont rendu invisible la moitié du pays en fait, sa part féminine, et on n'a rien dit, et on n'a rien fait.
12:40– En même temps, est-ce que ça nous regarde ?
12:42– Oui, mais au vu de ce qu'on a investi en Afghanistan, oui, peut-être un peu,
12:47au vu des 80 et quelques soldats morts là-bas, pourquoi finalement ?
12:52Pour redonner les clés aux maîtres d'antan qu'on était venus chasser.
12:57Et là, sur la question de la Syrie, on remarque qu'on reparticipe d'une espèce de narration
13:04autour d'un type, qu'Emmanuel Macron a appelé, qui va recevoir à l'Élysée,
13:09qui est quand même un ancien de l'État islamique.
13:11– Mais qui est modéré maintenant.
13:13– Modéré maintenant, les talibans aussi l'étaient modéré maintenant.
13:15On a dit, mais non, ça n'a rien à voir avec les premiers, et vous allez voir, ils sont beaucoup plus sympas.
13:20Effectivement, ils ont joué, ils ont fait venir des journalistes, ils se sont montrés.
13:24– Ils ont mis un beau costume.
13:25– C'était presque la fleur au fusil.
13:26Alors lui, il est passé chez Armani, ou je sais qui, pour son costume,
13:31et il s'est taillé la barbe.
13:33Aujourd'hui, on a presque l'impression qu'il ressemble à Cyril Hanouna.
13:37Il n'a pas le t-shirt encore, mais c'est presque demain…
13:41– Sinon, ça serait Zelensky.
13:43– C'est presque demain, on va faire la gay pride à Damas, l'ouverture.
13:48Et en réalité, il faut voir ce que c'est, ce qu'il y a derrière.
13:51Et je crois qu'on retombe…
13:55Un ami me disait l'autre jour, en fait, c'est les inconnus qui ont tout inventé.
14:01Et les inconnus, vous vous souvenez du sketch avec le bon chasseur, le mauvais chasseur ?
14:06Là, il y a le bon djihadiste et le mauvais djihadiste.
14:10Vous avez aussi, en Ukraine, le bon nazi et le mauvais nazi.
14:14Ah oui, Azov, oui, mais ils ont beaucoup changé.
14:17Ils ont purgé les éléments.
14:19Ah oui, mais ils ont quand même l'emblème de la Das Reich.
14:22Oui, mais vous comprenez, ils participent à…
14:25– C'était remasturisé.
14:26– Le vrai nazi, c'est Poutine.
14:28Et on tombe dans une narration où n'importe quelle abomination commise,
14:32parce qu'en Syrie, on va être un peu sérieux aussi,
14:34en Syrie, en ce moment, il y a des véritables règlements de comptes qui se font.
14:38Et pas uniquement parce que des gens ont eu des comportements immondes
14:43à l'époque où ils étaient serviteurs du régime,
14:46simplement parce que des gens sont à la huit, ils sont éliminés.
14:49Les chrétiens aussi sont menacés.
14:51Donc, voilà, ça, ça se passe, et ces signes-là,
14:55même les druses, dans le sud de la Syrie, à Swaïda,
15:00d'abord, ils ont demandé à garder leurs armes.
15:03Il n'y a pas de confiance, si vous voulez.
15:05Donc, voilà, on est face à ce pays.
15:07Mais nous, on appelle le gars, viens à l'Élysée,
15:09tac, tac, on se tape dans la main et tout va bien.
15:12Non, mais stop, quoi ! Stop !
15:15– J'aimerais revenir sur un point, Régis Le Sommier,
15:17il est dans votre titre, qui est le diable, l'autre ou l'Occident ?
15:20On voit finalement ce duel entre l'Occident et le reste du monde.
15:23Aujourd'hui, quand on voit le retour au pouvoir de Donald Trump,
15:27qui est par excellence le leader occidental, du moins normalement,
15:31on a le sentiment qu'aujourd'hui, cette dichotomie, elle est un peu chamboulée.
15:35Ce n'est plus uniquement l'autre et l'Occident, l'Occident est duel lui-même.
15:38– Alors, l'Occident est duel et l'Occident aussi prend en compte
15:48des méfaits ou des évolutions dont je parle dans le livre.
15:52C'est-à-dire que, quand j'ai fait ce livre,
15:55c'est une série d'articles ou de notes que j'avais prises,
16:01en Afrique en particulier, sur plusieurs reportages
16:08faits entre aujourd'hui et sur les cinq dernières années.
16:14Je suis parti beaucoup avec Barkhane, je suis parti beaucoup avec les soldats français,
16:18mais j'ai aussi vu le Mali hors Barkhane, côté gouvernemental,
16:22au sein de la population.
16:24J'y ai passé pas mal de temps et ce qui m'a paru important,
16:29c'est qu'autrefois, pour résumer, autrefois, nous étions perçus,
16:34on va dire il y a dix ans, comme des néocolonialistes
16:40qui restaient dans le pays, en gros, pour piller les richesses.
