Vladimir Poutine, chef d’État russe depuis plus de deux décennies, incarne une trajectoire politique qui s’apparente à celle d’un monarque au XXIème siècle. Personnage complexe : stratège redoutable, chef de guerre qualifié tour à tour de tsar ou de tyran ou de Hitler moderne, Poutine est l’une des figures politiques les plus représentées et caricaturées au monde. Ses choix stratégiques controversés sont présentés comme autant de réponses à l’hégémonie occidentale. Poutine est décrit non seulement comme un chef d’État, mais aussi comme le porte-parole, voire l’architecte d’un nouvel ordre mondial opposant l’Occident au reste du globe. Dans son ouvrage "Vladimir Poutine et la Russie - Biographie politique d'un monarque au XXIème siècle, analyses des enjeux russes", Jean-Robert Raviot, directeur du Master des études russes et post-soviétiques à Paris-Nanterre, replace Poutine dans son contexte et cherche à offrir une perspective équilibrée sur les motivations du Kremlin, aidant à comprendre les logiques sous-jacentes à ses relations parfois tendues avec l’Occident.
Catégorie
🗞
NewsTranscription
00:00Bonjour à tous, on est aujourd'hui avec Jean-Robert Raviot. Bonjour Monsieur.
00:10Bonjour Monsieur.
00:11Jean-Robert Raviot, professeur à l'université Paris-Nanterre en études russes et post-soviétiques.
00:18Vous avez dirigé, Monsieur, les collèges universitaires français de Saint-Pétersbourg et de Moscou.
00:25Et vous publiez cet ouvrage, une biographie, Vladimir Poutine et la Russie, biographie politique d'un monarque au XXIe siècle.
00:34Analyse et enjeux, alors commençons par le début.
00:38Vladimir Poutine a déjà évoqué son enfance alors qu'il était déjà président de la Fédération de Russie.
00:45Auprès de journalistes, voici ce qu'il disait.
00:48Il disait, moi je n'étais pas un bon petit pionnier, j'étais un garçon des cours, un hooligan.
00:54Alors pour la référence, un bon petit pionnier, c'est la référence à ce qu'était cette association pour jeunes communistes.
01:03Que reste-t-il aujourd'hui, Jean-Robert Raviot, du jeune Vladimir Poutine hooligan ?
01:09Il reste en réalité beaucoup de choses.
01:12Je dirais qu'il reste une certaine individualité difficilement saisissable dans les cadres, je dirais, des biographies politiques des élites soviétiques et post-soviétiques.
01:22C'est quelqu'un qui, sous quel angle qu'on le considère, ne rentre jamais tout à fait dans les cases.
01:29Ce qui rend l'écriture d'une biographie intéressante.
01:33Et il reste aussi quelqu'un de profondément, je dirais, individualiste.
01:38Quelque chose d'assez irréductible.
01:40Alors oui, un libéral à un certain moment, c'est vrai.
01:44Notamment, je cite les propos d'un de ses camarades de bureau du KGB, quand il était en Allemagne de l'Est, en poste entre 1985 et 1989,
01:52qui raconte beaucoup de choses sur la vie intime de Vladimir Poutine à l'époque, en expatriation en Allemagne de l'Est,
01:59et qui raconte certaines de leurs conversations.
02:02Et effectivement, Vladimir Poutine tient des propos sur la propriété privée, s'insurge contre l'incapacite valable,
02:12le système soviétique où il n'y avait pas de propriété privée, où on ne pouvait pas transmettre ses biens, etc.
02:17Donc c'est des propos intéressants, parce que ça montre qu'à l'époque soviétique, c'est quelqu'un qui avait un positionnement
02:23qui n'était pas rare, mais qui n'était quand même pas du tout complètement dans la ligne.
02:28– Il dit ceci par exemple, travailler pour soi et pouvoir transmettre le fruit de son travail à ses descendants,
02:35c'est une loi naturelle, ou encore, en travaillant pour soi, on fait le bien de la société.
02:39– Absolument, ça on dirait presque la fable de Mandeville, enfin j'exagère un peu,
02:43mais c'est vrai que c'est une profession de foi libérale relativement,
02:47enfin qu'on ne s'attendrait pas à trouver dans la bouche de Vladimir Poutine,
02:50et qui est rapportée par son camarade des années 80, son camarade du bureau.
