L'édito de Mathieu Bock-Côté : «Législatives : trois blocs qui s'affrontent»

  • il y a 3 mois
Dans son édito du 26/06/2024, Mathieu Bock-Côté revient sur [thématique de l'édito]

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00:00C'est assez intéressant parce que les journalistes attendent, c'est presque une exigence narrative
00:04et rhétorique chez eux, ils attendent toujours le tournant dans la campagne qui basculerait
00:09tout.
00:10Or, il se peut qu'il n'y ait pas de tournant dans cette campagne, il se peut que cette
00:13campagne confirme des tendances déjà repérées.
00:17Revenons sur le débat d'hier, en ce qu'on peut en retenir en forme de première analyse.
00:21D'abord, on était devant trois chefs qui ne sont pas par ailleurs les vrais chefs de
00:26leur camp.
00:27N'oublions jamais, chacun représentait une personnalité plus grande en quelque sorte.
00:31Jordan Bardella était là, son objectif était clair, moins prouver, quoi qu'on en dise,
00:37la compétence technique qui serait la sienne, tout le monde a compris que Bardella n'était
00:40pas un conseiller technique.
00:42Il s'agissait de marquer un objectif de crédibilité budgétaire à l'endroit de cet électorat
00:48dit de droite qui dit le RN, on ne déteste pas, mais cela dit, sur le plan économique,
00:54sont-ils sérieux?
00:55Il envoyait les signaux à répétition pour dire, regardez, en matière de crédibilité
00:59budgétaire, je suis là, ne vous inquiétez pas, c'était son objectif.
01:04Gabriel Attal, c'était le candidat dans les circonstances de l'expertise technique, chacun
01:08joue sa carte préférée, donc il dit je suis presque né pour gouverner, j'ai une compétence
01:13naturelle, j'ai une aisance naturelle à travers tout ça, et ce n'est pas faux, il a une véritable
01:17compétence technique chez lui, donc il s'est imposé dans le débat, il cherchait un peu
01:21à être celui qui coince les autres, il n'était pas mauvais, mais bon, cela dit, sur le plan
01:25politique, ce n'est peut-être pas la personnalité politique la plus forte des trois sur le plan
01:29technique, assurément.
01:30Et il y avait Emmanuel Bompard, qui d'abord s'est trouvé une cravate, je prends la peine
01:35de le dire parce qu'à l'Assemblée nationale, il ne croit pas nécessaire de la porter,
01:38mais lorsqu'il se présente devant tous les Français, il sort néanmoins sa cravate, il
01:41ne sait pas encore la nouer, mais ça viendra, mais cela dit, je me permets de le noter.
01:45Pour séduire, il met la cravate et une fois qu'il la séduit, il l'enlève.
01:48Je peine à comprendre les codes de la...
01:50Intéressant.
01:51Parce que sinon, ça veut dire quelque chose.
01:52Ils ont quand même fait toute une campagne pour dire qu'il la retirait, là, il la porte
01:56soudainement.
01:57Sur le plan politique, plus sérieusement, on était dans une situation plus complexe
02:01parce que LFI, en fait plus largement le Front populaire, dit « nous ne respectons pas vos
02:05règles, nous n'envoyons pas notre candidat premier ministre parce qu'on ne sait pas qui
02:10sera le candidat premier ministre, nous disent-ils ». Dès lors, il en envoie un et il lui donne
02:15une citature qu'il n'avait pas jusqu'alors, et c'était l'occasion pour Manuel Bompard,
02:20je crois que c'était sa force, de jouer une carte de radicalité.
02:22J'ai l'impression que la gauche radicale sait qu'elle ne l'emportera pas, bien qu'elle
02:26espère l'emporter, et il était là sur le mode de la prime à la radicalité sans avoir
02:30l'air d'un extrémiste.
02:31C'était son objectif.
02:32Je ne sais pas s'il a réussi.
02:33Ensuite, trois choses qu'on doit noter qui sont importantes, c'est que c'est la stratégie
02:37des trois barrages.
02:38On n'est que devant des ingénieurs en barrage, ou comme aurait dit Laurent Bouverd' autre
02:42temps, on est devant des castors.
02:43Donc, Bardella veut faire barrage à l'extrême gauche ou à la gauche radicale, Gabriel
02:49Attal veut faire barrage aux extrêmes, et Manuel Bompard veut faire barrage à l'extrême
02:53droite.
02:54Donc, on comprend qu'on n'est pas devant des gens qui sont capables même d'imaginer
02:57la possibilité de parler au camp d'en face, nous sommes devant des gens qui fonctionnent
03:00à la digue, au barrage et à la barricade.
