Ces idées qui gouvernent le monde - France-Allemagne pourquoi ça tangue ?

  • l’année dernière
France-Allemagne : un couple, un tandem, une relation au coeur de l'Europe, un trait d'union fondateur et le pouvoir de durée de l'Europe politique. Il fallait bien cela après trois effroyables conflits : 1870/1871, 1914/1918, 1939/1945 mettant aux prises ces deux nations et qui vont se retrouver pour bâtir de concert une Europe de la paix, de la coopération et de la prospérité. Contrairement aux légendes sur une alliance quasi naturelle et harmonieuse entre nos deux pays, il y a toujours eu entre eux des hauts et des bas, une émulation politique respective à base de frictions conjoncturelles et structurelles sur l'économie, les institutions, la stratégie vis-à-vis des Etats-Unis de la Russie, de la Chine, de l'OTAN etc... Pourquoi s'en étonner, car comme l'énonce le philosophe Pierre Manent : « nos nations diffèrent par leur histoire politique ».
Cette distinction historique n'aura pas empêché de faire de l'Europe une communauté intégrée de peuples et de nations, une puissance commerciale et même militaire, une union territoriale et politique que nous envient l'Afrique, les Amériques et l'Asie. A l'aube de ce troisième millénaire marqué par des crises économiques et financières et des conflits guerriers, notamment la guerre en Ukraine, et sans oublier la pandémie Covid 19, l'esprit européen et communautaire est affaibli et nous assistons à un essoufflement de la relation franco-allemande. Pourquoi et dans quels domaines ?
Émile Malet reçoit :
- Dr. Hans-Dieter Lucas : Ambassadeur de la République fédérale d'Allemagne en France
- Pierre Lellouche : ancien ministre, expert international
- Edouard Guillaud : amiral, ancien chef d'Etat major des armées (CEMA)
- Maurice Gourdault-Montagne : ambassadeur, ancien secrétaire général du Quai d'Orsay

Présenté par Emile MALET
L'actualité dévoile chaque jour un monde qui s'agite, se déchire, s'attire, se confronte... Loin de l'enchevêtrement de ces images en continu, Emile Malet invite à regarder l'actualité autrement... avec le concours d´esprits éclectiques, sans ornières idéologiques pour mieux appréhender ces idées qui gouvernent le monde.

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#LCP #Assembleenationale #France #Allemagne

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Transcription
00:00 Générique
00:02 ...
00:23 -Bienvenue dans "Ces idées qui gouvernent le monde".
00:26 France, Allemagne, pourquoi Satang ?
00:29 France, Allemagne, un couple, un tandem,
00:33 une relation au coeur de l'Europe,
00:35 un trait d'union fondateur,
00:37 le pouvoir de durée de l'Europe politique.
00:40 Il fallait bien cela,
00:42 après trois effroyables conflits.
00:45 La guerre de 1870,
00:47 la Première Guerre mondiale, la Seconde Guerre mondiale,
00:51 ont mis aux prises ces deux nations,
00:53 mais qui vont se retrouver pour bâtir de concert
00:56 une Europe de la paix, de la coopération
00:59 et de la prospérité.
01:01 Contrairement aux légendes,
01:03 sur une alliance quasi naturelle et harmonieuse
01:05 entre nos deux pays, il y a toujours eu,
01:08 entre eux, des hauts et des bas.
01:10 Une émulation politique respective,
01:13 à base de frictions conjoncturelles
01:16 et structurelles sur l'économie,
01:18 les institutions, la stratégie vis-à-vis des Etats-Unis,
01:22 de la Russie, de la Chine, de l'OTAN.
01:25 Pourquoi s'en étonner ?
01:27 Car comme l'énonce le philosophe Pierre Manand,
01:30 nos nations diffèrent par leur histoire politique.
01:33 Cette distinction historique n'aura pas empêché
01:36 de faire de l'Europe une communauté intégrée
01:39 de peuples et de nations,
01:41 une puissance commerciale et même militaire,
01:44 une union territoriale et politique
01:47 que nous envient l'Afrique, les Amériques et l'Asie.
01:50 À l'aube de ce troisième millénaire,
01:53 marqué par des crises économiques et financières
01:55 et des conflits guerriers, notamment la guerre en Ukraine,
01:59 et sans oublier la pandémie Covid-19,
02:02 et bien que la coopération franco-allemande fonctionne,
02:07 nous assistons à un essoufflement
02:10 de la relation franco-allemande.
02:12 Pourquoi et dans quel domaine ?
02:15 C'est ce que nous allons voir avec mes invités
02:18 que je vous présente.
02:19 Hans-Dieter Lukas,
02:21 vous êtes ambassadeur de la République fédérale d'Allemagne
02:24 en France.
02:25 Pierre Lelouch, vous êtes ancien ministre
02:28 chargé des Affaires européennes et expert international.
02:31 Edouard Guillot, vous êtes amiral et ancien SEMA,
02:36 pardonnez-moi, chef d'état-major des armées.
02:39 Maurice Gourdeau-Montagne, vous êtes ambassadeur,
02:42 vous l'avez été notamment dans de nombreux pays européens,
02:46 et ancien secrétaire général du Quai d'Orsay.
02:49 ...
02:59 Alors, malgré une activité diplomatique chargée
03:03 ces derniers temps,
03:04 nous l'avons vue avec la célébration
03:07 du traité de l'Elysée et plus récemment
03:09 avec une rencontre coordonnée
03:12 avec le président Zelensky,
03:14 à laquelle assistait à Paris M. Olaf Scholz,
03:18 et à l'épreuve des conflits,
03:20 l'axe franco-allemand fonctionne,
03:22 il n'est pas rompu,
03:24 mais il ne régente plus l'Union européenne.
03:27 Il a perdu de son élan politique
03:30 et, on dirait même, de sa force émotionnelle.
03:33 A votre avis, pourquoi, M. Lucas ?
03:36 -Je ne partage pas cette vue-là, cette perspective.
03:41 J'ai l'impression que la relation franco-allemande
03:45 est basée sur un socle très solide
03:48 et particulièrement,
03:49 le dernier conseil ministre franco-allemand,
03:53 les célébrations à l'occasion du 60e anniversaire
03:56 du traité de l'Elysée ont démontré
03:58 qu'il y a une vision partagée de l'Europe,
04:02 c'est-à-dire la nécessité vraiment de bâtir,
04:05 de construire une Europe qui est plus souveraine
04:08 dans un contexte global extrêmement difficile
04:12 sur le plan politique,
04:14 avec des réformes institutionnelles,
04:16 sur le plan technologique et économique,
04:20 c'est-à-dire renforcer aussi
04:22 l'indépendance, la souveraineté économique
04:26 de l'Union européenne,
04:27 et, troisièmement, en ce qui concerne la nécessité
04:30 de construire une Europe de la défense.
04:33 -On va rentrer dans le détail.
04:36 -Il y a un bon nombre de projets très concrets
04:39 du franco-allemand au service de l'Europe.
04:41 -Pierre Lelouch, vous partagez cette analyse ?
04:44 Tout va bien entre France et Allemagne ?
04:46 -C'est pas que tout va mal.
04:48 Je pense que les liens...
04:50 -Vous êtes demandé si tout va bien.
04:52 -...sont extrêmement importants
04:54 pour la suite des opérations en Europe,
04:56 mais je crois que la relation franco-allemande
05:00 a été affectée très profondément,
05:02 bien avant la guerre en Ukraine,
05:05 par le changement dans la corrélation des forces
05:09 entre nos deux pays.
05:10 L'Allemagne unifiée, c'est puissamment...
05:14 D'abord, elle a été unifiée,
05:16 ce qui était un énorme changement par rapport à la période précédente.
05:20 J'avais beaucoup écrit à l'époque là-dessus, il y a 30 ans.
05:23 Mais surtout, elle s'est renforcée de façon économique,
05:26 de façon considérable, alors que nous, nous nous affaiblissions.
05:30 Il y a un différentiel qui, moi, me préoccupait,
05:33 il y a 10 ans, quand j'étais au commerce extérieur,
05:36 je voyais le déficit plonger.
05:37 Aujourd'hui, il atteint 160 milliards d'euros,
05:40 quand l'Allemagne, avant les histoires de gaz,
05:43 était à plus de 200 milliards.
05:45 Donc, on avait un delta de quelque chose
05:48 comme 300 milliards d'euros entre la France et l'Allemagne,
05:53 c'est-à-dire 15 points de PIB.
05:55 Considérable.
05:56 Donc, une puissance industrielle en Allemagne très importante,
06:00 alors que nous nous affaiblissions.
06:02 Et puis, je dirais aussi le fait qu'avec l'élargissement de l'Europe,
06:06 et plus encore après la guerre, ou avec la guerre en Ukraine,
06:11 l'Allemagne a retrouvé son rôle de pivot au centre de l'Europe,
06:14 et nous, nous avons été quelque peu marginalisés à la périphérie.