02:56Ce qui reste de ce Vladimir Poutine, on pourrait dire hors cadre, un peu hors des cadres,
03:04c'est un certain nombre de discours aujourd'hui, qui ne collent pas non plus tout à fait avec l'image de l'homme d'État,
03:11et j'ai dans mon livre, vers la fin, consigné un certain nombre de citations, un peu étranges,
03:19on connaît surtout la citation de Mill, où il dit qu'il ira, je cite,
03:25buter les terroristes s'il le faut, jusque dans les chiottes, le terme étant un peu fort.
03:31– Il a un petit sourire d'ailleurs quand il le dit.
03:33– Un petit sourire, mais il y en a d'autres, je suis un des rares démocrates
03:37qui reste aujourd'hui depuis la mort de Gandhi, donc qui sont des phrases,
03:41qui sont à la fois sibyllines, provocatrices, et qui effectivement ne collent pas
03:46avec la communication du discours très contrôlé de Vladimir Poutine,
03:50qui fait partie de son identité politique, et qui est aussi une des raisons pour lesquelles
03:58il garde, après 25 ans de pouvoir ou presque, une grande légitimité auprès de la population,
04:07cette maîtrise de la langue, cette maîtrise du discours,
04:10et pour beaucoup, dans la popularité qu'il a pu susciter.
04:13– Alors, il apprend l'allemand, assez jeune, il obtient un diplôme de droit
04:20à l'université de Leningrad, il entre alors au KGB en 1975,
04:26où, dites-vous, il ne fera pas une carrière très brillante,
04:30il est néanmoins, vous le décrivez ainsi, un agent loyal, patriote, conscientieux,
04:35très peu politisé, très prudent, il est à Dresde en 1989,
04:40quand il assiste à la chute du mur de Berlin, comment vit-il cet événement ?
04:44– Alors ça, je pense que c'est vraiment quelque chose de très très important,
04:47à la fois son séjour en Allemagne de l'Est, cette mission qu'il va réaliser
04:53pendant 4 ans, entre 1985 et 1989, sur laquelle d'ailleurs, je le rapporte dans le livre,
05:01il y a plusieurs hypothèses sur ses fonctions réelles pendant la période,
05:08une des difficultés d'écrire la biographie d'un homme qui est encore chef d'État,
05:13qui est encore en activité, dont la carrière n'est pas terminée,
05:17c'est d'écrire sans archive, et avec un recul assez faible sur le personnage.
05:23Donc, je me suis beaucoup appuyé sur des récits, sur d'autres, comment dirais-je,
05:28d'autres récits, notamment de témoins ou de personnes qui l'ont côtoyé,
05:33et effectivement, sur cette période de Dreyfus, il y a beaucoup, beaucoup,
05:36il y a plusieurs récits différents, sur ce qu'il aurait fait,
05:40quelles étaient ses missions réelles.
05:43Ce qui est certain, et ce qui est rapporté par lui directement,
05:46dans son autobiographie qui a été publiée en 2000,
05:48c'est le choc qui a été celui de la chute du mur de Berlin,
05:54le choc de voir tout d'un coup des manifestations de rue
05:57dans les villes d'Allemagne de l'Est à partir de l'automne 1989,
06:00la chute du mur proprement dite, et puis toute l'après chute du mur
06:04et la réunification allemande, et puis donc l'opération de retrait
06:08des troupes soviétiques, alors dans un premier temps,
06:10retrait des soviétiques qui étaient présents en Allemagne de l'Est,
06:13dont les gebbistes, le KGB présent en Allemagne de l'Est,
06:18dont la station de Dresde, et puis le retrait plus géopolitique
06:23de l'URSS, le changement de l'architecture de sécurité européenne,
06:29l'extension de l'OTAN, etc., tous ces événements,
06:35il les a vécus dans sa chaire, et ils ont occasionné
06:39cette chute de l'URSS dont il dira, c'est une des grandes citations de Poutine
06:43qui est une des plus connues, celui qui ne regrette pas
06:47l'URSS n'a pas de cœur, mais celui qui en est nostalgique
06:51n'a pas de cervelle, bien sûr on est attaché,
06:55mais en même temps, cette URSS n'était pas viable,
06:58et intellectuellement complètement faux de devoir y rester attaché,
07:02donc cette phrase, elle traduit non seulement une analyse
07:08de l'histoire, mais ça traduit aussi quelque chose qu'il a vécu
07:11dans sa chaire, je pense que c'est quelqu'un qui a vécu
07:14cette transformation dans sa chaire, au sens où son destin
07:19a été complètement bouleversé, il revient en Allemagne de l'Est,
07:23et que va-t-il faire ? Et c'est à ce moment-là qu'il quitte le KGB.
