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Dans son édito du 22/04/2024, Mathieu Bock-Côté revient sur [thématique de l'édito]

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Transcription
00:00 On commence tout de suite avec vous ?
00:01 Avec plaisir.
00:01 Allez, ce week-end s'est tenu à Paris une manifestation contre le racisme et l'islamophobie,
00:06 au cœur de cette manifestation de nombreux discours, de nombreux slogans, de nombreux affiches.
00:12 Et c'est l'une d'entre elles qui a frappé votre attention, Mathieu Bocoté.
00:15 Si nous sommes ici, c'est parce que vous étiez là-bas.
00:19 Selon vous, cette affiche est particulièrement représentative
00:22 de l'état d'esprit de ceux qui se trouvaient à la manifestation. Pourquoi ?
00:25 Et non seulement de ceux qui étaient à la manifestation,
00:28 mais de tout un discours qui justifie l'immigration massive sur le mode revanchard.
00:33 Mais j'y reviens dans un instant.
00:35 D'abord et avant tout, un rappel sur la manifestation.
00:39 Elle a d'abord été interdite.
00:40 Elle a été interdite, pourquoi ?
00:41 Parce qu'on redoutait, notamment, qu'on entende certains slogans antisionistes ou antisémites.
00:47 Je note qu'encore une fois, c'est la logique de pré-crime.
00:49 Parce qu'on redoute que se tienne un crime, on redoute certains slogans, on redoute un certain discours,
00:54 on cherche à interdire d'avance l'événement.
00:57 Finalement, la manifestation a été autorisée.
01:00 Mais je note que c'est de plus en plus fréquent, cette mani.
01:03 Parce qu'on redoute un discours, on l'interdit.
01:05 Il y a quelque chose là-dedans qui fait penser au film "Rapport minoritaire" dont on a déjà parlé ici.
01:09 - Avant c'était un seul camp, maintenant c'est...
01:11 - Ah oui, oui, oui, oui, pour une fois.
01:12 - Une petite évolution, non ?
01:13 - Eh bien, franchement, j'ai l'impression que le pouvoir a le sens de l'arbitraire en ces matières.
01:17 Dès lors qu'il pense qu'il va entendre quelque chose qu'il n'aimera pas, il veut censurer.
01:21 Première chose.
01:22 Deuxième élément, ce qui est intéressant aussi dans cette manif,
01:26 c'est de voir tous les groupes qui, d'une manière ou de l'autre, l'ont porté, l'ont soutenu.
01:30 On pense à la France insoumise, à l'attaque au planning familial, notamment, c'est pas un détail.
01:34 Révolution permanente, plusieurs groupes de défense des droits des sans-papiers.
01:39 Donc c'est le point de contact, ou la mouvance indigéniste aussi,
01:43 c'est le point de contact de deux gauches, pourrait-on dire.
01:45 La gauche radicale, donc tendance LFI,
01:48 et la gauche décoloniale, qui elle, est dans une logique souvent de conquête,
01:53 de revanchisme décolonial, je reviens dans un instant.
01:56 Je note, soit dit en passant, la poignée de main entre Mathilde Panot, Louis Boyard et Médine,
02:01 qui ensemble se sont rassemblés.
02:02 On se souvient de Médine avec sa chanson, notamment, où elle voulait crucifier les laïcars sur le Golgotha.
02:08 Bon, on comprend ici son immense tendresse pour la laïcité,
02:11 son immense compréhension pour les victimes de Charlie Hebdo, les victimes du Bataclan.
02:15 Donc probablement est-ce pour cela que nos amis de LFI lui serraient la main aussi joyeusement.
02:20 Donc, c'est un état d'esprit qui se manifestait là.
02:23 Mais vous avez raison de le mentionner, parmi les pancartes, parmi les slogans,
02:27 certains sont particulièrement parlants.
02:29 Parce que quand on s'intéresse à une manif, il faut voir justement quelles sont les affiches,
02:33 quelles sont les pancartes, quels slogans sont mobilisés.
02:35 Ça permet de voir quel est l'état d'esprit de ceux qui y sont.
02:39 Et l'un d'entre eux était exceptionnel, « Si nous sommes ici, c'est que vous étiez là-bas ».
02:45 Autrement dit, et là il y a différentes modes de lecture de ça, mais sur le mode « Vous l'avez bien cherché ».
02:50 « Nous sommes ici parce que vous vous êtes imposé chez nous autrefois.
02:53 Nous sommes ici pour que vous ayez à payer ».
02:56 Mais là il y a différents types de lecture de « Si nous sommes ici, c'est parce que vous étiez là-bas ».
03:01 Le premier, c'est un argument assez classique, qu'on entend souvent lorsqu'on dit la France connaît aujourd'hui
03:05 l'immigration de ses anciennes colonies.
03:07 C'est un mouvement inévitable.
03:09 De quoi se plaint-elle d'ailleurs?
03:10 Elle était ailleurs, il est normal qu'elle accueille désormais l'ailleurs chez elle.
03:15 C'est un argument qui a ses limites. Pourquoi?