06:18 D'ailleurs, Sigmar Gabriel,
06:20 l'ancien ministre allemand des Affaires étrangères,
06:23 l'a dit publiquement, et je partage tout à fait cet avis.
06:26 Il y a eu un déport de la France, l'Allemagne retrouvant
06:29 son rôle pivot, entourée par toute l'Europe centrale
06:32 et son influence, son poids économique,
06:35 et donc, ça, ça crée des tensions,
06:37 ce qui donne aussi à l'Allemagne la possibilité
06:40 d'affirmer de plus en plus une autonomie dans ses décisions
06:44 que nous avons subies, dans beaucoup de cas,
06:47 qu'il s'agisse de finances, d'énergie...
06:50 -On va rentrer dans le détail.
06:52 -Un tout dernier point.
06:54 Ce qui, aujourd'hui, caractérise encore plus
06:57 cette relation franco-allemande,
06:59 qui, encore une fois, est très importante,
07:02 c'est le fait qu'avec l'Ukraine,
07:04 le centre de gravité de l'Europe s'est complètement basculé
07:08 vers la Pologne et les Baltes et les Scandinaves
07:12 et marginalisé, pas seulement la France,
07:14 mais la France et l'Allemagne ensemble,
07:17 dont le rôle pilote de cet ensemble,
07:19 que nous avons créé ensemble,
07:21 est maintenant, j'allais dire, presque secondaire.
07:24 Ce qui fait qu'avec le rôle de la Pologne et des Baltes,
07:28 on voit arriver un nouveau membre dans l'Union européenne
07:32 qui s'appelle les Etats-Unis d'Amérique.
07:34 -Si vous permettez, Pierre Lelouch,
07:37 on va rester sur la première question
07:39 avec Maurice Gourdeau-Montagne.
07:41 Écoutez, les commentaires sont nombreux,
07:44 en France et en Allemagne,
07:46 qui disent que l'Allemagne s'éloigne de la voie communautaire.
07:50 Vous le pensez, Maurice Gourdeau-Montagne ?
07:53 -Je ne le crois pas.
07:55 Ce qui a été dit précédemment,
07:57 par Pierre Lelouch et l'ambassadeur d'Allemagne,
08:00 me paraît juste. Il y a une dissymétrie
08:02 entre la France et l'Allemagne, qui s'est accentuée avec le temps.
08:06 On a l'intention de recomposer ensemble.
08:08 C'est une dynamique permanente qui nécessite un effort politique.
08:12 Ce n'est pas la première fois que la relation franco-allemande
08:16 subit des chocs. C'est un choc majeur.
08:18 La guerre en Ukraine bouleverse les centres de gravité,
08:21 les modèles économiques et politiques.
08:24 C'est à nous de réfléchir, de rebondir là-dessus.
08:27 Nous avons des institutions très solides
08:29 qui encadrent la relation franco-allemande
08:32 et qui nous permettent de nous parler constamment.
08:35 Vous l'avez dit en introduction, ne sont pas les Français.
08:38 Nous sommes différents.
08:40 Un de mes premiers patrons m'avait dit
08:42 que les Allemands ne sont pas des Français qui parlent allemand.
08:46 C'est la vérité. La relation franco-allemande,
08:48 quand j'étais ambassadeur à Berlin, je l'appelais un combat de chaque jour.
08:53 Les Allemands sont là, nous sommes ici.
08:55 Il faut se rapprocher.
08:57 Quand la volonté politique est là, on trouve quelque chose.
09:00 Il faut être dans un rapport de force
09:02 où la France a les moyens d'affirmer qui elle est.
09:05 C'est ce qu'on a dit.
09:06 Mais la politique, c'est là de surmonter ces contradictions.
09:10 - Oui, votre avis, Édouard Guillot ?
09:13 - Je serai non pas un peu plus nuancé,
09:15 mais me plaçant sous un angle un peu plus militaire.
09:19 Nous sommes partis, dans les années 70-80,
09:23 d'une dissymétrie assumée,
09:25 parce que nous étions déjà membres du Conseil de sécurité,
09:30 membres permanents, avec droite veto,
09:32 parce que nous avions un outil militaire,
09:34 alors que l'Allemagne avait, comme disait
09:37 l'inspecteur général de la Bundeswehr,
09:40 au début des années 2000,
09:42 son armée, c'était des citoyens en uniforme.
09:45 Ils sont désolés,
09:46 parce que c'était le début des affaires en Afghanistan.
09:49 Cette dissymétrie a disparu,
09:51 ou est en train, petit à petit, de disparaître.
09:54 Il y a plusieurs moments qui l'ont marquée.
09:58 La chute du mur de Berlin,
10:01 Ich war dabei, j'y étais ce soir-là.
10:04 C'était quand même assez extraordinaire.
10:06 Ensuite, il y a eu les interventions,
10:09 y compris par l'Allemagne,
10:10 sur le théâtre ex-yougoslave.
10:12 Puis, l'envoi de troupes à l'extérieur de l'Europe
10:17 par la Bundeswehr, ça, c'est l'Afghanistan.
10:20 Après trois ans, Wolfgang Steyr et Thor Hahn me disaient
10:23 "J'ai enfin des soldats", alors que les modalités
10:26 d'utilisation des forces allemandes
10:28 n'étaient pas du tout les mêmes.
10:30 Pierre Lelouch s'en souvient,
10:31 parce que nous y étions ensemble à une époque,
10:34 des forces françaises ou des autres forces européennes.
10:38 Et puis, maintenant, effectivement,
10:40 on a continué avec les affaires africaines,
10:43 et maintenant, la guerre en Ukraine
10:45 change encore la donne.
10:49 Donc, si nous partons d'un état zéro par rapport à il y a 30 ans,
10:53 oui, il y a une désimétrie qui est apparue,
10:55 mais à mon avis, en réalité, ça rééquilibre.
10:58 L'Allemagne retrouve une place normale.
11:01 -Au-delà de votre unanimité là-dessus,
11:04 en 70 ans de construction européenne,
11:08 il y a eu de très grandes choses qui ont été faites.
11:11 La CECA, la Communauté économique du charbon et de l'acier,
11:15 le marché commun, l'euro, Maastricht, etc.
11:19 Vous pourriez citer une grande réalisation
11:23 au cours de ces deux dernières décennies.
11:25 Où est la...
11:26 A la fois en termes d'approfondissement politique
11:29 et d'élargissement politique,
11:31 où est-ce qu'on était bloqué au sud avec la Turquie
11:34 et à l'est, aujourd'hui, avec la guerre ?
11:37 -Je peux vous donner un exemple, parce que je l'ai vécu.
11:40 C'était pendant la crise de 2008.
11:43 Alors, avec beaucoup de mal.
11:45 Nicolas Sarkozy a eu beaucoup de mal à convaincre Angela Merkel
11:50 qu'il fallait sauver la Grèce
11:52 et en même temps l'Union européenne et l'euro
11:55 contre toutes les réserves possibles du côté allemand.
11:59 Donc, banque centrale, mon homologue, à l'époque,
12:01 il y avait des règles, on les appliquait, etc.
12:04 Bon, on y est arrivé au forceps, mais on y est arrivé.
12:07 On a réussi à convaincre l'Allemagne de mutualiser.
12:10 On a mis énormément d'argent,
12:12 on a mis beaucoup de centaines de milliards d'euros
12:15 pour sauver l'Allemagne et l'euro, mais on l'a fait.
12:18 Et ça, c'était contraire à toutes les règles allemandes
12:22 sur la bonne gestion de la monnaie.
12:24 Donc, ça, on l'a fait.
12:25 Après, il y a des choses qui vont moins bien,
12:28 mais bon, aujourd'hui, l'amiral parlait
12:30 de la montée en puissance de l'Allemagne
12:32 en matière de défense,
12:34 et elle est nécessaire pour la défense européenne.
12:37 -On l'abordera dans le détail.
12:39 -Mais bon, franchement,
12:40 si je regarde le catalogue des programmes en commun,
12:44 je suis un peu dévasté,
12:45 parce que beaucoup de choses qu'on devait faire ensemble
12:49 ne sont pas faites en raison de la position allemande,
12:52 qu'il s'agisse du char, l'hélicoptère, etc.,
12:55 l'avion de la guerre aérienne,
12:56 la surveillance maritime, etc.
12:58 C'est pas bon.
13:00 On a une divergence, y compris sur la défense antiaérienne.
13:04 Il ne reste plus que le projet d'avion de combat futur,
13:07 mais c'est pas bon.
13:09 -On va en parler dans le détail.
13:11 Maurice Gourdault-Montagne, je voudrais avoir
13:14 votre avis personnel.
13:15 Le traité de Nice...
13:17 a voulu un certain approfondissement des relations.