07:26– En 1991. – En 1990 de manière factuelle,
07:31enfin de fait, et puis en 1991 officiellement, et qu'il va entrer
07:35petit à petit dans la vie politique russe post-soviétique
07:39à la mairie de Saint-Pétersbourg, et qu'il va véritablement basculer
07:42dans un autre monde. – Voilà, donc il intègre l'équipe
07:44à ce moment-là de son ancien professeur de droit,
07:48Anatoly Sobchak, futur maire de Saint-Pétersbourg,
07:51il va devenir son éminence grise, à partir de là, on est en 1996,
07:57comment cette entrée dans la politique va le mener à la fonction suprême ?
08:02– Alors, il entre d'abord à la mairie de Saint-Pétersbourg,
08:05comme vous l'avez dit, éminence grise, mais il est surtout aussi
08:08premier adjoint de Sobchak, chargé des relations économiques
08:12extérieures de la ville, ce qui va lui permettre d'avoir une fonction
08:16qui n'est pas une fonction de premier plan politique,
08:19mais qui est une fonction de premier plan stratégique,
08:22il ne faut pas oublier que Saint-Pétersbourg est la deuxième ville de Russie,
08:255 millions d'habitants, un grand port sur la mer Baltique,
08:28et une interface logistique et économique dans les relations
08:35de la Russie vers l'Europe, donc c'est vraiment un poste clé.
08:38Il n'est pas exposé politiquement, mais il est vraiment au cœur
08:41de tous les réseaux, et de tous les réseaux de cette Russie
08:45qui se privatise et qui s'ouvre au capitalisme.
08:48Alors ces réseaux d'abord, et avant tout, je dirais économiques,
08:51industriels, financiers, à la fois occidentaux, mais aussi russes.
08:55Alors cette fonction, il va la garder pendant 5 ans,
08:58et puis en 1996, comme vous l'avez dit effectivement,
09:00Patatra, le maire de Saint-Pétersbourg-Sobchak,
09:03qui est véritablement pour Poutine une sorte de mentor,
09:08peut-être davantage qu'un patron, il a noué des liens avec lui
09:15personnels extrêmement forts.
09:17La seule fois où on a vu Poutine réellement ému,
09:20avec la larme à l'œil, enfin on l'a vu plusieurs fois
09:23la larme à l'œil, mais lors d'un enterrement,
09:25c'est l'enterrement d'Anatoly Sobchak un peu plus tard.
09:29Donc pour lui, Sobchak est vraiment un homme
09:33qui va déterminer sa carrière, puisque Sobchak est battu aux élections.
09:37Et cette élection extrêmement violente et extrêmement conflictuelle
09:42municipale à Saint-Pétersbourg de 1996,
09:45va déterminer la carrière de Poutine,
09:47parce que dans un premier temps, Poutine va se retrouver
09:49vraiment en situation extrêmement conflictuelle
09:52au premier plan d'une lutte politique.
09:54Il ne sera jamais plus après pour défendre Sobchak,
09:58mais Sobchak va perdre cette élection.
10:00Et Sobchak va appeler le président Yeltsin à Moscou en disant
10:03j'ai perdu l'élection, mais j'ai avec moi
10:05beaucoup de gens extrêmement valables.
10:08Et une grande partie de l'équipe de Sobchak
10:11va passer au Kremlin à Moscou.
10:13Il va être réintégré en 1996, en juin à juillet 1996.
10:17C'est comme ça que Poutine fait son entrée au Kremlin,
10:19fait son entrée à Moscou et fait son entrée
10:22dans ce qu'on appelle la famille Simia,
10:26qui est ce nom qui désigne l'entourage politique, familial
10:31et je dirais le pouvoir informel autour du Kremlin de Yeltsin.
10:35Un Kremlin de Yeltsin dirigé par un homme
10:38qui est au centre des réseaux, mais qui n'est plus non plus
10:41en position de force, il est malade, il est fatigué
10:44et il est très souvent d'ailleurs peu, il ne maîtrise pas
10:49toutes les décisions qu'il peut prendre.
10:51Et c'est comme ça que Poutine va successivement
10:54d'abord être dans l'administration présidentielle,
10:57puis être nommé en 1998 directeur du FSB,
11:01donc du service de renseignement qui a succédé au KGB
11:06à l'époque post-soviétique.
11:08Et en 1999, Poutine est appelé au poste de Premier ministre
11:12pour sauver la situation, pour sauver ce qu'on peut appeler
11:17le parti du Kremlin.