03:03Tel est l'horizon de leur politique.
03:05Je note aussi aujourd'hui, chacun cherchait à présenter que c'est normal de son champion
03:10comme étant celui qui avait gagné la bataille, et il y a un petit récit médiatique qui
03:14s'est imposé, une forme d'une bardellophobie dans les médias du service public, mais pas
03:18seulement.
03:19Et là, on cherche à créer un récit autour de lui en ce moment, et c'est Jordan Lagaffe.
03:23Donc là, on dit « Ah, mais il s'est trompé sur cette déclaration, ah, il s'est révélé
03:26sur les retraites avec une déclaration qui apparemment serait de nature à changer la
03:31campagne, être le tournant de la campagne.
03:32» Donc là, le service public et ses adversaires poussent beaucoup pour nous dire « Jordan
03:38Lagaffe », pour que ça rentre dans la tête des gens.
03:40On y verra une forme d'acharnement politique dissimulée derrière un commentaire journalistique
03:44faussement objectif.
03:45Enfin, je pense que c'est une chose importante à noter, la question de l'immigration, encore
03:50une fois, était négligée, était laissée de côté.
03:54Je ne dis pas qu'on ne l'a pas du tout mentionnée, j'ai dit qu'on l'a présentée de telle
03:57manière qu'on passait à côté de l'essentiel.
03:59Emmanuel Bompard, je le dis, joue honnêtement, il se fait le porteur, comme Jean-Luc Mélenchon,
04:05du nouveau peuple français en émergence.
04:07C'est leur nouvel argument de campagne, un français sur quatre aurait des origines
04:11étrangères.
04:12Dès lors, un peuple nouveau émerge, les Français de souche sont le problème, et il était
04:16sur cette ligne.
04:17Donc, l'immigration est une richesse pour la France, enrichit la France, cessons de
04:21la critiquer, elle est positive.
04:22Au moins, c'est clair, c'est la ligne de la France insoumise.
04:25Gabriel Attal a décidé d'attaquer, c'est particulier ça, sur la simple question de
04:30la double nationalité.
04:31L'extrême-centre croit avoir trouvé avec cette question, enfin, l'argument pour
04:36neutraliser l'ARN, on ne parlera plus de submersion migratoire, de quartiers qui changent
04:39de culture, d'une France qui s'islamise, non, on va parler des quelques…
04:43La bi-nationalité.
04:44Ah là, la bi-nationalité, les postes qui ne sont plus accessibles aux bi-nationaux.
04:47Les quelques postes.
04:48Je note, sois-disant passant, que le président américain ne peut pas être élu s'il n'est
04:52né à l'étranger.
04:53Donc, si vous êtes né à l'étranger, vous êtes parfaitement assimilé aux États-Unis,
04:57vous ne pouvez pas être élu aux États-Unis.
04:58Est-ce que la Constitution américaine est d'extrême droite?
05:00C'est une autre question.
05:01Quant à Bardella, évidemment, il a fait ce qu'il fallait pour parler d'immigration
05:05en parlant, et là, j'insiste sur un truc qui est assez intéressant, du lien entre
05:08les femmes et l'insécurité et l'immigration.
05:12Il aborde ce thème de plus en plus clairement et il s'est fait répondre aujourd'hui
05:17par Hercilia Soudain, figure qui compte à sa manière dans la gauche radicale, et qui
05:22a dit, je la cite, « Non, Bardella, je n'ai pas peur dans les transports en commun et
05:27je ne m'y fais pas harceler en raison de mes tenues.
05:30C'est sur les réseaux et dans les médias qu'on me harcèle à ce sujet.
05:33Arrêtez d'instrumentaliser le féminisme à des fins racistes.
05:36Là, on voit probablement tout le déni dont sont capables les insoumis, qu'on soit d'accord
05:42ou non avec eux.
05:43La situation des femmes dans les transports, je ne connais pas une femme en France qui
05:47ne reconnaît pas avoir une inquiétude lorsqu'elle entre dans les transports, et je dirais que
05:51chacune pourrait, si on lui tendait le micro tout en jurant de protéger son identité,
05:57nous ferait le même portrait de l'inquiéteur typique.
06:01Or, ce qui est certain, c'est le lien que nous connaissons.
06:05Je note que Jordan Bardella a cherché à imposer ce thème, ce n'était pas un détail,
06:11mais nous en arrivons à la question la plus importante, la suite.