13:24 Il a été suivi.
13:25 Après, il y a eu le traité de Lisbonne, etc.
13:28 Mais est-ce qu'il n'y a pas eu, à ce niveau-là,
13:31 une dissension qui a entraîné une fêlure
13:35 dans la mesure où la représentativité
13:38 de l'Allemagne a été augmentée ?
13:41 Je me souviens, en tant que journaliste,
13:43 qu'Elmut Schmidt n'était pas favorable à cette chose-là.
13:47 -Je crois qu'il fallait... -Pardonnez-moi d'impl...
13:50 -Vous avez raison de rappeler ces souvenirs du traité de Nice,
13:54 qui s'est soldé par un échec,
13:55 puisqu'il a fallu très vite passer à autre chose,
13:58 et qu'on a eu la convention européenne
14:01 sous la présidence de Valéry Giscard d'Estaing,
14:03 qui elle-même n'a pas abouti,
14:05 et qui, néanmoins, a permis d'aboutir
14:08 à ce qui est devenu plus tard le traité de Lisbonne.
14:11 Donc, une réorganisation des équilibres
14:13 au sein de l'Union européenne.
14:15 C'était indispensable.
14:17 On ne pouvait pas continuer à faire semblant
14:20 de dire que l'Allemagne pesait moins lourd
14:22 dans l'Union européenne,
14:24 lorsqu'il s'agissait de prendre des décisions,
14:27 qu'un certain nombre d'autres pays.
14:29 Des dispositifs ont été créés avec des majorités qualifiées
14:32 pour servir de blocage au cas où il y aurait eu des décisions
14:36 qui ne correspondaient pas à la tendance
14:38 qui devait se dégager dans un consensus.
14:41 Donc, c'est un système qui n'est pas parfait,
14:44 qui trouve son équilibre, mais on ne peut pas nier la réalité.
14:47 La question, aujourd'hui, et c'est le cas dans les relations,
14:51 il y a les réalités.
14:52 Il faut les prendre en compte.
14:54 Quand un pays pèse plus, ça doit être pris en compte.
14:57 On s'organise. C'est le rôle de la France
15:00 et de l'Allemagne dans ce tandem.
15:02 C'est le mot que je préfère.
15:03 D'ailleurs, très souvent, quand j'étais en Allemagne,
15:07 je citais ce qui est un tandem dans les pays du Maghreb,
15:10 notamment, où on dit qu'un attelage,
15:12 peu importe s'il y a un chameau et un âne,
15:15 c'est de tirer dans la même direction.
15:17 Je ne sais pas qui est dans le rôle de qui,
15:20 mais dans tous les cas, la France et l'Allemagne
15:22 sont un attelage qui, pour l'Europe,
15:25 tire dans une direction commune.
15:27 -Vous regrettez ou pas ce qui s'est passé ?
15:29 -Je ne regrette rien de ce qui s'est passé,
15:32 parce que je pense que les équilibres politiques du moment
15:35 nous ont permis d'aboutir ensemble à un résultat
15:38 qui a créé une dynamique.
15:40 Après ça, il faut s'adapter.
15:41 Il y a un élargissement potentiel de l'Europe
15:44 qu'il faut regarder ensemble.
15:46 Il y a des équilibres,
15:48 des centres de gravité qui se déplacent.
15:50 Il faut les prendre en compte,
15:52 mais il n'y a rien à regretter.
15:54 Je pourrais citer Airbus,
15:55 qui est quand même un succès majeur.
15:57 -On va rentrer dans le détail.
15:59 -Le commerce franco-allemand,
16:01 c'est quand même...
16:02 Les principaux échanges en Europe se font entre la France et l'Allemagne.
16:07 -On va parler de ça dans le détail, si vous voulez.
16:10 -C'est plutôt une histoire de réussite.
16:12 -M. Lucas, vous avez un mot à dire à propos du traité de Nice ?
16:16 -Je partage ce qui a été dit par Maurice Godot-Montagne,
16:19 mais je voudrais revenir sur votre question.
16:24 Est-ce qu'il y a des projets récents ?
16:26 Je mentionnais dans ce contexte
16:28 cette initiative franco-allemande pour le programme de relance.
16:33 C'était vraiment un pas majeur, n'est-ce pas,
16:36 ce programme de 750 milliards d'euros.
16:39 C'était de la part de l'Allemagne,
16:41 c'était une grande concession,
16:43 la mutualisation partielle des dettes.
16:46 Ca, c'était vraiment un grand pas pour nous.
16:48 -C'était la suite 2008. -C'était il y a trois ans.
16:51 Et aussi, encore une fois,
16:53 si vous analysez le discours de Prague, du chancelier Scholz,
16:57 ce que le président de la République a dit
17:00 dans un discours à la Saabon,
17:02 il y a beaucoup de points communs.
17:04 -On va parler de ça, vous allez voir.
17:07 Musique rythmée
17:10 ...
17:17 -Nous venons de voir la pensée profonde
17:20 de deux grands écrivains, Victor Hugo et Goethe.
17:23 Ils auraient pu se rencontrer, par exemple, à Weimar.
17:26 Ce qui montre pourquoi j'ai pris ces deux écrivains,
17:30 c'est pour montrer que les relations littéraires,
17:34 les relations entre hommes, entre femmes, etc.,
17:38 peuvent avoir une importance considérable.
17:40 La relation franco-allemande est identifiée, à juste titre,
17:44 à des couples qui partagent
17:47 et qui partageaient une connivence forte.
17:50 De Gaulle et Adenauer
17:52 avaient une même analyse politique.
17:55 On célèbre le 60e anniversaire du traité de l'Elysée,
17:59 c'est leur oeuvre.
18:01 Valéry Giscard d'Estaing et Helmut Schmitt
18:04 avaient une commune analyse économique.
18:07 Mitterrand et Kohl
18:10 se retrouvaient sur le terrain historique.
18:14 Puis, la diplomatie l'a emporté sur l'imagination,
18:18 sur la grandeur politique.
18:20 Une certaine indifférence a suivi
18:23 et des bifurcations que l'on va analyser dans le détail.
18:26 Mais qu'est-ce que vous pensez
18:28 qu'il n'y a plus, si on peut dire,
18:32 cette espèce de relation élective
18:35 qu'il y a eu à travers les grands couples
18:37 de l'histoire franco-allemande ?
18:39 Maurice Gourdeau-Montagny. -Il y a eu des grands couples,
18:43 Chirac et Schroeder, qui ont été d'accord
18:45 pour refuser la guerre en Irak,
18:48 ce qui n'était pas rien, résister à la pression
18:52 d'une mise sur des peuples et des gouvernements
18:55 pour les faire entrer dans une guerre
18:57 d'agression, donc c'était quelque chose
19:00 qui nous a permis de beaucoup avancer à l'époque.
19:02 Mais je remonterai plus loin, Emile.
19:06 Je crois qu'il y a une affinité
19:08 entre la France et l'Allemagne sur des valeurs.
19:11 Ces valeurs, nous les avons partagées
19:13 pendant les Lumières et pendant l'Aufklärung,
19:16 ce sont des mouvements un peu différents.
19:18 Des valeurs de liberté, des valeurs de conquête,
19:21 je dirais, pour les peuples, et jusqu'en 1848,
19:24 nous avons échangé, nous avons marché ensemble.
19:27 C'est le nationalisme qui nous a fait diverger
19:29 et aboutir à ces guerres que vous avez citées.
19:32 En 1945, on ne voulait plus faire de guerre,
19:35 mais on s'est rendu compte que nous avions
19:37 ce socle commun de valeurs partagées,
19:39 notamment autour du concept de liberté.
19:42 C'est quelque chose de très profond
19:44 entre les Français et les Allemands
19:46 que nous devrions redécouvrir.
19:48 Nous vivons dans un monde liberticide
19:50 par certains aspects. La France et l'Allemagne
19:53 sont en avant s'agissant des combats pour la liberté.
19:56 -Oui. Sur les couples,
19:58 si on peut utiliser ce terme...
20:00 -Moi, ce que je crois, c'est que si on monte...
20:03 -Hier, le Louche. -Maurice a raison
20:05 de passer à l'histoire, mais l'un des paradoxes
20:08 de l'histoire des deux derniers siècles,
20:10 c'est que nous, Français, avons inventé
20:12 le nationalisme allemand. C'est la Révolution française
20:15 et Napoléon qui a fabriqué...
20:17 L'Allemagne de Bismarck a été fabriquée en France.
20:20 C'est tout à fait regrettable,
20:22 parce qu'on l'a payée lourdement après,
20:24 mais beaucoup, l'Allemagne, quand elle a été éparpillée
20:27 en toutes sortes de petits fichés avec lesquels on s'alliait.
20:31 C'est nous qui l'avons unifiée.
20:33 Ensuite, la réunification l'a réunifiée.