11:18Et c'est là que tout d'un coup il va se révéler
11:21comme le successeur, on va dire, entre guillemets,
11:23naturel de Yeltsin et qu'en espace de quelques semaines…
11:28– Par son action contre le terrorisme.
11:30– Par son action, par son image, par le contraste
11:34qu'il parvient à générer avec le président sortant,
11:38aussi par toute une industrie de la communication
11:41et des soutiens oligarchiques.
11:44Le parti du pouvoir au Kremlin soutient évidemment Poutine
11:47qui est le candidat de la succession,
11:50c'est le successeur désigné de Boris Yeltsin.
11:53Il va devenir président par intérim, puis président tout court
11:57en mars 2000 et ne plus quitter le poste pendant maintenant
12:0224-25 ans, à part les 4 ans 2008-2012.
12:06– Alors il arrive au poste donc en mars 2000.
12:09La première politique qu'il va mettre en œuvre consiste
12:13à rétablir ce qu'il appelle une verticale du pouvoir.
12:17Donc comment s'y prend-il et quels sont ses résultats ?
12:20– Alors, rétablir la verticale du pouvoir
12:23et instaurer la dictature de la loi.
12:25C'était les deux grands slogans de l'époque.
12:28Qu'est-ce que c'est que la verticale du pouvoir ?
12:30C'est tout simplement rétablir en Russie
12:33l'autorité du droit fédéral sur l'ensemble du territoire.
12:36C'est-à-dire faire en sorte que le droit appliqué,
12:39les lois et les décrets qui sont pris à Moscou,
12:42soit à la Douma ou par l'administration présidentielle,
12:45soient réellement appliqués sur l'ensemble du territoire,
12:47ce qui n'était pas le cas.
12:48Ce qui n'était pas le cas parce qu'avec la chute de l'URSS,
12:51on était dans une situation dans les années 90 extrêmement complexe
12:55où le président Yeltsin, qui n'avait pas de majorité parlementaire,
12:59a été obligé de s'appuyer sur les gouverneurs des régions,
13:03les présidents des républiques, c'est-à-dire sur les élites régionales
13:06pour pouvoir gouverner.
13:08Ce qui fait que ça a créé un système fédéral
13:10qui reposait sur une sorte de dialogue permanent,
13:13de négociation permanente entre le Kremlin et les chefs des régions.
13:17Et c'est ça justement qui va être complètement renversé par Poutine,
13:22qui va pouvoir rétablir l'autorité du pouvoir central,
13:25recentraliser pour faire simple, le système administratif.
13:29Et je dirais qu'il y a trois dimensions importantes.
13:32Il y a une dimension politique d'abord.
13:34Donc ça va s'appuyer sur une majorité parlementaire.
13:36Pour la première fois, le président va pouvoir bénéficier
13:40d'une majorité à la Douma, ce qui n'était pas le cas de Yeltsin.
13:44Et donc mettre en place un parti qui s'appelle Russie Unie,
13:48qui est toujours là, qui va avoir une majorité parlementaire
13:51et qui ensuite va garder cette majorité parlementaire jusqu'à aujourd'hui.
13:55Majorité, même des deux tiers, qui ne ferait pas lire d'envie
13:59nos dirigeants français actuels qui n'arrivent pas à trouver majorité.
14:02Donc cette majorité, cette recentralisation politique
14:06va permettre une recentralisation administrative,
14:09donc restaurer l'autorité du pouvoir central sur les régions.
14:14Mais ça s'accompagne également, et je pense que c'est essentiel
14:16de le rappeler et je le rappelle dans le livre,
14:18de toute une dimension économique et fiscale,
14:21notamment le rétablissement de la verticale du pouvoir.
14:25C'est aussi faire rentrer de l'argent dans les caisses
14:30de l'État fédéral qui n'en avait plus.
14:32Et qui, de fait, du déséquilibre qu'il y a de pouvoir
14:35entre les régions et le centre, avait du mal à faire rentrer
14:37de l'argent dans les caisses.
14:38C'est-à-dire pour que l'État redevienne fort,
14:41il faut d'abord que l'État ait des moyens financiers.
14:45Et donc la restauration de la verticale du pouvoir
14:48passe par une restauration de la capacité budgétaire de l'État.
14:53Et ça va être, je dirais, la politique poutinienne de 2000 à 2004,
14:57qui n'est pas, quand je dis politique poutinienne,
14:59c'est une politique qui était réclamée par l'administration fédérale.