16:45Donc il y avait une forme de présence française
16:47qui était contestée ou appréciée, il y avait les deux.
16:51Parmi la population, les Maliens n'ont jamais été anti-français,
16:54c'est pas comme les Américains,
16:56nous n'étions pas perçus comme les Américains dans certains pays arabes,
16:59au Moyen-Orient par exemple, jamais.
17:01Dans cette France, Afrique, au Burkina Faso,
17:04on n'avait pas besoin d'escorte pour aller se balader à Ouagadougou,
17:07comment prendre un verre, jusque tard le soir,
17:10il n'y avait zéro problème de violence, zéro problème vis-à-vis de nous.
17:13C'était les forces spéciales françaises à l'époque qui étaient à Ouagadougou,
17:16on les croisait en ville, aujourd'hui c'est complètement impossible,
17:19même avant, la situation s'est dégradée.
17:21La situation s'est dégradée d'un point de vue sécuritaire,
17:23la situation s'est dégradée d'un point de vue politique,
17:25mais plus grave, c'est notre perception,
17:28la perception qu'ils ont de nous, qui a complètement périclité.
17:32Elle a complètement périclité parce que nous ne sommes plus,
17:36non seulement, nous ne sommes plus perçus comme des néocolonialistes
17:40venant piller les richesses, essayant de trafiquer,
17:44mettant au pouvoir un dictateur et renversant un autre, etc.
17:48Ce qu'on a fait dans des pays comme la Centrafrique pendant des années.
17:53Je prends juste cet exemple, mais il y en a d'autres.
17:55– Bien sûr.
17:56– Et l'époque Chirac, où Omar Bongo, les valises de billets,
18:01j'ai interviewé il n'y a pas longtemps Robert Bourgi
18:03qui a écrit un livre là-dessus, absolument édifiant
18:06sur notre rapport financier à l'Afrique, bref.
18:09Mais il y avait quand même…
18:10– Aux dirigeants africains en tout cas.
18:11– Aux dirigeants africains, mais au niveau de la population
18:13et au niveau des dirigeants, il y a quand même une certaine affection.
18:16Les Africains sont des grands affectifs,
18:18et donc il y avait un certain amour pour la France.
18:20Et ce que j'ai remarqué, et c'est pour ça que j'ai écrit ce livre en particulier,
18:23c'est que cet amour a disparu, une partie.
18:25Ce n'est pas de la haine forcément, mais c'est de la méfiance,
18:29comme si nous étions devenus toxiques.
18:31Comme si l'Occident et ce qu'il véhiculait,
18:34alors appelez-le la culture woke, LGBT, le côté permissif, finalement…
18:41– Et le double standard.
18:42– Complètement.
18:43Et puis le fait qu'en intervenant sur des promesses de libération,
18:48de démocratie, comme en Libye, ou de protection des populations,
18:52nous avons semé le chaos dans ces pays, et les gens ne sont pas naïfs,
18:54ils voient bien que ces promesses n'ont pas été tenues,
18:57ni en Irak, ni en Syrie, ni en Libye.
19:00On nous a dit, on va faire, les Américains le disaient,
19:02moi j'étais avec des soldats, je me souviens, c'était leur mantra,
19:06ils disaient, I'm doing, et quand on leur posait la question,
19:09pourquoi vous êtes ici, I'm here to make the gift of freedom,
19:14pour faire le don de la liberté aux Irakiens.
19:18Donc ça c'était… non.
19:21Et ça c'était acceptable.
19:23Ce qui n'est pas acceptable pour eux, c'est qu'ils ont l'impression
19:26que nous fréquenter, être proche de nous,
19:29c'est mettre en péril leur propre mode de vie, leur raison d'être,
19:34que nous sommes devenus une sorte de contre-modèle de l'humanité.
19:38Alors cette attitude, elle existe au sein même de nos populations aussi.
19:42Il y a des gens qui résistent à ces griefs, mais les élites,
19:47enfin une partie des élites, et là on en vient à Donald Trump,
19:50où là il y a une prise en considération que, attention,
19:53si l'Occident, si on ne veut pas que l'Occident disparaisse,
19:55la civilisation européenne, on ne peut pas être déconstruit.
19:59A force d'être tellement déconstruit, on va finir par ne plus exister.
20:03Et voilà, j'ai noté que ces observations-là que j'ai faites en Afrique
20:09étaient valables au Moyen-Orient, elles étaient valables en Russie,
20:12en Asie centrale, finalement beaucoup de gens,
20:16et même en Amérique du Sud, où les gens ont gardé une foi authentique
20:20et où, finalement, la famille reste…
20:24– Traditionnelle.
20:25– Voilà, donc ces sociétés traditionnelles que nous avons la prétention de dire,
20:29oui, la marge du monde fait qu'il faut aller faire plus d'inclusivité,
20:36finalement, au détriment des familles, ça reste 80% de l'humanité.
