Dans son édito du 21/01/2025, Mathieu Bock-Côté revient sur [thématique de l'édito]
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00:00Je pense que c'est la question qu'on se pose tous aujourd'hui et la réponse c'est à moitié.
00:04À moitié pourquoi? Parce que si on regarde ce qu'il a fait en politique étrangère,
00:08Trump qui a fait un compromis en fait.
00:10En nommant Marco Rubio comme secrétaire d'État, il tend la main à ceux qu'on appelle les néo-conservateurs.
00:16Alors ça va être un néo-conservateur sous un président qui ne l'est pas,
00:20mais c'est quand même une main tendue vers les néo-conservateurs
00:23qui sont globalement le parti de l'expansionnisme démocratique guerrier.
00:27Pour ça, on doit savoir, donc c'est une forme de néo-bouchisme en politique étrangère,
00:31reste à voir quelles seront ses marges de manoeuvre.
00:33Certains disent, je lisais ça dans d'excellentes revues américaines,
00:35c'est le compromis de Trump avec le complexe militaro-industriel dont parlait Eisenhower dans les années 50.
00:42Donc ceux qui imaginent un Trump mettant fin aux guerres comme il dit,
00:45je les invite à modérer leurs espérances, on n'est pas exactement là-dedans.
00:49Cela dit, rupture avec l'État administratif, assurément.
00:53Qu'est-ce que c'est l'État administratif?
00:54Ce n'est pas les ministères qui composent tout gouvernement.
00:57Un gouvernement pourrait agir à besoin de ministères, à besoin d'une fonction publique, c'est évident.
01:01L'État administratif, c'est ce qu'on pourrait appeler le développement de cette couche bureaucratique intermédiaire
01:08depuis les années 30 aux États-Unis, mais qui se continue encore aujourd'hui,
01:12et qu'on voit partout en Europe et qu'on pourrait, l'équivalent en France, ce serait les fameuses hautes autorités.
01:16Ces hautes autorités indépendantes qui sont si indépendantes qu'elles mènent quelquefois une politique indépendante,
01:22sans légitimité démocratique, sans engagement démocratique,
01:25et ces hautes autorités se permettent, justement, quelquefois, au nom de leur expertise,
01:31d'imposer des choses à la population de manière régulière.
01:35Donc, lui, il dit que l'État administratif, il va falloir rompre avec cela,
01:38donc on va tailler à la serpe, ou peut-être à la hache, ou peut-être à la tronçonneuse, méthode Millet,
01:44pour déconstruire cet État administratif.
01:47Donc, à la française, ce que ça voudrait dire, c'est qu'on respecte évidemment la fonction publique,
01:51mais tout ce qui relève de l'extra-fonction publique classique,
01:54on décide non pas de... on remplacera pas les fonctionnaires qui vont à la retraite,
01:58non, non, non, on abolit, on abolit ces métastases administratives de l'État social.
02:05Donc ça, je pense, c'est une distinction importante.
02:07Ensuite, et je crois qu'on doit le rappeler,
02:10tout ça n'est possible que parce que depuis quatre ans,
02:13le camp Trumpiste a travaillé à ce qu'on appelle la revalorisation de la fonction présidentielle.
02:18Donc, une bonne partie des constitutionnalistes, des juristes, des politiques qui travaillaient avec Trump
02:22depuis quatre ans disaient qu'il faut créer des conditions juridiques
02:25pour que le président puisse gouverner directement.
02:27Très important.
02:28Plusieurs disent « Ah, mais c'est une tentation autoritaire ».
02:31C'est pas exactement ça.
02:33Trump et d'autres, ses soutiens disent « C'est pas autoritaire ».
02:36La population vote pour un programme.
02:38Ce programme est porté par le président.
02:40La démocratie, est-ce que ça consiste vraiment à handicaper le président
02:44par ses autorités administratives nombreuses,
02:46ou est-ce que la démocratie, ça consiste pas à redonner au pouvoir la capacité d'agir?
02:52C'est ce que Michael Hampton, qui est un type tout à fait brillant, un intellectuel,
02:55qui a pris des fonctions dans l'administration Trump,
02:57on l'avait associé à la thèse du césarisme démocratique.
03:00Donc il faut, évidemment la formule peut sembler péjorative,
03:02il faut un césar pour être capable d'incarner la voix du peuple
03:05contre l'aristocratie administrative.
03:08À la française, on dira tout simplement, c'est un bonapartisme.
03:11C'est un bonapartisme à l'américaine.
03:13Mais vous aurez compris, il faut redonner du pouvoir au pouvoir,
03:18et donc à la présidence aux Etats-Unis, pour lui permettre d'agir.
03:21Alors je vois par exemple sur X, certains qui disent
03:23j'aurais bien aimé qu'on exporte Donald Trump en France.
03:26Je lis le reste parce que c'est un peu accusatoire par rapport à notre gouvernement,
03:29mais cette méthode de gouvernement, les gens en parlent,
03:32est-ce qu'elle est applicable en Europe?
03:34Théoriquement oui.
03:36Théoriquement oui, c'est-à-dire qu'il y a une illusion en Europe, je crois,
03:39que je constate dans toutes les démocraties européennes,
03:42où ce qu'ils appellent l'État de droit aujourd'hui
03:44est vu comme un espèce d'obstacle naturel
03:46qui condamne le politique à une forme de castration institutionnelle.
03:51Mais on n'est pas obligé de considérer que le droit tel qu'interprété par les juges
03:54est l'autre nom de la volonté divine.
03:56On peut considérer que, et ça impliquerait évidemment un travail semblable à l'américaine,
04:00de créer les conditions juridiques d'une action politique sérieuse.
04:04Donc quelquefois quand on parle du référendum sur les institutions
04:07pour permettre aux politiques d'agir au-delà des différentes tutelles,
04:10c'en est un exemple.
04:12On est calcification administrative, calcification juridique,
04:15mais il y a une dimension là-dedans tout à fait...
04:18Il y a quelque chose d'original en Europe, c'est la méfiance à l'endroit du peuple.
04:21Une forme de populophobie, aurait dit Patrick Buisson.
04:24Une méfiance à l'endroit du peuple.
04:26Donc le peuple, on ne veut pas le mettre au pouvoir.
04:28On veut l'empêcher de nuire.
04:30Le peuple, on ne veut pas traduire ses désirs en politique.
04:32On veut tout faire pour que ses désirs ne se traduisent pas en politique.
04:36Et vous le noterez, ce sera ma conclusion, ça me semble assez important.
04:39La majorité obtenue au moment des élections législatives en France
04:43est une majorité négative.
04:44Une majorité pour empêcher.
04:46Une majorité pour empêcher de faire.
04:49La majorité obtenue par Trump est une majorité pour faire,
04:52pour agir, pour concrétiser les désirs de la population.
04:55Cette majorité négative contre cette majorité positive,
04:58peut-être est un contraste fondamental.