15:03– De restauration de l'autorité de l'État.
15:05– Depuis 80, depuis, je dirais, les années de privatisation,
15:0994, 95, l'administration fédérale à Moscou réclamait cette politique.
15:15Donc c'est pas du tout, tout d'un coup,
15:17Poutine arrive et va inventer une nouvelle politique.
15:20Il surfe, si on peut dire, sur une demande,
15:23qui est celle de l'élite administrative à Moscou,
15:26qui comprend que pour restaurer un État fonctionnel et puissant,
15:30il faut absolument restaurer les finances de cet État.
15:32Et c'est à quoi il va s'employer.
15:34Je dirais que c'est la phase 1 du poutinisme,
15:36et qui est effectivement une phase menée avec succès,
15:40dans un contexte favorable, puisque c'est le moment où le dollar,
15:44pardon, le prix de pétrole augmente considérablement sur les marchés,
15:47et ça va permettre d'engranger aussi beaucoup d'argent,
15:50de mettre beaucoup d'argent dans les caisses,
15:52et de restaurer la puissance budgétaire de l'État, grâce aux ventes d'énergie.
15:58– Poutine s'occupe dans un premier temps de la Russie,
16:01cela ne l'empêche pas de voir ce qui se passe autour de lui.
16:04Le 10 février 2007, il prononce un discours à Munich,
16:08devant les responsables occidentaux, Angela Merkel est là,
16:12le secrétaire général de l'OTAN l'écoute.
16:15Ce discours va marquer une rupture dans la politique extérieure russe.
16:21Pourquoi intervient cette rupture ?
16:24– Alors ce discours, il marque une rupture effectivement,
16:26on peut le dire aujourd'hui, avec le recul historique,
16:29c'est vraiment un tournant.
16:31Ce discours du 10 février 2007 à Munich, je l'ai relu,
16:35je cite des extraits assez larges,
16:38parce qu'il me semble être peut-être l'un des discours
16:40les plus importants de Vladimir Poutine.
16:43Cette rupture, elle n'est pas soudaine, c'est pas du tout…
16:49il ne faudrait pas croire qu'on est dans une lune de miel avec l'Occident,
16:53et puis tout d'un coup, pof, Poutine décide de rompre,
16:56et hop, on passe à autre chose.
16:57C'est quelque chose de beaucoup plus évolutif.
17:00Lune de miel y a-t-il eu d'ailleurs avec l'Occident ?
17:03Il y a eu des bonnes relations…
17:04– Après les attentats du 11 septembre, vous dites,
17:06il est prêt à faire la guerre contre le terrorisme auprès des États-Unis ?
17:11– Il y a une volonté d'avoir une relation de proximité, de coopérer,
17:15et alors dans les années 90, effectivement,
17:18la Russie était en position de très grande faiblesse,
17:21après la chute de l'URSS,
17:23faiblesse d'abord et aussi économique et budgétaire.
17:26C'est-à-dire que la Russie était très déficitaire,
17:29elle avait une dette très importante,
17:31héritée de l'URSS et puis qui s'est multipliée dans les années 90.
17:35Donc cette dépendance budgétaire limitait la capacité de la Russie
17:39à avoir une politique extérieure indépendante ou beaucoup plus autonome.
17:45Mais Yeltsin, il ne faut pas l'oublier à plusieurs reprises,
17:49n'était pas un président,
17:51on le dépeint souvent aujourd'hui comme un président à la botte de l'Occident,
17:55ce n'est pas du tout vrai.
17:57C'était beaucoup plus complexe que ça.
17:59Il y a eu des moments où Yeltsin s'est opposé à la politique des États-Unis,
18:03en Bosnie et puis surtout au Kosovo.
18:06Donc il y avait un fond, disons, de relative suspicion.
18:10Mais il y avait une volonté de Poutine en 2001,
18:13vous le dites, je le dis et vous l'entendez à la main,
18:16le 11 septembre 2001, Poutine est l'un des premiers
18:19à manifester sa solidarité auprès du président Bush
18:22et à offrir ses services directement,
18:25c'est-à-dire de pouvoir faire de la base de Manasse au Kyrgyzstan,
18:29une base russe, dans une ex-république soviétique,
18:32une base de déploiement des forces américaines
18:36pour aller en Afghanistan, puisque c'est à quelques 500 kilomètres.
18:40Mais les relations ont se dégradé, je dirais entre 2001 et 2005
18:44et elles se dégradent pour plusieurs raisons que j'expose dans le livre.