20:35 La question que je posais dans un de mes livres,
20:38 il y a 30 ans, c'est qu'est-ce qui va se passer
20:41 maintenant que l'Allemagne est à nouveau unie ?
20:43 Est-ce qu'elle va rester ancrée dans la famille européenne ?
20:47 Elle n'a plus besoin de l'Europe.
20:49 On n'est plus à Hadenauer. Il avait besoin de l'Europe
20:52 pour exorciser le passé.
20:54 Pour trouver une nouvelle respectabilité internationale.
20:57 L'Allemagne d'aujourd'hui n'a plus besoin de ça.
21:00 La guerre est très loin et les nouvelles générations
21:03 ont oublié tout ça.
21:04 Donc, que va faire l'Allemagne,
21:06 surtout dans l'après-guerre d'Ukraine ?
21:09 C'est la question stratégique de fond qui se pose
21:12 dans l'après-guerre et dans le système de sécurité en Europe.
21:15 Est-ce qu'on va être capables, nous, Français,
21:18 aujourd'hui affaiblis, foutus dehors d'Afrique,
21:21 foutus dehors par les Américains du Pacifique,
21:24 alors que nous avons la Calédonie et les Tahiti ?
21:27 La façon dont les Américains et les Anglais
21:30 se sont conduits dans le Pacifique est invraisemblable.
21:33 Les Russes jouent leur rôle en Afrique,
21:36 mais nous, on est affaiblis là-dedans.
21:38 Donc, la question de fond... Je termine,
21:40 parce que c'est, à mes yeux, une des questions cruciales
21:43 post-guerre, parce que j'essaie de penser au monde d'après.
21:47 Bien sûr, il y a la Russie,
21:48 mais il y a aussi le rôle que l'Allemagne jouera
21:51 au centre de l'Europe.
21:52 Ou bien on est capables de maintenir ce tandem,
21:56 ce mariage franco-allemand,
21:58 qui a été à la source de la naissance de l'Union européenne.
22:03 L'Union européenne, c'est la réconciliation franco-allemande.
22:06 Ou bien on est capables de cimenter ça
22:08 dans quelque chose qui va être très différent,
22:11 avec des Polonais, des Baltes, des Balkaniques.
22:15 Ca va être ingérable.
22:17 Attention, une Europe à 30-35, excusez-moi,
22:20 mais ça va être très compliqué.
22:21 Donc, il faut vraiment que ce pilier franco-allemand
22:24 soit hyper fort. S'il n'est pas fort,
22:26 alors le risque, c'est qu'on bascule
22:29 dans d'autres formats
22:31 et où l'Allemagne devra se poser, elle,
22:33 la question de ce qu'elle veut être au milieu de l'Europe.
22:37 -Laissez-moi donner la parole, si vous permettez,
22:40 à Hans-Hitler, Lucas, parce que je voudrais
22:42 qu'il y ait un équilibre de temps de parole.
22:45 Je voudrais vous poser deux questions.
22:48 On a évoqué un sentiment, en France,
22:54 sur l'Allemagne.
22:55 J'aimerais que vous nous disiez,
22:58 peut-être même en oubliant que vous êtes ambassadeur,
23:01 mais à votre avis, qu'est-ce qu'on reproche,
23:04 vu de Berlin à Paris ?
23:08 Et deuxièmement, est-ce que vous ne pensez pas
23:11 que ce souffle historique, politique, économique
23:15 qu'il y a eu avec les différents tandems
23:17 n'est plus là, aujourd'hui ?
23:19 -Bon, tout d'abord, donc, je voudrais...
23:22 -Et vous avez le droit d'avoir des dissensions.
23:25 -Oui, oui, donc, un petit point sur cette question
23:28 d'où va l'Allemagne, n'est-ce pas ?
23:30 C'était toujours cette discussion, en France,
23:32 sur les insertitudes allemandes.
23:35 C'était une grande discussion
23:37 dans le contexte de la réunification.
23:40 Et là, notre réponse, c'était Maastricht,
23:43 c'était toujours Europe.
23:44 Et à mon avis, ça n'a pas changé.
23:46 Donc, si on regarde, par exemple,
23:49 le résultat des dernières élections législatives
23:52 en Allemagne, 85 % des Allemands ont voté
23:56 pour des partis pro-européens,
23:58 pour qui, donc, le front commun
24:00 est tout à fait central.
24:02 Et à mon avis, aussi, si on regarde les sondages,
24:05 donc, les derniers sondages,
24:08 nous disent que, donc, pour plus de 80 % des Allemands,
24:12 la France est le partenaire le plus important,
24:15 le plus fiable.
24:16 Donc, il y a là, à mon avis,
24:18 un sentiment européen très fort
24:20 au sein de la population allemande,
24:22 au sein de la classe politique,
24:24 qui ne met pas en cause, donc,
24:26 cette orientation classique, si vous voulez,
24:29 de l'Allemagne envers l'Europe,
24:32 avec un noyau dur franco-allemand.
24:34 Et le chancelier l'a répété, n'est-ce pas,
24:37 dans son discours à la Sabane,
24:38 où il a dit, donc, pour nous,
24:40 la France, c'est une notion indispensable,
24:43 "indispensable nation".
24:44 Je pense que c'est un commentaire très fort.
24:47 Je suis...
24:48 Avec un certain intérêt, je suis aussi,
24:51 cette discussion sur la question,
24:53 est-ce que l'Allemagne s'oriente vers l'Est, n'est-ce pas ?
24:56 Ca s'inscrit aussi dans une certaine...
24:59 -C'est pas ce que je dis. -Oui, oui.
25:01 Mais sur ce point-là, le centre de gravité
25:03 de l'Union européenne, économiquement,
25:06 c'est l'Allemagne, c'est la France,
25:08 c'est le Benelux, l'Italie, l'Espagne,
25:10 avec l'importance...
25:12 La Pologne est certainement là, aussi,
25:14 une de nos partenaires à l'Est,
25:17 mais, donc, vraiment,
25:18 un centre de gravité...
25:20 -Mais, monsieur l'ambassadeur,
25:22 on dit ça, mais il y a quand même
25:24 la réalité économique.
25:27 Permettez-moi de vous dire,
25:28 on dit, oui, la relation franco-allemande,
25:31 il y a eu Airbus, Airbus, Airbus.
25:33 Mais quand on regarde, par exemple,
25:35 dans le domaine de l'informatique,
25:38 les relations de l'Allemagne avec la Chine
25:41 sont privilégiées.
25:42 Si je ne me trompe pas,
25:44 Huawei alimente la 5G allemande
25:49 pour 60 %,
25:50 et si on prend l'industrie automobile allemande,
25:54 elle est extrêmement développée en Chine
25:58 et sa connexion informatique
26:00 vient quasi totalement de Huawei.
26:03 On a pensé, c'est ce qu'on écrit
26:06 dans les journaux français et dans les journaux allemands,
26:09 qu'il y avait là une force pour l'Europe
26:13 à travers le tandem franco-allemand.
26:15 Est-ce que vous n'êtes pas gêné,
26:18 mais quand même, imaginons que demain,
26:20 il y ait une guerre avec Taïwan,
26:23 comme nous avons la guerre en Ukraine.
26:26 Qu'est-ce que vous faites de Huawei ?
26:28 -Oui, il y a, en ce qui concerne la Chine,
26:30 une discussion en Allemagne,
26:32 donc, depuis quelques ans,
26:34 disant que la Chine,
26:38 ça reste un partenaire très important,
26:41 aussi très important pour toutes ces questions
26:44 dans le contexte du changement climatique,
26:47 mais de l'autre côté, il y a dans nos relations,
26:50 l'Europe, les Etats-Unis, avec la Chine,
26:52 des éléments de compétition, même de rivalité systémique.
26:56 D'où la nécessité vraiment aussi de repenser un peu
27:00 notre politique vis-à-vis la Chine.
27:03 C'est ce qu'on fait.
27:04 Donc, la Chine a changé,
27:06 donc il nous faut changer aussi notre politique,
27:09 c'est-à-dire qu'il nous faut diversifier
27:12 aussi nos relations commerciales.
27:14 -Edouard Guillaume... -La chancelière,
27:17 récemment, était en Amérique latine,
27:19 elle a visité le Brésil, le Chili, l'Argentine,
27:22 il était en Vietnam, donc c'est tout à fait,
27:24 pour nous, une nécessité de diversifier
27:27 nos relations commerciales.
27:29 -Edouard Guillaume, stratégiquement,
27:31 le 3V domine le numérique en Allemagne.
27:35 -Oui, forcément, mais je crois que l'explication,
27:38 elle est assez simple, c'est qu'au moins
27:40 jusqu'à ces derniers temps, l'Allemagne a pensé
27:43 que le "soft power", la puissance douce,
27:46 donc la puissance économique, se suffisait à elle-même.