03:17 Parce que l'immigration massive aujourd'hui se déverse dans l'ensemble de l'Europe
03:21 et pas seulement dans les anciennes puissances coloniales.
03:24 On la voit au Danemark, on la voit en Suède, on la voit en Irlande.
03:28 Alors, je pense qu'on peut reconnaître que l'Irlande n'était pas une puissance coloniale particulièrement présente en Afrique autrefois,
03:34 non plus qu'au Maghreb.
03:36 Or, tous les pays européens connaissent aujourd'hui ces vagues migratoires.
03:42 Donc l'argument du « finalement nous payons le prix de nos excès d'hier » me semble à relativiser.
03:47 Le deuxième argument me semble plus intéressant si on cherche à comprendre ce slogan
03:52 « si nous sommes ici, c'est parce que vous étiez là-bas »,
03:55 c'est la notion de ce qu'on pourrait appeler le revanchisme décolonial.
03:58 Donc à l'échelle de l'histoire, il y a des civilisations, il y a des peuples, il y a des nations,
04:04 et certains s'étendent et un jour ils perdent leur vitalité, perdent leur énergie,
04:08 ils se fatiguent, ils se refluent vers leurs frontières.
04:11 Et là c'est le mouvement qu'on pourrait dire contre-colonial.
04:13 Donc non seulement décolonial, ça c'est l'argument utilisé, mais contre-colonial.
04:17 J'essaie d'interpréter, je ne dis pas que c'est ça définitivement.
04:19 Donc contre-colonial, vous nous avez colonisés, nous vous colonisons aujourd'hui.
04:24 Et là quand on comprend les choses ainsi, on comprend que c'est un slogan sans générosité excessive.
04:31 C'est un slogan qui est sur le mode de la vengeance.
04:34 C'est un slogan qui est sur le mode « vous nous avez fait payer, vous payerez aujourd'hui ».
04:39 Et « nous nous installons chez vous à nos conditions ».
04:43 C'est comme ça que je le comprends encore une fois, je peux entendre toutes les nuances,
04:46 je ne veux pas surinterpréter, je cherche à décrypter.
04:49 Et là il y avait trois grandes oppositions à cette manifestation,
04:52 le racisme, l'islamophobie et les violences policières.
04:56 Mais qu'entend-on par racisme, islamophobie, violences policières à la lumière de ce slogan ?
05:01 Par racisme, on entend seulement le refus de la submersion migratoire.
05:05 Vous n'êtes pas favorable à l'immigration massive, vous êtes un raciste.
05:08 C'est assez clair, on l'a compris avec le temps.
05:10 Si vous êtes pour des frontières, si vous croyez que les frontières veulent dire quelque chose,
05:14 qu'elles doivent stopper les vagues migratoires, vous êtes vous-même un raciste.
05:18 L'islamophobie, c'est un concept qui est associé intimement à l'islamisme.
05:22 Qui dit islamophobie dit « nous sommes dans l'univers mental de l'islamisme ».
05:26 Et qu'est-ce qu'on nomme islamophobie ?
05:27 C'est le refus de permettre à l'islam de se déployer ici, à ses propres conditions,
05:33 et non pas aux conditions de la France et de sa laïcité.
05:36 On nomme islamophobie la critique de l'islam et de l'islamisme
05:40 ou la volonté de lui demander de s'intégrer à la culture française.
05:44 Et les violences policières, évidemment, c'est la présence de l'ordre républicain dans certains quartiers
05:48 où on juge que ces « violences policières », c'est l'expression d'une autorité illégitime.
05:54 Un autre slogan qu'on a entendu, il y en a quelques-uns,
05:56 « y'en a marre, y'en a marre, y'en a marre ».
05:58 Il tournait beaucoup sur les réseaux sociaux.
05:59 On pourrait dire, presque de bonne foi, mais si vous trouvez ça si pénible que ça, vivre en France,
06:05 que faites-vous ici? Personne n'est obligé de vivre en France.
06:08 Personne n'est obligé de s'y installer si c'est si pénible d'y habiter.
06:12 Mais là, il y a une réponse qu'on peut comprendre qui est en lien avec les précédents propos.
06:15 Ce sont constitués au fil du temps, nous reprenons ici la formule de Georges Ben Soussan,
06:19 des territoires perdus de la République, qui ont évolué,
06:21 qui se sont constitués en petites républiques autonomes,
06:25 en petites républiques qui ne disent pas leur nom,
06:27 mais avec un changement de population, un changement de peuple,
06:30 un changement de culture, un changement de mœurs, un changement d'identité.
06:34 Quand on a tout ça, on peut dire que sur ces territoires,
06:37 si on est toujours à la lumière du slogan « si nous sommes ici, c'est parce que vous étiez chez nous »,
06:42 se sont constituées des zones de peuplement nouvelles
06:45 sur lesquelles ne doivent pas s'appliquer les fameuses lois de la République,
06:48 la culture française et rien de tout ça.
06:51 Mais ces populations sont nombreuses.
06:53 Comment les fédérer? C'est difficile de fédérer tout ce monde-là,
06:56 ils ne viennent pas tous du même endroit.
06:57 On a vu quel drapeau fédérait ces populations lors de la manifestation, j'entends.