18:49Il y a d'abord la décision des Américains de se retirer
18:52ou de mettre fin au traité ABM,
18:54qui va être très très mal comprise par la Russie.
18:57Il y a l'intervention en Irak, Americano-Britannica en Irak,
19:01où Poutine, avec Chirac et Schröder d'ailleurs à l'époque,
19:05s'opposent au sein de l'ONU, au sein du conseil de sécurité de l'ONU,
19:09s'opposent à cette intervention,
19:11ce qui fait que les Américains et les Britanniques
19:13vont être obligés d'intervenir sans mandat de l'ONU.
19:15– Et surtout, l'annonce de l'adhésion,
19:18de la volonté d'adhésion de l'Ukraine à l'OTAN.
19:21– Alors voilà, j'y viens, c'est surtout la révolution orange en Ukraine,
19:25en 2004-2005, qui va vraiment, je dirais, faire basculer les choses.
19:29Il y a aussi de la politique intérieure,
19:31il y a aussi la volonté de Poutine de limiter le poids de certains oligarques
19:36à l'intérieur du pays, notamment de déclencher des poursuites
19:38contre Khodorkovsky, très soutenue par les Américains,
19:43au sens où Khodorkovsky était très bien introduit
19:48et très bien lié à l'élite américaine de manière assez proche.
19:56Khodorkovsky qui était à l'époque le premier magnat pétrolier de Russie.
20:01Tout ça fait que ce sont des régions objectives
20:03qui vont éloigner la Russie de l'Occident.
20:08Mais surtout, je pense que la volonté de puissance de la Russie,
20:11la volonté russe exprimée par Poutine de reconstruire une puissance
20:15et de refaire de la Russie une grande puissance,
20:17n'est tout simplement pas du tout acceptée par les Occidentaux
20:22et en premier lieu par les Américains.
20:24Et je pense que 2007, le discours de Munich qui annonce 2008,
20:28le moment où l'Ukraine et la Géorgie demandent leur adhésion à l'OTAN
20:34où la Russie s'y oppose formellement, sont des années de bascule,
20:39mais cette bascule est préparée en avance.
20:42Donc ce n'est pas une rupture soudaine, ce n'est pas un changement d'humeur.
20:45C'est quelque chose qui était parfaitement prévisible.
20:47Mais effectivement, ce discours marque l'entrée dans une nouvelle période,
20:51dans une nouvelle histoire que j'appelle nouvelle guerre froide.
20:54C'est-à-dire qu'on entre dans une nouvelle période d'opposition
20:57entre l'Occident et la Russie.
20:59Et cette opposition ne va cesser de grandir pendant les années, depuis 17 ans.
21:04L'idéologie de Vladimir Poutine, vous essayez de la cerner.
21:09En Occident, elle est souvent qualifiée de patriote, de nationaliste, voire de fasciste.
21:14C'est quoi votre opinion à vous ?
21:16Alors fasciste, certainement pas.
21:19Nationaliste, je le dis dans le livre et j'explique pourquoi.
21:23Je pense que c'est un terme qui ne peut pas être employé
21:27parce que la Russie n'est pas un État-nation.
21:31En aucune manière, c'est un empire ou un post-empire,
21:34comme je le dis dans un autre livre.
21:36Oui, c'est-à-dire que c'est une structure impériale.
21:38C'est une structure impériale qui se définit,
21:41comme dans sa constitution d'ailleurs,
21:43le peuple souverain de la Fédération de Russie est un peuple multi-ethnique.
21:47Et multi-confessionnel.
21:49Absolument.
21:50Et Poutine ne perd jamais une occasion de le rappeler.
21:54Il ne perd jamais une occasion de rappeler que la Russie est aussi musulmane.
21:59Ceci est un pays qui fait partie de l'organisation de la conférence islamique.
22:03Que la Russie est multi-ethnique et que l'identité de la Russie
22:06est d'être justement aussi multi-ethnique.
22:08Donc le nationalisme paraît un terme un peu compliqué à manier, si vous voulez.
22:12C'est pour ça que le patriotisme, qui est un terme que les Russes emploient
22:16et qui a une connotation très positive en Russie.
22:21Oui, c'est un patriot, je dirais même que c'est un étatiste.
22:24C'est quelqu'un qui défend l'État au sens où, pour Poutine,
22:28comme pour une grande partie de l'élite russe,
22:31l'État russe, c'est la condition de possibilité de la Russie.