06:14La suite, effectivement, à quelle France ? Alors, au regard de tout ce que vous avez
06:18dit, doit-on s'attendre le 8 juillet ?
06:20Trois scénarios, j'essaie d'être le plus objectif possible.
06:24Si le RN l'emporte, je dirais double ou triple mouvement de résistance.
06:28Premièrement, du Conseil constitutionnel, qui a dit qu'il ferait tout ce qu'il faut
06:32pour empêcher le RN d'appliquer son programme.
06:34C'est dit, bon, on le sait.
06:36Ensuite, et là c'est peut-être plus important, on a entendu ce matin Manon Aubry dire qu'il
06:41faudrait une politique de résistance, dit-elle, je crois qu'elle se trompe d'époque, de
06:45désobéissance civile majeure, peut-être même la grève générale, si le RN l'emporte.
06:51Alors, il faut bien comprendre qu'au nom de la démocratie, LFI fera tout pour paralyser
06:56les résultats du jeu démocratique.
06:58Donc, ça nous rappelle toujours cette doctrine à gauche sur les élections, si on remporte
07:01les élections, on a le droit de tout faire, si on perd les élections, on a le droit de
07:04tout faire pour renverser le résultat des élections.
07:07On est seul à le dire.
07:08Moi, je trouve que c'est très Trumpien, parce que le mot Trumpien est souvent utilisé
07:10comme ça.
07:11On dit « Trump ne reconnaît pas les résultats des élections », mais LFI annonce qu'il
07:14ne reconnaîtront pas les résultats des élections si ça donne un autre résultat que le résultat
07:19souhaité.
07:20Et, de ce point de vue, si le RN veut appliquer son programme un jour, il ne faut pas l'oublier,
07:23il va y avoir la question de la réforme constitutionnelle qui s'imposera tôt ou tard.
07:27La Macronie, en deux mots, si le Bloc central l'emporte, on peut dire que l'esprit de
07:33révolte, de jacquerie, d'insurrection qui habite le pays sera neutralisé politiquement
07:38mais continuera de travailler de l'intérieur et on peut croire que la « révolte » soit
07:42beaucoup plus forte lorsqu'elle viendra dans quelques années.
07:45Si le NFP l'emporte, c'est le scénario le plus autoritaire.
07:49C'est une rupture radicale, elle est désirée, c'est une rupture sur laquelle on ne peut
07:53pas revenir, persécution fiscale au nom de la justice sociale et climatique, crise économique
07:58immédiate, restriction des libertés, c'est important de le dire, c'est un projet de société,
08:03certains peuvent l'embrasser.
08:04Ensuite, devant cela, je pense qu'on voit que le débat politique a changé de nature,
08:08on a changé d'époque, et ça refait à votre question, on a changé d'époque, nous ne
08:11sommes plus dans un débat où il y a de l'alternance entre deux camps qui se reconnaissent mutuellement
08:16comme légitimes.
08:17Nous sommes devant trois camps qui ne sont pas capables de se comprendre, ne voient pas
08:21la réalité de la même manière, ce ne sont pas trois programmes qui s'affrontent, ce
08:24sont trois philosophies qui s'affrontent, et quand le conflit politique devient philosophique,
08:29il devient très intense, et c'est à ce moment que certains se disent « faudra-t-il quitter
08:33la France ? ».
08:34Alors justement, dernier mot, et les Français dans tout ça ?
08:35Je pense que le commun est mortel en ce moment, regarde tout ça avec beaucoup d'inquiétude.
08:40Les taux de participation annoncés témoignent d'une chose, les Français accordent une
08:44importance majeure à ces élections qu'ils savent déjà historiques.
08:47Vous dites « faut-il quitter la France ? ». Certaines le font déjà, en Amérique du Nord,
08:51en Asie, en Grande-Bretagne, mais le commun est mortel, il n'a pas ce privilège, on
08:55n'a pas tous un pays en rechange, on n'a pas tous un pays dans sa mallette, on n'a
08:59pas tous un endroit où se cacher, on n'a pas tous un endroit où aller, la plupart
09:03des gens n'ont qu'un pays, le leur, la plupart des gens n'ont qu'un pays, le leur,
09:07et ils l'aiment profondément, et ils ne tolèrent pas l'idée d'en être expulsés
09:10symboliquement de leur propre pays, comme s'ils étaient déchus de leur nationalité,
09:14de leur citoyenneté, de leur droit comme citoyen.
09:16On n'a pas de pays en rechange dans la vie, et c'est pour ça normalement qu'il faut
09:19se battre pour lui, quel que soit l'étendard qu'on lui propose.

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