20:41Et à force, finalement, d'imaginer que les autres allaient nous suivre,
20:45nous, et en particulier, je pense, l'élite française,
20:48je pense que l'entourage d'Emmanuel Macron et Emmanuel Macron lui-même
20:51n'ont pas senti ce qui se passait.
20:54Ils n'ont pas senti qu'en nommant un ambassadeur LGBT
20:57et en l'envoyant au Cabroun, et en voyant que le Cabroun refusait,
21:00pays où l'homosexualité est interdite, refusait de le recevoir,
21:04que c'était l'image de la France, et c'était plus que l'image de la France,
21:09c'est-à-dire qu'ils avaient l'impression qu'on leur inculquait un virus.
21:12Voilà, et c'est vraiment, c'est des discussions,
21:16des heures de discussions avec des maliens.
21:18Je prends ça aussi l'exemple d'une infirmière tchétchène
21:22que j'avais rencontrée sur le front de Barmoutes il y a deux ans,
21:27et je lui posais la question, au départ, j'avais vu qu'elle était tchétchène,
21:31donc je voulais comprendre pourquoi, en tant que tchétchène,
21:35elle était prête à donner sa vie pour Poutine,
21:39le même Poutine ayant, on va dire, bombardé son grand-père, détruit sa ville, etc.
21:48Je voulais comprendre ça, alors je n'ai pas eu tout à fait ma réponse,
21:52mais à un moment, au fil de la conversation, je lui ai dit,
21:55mais, au fait, qu'est-ce que vous pensez de nous ?
21:58Elle m'a regardé et m'a dit, vous êtes le satanisme.
22:02Donc, voilà.
22:04– D'accord.
22:05– Pas moi, j'espère, mais vous êtes le satanisme.
22:10Et je dois avouer qu'en regardant la cérémonie des Jeux Olympiques…
22:16– Vous avez repensé à l'infirmière tchétchène.
22:18– J'ai repensé à l'infirmière tchétchène.
22:20Je me suis dit, en fait, ces gens qui…
22:23Ce qui est intéressant avec cette infirmière, ce qui est intéressant avec d'autres,
22:26c'est que néanmoins, malgré tout ça, en prononçant le mot Paris,
22:30il y a quand même encore la petite étincelle dans l'œil.
22:34Paris reste magique.
22:36Il y a encore une magie française qui est palpable,
22:38que des gens qui ne sont jamais allés en France
22:41ont toujours entendu dire que…
22:43Le soldat américain, par exemple, très enthousiaste,
22:47de dire, ah oui, j'ai demandé ma femme en mariage à Paris,
22:50comme si c'était…
22:52J'aurais pu venir de Berlin ou de Londres,
22:54il n'y aurait pas eu du tout la même magie.
22:57Et elle existe toujours.
22:59C'est pour ça que j'ai toujours foi en la France.
23:03J'en parlais avec le colonel Jacques Augard aussi,
23:06que vous avez dû recevoir, qui était un grand soldat français,
23:10et qui me disait, oui, j'ai de l'espoir pour l'Afrique,
23:14parce que quand Assimi Goïta, le chef de la jeunte au Mali,
23:19ou le colonel Traoré au Burkina,
23:22ou Sonko au Sénégal,
23:26prononcent leur diatribe contre nous,
23:29ils le font en français.
23:31Donc voilà, ça reste toujours notre langue,
23:34il y a toujours ce fond,
23:36il y a toutes ces années qu'on a passées là-bas,
23:38et puis peut-être que notre voix dans le monde
23:40retrouvera sa pertinence.
23:42Moi, je nourris l'espoir, ça je suis assez en phase
23:45avec quelqu'un comme Dominique de Villepin,
23:47même si je ne partage pas tout,
23:49je dois retrouver cette vocation de puissance médiatrice
23:53qui apporte des solutions.
23:55– Cette diplomatie singulière.
23:56– Ce qu'on aurait pu faire au Liban,
23:57mais sur laquelle on a échoué,
23:59et globalement dans le monde arabe,
24:01à défendre des positions proches, on va dire,
24:03des palestiniens radicaux,
24:05tantôt proches des israéliens, proposant des trucs,
24:08en disant, bah oui, le « en même temps »,
24:10on va l'appliquer au Moyen-Orient.
24:12Mais ça ne marche pas comme ça,
24:13il faut garder un socle, voire une colonne vertébrale,
24:16qu'on n'a plus.
24:17– Pour comprendre la colonne vertébrale,
24:19on achète ce livre,
24:20« Qui est le diable, l'autre ou l'occident ? »
24:21C'est aux éditions MaxMilos et bien sûr sur TVL.fr à la rubrique Boutique.
24:26Merci beaucoup Régis Le Sommier.
24:27– Merci Élise.
24:28– Merci à tous.
24:29– Sous-titrage ST' 501

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