22:35Est-ce qu'on peut voir un peu Vladimir Poutine comme un Louis XIV
22:39qui dirait l'État c'est moi ?
22:41Non, pas du tout.
22:44C'est un monarque, c'est clair.
22:46Vous parlez d'un monarque.
22:47Oui, c'est totalement un monarque.
22:48Un monarque du XXIe siècle.
22:49C'est un monarque du XXIe siècle.
22:51Je ne prétends pas me livrer à une analyse comparative,
22:55ce serait l'objet d'un autre livre.
22:57Il y a d'autres monarchies au XXIe siècle,
22:59des monarchies modernes ou post-modernes,
23:01la monarchie saoudienne, la monarchie...
23:03Monarchie absolue.
23:04Voilà, il y a d'autres monarchies.
23:06Là, c'est un monarque au sens où il est à la fois...
23:11Dans cette théorie des deux corps du roi, qu'on connaît bien,
23:14effectivement, il incarne aussi la Russie en tant que telle.
23:21C'est-à-dire qu'il figure... et à l'extérieur aussi.
23:24Si vous demandez, dans un point du globe,
23:27quelle est la personne qui est associée à la Russie aujourd'hui,
23:30je pense que 99% de la population du globe dira Vladimir Poutine.
23:34Donc ça, c'est quand même quelque chose de très fort.
23:36J'ai encore deux questions à vous poser, Jean-Robert Raviot.
23:40Excusez-moi, peut-être sur celles-ci, on pourrait aller rapidement.
23:43Poutine a, à plusieurs reprises, on le sait, été accusé
23:47d'avoir fait assassiner des opposants politiques.
23:50Ça a été le cas de la journaliste Anna Politovskaya.
23:54L'ancien agent du FSB, Alexandre Litvinenko.
23:58Il y a eu aussi l'ancien ministre Boris Nemtsov.
24:01Est-ce qu'il y a des faits, des preuves,
24:04qui pourraient incriminer réellement le pouvoir de Poutine ?
24:08Bien sûr qu'il n'y a pas de preuves qui pourraient incriminer
24:10le pouvoir de Poutine directement, ou même le Kremlin directement.
24:14C'est évident.
24:16Maintenant, je dirais qu'il y a une histoire de tout ça.
24:19Il y a une histoire de la répression des opposants en Russie et en URSS.
24:25Il y a le fait que Vladimir Poutine est un ancien agent du KGB,
24:28qu'il a gardé des réseaux, des capacités,
24:32une compréhension opérationnelle du système,
24:36que selon certaines sources…
24:38Oui, l'importance de l'information.
24:40L'importance de l'information, l'importance de la maîtrise d'information,
24:43la surveillance des oppositions et des opposants,
24:48qui est une réalité.
24:50Donc on peut, effectivement, on peut très bien,
24:53c'est assez facile là-dessus, de broder une responsabilité.
24:58Moi, je prendrais le problème autrement.
25:01Au lieu de se demander, savoir, est-ce que Vladimir Poutine
25:04a appuyé sur un bouton en disant, voilà,
25:06il faut se débarrasser de Mme Politkovskaya,
25:08il faut se débarrasser de M. Nemtsov, et d'autres,
25:12de Yeltsin, et d'autres…
25:14Prigogine.
25:15Voilà, Prigogine.
25:16Et d'autres encore, il y a beaucoup, beaucoup…
25:18Alors, il faut mettre, je mettrais, il y a deux éléments de contexte.
25:22Un, le nombre important de personnes qui sont assassinées en Russie
25:27pendant cette période, depuis les années 90,
25:30pour des raisons politiques, et dont on parle peu dans les médias.
25:34Les juges, les journalistes, il y a vraiment des centaines de personnes
25:38qui ont été tuées et qui ont été assassinées,
25:41portant dans leur…
25:43Ce sont souvent des règlements de comptes
25:45où interviennent les services de renseignement, la police…
25:48– On ne venait pas déranger Yeltsin, d'ailleurs,
25:50avec l'insécurité sous son pouvoir.
25:53– On ne le dérangeait pas, mais enfin, c'était souvent évoqué.
25:56Et je pense qu'effectivement, il y a, de ce point de vue-là,
25:59une culture, on va dire, du meurtre politique en Russie
26:03qui est quand même manifeste.
26:05La question, ce n'est pas de savoir est-ce que Poutine a donné des ordres,
26:08c'est est-ce que l'assassinat commandité d'un homme comme Yeltsin,
26:16en février 2015, sur un pont près du Kremlin,
26:20par un commando tchétchène qui a été identifié,
26:24aurait pu se faire au nom de Poutine ?