27:49 Du coup, quand on est dans cette optique,
27:51 aller chez Huawei ou un autre n'a pas beaucoup d'importance.
27:55 A l'inverse, Poutine lui pense que seul le "hard power",
27:58 la puissance militaire, fera quelque chose.
28:01 Je pense que c'est tout aussi différent.
28:03 Et cette opposition, d'une certaine façon,
28:06 entre la position classique française,
28:08 qui est l'alliance du "soft power" et du "hard power",
28:12 qui fait une diplomatie, qui fait une analyse stratégique,
28:15 et la position allemande, qui est restée,
28:17 alors qui est en train de changer à cause des événements,
28:21 pas seulement en Chine, mais en Ukraine,
28:23 c'est là, la vraie, non pas rupture,
28:27 mais le vrai fossé qu'il a pu y avoir.
28:30 -J'ai l'impression qu'il est quand même en train de se réduire.
28:33 Mais quand vous pensez le monde en termes de puissance,
28:36 vous ne mettez pas tous vos oeufs dans le même panier.
28:40 Nous, Français, comme les Britanniques,
28:42 nous avons toujours pensé le monde en termes de rapport de puissance.
28:46 Je me souviens qu'au sein du Quai d'Orsay,
28:49 il y avait ceux qui appartenaient à ce qu'on appelait la secte,
28:53 dont vous êtes, et...
28:56 -Ce n'est pas ce qu'on appelle la secte.
28:59 -Ceux qui pensaient que les rapports de puissance
29:02 sont importants. -Ah oui, ça, oui.
29:04 -Mais d'autres disaient, non, c'est pas ça,
29:06 c'est uniquement la culture, ce qui n'est pas le cas,
29:09 uniquement l'économie. Il y a un tout,
29:12 et c'est cette différence d'analyse sur le reste du monde.
29:15 Une fois que vous avez cette différence d'analyse,
29:18 vous avez des différences de choix.
29:20 -C'est pas qu'une différence de choix.
29:23 Si vous prenez la politique énergétique de l'Europe,
29:27 elle n'existe pas.
29:28 Il y a eu une dissension très forte sur la question du nucléaire,
29:32 il y a eu des problèmes au niveau de la taxonomie,
29:35 c'est-à-dire des investissements verts.
29:38 On a eu du mal à fixer
29:42 un prix d'électricité abordable,
29:44 et les ménages des deux pays, d'ailleurs,
29:47 trinquent en payant très cher à cause de la question du gaz.
29:51 Est-ce qu'il faudrait pas régler ces deux questions majeures
29:56 pour l'économie des deux pays,
29:58 à savoir le numérique et l'énergie,
30:01 en allant vers une politique énergétique et numérique,
30:05 tous les deux ?
30:06 -J'ai dit tout à l'heure que ce qui s'était passé depuis 20 ans,
30:10 depuis la réunification, notamment,
30:13 c'est le fait que l'Allemagne...
30:15 s'est imposée comme le poids lourd, le pivot de la politique européenne.
30:21 À mesure que nous, nous déclinions de notre côté,
30:24 il est devenu de plus en plus de mal
30:26 à contrebalancer cette puissance.
30:29 Cette puissance s'est manifestée dans les domaines
30:32 que vous venez de dire. -Et qui sont primordiaux.
30:34 -Celle qui a dicté l'accord commercial
30:38 entre l'UE et la Chine, c'est Angela Merkel.
30:41 C'est elle qui l'a voulu.
30:42 Et l'accord a été paraffait
30:45 tout à fait à la fin de l'année 2020,
30:49 alors même qu'il y avait beaucoup de réserves côté français,
30:53 elle l'avait empêchée.
30:54 Cet accord était basé sur l'idée que rappelait l'amiral,
30:58 savoir que le soft power devait amener
31:00 à un changement systémique de la Chine,
31:02 ce qui était la même idée quand on a fait rentrer la Chine
31:06 à l'OMC... -C'est la même chose
31:08 avec la Russie et l'OTAN, d'ailleurs.
31:10 -Sur la Russie, c'est autre chose,
31:12 mais c'est parallèle.
31:13 Donc, voilà, ça, c'est un aspect des choses
31:16 qui fait qu'avec la dépendance de l'industrie automobile allemande
31:20 en Chine,
31:22 l'Allemagne a tiré l'Union européenne
31:25 vers une vision assez irénique de ce qu'est la Chine.
31:28 L'autre point majeur
31:30 dans lequel l'Allemagne a vraiment été l'architecte,
31:35 à mon avis, d'un désastre énergétique européen,
31:38 c'est quand l'Allemagne s'est littéralement droguée
31:42 au gaz russe bon marché.
31:45 Et elle l'a fait parce que c'était l'un des piliers
31:48 de son succès économique, de l'énergie pas chère et sûre,
31:52 croyez-t-elle.
31:53 Et rappelez-vous, c'est très intéressant,
31:56 le deuxième gazoduc Nord Stream 2
31:59 a été décidé après l'annexion de la Crimée.
32:03 Pas avant, après.
32:05 C'est dire que, pas seulement Mme Merkel ou M. Schröder,
32:09 toute la classe politique allemande,
32:11 toute l'industrie allemande fait le pari
32:13 de ce mode énergétique
32:15 renforcé par la montée en puissance des verts en Allemagne,
32:18 très anti-nucléaire, on ferme les centrales nucléaires.
32:22 J'étais là avec Mme Merkel quand elle nous a dit,
32:25 juste après Fukushima, à François Fillon et à moi,
32:28 "J'arrête le nucléaire en France
32:30 "et vous, vous allez devoir fermer Fessenheim."
32:32 Je lui ai dit, "On est encore en état souverain."
32:35 Mais on a quand même, quelques années plus tard,
32:38 fermé Fessenheim sous la pression de l'Allemagne.
32:41 Et donc, ce poids majeur de l'Allemagne
32:43 sur tout ce qui dicte le commerce, l'énergie,
32:47 et bien sûr, la monnaie aussi,
32:48 même s'il y a eu des évolutions,
32:50 est quelque chose auquel nous n'avons pas su,
32:53 par notre propre faiblesse, résister suffisamment.
32:56 On aurait rendu au service aux Allemands
32:59 si on avait été un peu plus puissants dans le tandem.
33:01 Aujourd'hui, la question qui se pose,
33:04 c'est qu'est-ce qui se passe après.
33:06 Le chancelier Scholz, dès le début de la guerre, a dit,
33:09 "C'est un moment tournant."
33:11 C'est le tournant de la politique allemande,
33:13 on recommence tout. Mais vers quoi ?
33:15 Et nous, nous sommes toujours à la recherche, en France,
33:18 de ce que nous allons devenir aussi.
33:21 C'est pour ça que j'en appelle vraiment...
33:24 Je suis pas un européen béat.
33:26 J'ai vu ce que c'est que la table du Conseil européen.
33:29 Je sais à quel point ça peut être ingérable
33:31 et souvent très décevant.
33:33 Mais je sais que s'il y a pas un tandem franco-allemand
33:36 très fort et un angle sur le fond,
33:38 là, nous risquons des choses très graves à l'avenir,
33:42 dans ce post-Ukraine,
33:43 qui risque de déliter tout ce qui reste d'Europe.
33:46 -Merci. Hans-Peter Lukas,
33:47 qu'est-ce que vous répondez à ce que vient de dire Pierre Lelouch
33:51 sur la divergence, très claire,
33:53 sur la question de la politique énergétique ?
33:56 -En ce qui concerne la politique énergique,
33:59 tant qu'on a déjà tiré des luçons, n'est-ce pas,
34:02 de cette dépendance dans le récit ?
34:05 C'est-à-dire, au cours des années,
34:09 depuis le 24 février de l'année dernière,
34:12 on est sortis complètement du gaz russe,
34:15 du pétrole russe, du charbon russe.
34:17 -L'électricité reste très chère.
34:19 -Sans provoquer une crise majeure
34:22 en matière d'énergie.
34:24 Et maintenant, on est en plein de ce processus
34:27 de la transition verte.
34:30 Et pour nous, la direction est assez claire.
34:34 Il faut, bien entendu, trouver un accord
34:37 sur la question du marché de l'électricité.
34:41 Vous avez mentionné cette question-là,
34:44 mais ça a été aussi discuté
34:46 à l'occasion du Conseil ministre franco-allemand.
34:50 On a dit qu'il faut travailler ensemble là-dessus.
34:53 Je suis tout à fait d'accord avec vous.
34:55 Sur toutes ces questions-là,
34:58 il nous faut trouver un accord franco-allemand.
35:00 -C'est vite. -Sachant bien
35:02 que, en ce qui concerne la question du nucléaire,
35:05 on est différents. Ça fait partie de nos différences.
35:08 Mais il faut aussi apprendre à vivre avec ces différences-là.
35:11 C'est possible.