07:02 Est-ce que c'est le drapeau français? Non, c'est le drapeau palestinien.
07:06 Le drapeau palestinien, version Gaza, devient le symbole qui permet d'unifier ces populations
07:12 dans la lutte contre le racisme français, soit disant racisme français, et l'islamophobie française.
07:17 C'est ainsi que je comprends ce premier slogan qui, encore une fois,
07:20 « si nous sommes ici, c'est parce que vous étiez chez nous »,
07:22 qui sent bon la revanche décoloniale ou la volonté de contre-coloniser, si je comprends bien.
07:28 Un discours a aussi trouvé un écho lors de cette manifestation,
07:31 celui d'un jeune homme expliquant que si la France est la septième puissance économique du monde,
07:37 c'est grâce aux immigrés.
07:39 Il dénonçait aussi dans sa tirade les « fachos » et l'extrême droite.
07:45 En quoi ce discours était-il aussi représentatif de la manifestation du week-end?
07:49 Il faut dire que c'était dans un français approximatif.
07:51 C'est important de noter que quelqu'un arrive ici,
07:54 manifestement sa compréhension de la culture française est assez limitée,
07:57 sa compréhension de la langue française est limitée.
08:00 Mais tout de suite, il dénonce les méchants désignés par le système,
08:04 les « fachos » et l'extrême droite.
08:07 Il dit qu'on en a marre, qu'on n'est pas respecté.
08:09 Donc là, ce qu'on comprend, c'est que c'est le signe de la plus ultime gratitude.
08:13 On arrive quelque part et qu'est-ce qu'on fait?
08:14 On décide d'insulter les gens qui rendent possible notre prospérité.
08:18 « Possible », c'est comme ça qu'on tisse des liens entre les peuples.
08:21 Ce qui est intéressant, par ailleurs, dans sa phrase,
08:24 c'est que la France serait la septième puissance économique du monde
08:27 grâce à ceux qui arrivent tout juste et qui occuperaient tous les emplois
08:31 dont les Français disent de ça, « je ne voudrais pas ».
08:33 On peut dire que si ces emplois étaient correctement payés,
08:34 je suis persuadé que beaucoup de gens voudraient les occuper.
08:36 Mais ça, c'est autre chose.
08:38 Ça, ça nous ramène à une double thèse, encore une fois.
08:40 C'est-à-dire les éco-historiques.
08:41 Le travail des historiens, quelques fois les plus déconstructeurs,
08:44 se transforme en slogan chez des jeunes personnes qui arrivent ici
08:46 et qui n'aiment pas la France.
08:48 D'abord, il y a le discours de la « prospérité empruntée de la France ».
08:52 La France ne devrait sa prospérité qu'à l'étranger.
08:54 Par elle-même, elle serait pauvre.
08:55 Par elle-même, elle serait misérable.
08:57 Par elle-même, ce serait un pays complètement négligé.
08:59 Mais grâce à l'arrivée massive de ces populations
09:01 qui entrent sans être invitées,
09:03 qui s'installent sans en avoir le droit
09:05 et qui défilent dans les quartiers sous le signe du drapeau palestinien,
09:08 la France pourrait enfin être prospère.
09:11 C'est comme ça que je le comprends.
09:12 Et ça fait écho à deux thèses historiques.
09:14 La première, c'est l'idée que la France se serait enrichie
09:17 au 19e siècle, 20e siècle, seulement grâce à son empire colonial.
09:22 Mais nous savons que c'est faux.
09:23 Ce que nous savons, Jacques Marseille a fait des travaux très forts là-dessus.
09:26 Raymond Aron l'avait mentionné au moment de l'indépendance algérienne.
09:28 L'empire a coûté très cher à la France.
09:31 L'empire a coûté si cher à la France que c'est pour ça qu'en bonne partie,
09:34 une figure comme de Gaulle, mais d'autres, ont dit « on doit se retirer, c'est terminé,
09:37 on n'a pas les moyens d'entretenir cet empire ».
09:40 Donc il se peut que finalement, l'entreprise coloniale ait coûté à la France
09:43 davantage qu'elle ne l'ait enrichie.
09:45 Et sur le même registre, c'est la mythologie de la reconstruction
09:48 grâce aux étrangers après 1945.
09:50 Qu'il y ait des étrangers qui contribuent
09:52 ou qu'il y ait des populations de l'empire qui contribuent à la reconstruction après 1945,
09:55 c'est un fait.
09:56 Est-ce que toute la reconstruction est due à ces populations?
09:59 Bien sûr que non.
10:00 Mais ces thèses martelées, martelées, martelées de l'université, dans les médias et ainsi de suite,
10:05 le point d'aboutissement, c'est qu'une jeune personne qui arrive ici,
10:08 sans gratitude, reprend ses slogans en expliquant à la France
10:11 que si elle est prospère, c'est grâce à lui.
10:13 On inverse la France.
10:14 Ce n'est plus la France qui est une chance pour les immigrés,
10:17 ce sont les immigrés qui sont une chance pour la France.
10:20 Elle est chanceuse, la France.
10:21 [Musique]
10:25 [SILENCE]

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