26:27Et là, je pense que oui, on peut le dire.
26:29Ça ne veut pas dire que c'est Poutine qui a donné l'ordre,
26:31ou même suscité.
26:33On peut imaginer que ce sont des assassinats
26:35qui ont été commis par des gens qui peuvent ensuite, je dirais,
26:40s'en faire valoir ou en espérer une gratification.
26:43Voilà ce que je dirais.
26:44– D'accord.
26:45Dernière question.
26:46Le président Poutine entretient depuis plusieurs années,
26:50en tout cas, c'est l'Occident qui l'y a mené,
26:52une relation avec le président chinois.
26:56Celui-là, d'ailleurs, disait en 2023 que Poutine était son meilleur ami.
27:01Ce bloc sino-russe qui apparaît, qu'est-ce que vous en pensez ?
27:05– Ah, il y aurait beaucoup à dire.
27:07– Très synthétiquement.
27:09– Oui, je relève cette phrase qui est étonnante.
27:11Parce que, est-ce que Xi Jinping a vraiment un meilleur ami ?
27:14Bon, donc cette phrase est très symptomatique.
27:17En tout cas, dans la rhétorique de Xi Jinping,
27:21elle dénote une dimension émotionnelle absolument inédite.
27:26C'est-à-dire qu'il ne va pas dire d'aucun autre leader du monde
27:29qu'il est son meilleur ami.
27:30Donc ça montre que pour Pékin, la relation avec Moscou est importante
27:34et dépasse l'importance qu'elle a économiquement.
27:37Alors, est-ce que la Chine et la Russie vont former une alliance anti-occidentale
27:42et un contre-bloc ?
27:44Je ne fais pas de pronostic, mais je remarque quand même
27:49que la Chine a pris beaucoup d'importance pour la Russie,
27:51économique d'abord.
27:52Avec la guerre et les sanctions liées à la guerre,
27:56la Chine a pris une très grande importance dans la vie économique de la Russie.
28:00Elle est devenue le premier importateur d'énergie de la Russie,
28:04le premier partenaire économique et commercial de la Russie,
28:07alors que la Russie n'est que le dixième partenaire économique et commercial de la Chine.
28:12Il y a une asymétrie.
28:14Donc je pense qu'effectivement, on assiste à tout le moins
28:18à un éloignement de la Russie, de l'Occident et des pays européens.
28:23Est-ce que cet éloignement est décisif et définitif ?
28:30Ou est-ce que c'est une phase qui peut y avoir à nouveau un rapprochement ?
28:34Je n'en sais rien.
28:36Mais ce que j'observe de toute façon, c'est qu'au-delà de Poutine,
28:39dans l'Elytrusse, un discours de plus en plus, je dirais,
28:44non plus hostile à l'Occident, mais indifférent.
28:48C'est-à-dire qu'on assiste vraiment, je pense,
28:51à un basculement vers l'Est de la diplomatie et des relations internationales.
28:55Et la question qu'il faut se poser, c'est non pas tant…
28:58On sait que Poutine est un Occidental, un Européen, il parle allemand,
29:01il a vécu en Europe, c'est vraiment…
29:04En plus, il est pétersbourgeois, c'est vraiment la ville européenne de la Russie.
29:08Donc là, il n'y a aucun doute là-dessus.
29:10Mais la nouvelle génération sera différente.
29:12Et je pense que ce qu'il faut bien voir, c'est que très objectivement,
29:16la Russie et les pays occidentaux ont aujourd'hui…
29:19Le substrat industriel, économique, énergétique, technologique
29:23de ces relations est de plus en plus faible,
29:26alors que le substrat des relations russo-chinoises est de plus en plus puissant.
29:30Donc peut-être que la Russie va devenir un pays
29:33beaucoup plus asiatique dans les 100 prochaines années.
29:35Mais là encore, c'est vraiment…
29:38Je n'ai pas de boule de cristal.
29:41Ouvrage passionnant, Vladimir Poutine et la Russie.
29:45Biographie politique d'un monarque au XXIe siècle.
29:48Analyse des enjeux russes.
29:50Merci à vous Jean-Robert Ravion.
29:52Merci beaucoup pour votre accueil.
29:54Tout petit détail, ce livre existe aussi en CD.
29:57On peut l'écouter, on peut aussi l'entendre sans avoir à le lire.
30:02Merci de cette précision et merci à vous de nous avoir suivis.