35:13 -Maurice Gourdeau-Montagne. -Moi, sûr.
35:15 On est très différents sur le plan de l'énergie.
35:18 J'étais à Berlin, à l'époque où la chancelière Merkel
35:21 a décidé, après Fukushima, de sortir,
35:23 parce qu'il y avait déjà une tendance lourde
35:25 en Allemagne qui était antinucléaire,
35:27 pour des raisons historiques, profondes, existentielles.
35:31 Je pense qu'il faut être juste.
35:33 Ce ne sont pas les Allemands qui nous ont forcés
35:35 à décider de passer de 75 % de fabrication d'électricité
35:38 à 50 %.
35:40 Ce n'est pas eux qui nous ont forcés.
35:42 Ce sont des alliances politiques en France
35:44 qui nous ont amenés à prendre ces décisions,
35:47 à voter une loi de programmation énergétique
35:49 qui est toujours en vigueur.
35:51 Ce n'est pas eux qui nous ont fait fermer Fessenheim,
35:54 qui nous ont fait annoncer qu'on allait fermer 14 centrales
35:57 et qu'on allait se lancer dans la crise
35:59 sur un nouveau programme de nucléaire.
36:02 Il faut être juste.
36:03 Il est vrai que nous avons une dissension majeure
36:05 qui n'est pas réglée, et Hans-Hitler a raison.
36:08 Il faut qu'on arrive à recréer très vite un système
36:11 qui permette de payer le juste prix de l'électricité.
36:14 Ca touche les peuples.
36:15 Mais ça, c'est les conséquences de cette guerre en Ukraine
36:18 qui nous prend de plein fouet, qui bouleverse le modèle...
36:22 -Vous allez voir, on va en parler.
36:24 Mais alors, Edouard Guillaume,
36:26 je voudrais aborder avec vous une question stratégique majeure.
36:30 Le président Joe Biden a fait voter cette fameuse loi
36:37 qui s'appelle IRA,
36:40 et qui est Inflation Reduction Act,
36:43 des centaines de milliards d'euros,
36:47 tout ça pour booster,
36:50 doper l'industrialisation verte des Etats-Unis.
36:54 Alors, on a vu que le ministre français des Finances,
36:58 et des compagnies de son équivalent allemand
37:02 sont allés à Washington,
37:05 mais franchement, on est là devant une bataille commerciale.
37:10 -En bon français, ça s'appelle la préférence nationale,
37:13 et je le dis volontairement,
37:15 sans aucune référence de politique intérieure.
37:19 C'est très précisément ce que font les Etats-Unis.
37:22 Aujourd'hui, objectivement,
37:23 les Etats-Unis profitent du conflit en Ukraine
37:26 pour vendre des armements. -Du gaz.
37:29 -Pour vendre du gaz naturel liquéfié,
37:32 dont le bilan carbone est absolument épouvantable.
37:35 Je n'ose même pas comparer au nucléaire.
37:39 Et pour l'instant, les Etats-Unis, stratégiquement parlant,
37:42 sont les gagnants, je dis pas qu'à terme, c'est vrai,
37:45 mais aujourd'hui, les gagnants du conflit.
37:48 -Mais sur ce Green Deal, d'un côté,
37:51 et cette concurrence commerciale
37:56 imposée par Biden,
37:58 est-ce que, monsieur l'ambassadeur d'Allemagne,
38:00 Hans-Dieter Lukas,
38:02 le moment n'est pas venu de mutualiser
38:05 la politique économique et financière de l'Union européenne
38:08 pour pouvoir résister,
38:11 en termes de compétitivité, avec les Etats-Unis, par exemple ?
38:15 -Tout d'abord, nous n'avons pas intérêt
38:17 à entrer dans une guerre commerciale avec les Etats-Unis,
38:20 mais le fait que les Etats-Unis misent sur la transition verte,
38:26 c'est principalement, à mon avis, un bon message pour le climat,
38:29 pour la question du changement climatique.
38:32 En ce qui concerne les aspects industriels,
38:35 je pense qu'il faut faire deux choses.
38:37 Donc, essayer, n'est-ce pas,
38:39 d'obtenir des Américains, des exemptions,
38:43 finalement, créer une situation dans laquelle nous sommes traités,
38:46 l'Europe, comme le Mexique et le Canada.
38:49 Première chose. Le deuxième aspect,
38:52 c'est la question rendre l'Europe plus compétitive.
38:54 Et ça, c'est la question des mesures qu'on peut prendre.
38:57 Sur la question de la flexibilisation des règles des Etats,
39:02 je pense que c'est très important.
39:04 La question des... Il faut agir beaucoup plus vite.
39:07 La Commission européenne doit décider beaucoup plus vite
39:10 en ce qui concerne les grands projets européens.
39:13 Et finalement, il faut aussi, comme vous l'avez dit,
39:16 n'est-ce pas, mobiliser les ressources financières.
39:19 Donc, il y a là, dans les fonds qui existent déjà,
39:23 le plan de relance,
39:24 encore des moyens considérables.
39:27 C'est l'Engie Europe, c'est le Repower EU,
39:30 c'est la Banque d'investissement européenne.
39:33 Donc, il n'y a pas, pour le moment, un manque d'investissement.
39:36 Il faut aussi identifier les bons projets.
39:38 -Il n'est pas nécessaire d'avoir un fonds mutuel
39:43 pour concurrencer ou se mettre en position
39:47 de ne pas être dépassé par les Etats-Unis ?
39:50 -Oui, ça a été proposé par la Commission européenne,
39:54 l'idée de créer un fonds souverain,
39:58 mais tout d'abord,
39:59 si on se rend compte
40:03 que dans le plan de relance,
40:04 80 % des ressources n'ont pas été dépensées,
40:07 il faut tout d'abord profiter de ce qui est déjà là.
40:10 -Très bien. Pierre Lelouch.
40:12 Après, on va passer aux questions de défense.
40:15 Essayez d'être concis, si vous voulez.
40:17 -Je vais être très concis.
40:19 J'ai, dans cette maison, en 2016, ouvert le débat
40:21 sur l'extraterritorialité des lois américaines
40:24 et comment l'Amérique utilise son droit
40:28 pour casser la concurrence.
40:31 Là, ils viennent de passer une loi
40:33 ouvertement protectionniste qui dit
40:35 "Venez à moi, les petits-enfants, venez investir.
40:37 "Si vous construisez ici,
40:40 "vous aurez accès aux financements locaux."
40:43 C'est en fait une forme de cannibalisme industriel
40:46 au moment même où nos entreprises
40:48 sont frappées par une explosion du prix de l'énergie.
40:51 En Europe, le prix de l'énergie,
40:53 c'est 4 à 5 fois le prix aux Etats-Unis.
40:55 Donc, la réindustrialisation qui a été lancée en France,
40:59 avec beaucoup de mal, d'ailleurs,
41:01 l'industrie allemande très puissante,
41:03 son prise en tonaille entre l'augmentation du gaz
41:06 et le protectionnisme américain.
41:08 Il faut que nous soyons capables, entre Français et Allemands,
41:11 c'est ce que je conseillerais si j'étais aux affaires,
41:14 de répondre par la réciprocité.
41:16 Les Américains, qu'est-ce qu'ils m'ont dit ?
41:19 -La réciprocité.
41:20 -Ils m'ont dit que la loi a été votée,
41:22 il fallait vous plaindre avant.
41:24 C'est ce que j'ai entendu.
41:25 Quand le maire et son collègue, monsieur Abec,
41:28 vont à Washington, ils se sont dit
41:30 "Nous, on est dans la séparation des pouvoirs,
41:33 "la loi a été votée, vous pouvez rentrer chez vous."
41:35 La seule chose que peut faire d'utile l'Europe,
41:38 outre les investissements indispensables,
41:41 c'est de faire en sorte que le jeu soit égal,
41:43 que nous soyons capables de riposter
41:45 par le même type de dispositifs.
41:48 Si on ne fait pas ça, on sera balayés.
41:50 Et ce sera du calibralisme industriel.
41:53 Donc le moment est là aussi assez grave
41:55 et c'est très important.
41:57 -On vous a entendu.
41:58 Vous voulez ajouter un mot, Maurice Gourdeau-Montagne,
42:02 là-dessus ?
42:03 -Je pense qu'il est important que ce soit précisément
42:06 le ministre français des Finances et son collègue Allemand
42:09 de l'économie qui soient ensemble,
42:11 parce que nous pesons à nous deux 47 % de la zone euro,
42:14 il faut le rappeler, nous représentons
42:17 quelque chose qui pèse.
42:18 C'est mon expérience chinoise.
42:20 Quand nous apparaissions entre Français et Allemands,
42:23 notre voix était plus lourde.
42:25 L'Allemagne pèse par elle-même, la France un peu moins,
42:28 sur le plan industriel et économique.
42:31 La combinaison des deux est très forte.
42:33 Les Américains le regardent aussi.
42:35 Ensuite, sur ce qu'il faut faire, il y a une certaine palette.
42:39 Néanmoins, la fermeté est quelque chose...
42:41 -Sinon, ils nous respectent. -Nous sommes en voie
42:44 de montrer, les Français et les Allemands,
42:47 en tête, avec le soutien des partenaires européens.
42:50 Musique rythmée
42:52 ...
42:55 -Le moment est venu d'aborder les questions de défense.
43:00 Une politique européenne de défense et de sécurité commune,
43:06 c'est un projet dont on l'entend parler matin,
43:09 midi et soir, et notamment avec la guerre en Ukraine.
43:14 -Moi, j'en ai eu un, ces jours-ci.
43:16 -Mais est-ce qu'à ce niveau,
43:19 la coopération doit se faire
43:22 entre la famille intra-européenne ?
43:25 Quelle part doit avoir l'OTAN ?
43:28 Est-ce qu'on peut exclure les Etats-Unis ?
43:31 Et là-dessus, il y a manifestement des vues différentes
43:34 entre Paris et Berlin.
43:37 -Il y a forcément un certain nombre de vues
43:40 liées à l'histoire, à l'histoire militaire,
43:43 mais aussi à l'histoire politique.
43:45 Nous sommes obligés de constater que l'OTAN a ressuscité,
43:50 grâce à l'agression russe sur l'Ukraine,
43:55 parce que sinon, l'OTAN était en état de mort cérébrale,
43:58 et donc on ne peut pas éliminer l'OTAN.
44:01 Par ailleurs, pour avoir une politique
44:03 de défense et de sécurité commune,
44:05 la première chose, c'est d'avoir une analyse stratégique,
44:08 une compréhension de l'état du monde et des menaces partagées.
44:12 Et ça, à part la tentative de Javier Solana
44:14 au milieu des années 2000,
44:16 depuis, il y a eu des petites mises à jour,
44:19 mais qui, en réalité, n'ont pas vraiment fait avancer
44:22 la réflexion.
44:23 Il y a des rapprochements.
44:25 Je constate des rapprochements depuis une quinzaine d'années,
44:28 et même si je remonte au milieu des années 80,
44:31 parler à des stratèges
44:34 ou des stratégistes allemands de ce qui se passait en Afrique
44:37 en disant qu'il faudrait faire attention,
44:40 c'était juste peine perdue.
44:41 "Vous n'avez rien compris, c'est de l'autre côté."
44:44 Aujourd'hui, c'est plus du tout le cas.
44:47 Donc, il y a eu, non pas un rapprochement
44:49 des points de vue, mais une prise de conscience
44:52 partagée d'un certain nombre d'enjeux.
44:54 Le chemin n'est pas encore terminé.
44:56 Si on prend les contraintes qui sont l'OTAN,
44:58 le fait que nous n'avons pas exactement encore
45:01 la même perception de l'état du monde,
45:04 le fait qu'aussi...
45:06 -Est-ce que l'Allemagne n'est pas plus réaliste ?
45:09 -Très sincèrement,
45:12 ce que je vous disais tout à l'heure,
45:14 l'Allemagne étant peut-être, je l'espère, en train de changer,
45:17 mais étant partisane du soft power,
45:21 j'estime que c'était pas réaliste, vu l'état du monde.
45:24 La Chine, les Etats-Unis, la Russie nous le prouvent tous les jours,
45:27 y compris l'Inde vis-à-vis de la Chine et du Pakistan.
45:31 À un moment, ce sont des rapports de puissance.
45:34 Comme disent les Britanniques et les Américains,
45:37 "Might makes right", la puissance fait le droit.
45:40 Et on le voit.
45:41 Tant que nous ne serons pas d'accord,
45:43 nous aurons beaucoup de mal à avancer.
45:45 On peut avoir des petites coopérations ponctuelles,
45:48 mais ça fait plus de 15 ans qu'on n'a pas réussi
45:51 à déployer le bataillon franco-allemand.
45:54 -Maurice Gourdeau-Montagne,
45:55 on arrive à la question un peu fiévreuse.
45:59 La France et l'Allemagne soutiennent
46:02 l'effort de guerre en Ukraine.
46:04 On a même vu des réunions communes
46:08 entre Olaf Scholz, Emmanuel Macron
46:11 et le président Zelensky.
46:13 La Grande-Bretagne et les Etats-Unis font pareil.
46:17 Jusqu'où vous pensez que la France doit soutenir cette guerre
46:23 et est-ce qu'elle peut aller jusqu'à une défaite de la Russie
46:28 si on traduit ça simplement ?
46:30 Ca veut dire que les Russes quittent
46:34 ce qui ne leur appartient pas,
46:36 à savoir le Donbass et peut-être la Crimée.
46:38 Parce que c'est une... Il faut bien...
46:41 -Vous avez très bien posé le problème.
46:43 La question, c'est de savoir...
46:45 De faire en sorte que l'Ukraine ne perde pas
46:48 et que l'Ukraine soit dans une position
46:51 la plus forte possible.
46:53 Il s'agira un jour de s'asseoir à une table de négociation.
46:56 Pour le moment, le terrain militaire n'est pas fixé.
46:59 On est dans l'escalade.
47:01 Une escalade qui est celle des Russes
47:03 et une escalade qui est celle des Occidentaux,
47:06 de l'Ukraine soutenant les Occidentaux.
47:08 Ce point culminant n'est pas atteint.
47:10 Pour le moment, les Etats-Unis soutiennent l'Ukraine.
47:13 Je ne suis pas certain que dans le long terme
47:16 ou dans le moyen terme, les Etats-Unis soient toujours
47:19 de ce côté, car ils ont d'autres priorités,
47:22 la Chine d'un côté et l'économie américaine.
47:25 -Au passage, aux Etats-Unis, aujourd'hui,
47:27 on voit que l'Ukraine est moins prioritaire qu'elle n'était.
47:30 -Pas du tout. -Et la Chambre des représentants...
47:33 C'est important d'avoir en tête les facteurs externes.
47:36 La Chambre des représentants, aujourd'hui,
47:39 a la main sur le budget et elle est républicaine.
47:42 On va préparer les élections présidentielles américaines.
47:45 Qu'est-ce qui va se passer ?
47:47 Nous allons nous retrouver avec l'Ukraine à gérer.
47:49 Il est important d'envoyer des signaux de soutien à l'Ukraine,
47:53 des lignes rouges. -Vous parlez de lignes rouges.
47:56 Permettez-moi de vous dire que sur ce plateau,
47:58 nous avons eu beaucoup de responsables français,
48:02 y compris de grands écrivains
48:05 qui étaient russophiles et russophones.
48:07 Par exemple, Mme Carrère-Dancos,
48:10 dans une émission que j'ai tournée ici même,
48:13 a déclaré que Poutine ruinait la Russie,
48:17 ruinait le peuple russe.
48:19 -Oui. -Bon.
48:20 Alors, si c'est le cas,
48:22 ne faisons pas des comparaisons historiques dramatiques,
48:26 mais dans ce cas-là, faut-il que la France et l'Allemagne
48:30 acceptent une défaite de la Russie sur ce terrain-là ?
48:33 J'aimerais avoir votre avis, M. Lucas,
48:35 et votre avis, M. Le Louch.
48:37 -Je voudrais tout d'abord revenir sur ce qui a été dit
48:40 en ce qui concerne le réalisme allemand,
48:43 en ce qui concerne les affaires stratégiques.
48:45 Je pense que vraiment, pour nous,
48:48 cette guerre, cette agression russe,
48:50 c'était un coup de sémence très sévère.
48:52 C'est l'exemple pour lequel le chancelier
48:54 a parlé d'un changement d'époque, n'est-ce pas,
48:57 des "Zeitenwände",
48:59 et ça a eu des conséquences très concrètes
49:01 sur le plan stratégique.
49:03 Tout d'abord, l'augmentation massive
49:05 de notre budget de défense est de 100 milliards d'euros
49:08 pour faire en sorte qu'au futur,
49:11 nous soyons capables de dépenser plus de 2 %
49:14 du PIB pour la défense.
49:15 Donc c'est assez remarquable.
49:17 Deuxième point,
49:18 cette décision aussi historique, n'est-ce pas,
49:21 de livrer des armes lourdes à l'Ukraine.
49:24 On n'a jamais livré des armes à un pays qui est en guerre
49:29 et qui n'est pas membre de l'Union européenne de l'OTAN.
49:32 Donc, à mon avis,
49:34 ça démontre vraiment un changement
49:37 dans la pensée stratégique de l'Allemagne,
49:40 y compris en ce qui concerne la relation
49:42 entre l'économie et la géopolitique.
49:45 - Mais les chars aujourd'hui, les avions demain.
49:47 - Non, c'est autre chose.
49:49 - Je vous ai dit que je pensais que le fossé se réduise.
49:53 - Il se réduit.
49:54 Parce qu'en Allemagne, on a toujours pensé...
49:57 C'était un peu le miracle économique en Allemagne
50:01 de dire, bon, tout d'abord,
50:02 l'économie, la géopolitique, ce sont des secteurs séparés.
50:06 Maintenant, je pense que pour nous, c'est un démontre.
50:09 On ne peut pas séparer ces deux secteurs.
50:11 En ce qui concerne le soutien militaire pour l'Ukraine,
50:14 on a pris ces décisions, n'est-ce pas,
50:16 de livrer des chars de combat, l'EOPAR,
50:19 et notre position est très claire,
50:22 on va soutenir l'Ukraine aussi longtemps qu'il faudra.
50:25 - Jusqu'où ?
50:27 - Jusqu'où ?
50:28 - Jusqu'à ce qu'elle récupère son territoire.
50:30 - La victoire ? - Oui.
50:32 Je pense que ça, c'est la demande partagée
50:36 de l'Union européenne, aussi des Etats-Unis.
50:40 Donc c'est la restauration de l'intérêt territorial.
50:44 - Oui, mais le président Zelensky a dit,
50:47 en défendant l'Ukraine, vous défendez l'Europe.
50:50 Vous êtes d'accord avec ça ? On va terminer là-dessus.
50:53 Vous êtes d'accord avec cette idée-là ?
50:55 - La Russie a mis en cause l'ordre européen
50:58 avec cette agression contre l'Ukraine.
51:00 Et dans ce sens-là, donc, il fait en sorte
51:03 que la Russie ne gagne pas cette guerre
51:05 qui met en cause l'ordre européen.
51:08 - C'est très clair. Edouard Guillaume là-dessus,
51:10 et chacun donnera son point de vue.
51:13 - La...
51:15 - L'Ukraine doit gagner cette guerre ou pas ?
51:17 - Je vais le dire d'une façon presque jésuite.
51:21 Nous ne pouvons pas nous permettre, nous, Européens,
51:25 que l'Ukraine perde.
51:26 Mais ne pas perdre, ça ne veut pas dire gagner.
51:30 C'est encore autre chose.
51:32 - Mais vous êtes militaire,
51:34 vous avez été le grand patron de l'armée.
51:37 On gagne ou on perd une guerre, et bon...
51:40 - Non, non, non, non, non.
51:41 - Non, malheureusement...
51:43 - Laissez d'abord le militaire s'exprimer.
51:45 - Le militaire, c'est... On peut stabiliser un front.
51:48 Une option est que... - Avec un territoire libéré ?
51:52 - Ou avec un territoire partagé,
51:54 pensé à...
51:57 aux problèmes palestiniens,
51:59 qui durent depuis 1947 sous différentes formes.
52:01 - C'est pas réjouissant.
52:03 - Non, c'est pas du tout réjouissant.
52:05 - C'est introduire un conflit chronique en Europe.
52:09 Maurice Gourdeau-Montagne, sur cette question,
52:12 on a peu de temps.
52:13 - Il y a d'autres conflits chroniques.
52:15 La Corée est partagée en deux, ce qui n'est pas souhaitable.
52:19 Il y a un vrai sujet,
52:20 l'intégrité territoriale de l'Ukraine,
52:22 son indépendance et sa souveraineté.
52:25 Le terrain militaire en décidera.
52:27 Le rapport de force, avec le soutien que nous donnons à l'Ukraine,
52:30 doit permettre à l'Ukraine de s'en sortir le mieux possible.
52:34 Nous ne pouvons pas imaginer que l'Ukraine perde sa souveraineté.
52:38 - Pierre Lelouch, sur ce point.
52:39 - À mes yeux, malheureusement,
52:41 dans la suite de ce que dit l'amiral tout à l'heure,
52:44 mais différemment,
52:45 je crains que cette guerre ne signe la fin
52:48 du rêve français de défense européenne.
52:50 Ce qui s'est passé au moment du Conseil des ministres
52:53 franco-allemand est révélateur.
52:55 On était au milieu de l'affaire des chars Léopard.
52:58 Ils n'ont pas été décidés par Macron et Schultz,
53:01 ils ont été décidés trois jours plus tard par Biden et Schultz,
53:05 après le sommet franco-allemand.
53:07 Clairement, c'est les Américains
53:09 qui ont ouvert pour les Allemands une ombrelle
53:12 qui s'appelait les chars Abrams,
53:14 qui a permis la livraison des Léopard,
53:17 mais ça s'est pas fait en franco-allemand.
53:19 De ce point de vue-là, on voit bien que pour les Allemands,
53:22 le chef d'orchestre de cette guerre est à Washington.
53:26 Maintenant, sur comment on termine cette guerre,
53:29 des décisions militaires ont été prises
53:31 tout le mois de janvier,
53:33 d'intensifier, de donner à l'Ukraine,
53:36 et je cite les termes du Pentagone de mémoire,
53:39 de donner aux Ukrainiens tous les moyens nécessaires
53:42 pour reprendre la dynamique, qui est aujourd'hui bloquée,
53:46 on a un champ de bataille qui est bloqué sur 1 000 km,
53:49 donner aux Ukrainiens tous les moyens
53:52 pour percer la défense russe
53:53 et récupérer la totalité de leur territoire.
53:56 Donc, il y a une sorte de surge,
53:58 on met des armes lourdes, des véhicules blindés...
54:01 -Donnez votre position, parce que l'émission se termine.
54:05 -Ma position est simple, je souhaite qu'ils se trompent pas.
54:08 Je souhaite que cette offensive ne conduise pas
54:11 à un engrenage hors contrôle
54:13 de la part de ceux qui prennent les décisions.
54:16 -On vous a écouté. Cette émission se termine,
54:18 on aura l'occasion de revenir.
54:20 Vous voyez qu'à partir du franco-allemand,
54:23 on arrive à la question européenne
54:26 en quoi cet axe franco-allemand demeure central,
54:30 mais aujourd'hui, il est internationalisé
54:34 avec ce qui se passe, notamment avec cette guerre en Ukraine.
54:37 Je voudrais, avant de terminer, citer une brève bibliographie.
54:42 Alors, il y a quelques ouvrages dont je voudrais parler.
54:46 Il y a un ouvrage d'Hélène Liard de la Croix
54:48 et Andreas Virsching, c'est très intéressant.
54:51 C'est deux chercheurs, français et allemand,
54:55 ennemis héréditaires avec un point d'interrogation,
54:58 un dialogue franco-allemand.
54:59 C'est très intéressant de voir, dans les nuances,
55:03 comment les deux pays peuvent se situer
55:05 sur l'état du monde.
55:07 Cette même relation franco-allemande,
55:09 depuis 1945, a été...
55:11 informatisée,
55:15 ça a donné lieu à un document du Collège des Bernardins,
55:18 c'est publié chez "Le Tie et le".
55:20 Là aussi, on a une vue, non pas synthétique,
55:24 mais à la fois singulière et globale
55:27 de cette relation franco-allemande.
55:29 Maurice Gourdeau-Montagne, vous avez publié
55:32 que les autres ne pensent pas comme nous.
55:34 C'est typiquement, j'allais dire, pardonnez-moi,
55:37 une expression de diplomate.
55:39 -Oui, bien nécessaire,
55:41 parce qu'on a tendance à projeter ce que nous sommes
55:44 sur les autres, et ils ne sont pas comme nous.
55:46 -Pierre Lelouch, alors, une guerre sans fin,
55:49 c'était bien avant l'Ukraine, mais vous pensiez à l'Ukraine ?
55:52 -Je me suis occupé de l'Ukraine depuis 30 ans
55:55 de façon très assidue.
55:57 Ce qui m'amuse aujourd'hui, c'est de voir combien
56:00 il y a de spécialistes d'Ukraine qui n'ont jamais mis les pieds.
56:03 L'Ukraine a été un grand blanc dans l'histoire de l'Europe
56:06 toutes ces 30 dernières années.
56:08 -Ce qui montre comme quoi l'Ukraine
56:10 est un pays important aujourd'hui.
56:12 -Bah oui. -Eh bien, écoutez,
56:14 il me reste à vous remercier,
56:16 merci, messieurs, d'avoir participé à cette émission.
56:20 Merci à l'équipe de LCP
56:23 d'être là avec nous pour l'enregistrer.
56:26 Et avant de nous quitter,
56:28 je vous laisse avec cette citation de Jean-Pierre Jouyé.
56:31 "Les relations entre la France et l'Allemagne
56:35 "et entre leurs dirigeants n'ont jamais été simples
56:39 "dans le cadre de l'Union européenne."
56:41 -C'est profond.
56:42 SOUS-TITRAGE : RED BEE MEDIA
56:45 Générique
56:48 ...

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